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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3553/2023

ATA/1319/2023 du 08.12.2023 sur JTAPI/1289/2023 ( MC ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 26.01.2024, rendu le 30.01.2024, IRRECEVABLE, 2C_60/2024
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3553/2023-MC ATA/1319/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 décembre 2023

en section

 

dans la cause

 

COMMISSAIRE DE POLICE recourant

contre

A______ intimé
représenté par Me Romain AESCHMANN, avocat

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 1er novembre 2023 (JTAPI/1289/2023)


EN FAIT

A. a. Le 23 octobre 2023, A______, né le ______ 1975 en B______, a été interpellé par les services de police genevois en raison du vol de deux parfums, pour un montant total de CHF 330.80, au préjudice de C______ sise rue D______ ______ à Genève.

Il ressort de ses déclarations à la police du jour-même qu’il admettait avoir dissimulé ces parfums dans son sac avant de quitter le magasin. Il y était toutefois revenu quelques minutes après, « par acquis de conscience ». C'était à ce moment‑là qu'il avait été interpellé par le service de sécurité. Il avait agi de la sorte pour la première fois. Il avait volé ces parfums pour lui.

Il se trouvait en Suisse depuis environ trois mois, n'avait ni famille, ni attache en Suisse et était démuni de moyens de subsistance. Il est arrivé en train depuis E______.

b. Par ordonnance pénale du 24 octobre 2023, le Ministère public (ci-après : MP) de Genève a condamné A______ pour vol (art. 139 ch. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 [CP - RS 311.0]) et séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 [LEI - RS 142.20]), à une peine privative de liberté de trois mois.

A______ apparaissait sur les images de vidéosurveillance en train de dissimuler les parfums et de quitter le magasin sans passer par la caisse. Il avait été condamné le 15 décembre 2022, par le MP de l'arrondissement du Nord vaudois, à une peine pécuniaire de 60 jours-amende, à CHF 30.-, avec sursis, et à une amende de CHF 400.-, pour des infractions à la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01) et le 16 septembre 2023, par ordonnance pénale du MP de Genève, frappée d'opposition, à une peine pécuniaire de 30 jours‑amende, à CHF 30.-, avec sursis, délai d'épreuve 3 ans, pour entrée illégale (art. 115 al.1 let. a LEI).

B. a. Le 24 octobre 2023 à 14h05, en application de l'art. 74 LEI, le commissaire de police a prononcé à son encontre une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de douze mois.

b. Par courrier du 30 octobre 2023, A______ a formé opposition contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI).

c. Par courrier du 13 novembre 2023, il a expliqué avoir fait opposition à l'ordonnance pénale rendue le 24 octobre 2023.

Il disposait d'une chambre à F______ et était suivi médicalement auprès du Service de médecine de premier recours (SMPR) en raison d'un grave accident cardio-vasculaire en 2012 ayant nécessité la pose d'un greffon et d'un shunt aortique. Il fréquentait régulièrement les colis du cœur, les épiceries G______, le H______, le I______ et le J______, qu'il considérait comme ses lieux de vie, avec des activités régulières. Il percevait une indemnité de CHF 50.- à CHF 100.- par semaine pour l'activité qu'il déployait sur le J______. Il a produit un chargé de pièces confirmant ses dires.

d. Devant le TAPI le 15 novembre 2023 :

d.a A______ a expliqué qu'il se trouvait à Genève car cette ville lui offrait de la sécurité. Il était opposé au pouvoir en B______ et avait quitté ce pays en 2019 pour cette raison. Il n'avait aucun lien avec Genève, hormis des amis B______ qui, comme lui, étaient contre le pouvoir en B______. Sa famille vivait dans son pays d'origine.

Il n'avait pas volé les parfums. Il les avait pris et était sorti du magasin. Après une heure, il était retourné dans le commerce et était allé vers un agent de sécurité pour lui dire qu'il s'était trompé en prenant ces deux parfums avec lui. Il avait fait opposition à l'ordonnance pénale pour expliquer cette erreur. Si ses versions à la police et lors de l'audience devant le TAPI variaient, c'était parce que l'agent de police n'avait pas bien pris sa déposition.

Il essayait d'améliorer sa situation. Il travaillait au J______ comme guide. Il prenait également des cours d'anglais et d'espagnol et mangeait au I______. Cela faisait trois mois et demi environ qu'il vivait à Genève. Avant, il vivait en E______. Il avait terminé des études de droit avant de travailler dans une agence de voyages en B______. En E______, il avait travaillé comme livreur. Si l'interdiction de pénétrer dans le canton de Genève était maintenue, il ne savait pas où il irait car il faisait de son mieux pour satisfaire la société genevoise. Il avait des problèmes de santé et avait été opéré au cœur en 2013. Il devait faire des contrôles chaque six mois. Il ne prenait pas de médicament. Il avait des broches dans son bras droit, ce qui l'avait conduit à faire de la physiothérapie en E______. Il avait sollicité les Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) afin de poursuivre son traitement mais n'avait pas reçu de réponse. Il n'avait pas d'autres problèmes de santé ni d'autres suivis.

Il voulait rester à Genève. Au vu de ses capacités, il savait qu'il pouvait s'adapter à la société. Son projet était de travailler dans le tourisme.

d.b. Son conseil a conclu principalement à l'annulation de la décision du commissaire de police, subsidiairement à la réduction du périmètre limité à la zone K______ incluant C______ sise rue D______ ______ à Genève, et de la durée de l’interdiction devant être ramenée à trois mois.

d.c La représentante du commissaire de police a conclu au rejet de l'opposition.

e. Le TAPI a, par jugement du 16 novembre 2023, notifié au commissaire de police le 20 novembre suivant, admis l’opposition de A______, annulé la décision du 24 octobre 2023 et averti A______ que s'il devait réitérer, une interdiction territoriale serait alors parfaitement fondée dans son principe.

Il n’était pas au bénéfice d'une autorisation de courte durée (art. 32 LEI), de séjour (art. 33 LEI) ou d'établissement (art. 34 LEI). Il avait fait l’objet d'une condamnation pénale pour le vol de deux parfums. Son explication devant le TAPI selon laquelle il avait fait une erreur et que l'agent de police ayant pris sa déposition n'avait pas bien retranscrit ses déclarations n'était pas crédible.

Ses antécédents ne concernaient que des infractions à la LEI. Le seul fait d'avoir commis un unique vol, dans un grand commerce, pour un faible montant, ne permettait pas de retenir qu'il perturbât l'ordre public ou menaçât la sécurité genevoise. Il n'en irait pas de même s’il avait commis plusieurs vols ou un seul dans des circonstances différentes et/ou pour des montants plus élevés. Son comportement n’avait pas enfreint grossièrement les règles d'une saine cohabitation sociale même si l'on ne pouvait qualifier son comportement de fadaise. Malgré sa paupérisation, il s'investissait dans l'accueil des démunis au sein du J______ et fréquentait différents lieux d'accueil où il n'avait, a priori, jamais posé de problèmes. Dans ces circonstances, le prononcé d'une interdiction territoriale n'apparaissait pas fondé ni respecter le principe de la proportionnalité.

C. a. Le commissaire de police a formé recours contre ce jugement par acte expédié le 30 novembre 2023 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Il a conclu à l’annulation dudit jugement et au rétablissement de la mesure d’interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de douze mois.

Le seul fait de violer les dispositions de la LEI légitimait, à teneur de la jurisprudence, le prononcé de mesures fondées sur l’art. 74 LEI, ce dont le TAPI avait totalement fait fi de manière arbitraire, en violation de son pouvoir d’appréciation. L’ordre et la sécurité publics étaient prépondérants pour l’autorité administrative qui pouvait apprécier la situation de manière plus rigoureuse que l’autorité pénale. Il en allait a fortiori de même pour les juridictions administratives appelées à se prononcer sur ses décisions. La personne visée et sa situation devaient être au centre des réflexion et analyse du juge. Il citait des exemples de cas traités par la chambre administrative en lien avec la proportionnalité de l’interdiction quant à sa durée et à son étendue territoriale.

A______ avait volé de la marchandise pour un montant supérieur à CHF 300.‑, ce qui constituait un crime au sens de l’art. 10 al. 2 CP. Le TAPI, de manière insoutenable, affirmait rien moins que la commission d’un crime, fût-ce au préjudice d’un grand commerce et pour la première fois, ne violait pas grossièrement les règles de la cohabitation sociale, ni ne constituait un trouble ou une menace à l’ordre et la sécurité publics. La population genevoise était légitimement en droit d’attendre de la part de ses autorités la protection offerte par l’art. 74 LEI. Le TAPI vidait cette disposition de toute substance dont les conditions étaient l’espèce sans discussion possible réalisées.

A______ avait déjà été condamné par deux fois pour violation de l’art. 115 al. 1 LEI et son seul séjour illégal était suffisant pour prononcer une interdiction de périmètre. Sa situation personnelle, en particulier sanitaire, ne nécessitait nullement sa présence dans le canton de Genève où il n’avait aucune attache et ne se trouvait que depuis quelques mois.

b. A______ a conclu à l’irrecevabilité du recours, pour cause de tardiveté et, au fond, à son rejet.

Le TAPI avait procédé le 16 novembre 2023 à 11h22 à la notification anticipée à l’ensemble des parties du jugement rendu le 16 novembre 2023. Le commissaire de police en avait donc alors pris connaissance, de sorte que son recours du 30 novembre 2023 devait être déclaré irrecevable. Tel était également le cas si par impossible cette notification anticipée n’aurait pas commencé à faire courir le délai de recours de dix jours, puisque lui-même avait reçu ledit jugement le 17 novembre 2023. Or, le commissaire de police prétendait avoir reçu ce jugement le 20 novembre 2023 seulement, une affirmation invérifiable et reposant uniquement sur une inscription manuscrite dont on ignorait l’origine et l’auteur.

L’exposé de fait du TAPI était complet et pertinent. Ce dernier avait procédé à juste titre à l’examen de la seule question devant être tranchée, à savoir s’il représentait un trouble ou une menace à la sécurité et l’ordre public. Il rappelait qu’il contestait avoir commis un vol. Il était capital de relever qu’il était revenu de lui-même et spontanément dans l’enceinte de C______ afin de restituer les parfums litigieux. Cet élément était central dans le cadre de l’examen à effectuer. La situation aurait été bien différente s’il avait été arrêté en train de voler les parfums et interpellé manu militari par le service de sécurité. C’était l’inverse qui s’était produit. Le montant du supposé vol, estimé à CHF 330.80, n’était aucunement documenté et on ignorait comment il se décomposait. Il existait donc une très forte probabilité que la somme totale inclue en réalité des frais administratifs devant être exclus du montant total du prétendu larcin. Partant, il était parfaitement plausible que le seuil de CHF 300.- ne soit pas atteint et que partant, en application de l’art. 172 ter CP, seul une amende soit prononcée. Dans ces conditions et compte tenu de son comportement, attesté par les images de vidéosurveillance, c’était à bon droit que le TAPI avait considéré qu’il ne représentait pas une menace à la sécurité et l’ordre public. C’était sans abuser de son pouvoir d’appréciation que le TAPI avait considérée qu’il n’avait pas enfreint grossièrement les règles d’une saine cohabitation sociale.

Compte tenu de son implication et de son en investissement notamment dans le cadre de son activité au sein du J______ pour laquelle il percevait une indemnité hebdomadaire, c’était à bon droit que le TAPI avait considéré que l’interdiction n’était pas fondée eu égard au respect du principe de proportionnalité.

c. Dans sa réplique du 6 décembre 2023, le commissaire de police est revenu sur la problématique de la notification du jugement entrepris, relevant notamment que le courriel du TAPI du 16 novembre 2023, tel que cela ressortait clairement de la liste des destinataires, ne lui avait pas été adressé mais, outre au recourant, à l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM).

A______ avait déposé une demande d’asile en E______ le 16 juin 2020, de sorte qu’il n’avait rien à faire en Suisse. Il devait retourner dans ce premier pays dans les plus brefs délais.

Lui-même fondait l’espoir que l’admission de son recours marque une étape notable dans sa tentative de mettre en œuvre une pratique cohérente et prévisible en matière de mesures fondées sur l’article 74 LEI.

d. Les parties ont été informées le 6 décembre 2023 que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Le recours a été interjeté devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05).

Se pose toutefois la question de savoir si le recours a été formé dans le délai légal, ce que conteste l’intimé.

1.1 Selon l’art. 10 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10) le délai de recours est de dix jours à compter de la notification de la décision attaquée.

1.2 Le délai court dès le lendemain de la notification de la décision (art. 62 al. 3 1ère phr. de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA‑GE - E 5 10]).

Les écrits doivent parvenir à l’autorité ou être remis à son adresse, à un bureau de poste suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse au plus tard le dernier jour du délai avant minuit (art. 17 al. 4 LPA).

S’agissant d’un acte soumis à réception, telle une décision ou une communication de procédure, la notification est réputée faite au moment où l’envoi entre dans la sphère de pouvoir de son destinataire (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3e éd., 2011, p. 302-303 n. 2.2.8.3). Il suffit que celui‑ci puisse en prendre connaissance (ATF 118 II 42 consid. 3b ; 115 Ia 12 consid. 3b).

1.3 En l’espèce, le jugement a été notifié au commissaire de police par courrier interne. Selon la mention manuscrite apposée sur un document adressé au commissaire de police et intitulé « copie à retourner datée et signée », le jugement litigieux aurait été notifié le 20 novembre 2023. Dans la mesure où aucun élément concret ne permet de remettre en cause cette date, le délai de recours est arrivé à échéance le 30 novembre 2023. Ainsi, expédié à la chambre de céans le 30 novembre 2023, le recours est recevable. Le fait que ledit jugement ait été notifié le 17 novembre 2023 à l'intimé n'y change rien. Cela ne remet pas non plus en cause la date de réception précitée auprès du commissaire de police, dans la mesure où le TAPI a envoyé ce jugement par courrier recommandé au conseil de l’intimé et par courrier interne au commissaire de police. Le mode d'acheminement différent explique la différence de trois jours invoquée par l'intimé.

Enfin, le fait que le greffe du TAPI ait procédé à une communication anticipée de son jugement en annexe à un courriel du 16 novembre 2023 ne vaut pas notification, seule action faisant partir le délai de recours, étant au surplus relevé que ledit courriel n’a pas été adressé au commissaire de police mais au conseil du recourant et à deux services de l’OCPM.

Déposé en temps utile et répondant pour le surplus aux réquisits de l’art. 65 LPA, le recours est recevable.

2.             Selon l'art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10), la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 1er décembre 2023 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

3.             Est litigieuse l’interdiction de pénétrer le territoire cantonal, quant à son principe, à sa durée et à son étendue géographique.

3.1 À teneur dudit art. 10 LaLEtr, la chambre de céans est compétente pour apprécier l'opportunité des décisions portées devant elle en cette matière (al. 2 2ème phr.).

3.2 Au terme de l'art. 74 al. 1 LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas pénétrer dans une région déterminée notamment lorsque l’étranger n’est pas titulaire d’une autorisation de courte durée, d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation d’établissement et trouble ou menace la sécurité et l’ordre publics ; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants (let. a).

3.3 Si le législateur a expressément fait référence aux infractions en lien avec le trafic de stupéfiants (art. 74 al. 1 let. a LEI), cela n'exclut toutefois pas d'autres troubles ou menaces à la sécurité et l'ordre publics (ATF 142 II 1 consid. 2.2 et les références), telle par exemple la violation des dispositions de police des étrangers (arrêts du Tribunal fédéral 2C_123/2021 du 5 mars 2021 consid. 3.1 ; 2C_884/2021 du 5 août 2021 consid. 3.1.). Le simple soupçon qu'un étranger puisse commettre des infractions dans le milieu de la drogue justifie une mesure prise en application de l'art. 74 al. 1 let. a LEI ; de tels soupçons peuvent découler du seul fait de la possession de stupéfiants destinés à sa propre consommation (arrêts du Tribunal fédéral 2C_123/2021 du 5 mars 2021 et les arrêts cités).

3.4 La mesure doit en outre respecter le principe de la proportionnalité. Tel que garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), il exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6 et les références citées).

Appliqué à la problématique de l’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prévue à l’art. 74 LEI, le principe de proportionnalité implique de prendre en compte en particulier la délimitation géographique d’une telle mesure ainsi que sa durée. Il convient de vérifier, dans chaque cas d’espèce, que l’objectif visé par l’autorité justifie véritablement l’interdiction de périmètre prononcée, c’est-à-dire qu’il existe un rapport raisonnable entre cet objectif et les moyens mis en œuvre pour l’atteindre (ATF 142 II 1 consid. 2.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_884/2020 du 5 août 2021 consid.3.4.2 ; 2C_796/2018 du 4 février 2019 consid. 4.2).

3.5 L'art. 74 LEI ne précise ni la durée ni l'étendue de la mesure. Selon le Tribunal fédéral, celle-ci doit dans tous les cas répondre au principe de proportionnalité, soit être adéquate au but visé et rester dans un rapport raisonnable avec celui-ci (ATF 142 II 1 consid. 2.3). Elle ne peut donc pas être ordonnée pour une durée indéterminée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1). Des durées inférieures à six mois ne sont guère efficaces (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 précité consid. 4.2) ; des mesures d'une durée d'une année (arrêt du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.2), voire de deux ans (arrêt du Tribunal fédéral 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.5) ont été admises.

3.6 L'interdiction de pénétrer peut s'appliquer à l'entier du territoire d'un canton (arrêts du Tribunal fédéral 2C_231/2007 du 13 novembre 2007 ; 2A.253/2006 du 12 mai 2006), même si la doctrine relève que le prononcé d'une telle mesure peut paraître problématique au regard du but assigné à celle-ci (Tarkan GÖKSU, op. cit., p. 725 n. 7). La portée de l'art. 6 al. 3 LaLEtr, qui se réfère à cette disposition et en reprend les termes, ne peut être interprétée de manière plus restrictive. C'est en réalité lors de l'examen du respect par la mesure du principe de la proportionnalité que la question de l'étendue de la zone géographique à laquelle elle s'applique doit être examinée.

3.6.1 Le Tribunal fédéral a confirmé une assignation territoriale d’une durée de deux ans au territoire d’une commune zurichoise pour un étranger qui ne s’était pas soumis au renvoi qui lui avait été notifié (arrêt du Tribunal fédéral 2C_497/2017 du 5 mars 2018).

3.6.2 La chambre de céans a confirmé une interdiction territoriale étendue au centre-ville de Genève, compte tenu des relations du recourant avec sa compagne et son enfant, pour une durée de 24 mois prononcée contre un étranger interpellé en possession de huit boulettes de cocaïne et condamné auparavant à six reprises pour infractions à la LStup et à la LEI (ATA/537/2022 du 23 mai 2022).

Elle a confirmé des interdictions territoriales étendues à tout le canton de Genève pour des durées de 18 mois prononcées contre : un étranger interpellé en flagrant délit de vente de deux boulettes de cocaïne et auparavant condamné deux fois et arrêté une fois pour trafic de stupéfiants (ATA/2577/2022 du 15 septembre 2022) ; un étranger sans titre, travail, lieu de séjour précis ni attaches à Genève, condamné plusieurs fois pour infractions à la LEI et la LStup, qui avait longtemps caché sa véritable identité et était revenu en Suisse malgré un renvoi (ATA/536/2022 du 20 mai 2022) ; un étranger sans titre, travail, lieu de séjour précis ni attaches à Genève, plusieurs fois condamné pour infractions à la LStup, objet de décisions de renvoi et traité sans succès pour une dépendance aux stupéfiants (ATA/411/2022 du 14 avril 2022).

4.             En l'espèce, le principe d’une mesure d’interdiction de périmètre au sens de l'art. 74 al. 1 let. a LEI se pose. Il a été dénié par le TAPI.

Il est constant que l’intimé est démuni de tout titre d’établissement ou de séjour. Sa situation est des plus précaires puisqu’il dépend exclusivement de l’aide fournie par les associations caritatives du canton. Il n’a ainsi aucun revenu régulier, au-delà de quelques dizaines de francs selon son activité au sein du J______, ni domicile fixe. Sa situation médicale n’apparait pas problématique vu le suivi uniquement semestriel qu’elle implique, à la suite d’une intervention chirurgicale au cœur datant de plus de dix ans.

L’aide qu’il dit recevoir pour subvenir à ses besoins, par le gîte, le couvert et des indemnités depuis les « environ trois mois » qu’il vivrait à Genève ne l’a pas empêché d’être interpellé le 23 octobre 2023 pour le vol de deux parfums d’une valeur globale de plus de CHF 330.80. Sur ce point, le rapport de police mentionne bien une valeur des deux parfums de CHF 330.80 à l’exclusion de frais administratifs que C______ entendrait recouvrer. Le recourant est ainsi mis en cause pour un vol de marchandises ne portant pas sur un objet de faible valeur et qui serait constitutif d’une seule contravention (art. 139 cum 172ter CP).

Si l’intimé a fait opposition à l’ordonnance pénale du 24 octobre 2023, il existe suffisamment d’éléments au dossier pour fonder des soupçons de commission de ce vol, mais aussi d’un séjour illégal en Suisse, faits que l’intimé a d’ailleurs admis lors de son audition à la police. S’ajoutent à ces aveux, s’agissant du vol dans un commerce, les images de vidéosurveillances. Ses dires les plus récents, selon lesquels il se serait rendu compte avoir emporté par mégarde ces deux parfums après avoir quitté le magasin et les avoirs ramenés environ une heure plus tard s’avèrent peu crédibles.

L’intimé n’en est pas à sa première interpellation par la police, ni à sa première condamnation par ordonnance pénale d’un MP, puisque tel a été le cas le 15 décembre 2022 dans le canton de Vaud pour des infractions à la LCR et le 16 septembre 2023 pour entrée illégale, quand bien même il a fait opposition à cette dernière ordonnance. S’agissant de cette condamnation pour entrée illégale, si l’intimé s’y oppose, il n’a pas prétendu dans la présente procédure ni a fortiori démontré être au bénéfice d’une autorisation de séjour en Suisse.

Dans ces conditions, et contrairement à ce qu’a retenu le TAPI, quand bien même le vol reproché qui lui a valu l’interdiction de périmètre contestée a été dénoncé par une grande enseigne de la place, il n’en demeure pas moins que ce comportement est constitutif d’un crime (art. 10 al. 2 CP). En poursuivant un séjour illégal en Suisse et en s’en prenant au patrimoine d’autrui, le recourant est une menace pour la sécurité et l’ordre publics.

Le principe d’une interdiction de périmètre telle que prévue par l’art. 74 LEI est donc avéré.

Reste à examiner la proportionnalité de la mesure.

Dans la mesure où le recourant dispose d’une place à F______ (à la rue L______ ______) où il peut dormir, d’un travail auprès de l’association J______ et d’un suivi médical aux HUG, l’interdiction de périmètre visant l’ensemble du territoire cantonal n’est pas compatible avec le principe de la proportionnalité. Il conviendra ainsi d’exclure de l’interdiction de périmètre le quartier M______, où se trouvent le logement du recourant (sis rue L______ ______) et l’épicerie G______ auprès de laquelle il peut faire ses achats, l’itinéraire le plus rapide depuis la rue L______ ______, à savoir en passant par le pont N______ et en longeant le lac jusqu’au J______, où le recourant travaille, ainsi que le quartier K______, lui permettant d’accéder aux HUG, au H______ ainsi qu’à l’épicerie de G______ (rue D______) auprès de laquelle il dispose également d’une carte. Certes, le recourant a commis le vol dans le quartier K______. Dès lors cependant qu’afin de tenir compte du principe de la proportionnalité, il sera autorisé à se rendre dans ce quartier pour, notamment se rendre aux HUG et au H______, l’attention du recourant sera expressément attirée sur le fait qu’en cas de nouvelle infraction, les mesures administratives prises à son encontre pourraient être plus sévères.

La durée de la mesure, de douze mois, est conforme à la jurisprudence et adaptée aux circonstances du cas d'espèce, étant rappelé qu'une durée inférieure à six mois n'est guère efficace (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 précité consid. 4.2). Elle sera en conséquence confirmée.

En conséquence, le recours sera partiellement admis, le jugement annulé et l’interdiction de pénétrer dans le canton de Genève sera confirmée, pour une durée de douze mois, hormis le quartier M______, le chemin le plus rapide entre la rue L______ ______ et le J______, à savoir en passant par le pont N______ et en longeant le lac jusqu’au J______, ainsi que le quartier K______.

5. La procédure étant gratuite, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA cum art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l’issue du recours, une indemnité de procédure – réduite – de CHF 500.- sera allouée à l’intimé (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 30 novembre 2023 par le commissaire de police contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 novembre 2023 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 novembre 2023 ;

confirme l’interdiction de pénétrer dans le canton de Genève prononcée le 24 octobre 2023 pour une durée de douze mois, hormis le périmètre tel que décrit dans les considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 500.- à A______, à la charge de l’État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les 30 jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt au commissaire de police, à Me Romain AESCHMANN, avocat du recourant, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Valérie LAUBER et Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

B. SPECKER

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :