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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1167/2022

ATA/1059/2023 du 26.09.2023 sur JTAPI/454/2023 ( LCI ) , REJETE

Recours TF déposé le 06.11.2023, 1C_597/2023
Rectification d'erreur matérielle : rectification d'erreur matérielle le 16 octobre 2023
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1167/2022-LCI ATA/1059/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 septembre 2023

3ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Romain JORDAN, avocat

contre

B______

représentée par Me Jean-Marc Siegrist, avocat

et

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE – OAC

et

C______, D______, E______, F______, G______, H______, I______, J______, K______, L______, M______, N______, O______ et P______ intimés
représentés par Me Romain JORDAN, avocat

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 27 avril 2023 (JTAPI/454/2023)


EN FAIT

A. a. B______ (ci-après : B______) est active notamment dans le domaine de la construction. Elle exploite depuis plusieurs dizaines d’années des barges destinées à des travaux lacustres, amarrées à des corps-morts sur le lac Léman à l'aval de la Q______, sur la parcelle n° 8'346 de la commune de R______ (ci-après : la commune).

b. Dans le cadre d'un processus qui a impliqué différentes décisions de justice, le département de l'urbanisme, devenu depuis lors le département du territoire (ci‑après : le département), a ordonné à B______ (ci-après : B______) en 2013 de déposer une demande d'autorisation de construire pour l'installation de ces barges.

B. a. B______ a donné suite à cette injonction en déposant le 31 janvier 2017 une requête en autorisation de construire pour trois amarrages forains provisoires B1______, B2______ et B3______, enregistrée sous n° A 4______.

Ultérieurement, B______ a précisé que les trois barges, d’une surface respective de 204 m², 178 m² et 144 m² et d’un poids de 70 t, 62 t et 49 t, seraient arrimées dans le fond du lac par des vis d'ancrage.

b. La direction des autorisations de construire (ci-après : DAC), le service des monuments et des sites (ci-après : SMS) et la commune ont préavisé favorablement le projet, de même que la commission consultative de la diversité biologique (ci‑après : CCDB), soit pour elle sa sous-commission de la flore, qui a considéré que les constructions visées n'avaient pas d'impact significatif sur la végétation lacustre.

c. La direction générale de l'agriculture et de la nature (ci-après : DGAN) a en revanche préavisé défavorablement le projet. Celui-ci visait à pérenniser l'implantation des barges dans un « hot spot » de la réserve fédérale pour oiseaux d'eau GE 118 (concentration d'oiseaux hivernants et plates-formes de nidification pour la sterne pierregarin) à proximité immédiate de la réserve naturelle de la Q______. Il contrevenait ainsi aux objectifs de la loi sur la protection générale des rives du lac, de l'ordonnance sur les réserves d'oiseaux d'eau et de migrateurs d'importance internationale et nationale du 21 janvier 1991 (OROEM – RS 922.32) et à la réglementation cantonale sur les réserves naturelles. De plus, cette implantation n'était pas conforme à la planification lacustre de 2014 prévoyant de regrouper toutes les barges industrielles sur les sites du S______ et de T______.

Après un nouveau préavis négatif, la DGAN a finalement délivré un préavis favorable sous condition. Les trois corps-morts pour barges industrielles étaient situés depuis de très nombreuses années à cet emplacement. Compte tenu du projet de regroupement des barges industrielles sur les sites du S______ et de T______, l'emplacement actuel ne pouvait être pérenne, vu sa situation au sein d'une réserve fédérale pour oiseaux d'eau. B______ devrait assurer le déplacement des corps‑morts et des barges immédiatement après que l'un ou l'autre des deux sites précités le permettrait.

d. Le 25 juillet 2018, la direction générale de l'eau (ci-après : DGEau) a délivré à B______ une autorisation spéciale LCR 17-965 en vertu de la loi fédérale sur la pêche du 21 juin 1991 (LFSP – RS 923.0)

e. Par décision DD 4______ du 25 juillet 2018, le département a délivré l'autorisation requise.

C. a. Sur recours de riverains et d'une association de protection de la nature, le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) a annulé cette autorisation par jugement du 2 juillet 2019.

En principe, les installations litigieuses devraient trouver place en dehors de la zone II de protection OROEM. L'amarrage des barges en aval de la Q______ était censé leur offrir une protection naturelle en cas de forte bise. Le département n'avait toutefois pas instruit la possibilité de leur déplacement en dehors de la zone de protection OROEM. Selon les cartes disponibles sur le Système d'information du territoire genevois (ci-après : SITG), il suffirait de déplacer l'amarrage BE 3______ à moins de 100 m vers l'aval, l'amarrage BE 2______ à environ 60 m et l'amarrage BE 1______ à moins d'une vingtaine de mètres. Il n'était certes pas exclu, en application du principe de proportionnalité, de se fonder de manière pragmatique, d'une part, sur le fait qu'aucun dommage avéré n'avait été jusqu'ici causé par les barges durant de longues années et, d'autre part, sur le fait qu'elles seraient déplacées d'ici quelques années vers les sites du S______ ou de T______. Il aurait toutefois fallu que le département et B______ aient démontré ou du moins rendu suffisamment vraisemblable que le déplacement des barges à quelques dizaines de mètres en aval, toujours sur la même parcelle, ne permettrait plus de leur assurer la protection dont elles bénéficiaient, ou que ce déplacement engendrerait des contraintes ou des coûts disproportionnés. Ces questions, qui permettraient de trancher en toute connaissance de cause et de manière équilibrée entre tous les intérêts en présence, n'avaient pas été du tout examinées. Cela s'avérait d'autant plus problématique que le mode d'arrimage par corps mort était appelé, selon le projet, à être modifié au profit de vis d'ancrage.

b. Dans le cadre de la reprise de l'instruction du dossier DD 4______, B______ a adressé au département deux propositions de déplacement des barges en direction de l'aval, reçues par le département le 2 juillet 2021.

b.a Le 22 juillet 2021, le SMS a préavisé favorablement le projet en privilégiant la proposition consistant à déplacer les barges d'environ 100 m, avec un système d'ancrage, ce qui permettrait de les éloigner d'autant plus du site archéologique voisin.

b.b Le 23 juillet 2021, la CCDB s'est déclarée favorable au projet, moyennant l'octroi d'une dérogation relative à la loi sur la protection générale des rives du lac.

b.c Le 5 août 2021, l'office de l'urbanisme (ci-après : OU) s'est déclaré favorable, moyennant l'octroi d'une dérogation relative à la loi d'application de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700).

b.d Le 18 août 2021, la commune s'est déclarée défavorable au projet en raison de la proximité de la réserve naturelle.

b.e L’office cantonal de l’agriculture et de la nature (ci-après : OCAN) s'est déclaré défavorable le 23 août 2021. Il préconisait le maintien de l'emplacement et du système d'ancrage actuel des barges. La flore et la faune aquatiques s'étaient adaptées à la présence des installations. Leur déplacement, qui plus était pour une courte durée en raison du déménagement de ces barges dans les cinq ou six ans à venir au S______, aurait un impact non justifié sur les macrophytes et la faune.

b.f Le 3 septembre 2021, l'office cantonal de l’eau (ci-après : OCEau) s'est déclaré défavorable aux deux variantes de déplacement. Il a demandé le maintien des positions et amarrages existants.

b.g Le 15 octobre 2021, l'OCAN a repris son précédent préavis défavorable et ajouté qu'au vu du déménagement au port du S______, le périmètre de protection OROEM dans lequel se situaient les barges ne justifiait pas à lui seul leur déplacement de 50 ou 100 m en aval. La pesée des intérêts en matière de protection de la biodiversité conduisait au constat que l'impact de nouveaux amarrages sur le fond lacustre serait plus important sur les oiseaux d'eau et migrateurs que celui d'un maintien à court terme de la situation.

b.h Le 19 novembre 2021, la DGEau a préavisé favorablement le projet sous conditions.

b.i Par deux préavis, des 7 décembre 2021 et 8 février 2022, la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS) a préavisé favorablement le projet, sous conditions. Elle n'était pas opposée aux amarrages forains déjà en place et entrait donc en matière pour l'usage d'une dérogation relative à la loi sur les eaux, sous condition que les barges soient déplacées dans les meilleurs délais au port du S______ et que les corps-morts soient alors retirés ou supprimés définitivement.

c. Par décision du 9 mars 2022 publiée le même jour dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO), le département a octroyé à B______ l'autorisation DD 4______ en la soumettant aux conditions des différents préavis susmentionnés.

D. a. Par acte du 8 avril 2022, A______ a recouru auprès du TAPI contre cette autorisation et a conclu préalablement à l'apport des procédures A/3398/2021, A/422/2022 et A/403/2022 pendantes devant le TAPI, à ce qu'il soit ordonné à B______ et à l'État de Genève de produire tout accord, convention ou échanges de correspondances formalisant un accord au sujet du déménagement des installations au lieu-dit Le S______, à la suspension de la procédure jusqu'à droit connu sur le projet de loi PL 12'969 modifiant les limites de zones sur le territoire des communes de U______ et de V______ ainsi que partiellement le périmètre de protection générale des rives du lac.

Il était propriétaire des parcelles nos 6’599 et 9’845 de la commune et sa propriété jouxtait le bord du lac, offrant une vue totalement dégagée sur le paysage alentour et la rive opposée. Il jouissait également de la vue sur la rade de Genève et son Jet d'eau, à tout le moins lorsque les barges litigieuses n'étaient pas occupées.

Le Conseil d'État avait déposé le PL 12'969 devant le Grand conseil le 28 avril 2021 et la Commission du Grand Conseil avait déposé son rapport le 3 février 2022, de sorte que la modification de limites de zones devrait être prochainement adoptée par le législateur.

Depuis le 27 avril 2021, il avait entrepris de nombreuses démarches auprès des autorités pour faire cesser l'exploitation sans droit des barges amarrées aux corps‑morts litigieux. Dans les procédures A/3398/2021, A/422/2022 et A/403/2022, il sollicitait l'interdiction d’utiliser ces derniers. Depuis plus d'un an, il cherchait ainsi à obtenir la remise en état des lieux.

L'autorisation litigieuse violait l'obligation de planification, étant donné qu'elle touchait une zone particulièrement protégée. Il fallait prendre en compte l'impact des corps-morts dans le lac, mais également celui des barges et des pelleteuses, soit un équipement similaire à un petit port. Si une procédure de planification était nécessaire au S______, elle l'était également à la Q______ qui abritait la dernière roselière d'importance du canton.

L'autorisation litigieuse violait également les règles relatives aux dérogations hors de la zone à bâtir et dans une zone protégée du lac. Les différents préavis, qui soulignaient que l'emplacement ne pouvait être maintenu qu'à court terme, démontraient que celui choisi n'était pas objectivement imposé par sa destination. Le seul motif qui avait conduit à l'octroi de l'autorisation était la préexistence de la construction, soit un intérêt de commodité qui n'avait pas à être pris en compte dans l'examen d'une telle dérogation L'intérêt privé d'B______, économique, à pouvoir poursuivre l'exploitation commerciale des corps-morts litigieux devait être examiné en comparaison avec les intérêts publics de protection de la zone et de l'environnement et avec l'intérêt privé à ce qu'il puisse obtenir la préservation de sa vue sur une zone protégée. À défaut, cela donnerait du poids à la politique du fait accompli. La présence de longue date des corps-morts ne pouvait pas être prise en compte dans la pesée des intérêts, d’autant plus que l'autorisation litigieuse n'était pas limitée temporellement, du moins pas de manière suffisamment précise. Pour les riverains, il s'agissait d'un inconvénient grave devant conduire à l'annulation de l'autorisation de construire.

b. Le Grand Conseil a, le 29 avril 2022, promulgué la loi modifiant les limites de zones sur le territoire des communes de U______ et de V______ et modifiant partiellement le périmètre de protection générale des rives du lac (12’969).

c. Par requête du 13 mai 2022, C______ et N______, D______, H______, I______, J______, K______, L______et G______et O______, E______et P______, ainsi que F______et M______ ont demandé au TAPI de pouvoir intervenir dans la procédure.

d. B______ a conclu à l'irrecevabilité du recours et, sur le fond, à son rejet.

L'obligation de planification dont se prévalait A______ concernait des projets d'une certaine envergure et non pas les constructions objets du litige. Un corps-mort ne pouvait être installé que dans le lac et donc hors de la zone à bâtir. En attendant la mise en service du futur port du S______, il n'existait pas d'alternative valable pour l'amarrage des barges. Celles-ci constituaient une très faible immission et A______ avait acquis sa propriété alors qu’elles étaient déjà en place. Il n'y avait par conséquence aucune restriction de vue.

e. Le département a conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

f. Par décision du 27 juin 2022, le TAPI a rejeté la requête de suspension, déclaré irrecevable la conclusion tendant à l'apport des causes A/3398/2021, A/422/2022 ainsi que A/403/2022 et admis la demande d'intervention.

g. Le 29 juin 2022, A______ a requis des mesures provisionnelles que le TAPI a rejetées par décision du 14 juillet 2022.

h. Le 2 août 2022, A______ a requis des mesures provisionnelles que le TAPI a partiellement admises par décision du 14 octobre 2022.

i. Il a répliqué le 30 août 2022.

j. Par courrier du 14 octobre 2022, le TAPI a invité le département à produire :

-       un plan de format A3 reprenant le périmètre couvert par les deux extraits SITG produits par B______ dans le cadre de ses propositions de déplacement des barges, timbrées par le département le 2 février 2021. Ce plan devrait indiquer l'ensemble des corps-morts et autres ancrages lacustres existants dans ce périmètre, avec leur numéro de référence ;

-       un document séparé, qui serait soustrait à la consultation des autres parties, mentionnant les personnes titulaires d'un droit ou d'une permission quelconque d'amarrage pour chacun de ces corps-morts ou points d'ancrage. Dans l'hypothèse où certaines de ces installations ne seraient attribuées à personne, le département était invité à préciser ce qui empêcherait juridiquement et/ou matériellement de les attribuer à B______.

k. Le département a produit ces documents et, dans son courrier du 25 novembre 2022, a expliqué que le nombre conséquent de corps-morts dans le secteur considéré s'expliquait par une immersion d’une partie non négligeable d’entre eux, plusieurs années auparavant, par des personnes privées sans l'accord de l'État. Ainsi, plusieurs de ces corps-morts n'étaient pas attribués, la capitainerie cantonale (ci-après : la capitainerie) ne souhaitant pas tous les pérenniser. La possibilité de déplacer les barges d'B______ sur d'autres corps‑morts situés dans le périmètre en question avait été examinée, mais aucun n'était adapté pour recevoir des barges de travail, en raison notamment de leur poids et de leur chargement. Il serait donc nécessaire d'adapter les corps-morts existants par l'ajout de blocs de béton, d’où de nouvelles atteintes au fond lacustre, alors que les barges étaient destinées à demeurer dans le secteur de manière temporaire. En outre, une fois amarrées, les barges requéraient un rayon d'évitement qui n'existait pas sur certains des emplacements situés dans le voisinage.

l. B______ a appuyé ces remarques.

m. Le 3 janvier 2023, A______ a relevé que la carte produite par le département ne contenait pas de repères suffisants. L’audition de la capitainerie était requise. Le conflit d'intérêt entre l'État et B______ devait être instruit. Il existait au moins un précédent dans lequel la capitainerie avait accepté de déplacer des corps-morts à un endroit répondant à une meilleure pesée des intérêts.

n. Lors d’une audience devant le TAPI le 2 février 2023 :

n.a W______, chef de secteur au sein de la capitainerie, a expliqué que tant que les corps-morts n'avaient pas besoin de faire l'objet d'une autorisation de construire, ils avaient été immergés dans le lac sans que cette question ne se pose. Il ignorait si, depuis que la jurisprudence considérait qu'ils devaient faire l'objet d'une autorisation de construire, des corps-morts supplémentaires avaient été immergés dans la zone de l'autorisation litigieuse.

n.b X______, responsable du secteur lacustre auprès d'B______, a expliqué que chaque barge pesait 100 à 130 t à vide et était chargée d'engins et de matériel totalisant une centaine de tonnes supplémentaires pour un poids total de l’installation de 200 t environ. Les corps-morts auxquels elles étaient amarrées, étaient des blocs de béton qui avaient été immergés une cinquantaine d'années auparavant. Il n’en connaissait pas les dimensions exactes qui devaient être de l’ordre de 5 t pour chaque amarrage de barge. À chacun des amarrages était fixée une chaîne d'une trentaine de mètres de long, grâce à laquelle les barges pouvaient tourner selon les vents, ce qui, compte tenu de la longueur des barges elles-mêmes (22 m), entraînait un rayon de rotation de 50 m, soit un diamètre de 100 m.

n.c Selon Y______, inspecteur faune pour l'OCAN, le service spécialisé auquel il était fait référence dans le préavis de l'OCAN du 15 octobre 2021 était celui de la biodiversité, dont il faisait partie. Il y avait eu quelques essais du système d'ancrage par vis dans la période qui avait immédiatement suivi la jurisprudence établissant que les corps-morts étaient soumis à autorisation, mais aussi car de tels ancrages étaient beaucoup moins dommageables pour la vie sous lacustre. Si certains ancrages s'étaient révélés satisfaisants, pour d’autres, les bateaux étaient partis à la dérive avec les vis. Les fonds sous lacustres étant de nature variable, il fallait trouver la solution la plus adaptée, ce qui n'était pas toujours le cas des vis. La capitainerie avait donc renoncé à obliger les particuliers à amarrer leur bateau de cette façon.

Il n'était pas possible de savoir avec certitude quelle était la variabilité des fonds sous lacustre à quelques dizaines de mètres de l'endroit où B______ avait procédé aux essais en question. Si l'ancrage d'une vis avait un impact beaucoup moins important sur la vie sous-lacustre qu’un corps-mort, les essais avaient mené à des résultats insatisfaisants, notamment à cause de l'arrachage des vis ou des phénomènes de raclage du sol.

n.d. X______ a précisé qu’il avait appris que si le fond n'était pas extrêmement sablonneux, mais de nature plus vaseuse, la houle avait tendance au fil du temps à tirer les vis vers le haut, ce qui était arrivé même avec de simples bouées de signalisation. B______ avait fait des essais environ trois ou quatre ans auparavant à l'endroit où étaient actuellement amarrées ses barges. Elle avait acheté une machine à forer le sol sous lacustre et y avait envoyé une équipe de plongeurs. Le foret de la machine s'enfonçait par son propre poids. Ainsi, à moins de procéder à un forage en profondeur, il n'y avait pas moyen d'ancrer solidement des vis à cet endroit.

n.e Selon X______, au sujet du planning d'occupation des barges produit par B______, la plupart du temps, celles-ci étaient censées se trouver sur le chantier où elles étaient en activité ; elles ne se repliaient sur les amarrages litigieux qu'en cas d'intempéries ou lors des périodes de vacances. Au-delà d'un vent de 3 Beaufort, les barges risquaient de couler si elles n'étaient pas amarrées. La quatrième barge d’B______, amarrée en aval du jet d'eau, ne permettait pas le stockage du matériel, car elle était arrosée toute la journée par ce dernier. Il était possible que cette barge s’amarre occasionnellement à l'un des trois corps-morts litigieux. En cas d'urgence, principalement pour de raisons météorologiques, il pouvait arriver que quatre barges s'amarrent aux trois corps-morts. Il n'était pas possible, dans le cadre du chantier Z______, qui se prolongerait en tout cas jusqu'en 2025, d'amarrer les barges de façon pérenne au S______, l'un des endroits les plus exposés à la bise. La barge amarrée en dessous de la digue du jet d'eau était amenée jusqu'au quai de AA______ lorsqu'il s'agissait d'installer une machine de chantier. Cette opération devait se planifier, car, même vide, cette plate-forme devait bénéficier de conditions particulières pour se déplacer, à savoir notamment la fermeture du barrage du Seujet, nécessitant le dépôt d’un préavis de deux semaines auprès des services industriels de Genève. Il fallait de plus faire appel à d'autres embarcations, car la plate-forme elle-même n'était pas manœuvrable. Lorsque les barges devaient se replier, il fallait le faire très rapidement et il n'était donc pas possible d'aller manœuvrer dans la rade. Sans un minimum de précautions, les barges finiraient par heurter le pont du Mont-Blanc. Il serait de plus nécessaire de disposer de la place pour amarrer ces embarcations. À mesure que l'on s'éloignait vers l'aval, la protection contre les vents diminuait. De façon générale, s'il était possible d'amarrer les barges à l'intérieur d'un port ou dans n'importe quelle configuration offrant la même caractéristique de protection, cela conviendrait également, à condition que la navigabilité des lieux (courant ou tirant d'eau) soit adéquate.

n.f AB______, juriste auprès du département, a expliqué que l'autorisation de construire pour le port du S______ délivrée en octobre 2022 faisait l'objet d'un recours devant le TAPI. La planification de l'ouverture de ce port à cinq ou six ans ne tenait pas compte d'une procédure judiciaire mais éventuellement de la phase de planification, avant le dépôt de la demande d'autorisation de construire.

o. Le département a par la suite précisé que le système d'ancrage ELLIPSE de AC______ évoqué durant l'audience ne différait aucunement des systèmes à vis déjà testés. Il a joint à son courrier des photographies des corps-morts auxquels étaient amarrées les barges d'B______.

p. Le 24 février 2023, A______a demandé au TAPI de prononcer des mesures provisionnelles faisant interdiction à B______ d'installer tout drapeau ou autre installation identique sur les barges.

q. Suite à une demande du TAPI de production des documents prouvant l'acquisition de la machine permettant de procéder à des forages sous lacustres, ainsi que les tests de forage effectués, B______ lui a transmis des photographies de cette machine, un rapport établi le 24 janvier 2019 par la société AD______ concernant notamment des problèmes liés à la fixation de bouées de signalisation par des ancres hélicoïdales le long du quai de AA______ (notamment en raison de problèmes liés à la géologie des sols) et des résultats de sondages effectués au nord et au sud des corps-morts litigieux. Il y était fait mention d'une vase sablonneuse, de consistance molle à très molle, et d'une vase limoneuse, peu compacte et peu consistante.

r. A______ a considéré que ces éléments ne démontraient nullement que les barges ne pouvaient pas être amarrées dans un autre lieu, ce que le représentant d’B______ avait d'ailleurs admis lors de l'audience.

s. Le TAPI a, par jugement du 27 avril 2023, admis partiellement le recours. Il a réformé l'autorisation de construire DD 4______ du 9 mars 2022 en ce sens qu'elle n'était valable que pour une durée de six ans dès l'entrée en force dudit jugement.

La demande de mesures provisionnelles du 24 février 2023, tendant à ce qu'il soit fait interdiction d'installer tout drapeau ou autre installation identique sur les barges, ne faisait pas l'objet de l'autorisation litigieuse et était irrecevable. Les nuisances qui découlaient de la manière dont étaient exploitées les constructions autorisées concernaient le droit du voisinage.

Vu les éléments recueillis, un transport sur place n'apparaissait plus nécessaire, que ce soit pour l'examen des barges à l'emplacement où elles étaient actuellement amarrées ou pour examiner d'éventuelles possibilités d'amarrage alternatives, notamment en aval de la jetée du jet d'eau. La production d'une convention, sous quelque forme que ce soit, qui lierait l'État de Genève et la société intimée aux fins d'un déplacement des barges de cette dernière dans le futur port du S______, n'apparaissait pas utile dans la mesure où les deux parties intimées avaient à plusieurs reprises affirmé qu'un tel déplacement aurait bien lieu. Quoi qu'il en soit, la solution retenue conditionnerait l'autorisation litigieuse au caractère temporaire des installations querellées. Le TAPI avait déjà statué le 27 juin 2022 sur les autres mesures d'instruction requises.

Dans la mesure où il était question de trois corps-morts immergés au fond du lac et servant à l'amarrage de barges destinées à l'exploitation de chantiers lacustres, il ne pouvait être retenu qu’il s’agirait d'un équipement similaire à un petit port. Le fait qu'à ces corps-morts soient amarrées des barges d'une vingtaine de mètres de long, sur lesquelles étaient installés des engins de chantier, ne changeait rien à l’impact restreint que ces installations avaient sur leur environnement, y compris sur le plan visuel. Leur déplacement ultérieur au S______, après une procédure de planification, n'avait pas du tout la portée que lui donnait A______. C’était en effet en raison de son incidence spatiale conséquente que ce futur port avait été soumis à une procédure de planification et non pas en lien avec les trois corps-morts litigieux.

Par définition, pour l'amarrage de barges destinées à l’exploitation de chantiers lacustres, au profit de la collectivité publique ou privés, seules des installations sous-lacustres étaient adaptées, sauf pour l’entreprise à devoir constamment démonter et remonter son matériel depuis la rive. L'emplacement des corps-morts litigieux était moins la résultante d'un choix opéré préalablement à leur installation que de l'accord donné par l'autorité intimée. Néanmoins, cet emplacement résultait de la protection offerte par la Q______ contre les intempéries.

En cas de déplacement des barges, l'impact de nouveaux amarrages sur le fond lacustre, nécessitant l’immersion de nouveaux corps-morts de grande taille, serait plus important sur la faune et la flore sous-lacustres, ainsi que sur les oiseaux d'eau et migrateurs, que celui d'un maintien à court terme de la situation existante. L’amarrage de telles barges n'avait rien à voir avec les corps-morts immergés par des particuliers dans la même zone pour l'amarrage de bateaux de plaisance. L'atteinte actuelle ou potentielle à la réserve naturelle de la Q______ n'était pas suffisamment élevée pour justifier l'atteinte concrète qu'entraînerait l'immersion de nouveaux corps-morts. Dans cette pesée des intérêts, le caractère temporaire des constructions litigieuses revêtait une importance particulière.

Le système de vis n'était pas adapté à un sol vaseux. Or, B______ avait rendu suffisamment vraisemblable avoir procédé à des essais d'ancrage de vis aux abords des corps-morts litigieux, sans succès, ce que confirmait l'analyse des sols par sondages au nord et au sud de ce site. Un amarrage des barges en aval de la jetée du jet d'eau serait impraticable, puisque nécessitant la fermeture du barrage du Seujet, alors même que les barges litigieuses, le plus souvent présentes sur le lieu des chantiers lacustres, retournaient s'amarrer aux corps-morts litigieux, hormis durant les périodes de vacances, lors d’un risque d'intempéries par essence prévisible à très court terme seulement, voire dans l'urgence. Leur emplacement actuel était bel et bien imposé par leur destination, aucun autre emplacement ne permettant de leur offrir une protection suffisante, en attendant l'ouverture du futur port du S______.

On ne voyait pas, a priori, pourquoi l’intérêt de A______, à disposer d'une vue dégagée sur le lac, l'emporterait sur celui d’B______. De plus, le déplacement des barges plus en aval entrerait en conflit avec l’intérêt public de la protection du fonds lacustre.

La décision litigieuse ne violait pas l'art. 24 let. a LAT, ni l’art. 15 al. 3 de la loi fédérale sur la protection des eaux du 24 janvier 1991 (LEaux - RS 814.20), ni l’art. 6 de la loi sur la protection générale des rives du lac du 4 décembre 1992 (LPRLac - L 4 10), du moins dans la mesure où la pesée des intérêts à laquelle le département avait procédé tiendrait compte du caractère temporaire de la situation, ce que son autorisation litigieuse ne reflétait pas. Il convenait donc de la compléter par sa restriction à une durée de six ans, ce qui, même en tenant compte de la procédure de recours contre l'autorisation de construire le port du S______, devrait s'avérer suffisant ou permettrait, si l'autorisation litigieuse devait être renouvelée au terme de ce délai, que les instances judiciaires puissent à nouveau examiner que son caractère temporaire paraisse toujours garanti.

Indépendamment de la question de savoir si la base légale qui aurait éventuellement pu conduire le département à refuser l'autorisation au motif de l'impact visuel des barges amarrées aux corps-morts n'aurait pas été l'art. 15 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), mais plutôt l'art. 14 LCI, ces deux dispositions légales prévoyaient uniquement que le département pouvait refuser l'autorisation. Il disposait donc d’un pouvoir d'appréciation qu'il exerçait en tenant compte, d'une part, du degré de gravité de l'atteinte et, d'autre part, de l'importance respective des intérêts en présence.

En l'occurrence, la gravité de l'atteinte dont se plaignait A______ devait être fortement relativisée. Les barges en cause étaient très souvent déplacées sur les lieux de différents chantiers lacustres, de sorte qu’elles n’altéraient pas sa vue sur le lac quotidiennement ni systématiquement. Leur présence épisodique semblait faire perdre de vue à A______ la beauté du site dont il jouissait de toute manière depuis sa propriété, ainsi qu'en témoignaient ses photographies L’apparition de ces barges ne constituait pas en soi une grave atteinte au panorama qui demeurait exceptionnel.

L'intérêt privé de A______ et des intervenants à pouvoir bénéficier d'une vue entièrement dégagée sur le lac devait céder le pas aux intérêts d’B______ et de la collectivité publique à pouvoir bénéficier de chantiers, en évitant les retards, les lourdeurs et les surcoûts considérables qu'impliquerait le démontage et le remontage permanent, à terre, des installations litigieuses. Il fallait y ajouter le caractère temporaire de la situation existante.

E. a. A______ a formé recours contre ce jugement par acte expédié le 1er juin 2023 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Il a conclu à l’annulation dudit jugement, de même qu’à celle de l’autorisation de construire du 9 mars 2022.

Dans son jugement du 2 juillet 2019, le TAPI avait constaté la nature industrielle des installations en cause, leur important volume et les perturbations causées au milieu naturel par leur motorisation, très importante, dès lors qu’il s’agissait de déplacer 200 t pour la barge la plus lourde, ce qui rendait leur implantation sur le site actuel incompatible avec les buts poursuivis par la zone II de protection OROEM. En outre, le classement du site comme réserve naturelle et zone de protection OROEM procédait déjà en soi d’une pesée des intérêts entre celui, prépondérant, de protection et de conservation des migrateurs et des oiseaux d’eau, et d’autres intérêts publics incompatibles avec celui-ci, de sorte que la latitude de jugement du département était, sinon inexistante, à tout le moins très limitée dans le cadre de l’application de l’art. 24 LAT. Dans ce jugement du 2 juillet 2019, le TAPI avait laissé entendre que l’autorisation annulée pourrait être octroyée à condition que les installations ne puissent pas être déplacées plus en aval sur la même parcelle. Ses considérants étaient toutefois contradictoires, puisque des barges industrielles, volumineuses et motorisées, ne pouvaient manquer de causer des dérangements parmi les oiseaux, ce qui constituait déjà une atteinte avérée au but de protection de l’OROEM, un éventuel accident n’étant qu’un risque d’atteinte extrêmement grave et inadmissible à ce milieu naturel.

Les contraintes ou les coûts auxquels B______ devrait faire face pour déplacer les barges ne sauraient concerner la pesée des intérêts relative à la licéité d’une dérogation au sens de l’art. 24 LAT, laquelle devait intervenir par définition avant que ne soit érigée illicitement une construction ou une installation hors de la zone à bâtir. Le contraire reviendrait à considérer que la loi consacrait une prime à la politique du fait accompli, ce qui serait d’autant plus inadmissible que plus une construction illicite était importante, plus l’application du principe de proportionnalité plaiderait en faveur de sa régularisation. L’existence préalable d’une construction sans autorisation n’était donc pas un motif qui devait être pris en compte dans la pesée des intérêts au sens de l’art. 24 LAT. Le TAPI n’avait, hormis les inconvénients dus aux déplacements des installations, pas procédé à la pesée des intérêts prescrite par l’art. 3 de l’ordonnance sur l’aménagement du territoire du 28 juin 2000 (OAT - RS 700.1). Toujours dans ce jugement du 2 juillet 2019, le TAPI, en renvoyant le dossier au département uniquement pour instruire la question du déplacement des installations en aval de la même parcelle exclusivement, avait laissé entendre que si un tel déplacement n’était pas possible, alors une autorisation de construire pourrait être octroyée, en application du principe de proportionnalité.

S’agissant du jugement du 27 avril 2023, la majorité des préavis démontrait que l’implantation des barges dans la zone de protection OROEM n’était pas imposée par leur destination, puisque les autorités concernées avaient souligné que celles-ci devraient être déplacées aussitôt que possible. En outre, les intérêts publics qu’étaient la protection du lac, le respect de la zone OROEM et la protection de la réserve naturelle de la Pointe-à-le-Bise, auxquels s’ajoutaient son intérêt à la préservation de la vue et à l’application des normes applicables, pesait beaucoup plus lourd que le seul intérêt privé d’B______ à l’exploitation commerciale des corps-morts et des barges industrielles en violation des normes d’aménagement. L’intérêt public parfois retenu dans ce dossier aux travaux lacustres effectués par B______ n’était qu’indirect. L’identité du client de cette dernière n’avait ainsi pas à être prise en compte dans la pesée des intérêts.

La question de savoir si les barges litigieuses pourraient possiblement être amarrées dans un autre lieu ne pouvait dépendre des seuls projets et expertises présentés par B______ dont l’intérêt était de les maintenir à leur emplacement actuel. Lui‑même ne disposait ni des ressources ni de l’expertise pour instruire un tel dossier à la place du département qui en avait l’obligation conformément à l’art. 3 OAT.

« Dans le jugement querellé », le département et les différentes autorités de préavis n’avaient fait que favoriser le statu quo au motif que les barges pourraient être déplacées dans le futur, alors même que dans un autre dossier, ayant fait l’objet de l’arrêt de la chambre administrative ATA/860/2021 du 24 août 2021, il avait autorisé l’implantation des corps-morts et des barges de même type dans un autre lieu. Il était surprenant de constater que lorsqu’il s’agissait de déplacer de telles installations, les autorités de préavis faisaient grand cas de l’atteinte aux macrophytes, alors que celle-ci était relativisée lorsqu’il s’agissait d’en construire de nouvelles. Le fait que toute modification de la situation actuelle, non conforme au droit de l’aménagement du territoire, engendrerait une perturbation passagère du milieu naturel ne saurait en soi justifier le maintien du statu quo, puisque toute remise en état engendrait par définition des perturbations du milieu naturel. Le jugement du TAPI du 2 juillet 2019 contredisait l’argument selon lequel les barges en question ne causaient pas une atteinte importante au milieu naturel vu leur présence depuis plusieurs années. En partant du principe que le milieu naturel s’adapterait aux constructions, des états de fait illicites pourraient perdurer indéfiniment. Le délai de six ans, dans le meilleur des cas, pour déplacer les installations, était beaucoup trop long, la jurisprudence ayant fixé une durée d’un an comme admissible dans le cas de constructions lacustres.

b. Le département a conclu le 3 juillet 2023 au rejet du recours.

Le recourant ne démontrait à aucun moment de quelle manière il serait directement lésé par une prétendue violation des art. 24 LAT et 3 OAT. Son grief devait donc être déclaré irrecevable.

Sur le fond, il avait, tout comme le TAPI, analysé des emplacements alternatifs pour les installations en cause, à savoir T______ où il y avait un conflit avec l’activité de pêche professionnelle, le site de AE______, déjà saturé en bateaux, et le quai de AA______, ne disposant plus d’emplacement adéquat. Le TAPI avait démontré, au vu du type d’embarcation en question, des spécificités du lac (le courant, la houle, le trafic de la CGN) qu’il n’était pas possible de prévoir un tel déplacement notamment aux Eaux-Vives ou sur la digue du jet d’eau. Il appartenait dès lors au recourant de démontrer le contraire.

c. B______ a conclu à l’irrecevabilité du recours et, au fond, à son rejet.

Le recourant n’avait pas la qualité pour recourir puisque son seul intérêt était de pouvoir jouir d’une vue dégagée sur le lac, alors que l’art. 24 LAT poursuivait exclusivement un but d’intérêt public.

Il ressortait notamment des indications officielles que les barges litigieuses avaient été immatriculées en 1964 et installées à leur emplacement actuel au vu et au su de tous après discussion avec les autorités. C’était uniquement en 2001 que la zone avait été répertoriée dans l’OROEM et en 2011 que la jurisprudence avait estimé que ces installations étaient soumises à autorisation de construire. On ne pouvait faire fi de l’héritage du passé. La parcelle du recourant se situait à environ 350 m de l’amarrage litigieux le plus proche. L’amarrage aux corps-morts litigieux était uniquement un mouillage de sécurité, soit un site de repli en cas d’intempéries et hors travaux. Une interdiction de les utiliser impliquerait la cessation immédiate de ses activités, donc de ses chantiers, publics notamment, et le licenciement des employés spécialisés de son département lacustre. Elle s’était engagée à déplacer les installations litigieuses dans un délai de trois mois à compter de la mise en exploitation du futur port du S______.

d. Les intervenants ont appuyé le recours.

e. Dans sa réplique du 3 août 2023, A______ a ajouté que le Tribunal fédéral avait déjà jugé que la vue des installations depuis sa parcelle fondait à elle seule la qualité pour agir contre la construction d’un corps-mort. Le Tribunal fédéral avait aussi explicitement confirmé que des voisins pouvaient se prévaloir d’une violation des normes d’aménagement du territoire pour contester les constructions en zone agricole. Sa qualité pour recourir était donc indiscutable. Si la chambre administrative devait douter de l’impact visuel de l’installation, il sollicitait un transport sur place.

Il ajouté à ses précédentes écritures que le fait que ces installations doivent être à court terme déplacées démontrait à lui seul que le lieu n’était pas imposé par les circonstances.

f. Les parties ont été informées, le 7 août 2023, que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Les intimés soutiennent que le recourant n’aurait pas la qualité pour recourir, de sorte que son recours serait irrecevable.

2.1 La chambre administrative examine d’office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (art. 1 al. 2, art. 6 al. 1 let. c et art. 11 al. 2 LPA ; ATA/774/2022 du 9 août 2022 consid. 1).

2.2 À teneur de l'art. 60 LPA, ont qualité pour recourir les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée (let. a) et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée (let. b).

La chambre administrative a déjà jugé que les let. a et b de la disposition précitée doivent se lire en parallèle : ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s'il était partie à la procédure de première instance (ATA/577/2014 du 29 juillet 2014 et les références citées).

2.3 Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 121 II 39 consid. 2 c/aa ; arrêt du Tribunal fédéral 1A.47/2002 du 16 avril 2002 consid. 3).

2.4 Aux termes de l'art. 111 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la qualité de partie à la procédure devant toute autorité cantonale précédente doit être reconnue à quiconque a qualité pour recourir devant le Tribunal fédéral (al. 1); l'autorité qui précède immédiatement le Tribunal fédéral doit pouvoir examiner au moins les griefs visés aux art. 95 à 98 LTF (al. 3).

Il résulte de cette disposition que la qualité pour recourir devant les autorités cantonales ne peut pas s'apprécier de manière plus restrictive que la qualité pour recourir devant le Tribunal fédéral, les cantons demeurant libres de concevoir cette qualité de manière plus large (ATF 135 II 145 consid. 5 et les arrêts cités). En l'occurrence, il convient donc d'examiner la qualité pour recourir sous l'angle de l'art. 89 al. 1 LTF (ATF 144 I 43 consid. 2.1).

Aux termes de l'art. 89 LTF, la qualité pour recourir est reconnue à toute personne atteinte par la décision attaquée et qui dispose d'un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification. Selon la jurisprudence, l'intérêt digne de protection consiste dans l'utilité pratique que l'admission du recours apporterait au recourant, en lui évitant de subir un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre que la décision attaquée lui occasionnerait. Il implique que le recourant soit touché de manière directe, concrète et dans une mesure et avec une intensité plus grandes que la généralité des administrés. L'intérêt invoqué, qui peut être un intérêt de fait, doit se trouver dans un rapport étroit, spécial et digne d'être pris en considération avec l'objet de la contestation (ATF 137 II 40 consid. 2.3 p. 43 et les arrêts cités). Le voisin direct de la construction ou de l'installation litigieuse a en principe la qualité pour recourir. Le critère de la distance n'est toutefois pas le seul déterminant. S'il est certain ou très vraisemblable que l'installation litigieuse serait à l'origine d'immissions - bruit, poussières, vibrations, lumières ou autres - touchant spécialement les voisins, même situés à quelque distance, ces derniers peuvent aussi se voir reconnaître la vocation pour recourir (ATF 136 II 281 consid. 2.3.1 p. 285; arrêt 1C_33/2011 du 12 juillet 2011 consid. 2.3 in DEP 2012 p. 9). Par ailleurs, la proximité avec l'objet du litige ne suffit pas à elle seule à leur conférer la qualité pour recourir contre l'octroi d'une autorisation de construire. Ils doivent en outre retirer un avantage pratique de l'annulation ou de la modification de la décision contestée qui permette d'admettre qu'ils sont touchés dans un intérêt personnel se distinguant nettement de l'intérêt général des autres habitants de la collectivité concernée de manière à exclure l'action populaire (ATF 137 II 30 consid. 2.2.3 et 2.3 p. 33-34; 133 II 249 consid. 1.3.1 p. 252, 468 consid. 1 p. 470).

2.5 Dans l’arrêt 1C_152/2012 du 21mai 2012, le Tribunal fédéral a retenu que la chambre administrative avait dénié à tort au recourant la qualité pour recourir contre l'autorisation délivrée à l'intimée au motif qu'il n'était pas touché dans un intérêt digne de protection au sens de l'art. 60 let. b LPA. Il s’agissait en l’occurrence des propriétaires d’une villa distante d'environ 180 m des deux corps morts immergés litigieux et des bouées en surface. À cette distance, ces installations n’étaient pas ou peu visibles, comme l'avait reconnu avec raison la cour cantonale. Il n'en allait pas différemment si l'on devait prendre en compte la distance qui les séparait de la limite de la propriété du recourant. Toutefois, ce n'était pas tant les bouées que les bateaux qui y étaient amarrés, destinés pour certains à être réparés dans le chantier naval de l'intimée, qui étaient source de gêne pour le recourant. La restriction même partielle à la vue dont il jouissait sans limite sur le lac, la rive opposée et le Jura en arrière-plan depuis sa propriété était suffisante pour retenir qu'il est atteint de manière spéciale et directe dans une mesure plus sensible que les autres administrés par les installations litigieuses. En outre, si les conditions posées à la délivrance d'une autorisation de poser les corps morts et les bouées en surface devaient ne pas être réalisées, le recourant pourrait obtenir leur démantèlement mettant ainsi fin à l'atteinte précitée (1C_152/2012 du 21 mai 2012 consid. 2.2).

2.6 En l’espèce, les trois barges litigieuses se trouvent à environ 350 m de la propriété du recourant. Il n’est donc pas certain que le raisonnement du Tribunal fédéral susmentionné puisse être repris mutatis mutandis compte tenu de cette distance presque doublée par rapport aux 180 m en cause dans l’arrêt 1C_152/2012 précité. Le recourant se plaint de la perte même partielle à sa vue « sans limite sur le lac, la rive opposée et le Jura en arrière-plan ».

La question de sa qualité pour recourir souffrira de demeurer indécise, de même que celle de la recevabilité de son grief en lien avec une violation de la LAT, vu ce qui suit.

3.             Le requérant sollicite un transport sur place pour le cas où « la Cour devait douter de l’impact visuel de l’installation ».

3.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3)

3.2 En l’espèce, la chambre administrative considère être suffisamment renseignée sur la problématique de l’impact visuel des barges en question depuis la propriété du recourant par une prise de vue à partir de sa propriété (jointe en annexe à son courrier du 8 juillet 2022). Au demeurant, l’aspect peu esthétique de ces barges et leur impact visuel, que ce soit sur le site de la rade, comme cela ressort des photos versées à la procédure, ou sur les rives du lac, est communément admis.

Par appréciation anticipée des preuves, un transport sur place ne s’avère pas nécessaire.

4.             Le litige porte sur la conformité au droit de l’autorisation de construire DD 4______ délivrée le 9 mars 2022 portant sur trois amarrages forains situés sur une parcelle de la commune de R______, sur le lac Léman, à l’aval du lieu-dit la Q______.

4.1 L'objet du litige est principalement défini par l'objet de la contestation, les conclusions de la recourante et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'elle invoque. L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible. La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée, c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer. L'objet d'une procédure administrative ne peut donc pas s'étendre ou qualitativement se modifier au fil des instances, mais peut tout au plus se réduire dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés (ATF 142 I 455 consid. 4.4.2 et les références citées).

4.2 Dans la mesure où aucun des intimés n’a formé recours contre le jugement du TAPI du 27 avril 2023, il est acquis que si ladite autorisation devait être confirmée, elle ne serait valable que pour une durée de six ans dès l’entrée en force dudit jugement, comme retenu par cette instance, l’appel joint étant inconnu en procédure administrative genevoise.

5.             Le recourant fait grief au département d’avoir violé l’art. 24 LAT et au TAPI de ne pas avoir procédé à la pesée des intérêts en présence que lui impose l’art. 3 OAT.

5.1 Aucune construction ou installation ne peut être créée ou transformée sans autorisation de l'autorité compétente (art. 22 al. 1 LAT). Pour qu'une autorisation soit délivrée, la construction ou l'installation doit en principe être conforme à l'affectation de la zone (art. 22 al. 2 let. a LAT) et le terrain doit être équipé (art. 22 al. 2 let. b LAT). Les art. 24 ss LAT déterminent quelles constructions non conformes à la zone peuvent, à titre exceptionnel, être édifiées hors zone à bâtir.

5.2 Selon l'art. 24 LAT, des autorisations de construire peuvent être délivrées pour de nouvelles constructions ou installations ou pour tout changement d'affectation si leur implantation hors de la zone à bâtir est imposée par leur destination (let. a) et si aucun intérêt prépondérant ne s'y oppose (let. b).

Selon la pratique, l'implantation d'une construction est imposée par sa destination au sens de l'art. 24 let. a LAT, lorsqu'un emplacement hors de la zone à bâtir est dicté par des motifs techniques, des impératifs liés à l'exploitation d'une entreprise, la nature du sol (implantation dite imposée « positivement » par la destination de la construction) ou lorsque l'ouvrage est exclu de la zone à bâtir pour des motifs particuliers (implantation dite imposée « négativement » par la destination de la construction). Il suffit que l'emplacement soit relativement imposé par la destination : il n'est pas nécessaire qu'aucun autre emplacement n'entre en considération ; il doit toutefois exister des motifs particulièrement importants et objectifs qui laissent apparaître l'emplacement prévu plus avantageux que d'autres endroits situés à l'intérieur de la zone à bâtir (ATF 136 II 214 consid. 2.1 ; 129 II 63 consid. 3.1). Seuls des critères objectifs sont déterminants, à l'exclusion des préférences dictées par des raisons de commodité ou d'agrément (ATF 129 II 63 consid. 3.1 ; 124 II 252 consid. 4a). L'examen du lieu de situation imposé par la destination apparaît incomplet lorsqu'aucune solution alternative ni aucun emplacement alternatif n'ont été débattus (ATF 136 II 214 consid. 2.2 et les références citées). L'application du critère de l'art. 24 let. a LAT doit être stricte, dès lors que cette disposition contribue à l'objectif de séparation du bâti et du non‑bâti (ATF 124 II 252 consid. 4a ; 117 Ib 270 consid. 4a).

5.3 Aux termes de l'art. 3 al. 1 OAT, lorsque, dans l'accomplissement et la coordination de tâches ayant des effets sur l'organisation du territoire, les autorités disposent d'un pouvoir d'appréciation, elles sont tenues de peser les intérêts en présence. Ce faisant, elles déterminent les intérêts concernés (let. a), apprécient ces intérêts notamment en fonction du développement spatial souhaité et des implications qui en résultent (let. b) et fondent leur décision sur cette appréciation, en veillant à prendre en considération, dans la mesure du possible, l'ensemble des intérêts concernés (let. c). Elles exposent leur pondération dans la motivation de leur décision (art. 3 al. 2 OAT).

5.4 Selon l'art. 15 de la loi sur les eaux du 5 juillet 1961 (LEaux-GE - L 2 05), aucune construction ou installation, tant en sous-sol qu'en élévation, ne peut être édifiée à une distance de moins de 10, 30 et 50 m de la limite du cours d'eau, selon la carte des surfaces inconstructibles annexée à la LEaux-GE (al. 1). Dans le cadre de projets de constructions, le département peut accorder des dérogations, pour autant que celles-ci ne portent atteinte aux fonctions écologiques du cours d'eau et de ses rives ou à la sécurité de personnes et des biens pour, notamment, des constructions ou installations d'intérêt général dont l'emplacement est imposé par leur destination (al. 3 let. a). Ces dérogations doivent être approuvées par le département et faire l'objet, hormis pour les requêtes en autorisation de construire instruites en procédure accélérée, d'une consultation de la commune et de la CMNS (al. 4).

5.5 En l'espèce, le TAPI a examiné la situation de manière fouillée et minutieuse, tous les éléments pertinents et tels que ressortant du dossier pour parvenir au résultat attaqué. Contrairement à ce que soutient le recourant, il a dûment effectué la pesée des intérêts en présence.

En premier lieu, il sera rappelé que s’agissant des trois installations en place, à la suite de la demande d’autorisation déposée le 31 janvier 2017, la DAC, la commune, le SMS, la CCDB, puis dans un second temps, après deux premiers préavis défavorable, la DGAN, avaient émis des préavis favorables.

Dans le cadre de la reprise de l’instruction du dossier par le département après son retour, selon jugement du TAPI du 2 juillet 2019 et soumission par l’intimée de deux propositions alternatives de déplacement des barges, le SMS a préavisé favorablement le projet, privilégiant toutefois le déplacement des barges d’environ 100 m, la CCDB également, moyennant une dérogation relative à la loi sur la protection générale des rives du lac du 4 décembre 1992 (LPRLac - L 4 10), l’OU aussi, avec dérogation relative à la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30), la DGEau, également sous condition et la CMNS favorablement par deux fois, précisant toutefois qu’elle n’était pas opposée aux amarrages forains déjà en place sous condition que les barges soient déplacées dans les meilleurs délais au port du S______ et que les corps-morts soient alors retirés ou supprimés définitivement. En revanche, la commune s’y est opposée, en raison de la proximité de la réserve naturelle. L’OCAN s’est déclaré défavorable par deux fois à une solution alternative et a préconisé le maintien de l’emplacement et du système d’ancrage en place. La faune et la flore aquatiques s’étaient adaptées à leur présence. Leur déplacement, qui plus était sur une « courte » durée en raison du déménagement au Port du S______, sur une distance de 50 ou 100 m en aval, aurait un impact non justifié sur les macrophytes et la faune. La pesée des intérêts de protection de la biodiversité conduisait au constat que l’impact de nouveaux amarrages sur le fond lacustre serait plus important que celui du maintien à « court terme » de la situation sur les oiseaux d’eau et migrateurs.

En définitive, après cette nouvelle instruction, le département a maintenu le statu quo en délivrant une autorisation correspondant à la situation prévalant depuis plusieurs dizaines d’années.

Nul ne remet en cause le fait que les barges litigieuses sont destinées à l’exploitation de chantiers lacustres. L’instruction a démontré que seules des installations sur le lac, même sous la forme de ces barges, appelées à recevoir des engins de chantier, sont adaptées pour une activité efficace, sauf pour l’entreprise à devoir constamment démonter et remonter son matériel depuis la rive. Il doit être retenu qu’il n'existe pas d'emplacement dans la zone à bâtir susceptible d'accueillir les trois installations dont l’usage commande qu’elles soient situées sur le lac.

Le TAPI, à la suite du recours déposé contre la nouvelle autorisation, a instruit, notamment par l’audition de témoins et la demande d’apport de pièces complémentaires par l’intimée, la question d’ancrages moins invasifs sur le site actuel, que les trois corps-morts immergés au fond du lac, soit d’imposants blocs en béton faisant plusieurs tonnes et reposant sur le sol auxquels les barges sont attachées par une chaîne d’une trentaine de mètres. Le recourant ne remet pas en cause de manière convaincante le constat de l’intimée, qui a documenté avoir procédé à des tests de forage sur le site actuel litigieux, et mandaté une entreprise qui a rendu un rapport du 24 janvier 2019, à savoir que le sol y est très mou, constitué d’une base limoneuse peu compacte et peu consistante empêchant l’amarrage des trois barges en cause par système de vis. Ainsi, quand bien même il apparaît que le site de la Q______ offre une protection contre les intempéries, dont les vents, cette protection ne suffit pas à empêcher, en cas de fort vent, l’arrachage des vis et partant la dérive de la barge, comme cela a déjà pu être constaté pour de simples embarcations privées (témoignage de l’inspecteur de la faune pour l’OCAN).

S’agissant du déplacement des barges, rien ne permet de remettre en cause les préavis détaillés de l’OCAN des 23 août et 15 octobre 2021, ainsi que de l’OCEau du 3 septembre 2021, instances spécialisées, qui considèrent que l’immersion de nouveaux corps-morts de grande taille, à 50 ou 100 m de leur emplacement actuel, pour rappel dans une zone de protection OROEM, serait plus important sur la faune et la flore sous lacustres, respectivement les oiseaux d’eau et migrateurs, que le maintien de la situation existante. Il tombe en effet sous le sens que l’extraction de ces blocs de leur lieu actuel est de nature à perturber l’équilibre qui s’est créé autour d’eux mais aussi serait source de dérèglements au nouvel endroit d’immersion. Si une telle manœuvre est raisonnablement concevable au moment du transfert de ces trois barges dans le port du S______, elle ne saurait être exigée pour les quelques années à venir avant ce déplacement censé être pérenne.

Le recourant soutient qu’une autre situation alternative existerait, en déplaçant les installations en cause à proximité du jet d’eau, où l’intimée exploite déjà une barge, ou plus largement au large du quai Gustave-Ador, aux Eaux-Vives. Il ne saurait être suivi et là encore le TAPI s’est livré à un examen minutieux de cette possibilité qu’il a exclue à juste titre, considérant le type d’embarcations en question, les spécificités du lac, à savoir le courant, la houle, le trafic de la CGN et l’exigence de fermeture du barrage du Seujet à chaque mobilisation d’une barge.

En conséquence, des motifs particulièrement importants et objectifs laissent apparaître l'emplacement prévu comme étant plus avantageux que d'autres endroits, étant rappelé qu'il n'est pas nécessaire qu'aucun autre endroit n'entre en considération. L'implantation est en conséquence imposée tant « positivement » que « négativement » par la destination de la construction.

Quant à la pesée des intérêts en présence, l'intérêt public à la séparation du bâti et du non-bâti apparaît certes déterminant en l'espèce. Le TAPI en a tenu compte à bon escient en limitant la durée de l’autorisation litigieuse à six ans, le temps que ces barges soient déménagées dans le nouveau port du S______.

Avant le TAPI, les intérêts en cause ont été soigneusement identifiés par les différents services de l'autorité intimée. Ils ont été pris en compte dans l'analyse des implications des installations, tant dans leur site actuel que si les corps-morts devaient être déplacés de 50 m à 100 m, et dûment pondérés. Ils ont fait l'objet de pesée d'intérêts aux fins d'analyser si les dérogations nécessaires pouvaient être accordées. Les préavis sont motivés.

L’intérêt collectif à la délivrance de l'autorisation, pour le déroulement de chantiers lacustres, que ce soit au bénéfice de l’État ou de la collectivité, très important, prime l'intérêt à conserver la beauté naturelle du site, la végétation protégée des rives des parcelles concernées, ce d'autant plus que les trois constructions litigieuses sont appelées à disparaître, occupent une surface relativement limitée et que le site devra être remis en état au moment du déplacement des trois barges, ce qui implique que les corps-morts et leur chaîne soient extraits des fonds lacustres.

La pesée des intérêts effectuée par le département sur la base de nombreux préavis, extrêmement fouillés et détaillés, ne prête pas le flanc à la critique, à l'instar de la conclusion sur ce point du TAPI qui ne s’est pas borné à les avaliser sans autre examen mais au contraire, a, en juillet 2019, renvoyé la procédure au département pour déterminer si un site à proximité ne se prêterait pas davantage à l’exploitation de ces trois barges puis a instruit la possibilité d’un ancrage par vis de ces structures, respectivement un déplacement au large des Eaux-Vives. Tant le département que le TAPI ont tenu compte de tous les intérêts et des conséquences prévisibles des différentes options.

Cette pesée des intérêts inclut l’intérêt privé du recourant à jouir d’une vue dégagée sur le lac et le Jura. À cet égard, il ne peut être dénié que les trois structures en cause lui offrent, à 350 m de sa propriété, une vue déplaisante. Il sera toutefois relevé que ces barges ne sont pas présentes à demeure, puisqu’elles évoluent sur le lac au gré des chantiers et ne sont généralement attachées aux trois corps-morts qu’en cas d’intempéries et pendant les vacances. Ce désagrément visuel ne suffit pas à contrebalancer les intérêts collectifs précités.

Le grief de violation des art. 24 LAT et 3 OAT, voire 15 LEaux, n'est pas fondé.

En tous points infondés, le recours sera rejeté.

6.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 2'000.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 2'000.- sera octroyée à B______, à la charge du recourant.

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette, en tant qu’il est recevable, le recours interjeté le 1er juin 2023 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 27 avril 2023;

met un émolument de CHF 2'000.- à la charge de A______ ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 2'000.- à B______, à la charge de A______ ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain JORDAN, avocat du recourant et des intimés intervenants, à Me Jean-Marc SIEGRIST, avocat d’B______, au département du territoire - OAC, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu’à l'office fédéral du développement territorial (ARE).

Siégeant : Valérie LAUBER, présidente, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

V. LAUBER

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :