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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1603/2023

ATA/1015/2023 du 18.09.2023 ( EXPLOI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1603/2023-EXPLOI ATA/1015/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 18 septembre 2023

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Catarina MONTEIRO SANTOS, avocate

contre

DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS ET DU NUMÉRIQUE intimé

 



EN FAIT

A. a. A______, née le ______ 1965, est recensée depuis le 11 novembre 2015 auprès de la brigade de lutte contre la traite des êtres humains et de la prostitution illicite (ci‑après : BTPI) en qualité de travailleuse du sexe.

b. Elle est titulaire d’un bail pour un « local commercial » depuis le 8 février 2021. L’objet consiste en un « cabinet meublé de 43 m² au premier étage, à l’usage de salon esthétique exclusivement » sis B______ (ci-après : les locaux).

B. a. Le 25 mai 2021, A______ a sollicité de la BTPI un « préavis à l’attention du département du territoire (ci-après : DT) en vue de l’exploitation d’un salon de prostitution » afin de régulariser la situation de son cabinet où elle exerçait une activité de « massages érotiques/prostituée » depuis le mois de mars 2021.

b. Le 31 mai 2021, le DT a préavisé négativement, précisant que les locaux commerciaux n’apparaissaient pas licites. Il s’agissait de logements et, à ce titre, la demande ne pouvait pas être admise. Référence était faite à une demande définitive déposée le 29 novembre 1951 (DD 1______) montrant l’existence de trois appartements par étage du premier au cinquième. La DD 2______, déposée le 24 juin 1986, le confirmait. Aucune autorisation de changement d’affectation n’avait été déposée.

c. Par décision du 1er juin 2021, le département de la sécurité, de la population et de la santé, devenu depuis le département des institutions et du numérique (ci‑après : DIN) a refusé l’ouverture d’un salon de massages au B______ en raison du préavis négatif rendu par le DT quant à l’affectation des locaux.

C. a. Le 29 septembre 2022, A______ a sollicité la reconsidération de la décision du 1er juin 2021. Son bail à loyer faisait référence à des locaux à usage commercial.

b. Le 3 octobre 2022, le DIN a déclaré la requête irrecevable. Il n’existait aucun motif de reconsidération. Un préavis favorable du DT était toujours manquant, ce qui constituait un obstacle absolu à l’ouverture d’un salon dans les locaux considérés. Le DT était en effet la seule autorité compétente pour déterminer l’affectation, commerciale ou non, des locaux. Dans l’hypothèse où elle souhaiterait poursuivre ses démarches, A______ était invitée à s’adresser au DT pour déterminer si, et le cas échéant à quelles conditions, il pourrait délivrer un préavis favorable en vue d’une autorisation. Une fois en possession du préavis favorable ou de l’autorisation de construire définitive délivrée par le DT, elle pourrait saisir le DIN d’une demande de reconsidération.

Les 29 août et 14 octobre 2022, la police de proximité de Plainpalais a auditionné, dans le cas d’un conflit professionnel, A______ et C______, recensée auprès de la BTPI comme travailleuse du sexe depuis le 8 août 2016. Cette dernière avait partagé les locaux de février à juillet 2022. Lors de leurs auditions, toutes deux ont indiqué avoir prodigué des massages érotiques avec finition à leurs clients, au sein de l’établissement au B______, qualifié de « cabinet d’esthétique ». C______ louait une pièce de l’établissement à A______. Les locaux n’étaient pas enregistrés comme salon de massages érotiques.

Un rapport de police a été établi le 16 décembre 2022 en lien avec ces faits.

c. Le 26 janvier 2023, le DIN, statuant sur mesures provisionnelles, a ordonné la cessation immédiate de l’exploitation de tout salon de massages au B______ et a interdit à A______ d’exploiter tout autre salon de massages. La décision était exécutoire nonobstant recours.

Référence était faite au rapport de police du 16 décembre 2022 précité. Les faits étaient d’autant plus graves que l’intéressée savait qu’elle n’avait pas le droit de pratiquer la prostitution dans les locaux à la suite de la demande d’enregistrement, refusée par décision du 1er juin 2021 et confirmé le 3 octobre 2022. Malgré une situation juridique « limpide », elle avait continué à utiliser les locaux comme salon de massage, non seulement pour s’y prostituer, mais en mettant de plus une pièce à disposition d’une autre travailleuse du sexe. Elle avait ainsi exploité de manière illicite un salon de massages est contrevenu à la loi sur la prostitution du 17 décembre 2009 (LProst - I 2 49).

d. Après avoir reçu des observations de A______, le DIN a, par décision du 24 mars 2023, notamment ordonné la fermeture immédiate et définitive du salon de massage exploité au B______ (ch. 1), a interdit à A______ d’exploiter tout autre salon de massages pendant une durée de dix ans (ch. 2), dit que les ch. 1 et 2 de la décision étaient rendus sous la menace de la peine d’amende prévue à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) (ch. 3) et lui a infligé une amende administrative de CHF 1'500.- (ch. 4).

D. a. Par acte du 11 mai 2023, A______ a interjeté recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Elle a conclu à ce qu’il soit constaté qu’elle n’était pas soumise à l’obligation d’annonce au sens de l’art. 9 LProst, ni aux conditions personnelles de l’art. 10 LProst et, cela fait, à l’annulation de la décision du 24 mars 2023. Subsidiairement, il devait être constaté qu’elle n’exploitait pas un salon de massages au B______ de manière illicite. Préalablement, elle devait être auditionnée.

Le préavis du DT était manifestement infondé au vu de son bail à loyer commercial. Elle aurait certainement obtenu gain de cause si elle avait recouru contre cette décision. Une nouvelle demande ne semblait d’ailleurs pas vouée à l’échec. Sa relation avec C______ était mauvaise. Cette dernière avait été condamnée par le Ministère public pour injures et dommages à la propriété d’importance mineure à son encontre.

Le DIN avait mal établi les faits, la recourante ayant été seule à exercer la prostitution dans les locaux. C______ n’y avait pas fourni des prestations sexuelles. Le local ne pouvait dès lors pas être qualifié de salon au sens de la LProst. La recourante y avait exercé cette profession du mois de février 2021 à février 2022, puis à nouveau dès le mois d’août 2022, l’interruption étant due au COVID-19.

b. Le DIN a conclu au rejet du recours.

c. Dans sa réplique, A______ a insisté pour que les déclarations d’C______ soient prises avec réserve, au vu de leur différend. L’interdiction d’exploiter un salon pendant une durée de dix années était disproportionnée. Si la chambre administrative devait considérer que les deux femmes avaient exercé la prostitution au sein des locaux de février à juillet 2022, un avertissement serait suffisant.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

e. Le contenu des pièces, notamment de l’audition des intéressées par la police, sera repris, en tant que de besoin, dans la partie en droit du présent arrêt.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             La recourante sollicite son audition.

2.1 Le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé de s’exprimer sur les éléments pertinents avant qu’une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d’avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes et de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_507/2021 du 13 juin 2022 consid. 3.1). Il n’empêche pas l’autorité de mettre un terme à l’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de se forger une conviction et que, procédant de manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude qu’elles ne pourraient pas l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1).

2.2 Au plan cantonal genevois, l’art. 41 LPA dispose que les parties ont le droit d’être entendues par l’autorité compétente avant que ne soit prise une décision. Elles ne peuvent prétendre à une audition verbale sauf dispositions légales contraires.

2.3 En l'occurrence, la recourante a pu s’exprimer dans le cadre de son recours et de sa réplique et produire toute pièce utile. Elle n’indique pas quels points elle n’aurait pas pu développer par écrit. La chambre de céans disposant d'un dossier complet, il ne sera pas donné suite à sa requête.

3.             L'objet du litige porte sur la conformité au droit de la décision ordonnant la fermeture du salon de massages sis au B______, l'interdiction pour la recourante d'exploiter tout autre salon de massages pendant dix ans et le prononcé d'une amende administrative de CHF 1'500.-.

4.             La recourante se plaint de la constatation manifestement inexacte et incomplète des faits pertinents, C______ ne s’étant jamais prostituée dans les locaux.

4.1 De jurisprudence constante, en présence de déclarations contradictoires, la préférence doit en principe être accordée à celles que l'intéressé a données en premier lieu, alors qu'il en ignorait les conséquences juridiques, les explications nouvelles pouvant être, consciemment ou non, le produit de réflexions ultérieures (arrêt du Tribunal fédéral 9C_728/2013 du 16 janvier 2014 consid. 4.1.2 ; ATA/184/2023 du 28 février 2023 consid. 3.3).

4.2 Lors de son audition par la police le 29 août 2022, la recourante a notamment déclaré « C______ a travaillé avec moi dans mon cabinet en 2021. Pour vous répondre, elle ne travaillait pas régulièrement. Elle travaillait en tant que masseuse indépendante. Elle travaillait à son compte, mais elle louait une pièce dans mon cabinet. Je précise qu’il n’y avait aucun contrat écrit. C’était un contrat oral. Cela a duré depuis février 2021 jusqu’au mois d’août 2022. Nos rapports professionnels ont pris fin le mois dernier car elle parlait très fort avec les clients. La régie nous a signalé que des voisins s’étaient plaints du bruit et que ce n’était plus possible de continuer. La régie est venue isoler le cabinet et le bruit a toujours continué car elle parlait toujours aussi fort. J’ai dit à C______ que sa voix dérangeait le voisinage, ce à quoi elle m’a répondu : "je suis locataire, je fais ce que je veux". Je lui ai répondu donc qu’au terme de la semaine, elle ne pourrait plus exercer dans mon cabinet. Elle est venue travailler une dernière fois le samedi 20 août 2022. Elle a terminé son dernier jour et elle a repris les effets lui appartenant. Depuis qu’elle est partie, elle me fait des problèmes. »

Dans ces conditions, conformément aux déclarations de la recourante à la police, c’est à bon droit que l’autorité intimée a retenu qu’C______ avait exercé une activité de prostitution dans le local sis au B______.

Le grief n’est pas fondé.

5.             La recourante conteste avoir géré un salon de massages et être soumise aux obligations d’annonce des art. 9 et 10 LProst.

5.1 À teneur de l'art. 8 LProst, la prostitution de salon est celle qui s'exerce dans des lieux de rencontre soustraits à la vue du public (al. 1). Ces lieux, quels qu'ils soient, sont qualifiés de salons par la LProst (al. 2). Toutefois, le local utilisé par une personne qui s'y prostitue seule, sans recourir à des tiers, n'est pas qualifié de salon (al. 3).

5.2 Selon l'art. 9 LProst, toute personne physique qui, en tant que locataire, sous‑locataire, usufruitière, propriétaire ou copropriétaire, exploite un salon et met à disposition de tiers des locaux affectés à l'exercice de la prostitution doit s'annoncer, préalablement et par écrit, aux autorités compétentes en indiquant le nombre et l'identité des personnes qui y exercent la prostitution (al. 1). La personne qui effectue l'annonce est considérée comme personne responsable au sens de la LProst (al. 4).

5.3 La chambre de céans a jugé qu’il ressortait des travaux préparatoires, tout comme de l'art. 8 al. 3 LProst, que l'argumentation selon laquelle l'exploitation d'une petite structure par deux ou trois personnes exerçant la prostitution ne devrait pas être considérée comme un salon au sens de l'art. 8 al. 1 LProst ne pouvait être suivie. Quand bien même cette position avait été soutenue par la Cour des comptes, elle était manifestement contraire à la volonté du législateur et au texte clair de la loi (ATA/1313/2018 précité consid. 11).

5.4 En l’espèce, lors de son audition à la police le 29 août 2022, la recourante a expressément déclaré qu’C______ avait travaillé avec elle, dans son cabinet, en 2021, qu’elle lui en sous-louait une pièce de février 2021 à août 2022. La recourante a par ailleurs confirmé avoir ouvert son cabinet à B______ au mois de mars 2021, précisé qu’elle travaillait comme esthéticienne, mais faisait également des massages érotiques « avec finition », détaillé les tarifs, indiqué qu’elle pratiquait dans son cabinet et à son domicile et qu’elle n’avait pas effectué d’annonce auprès des autorités pour ses pratiques érotiques. À la question du policier de savoir si elle pouvait les informer « si C______ a également pratiqué des massages érotiques ou des rapports sexuels tarifés pendant qu’elle travaillait dans votre cabinet ? », la recourante a répondu que « jusqu’à CHF 100.- de prestations, elle fait un massage normal avec finition à la main. Selon les demandes du client, soit fellation ou rapport sexuel, elle augmente ses tarifs et ça va jusqu’à ce que le client est prêt à payer. Mais ses prestations débutent à CHF 100.- ».

Il ressort de ce rapport que les déclarations de la recourante sont extrêmement claires. Dans ces conditions, ses allégations, dans le cadre du recours, selon lesquelles C______ n’aurait jamais travaillé dans son local, frisent la témérité.

De même, les termes de « salon de massages » figurent sur la requête du 25 mai 2021. Elle n’a par ailleurs pas recouru contre la décision du département du 1er juin 2021 lui refusant précisément la possibilité d’exploiter un salon de massages.

Il ressort des déclarations de la recourante elle-même qu’elle exploitait un salon de prostitution et mettait à disposition d’une tierce personne une pièce de son cabinet aux fins que cette dernière puisse y exercer une telle activité. Non seulement elle n’a pas déclaré immédiatement cette activité, mais elle a poursuivi à la suite d’un refus du DSPS. La violation de l’art. 9 LProst est établie.

6.             L'art. 10 let. d LProst est entré en vigueur le 29 juillet 2017.

6.1 Il est issu d'une modification législative faisant notamment suite à certaines recommandations formulées par la Cour des comptes dans son rapport n° 85 du 16 décembre 2014 (ci-après : le rapport n° 85), portant sur une évaluation de la politique publique en matière de prostitution, laquelle visait entre autres à améliorer les conditions d'exercice de la prostitution et à développer l'autonomie des travailleurs du sexe (projet de loi n° 12'031 du 30 novembre 2016 modifiant la LProst [ci-après : PL 12'031], p. 6 ; p. 4 et 5 du rapport n° 85).

Dans son rapport, la Cour des comptes a notamment relevé que la BTPI n'effectuait pas de contrôle de conformité sous l'angle de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) ni ne communiquait d'informations au DT, n'y étant pas tenue par la LProst. Elle a ainsi recommandé au département de coordonner son action, lors de la procédure d'enregistrement, avec celle du DT afin qu'un contrôle de conformité à la LDTR soit effectué en prenant notamment en compte la procédure de dérogations prévue à l'art. 8 LDTR en cas de changement d'affectation (p. 64 et p. 68). L'art. 10
let. d LProst est donc une concrétisation de cette recommandation (ATA/1313/2018 du 4 décembre 2018 consid. 8).

Le préavis du DT devait notamment confirmer, pour les salons exploités dans des immeubles soumis à la LDTR, que les locaux pouvaient être affectés à une activité commerciale ou qu'une dérogation avait été accordée. Le préavis du DT ne devait pas être sollicité directement par la personne responsable d'un salon, mais par les services du département. Le salon ne pouvait pas être mis en exploitation tant que le DT n'avait pas délivré un préavis favorable et que la personne responsable n'avait pas été inscrite au registre tenu par la BTPI (p. 15).

Les travaux préparatoires relèvent encore que la modification légale relative à l'art. 10 let. d LProst s'imposait d'autant plus que le canton de Genève était confronté à une pénurie de logements – alors que de nombreux locaux commerciaux cherchaient preneur – et qu'elle permettait en outre de lutter efficacement contre les nuisances liées à l'exploitation de lieux de prostitution et dénoncées dans plusieurs pétitions (p. 7).

6.2 En l'espèce, il est établi que le DT a, le 31 mai 2021, préavisé négativement l'exploitation en salon de massages du local sis au premier étage du B______.

Ainsi, dans la mesure où la recourante ne satisfaisait effectivement pas aux conditions légales qu'elle doit remplir (art. 10 let. d LProst), le département était fondé à la sanctionner.

7.             Reste encore à examiner si les mesures et sanctions infligées à la recourante respectent le principe de la proportionnalité.

7.1 L'art. 14 LProst a trait aux mesures et sanctions administratives dont peut faire l'objet la personne responsable d'un salon (al. 1) qui n'a pas rempli son obligation d'annonce en vertu de l'art. 9 LProst (let. a), ne remplit pas ou plus les conditions personnelles de l'art. 10 LProst (let. b), n'a pas procédé aux communications qui lui incombent en vertu de l'art. 11 LProst (let. c) ou n'a pas respecté les obligations que lui impose l'art. 12 LProst (let. d). L'autorité compétente prononce, selon la gravité ou la réitération de l'infraction (al. 2) l'avertissement (let. a), la fermeture temporaire du salon, pour une durée de un à six mois et l'interdiction d'exploiter tout autre salon, pour une durée analogue (let. b) ou la fermeture définitive du salon et l'interdiction d'exploiter tout autre salon pour une durée de dix ans (let. c).

7.2 La fermeture, temporaire ou définitive, est conçue davantage comme une mesure administrative, destinée à protéger l'ordre public et la liberté d'action des personnes qui se prostituent que comme une sanction. Pour être efficace, une telle mesure doit être accompagnée d'une véritable sanction administrative consistant en une interdiction d'exploiter tout autre salon afin d'empêcher la personne concernée de poursuivre, ou reprendre, l'exploitation d'un autre établissement quelques rues plus loin (MGC 2008-2009/VII A 8669).

7.3 Indépendamment du prononcé des mesures et sanctions administratives, l'autorité compétente peut infliger une amende administrative de CHF 100.- à CHF 60'000.- à toute personne ayant enfreint les prescriptions de la loi ou ses dispositions d'exécution (art. 25 al. 1 LProst).

7.4 Les amendes administratives prévues par la législation cantonale sont de nature pénale. Leur quotité doit ainsi être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal (ATA/991/2016 du 22 novembre 2016 consid. 6a ; ATA/810/2016 du 27 septembre 2016 consid. 4a et la référence citée). En vertu de l'art. 1 al. 1 let. a de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 (LPG - E 4 05), les dispositions de la partie générale du CP s'appliquent à titre de droit cantonal supplétif, ce qui vaut également en droit administratif sous réserve de celles qui concernent exclusivement le juge pénal (notamment les art. 34 ss, 42 ss, 56 ss, 74 ss, 106 al. 1 et 3 et 107 CP). Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d'une simple négligence. L'administration doit faire preuve de sévérité afin d'assurer le respect de la loi et jouit d'un large pouvoir d'appréciation pour infliger une amende. La juridiction de céans ne la censure qu'en cas d'excès. Enfin, l'amende doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst. ; ATA/991/2016 précité consid. 6a).

7.5 Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a confirmé la fermeture définitive d'un salon de massages pour défaut de préavis exigé par la loi (ATA/568/2023 du 30 mai 2023).

En outre, la chambre de céans a également connu plusieurs dossiers dans lesquels le département a ordonné des fermetures définitives avec une interdiction d'exploiter durant dix ans. Les recours contre ces décisions ont tous été rejetés (ATA/934/2023 du 25 août 2023 ; ATA/791/2023 du 18 juillet 2023 ; ATA/443/2023 du 26 avril 2023 ; ATA/477/2022 du 4 mai 2022 ; ATA/1100/2020 du 3 novembre 2020 ; ATA/1373/2017 du 10 octobre 2017 ; ATA/486/2014 du 24 juin 2014).

7.6 En l'espèce, la recourante n’a pas recouru contre la décision du DSPS du 1er juin 2021, lui refusant son inscription pour l’exploitation d’un salon de massages. Elle savait toutefois, à compter du préavis négatif du DT, que l’exercice de cette activité dans son local du B______ était illicite et que l’exploitation du salon n’y était pas autorisée. Elle a toutefois poursuivi son activité, y compris après le second refus du département du 3 octobre 2022. La recourante ne pouvait plus, après la détermination du DT du 31 mai 2021, ignorer le caractère illicite de l’exercice de l’activité de prostitution dans des locaux qualifiés de logements, non affectés à des activités commerciales et pour lesquels aucun changement d’affectation n’avait été demandé ni a fortiori obtenu. De surcroît, outre que l’intitulé du bail à loyers signé, entre privés, n’est pas déterminant au regard du droit public, ledit bail à loyer faisait expressément mention de ce que la destination des locaux était à l’usage d’un salon esthétique exclusivement.

En conséquence, la recourante ne s’est pas pliée à la décision du refus d’enregistrement de son salon par l’autorité intimée. Elle n’a ni cessé son activité en ces lieux ni même tenté de la régulariser en déposant une demande auprès du DT, étant rappelé qu’elle avait renoncé à recourir contre la décision du 1er juin 2021. Elle a ainsi privilégié le maintien de la clandestinité et de l’illégalité en continuant pendant de nombreux mois à exploiter illicitement un salon de massages. Les manquements de la recourante doivent être qualifiés de graves.

En conséquence, la mesure est nécessaire pour garantir, dans le milieu de la prostitution, que les conditions d’exercice de cette activité sont conformes à la législation (art. 1 LProst), apte à atteindre ce but et proportionnée au sens étroit au vu de la gravité des agissements et du mépris affiché par la recourante, l'ordre de fermeture ne la privant en tout état pas de l'exercice de toute activité économique, mais uniquement dans le domaine de la prostitution.

Par ailleurs, il n’est pas contesté qu’elle n'a pas obtenu les préavis exigés par la loi pour les locaux et n’a par ailleurs pas demandé de dérogation au DT. Elle ne remplissait ainsi plus la condition personnelle prévue à l’art. 10 let. d LProst, situation qui justifiait une mesure selon l’art. 14 al. 1 let. b LProst, étant observé que l’infraction à la loi – soit le défaut de préavis favorable à l’occupation de locaux en raison de leur destination au logement – est en soi grave (ATA/568/2023 précité consid. 4.10). Selon la jurisprudence précitée, le département n’avait dès lors d’autre choix que d’ordonner la fermeture du salon de massages en application de l’art. 14 al. 2 let. c LProst. Cette restriction apparaît fondée. En effet, la condition visant l'obtention du préavis repose sur une base légale et poursuit un intérêt public, soit notamment la préservation du logement en période de crise et l’exercice conforme au droit de l’activité de prostitution. Elle respecte le principe de proportionnalité. Aucune autre atteinte moins sévère à la liberté de la recourante n’apparaît susceptible de réaliser les objectifs d’intérêt public de la loi – en particulier, une fermeture temporaire ne permettrait pas de rendre définitivement au logement des locaux exploités pour une activité commerciale.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, l'intérêt de la recourante à pouvoir gérer un salon de prostitution doit céder le pas à l'intérêt public au respect des conditions gouvernant l'exploitation de tels établissements.

Enfin, la recourante ne conteste pas la quotité de l’amende qui lui a été infligée. Compte tenu de la gravité des infractions à la LProst, le montant de CHF 1'500.-, qui se situe encore au bas de la « fourchette » prévue par l’art. 25 al. 1 LProst, n'est pas critiquable.

Les mesures et sanctions infligées à la recourante respectent donc le principe de la proportionnalité, de sorte que l'autorité intimée n'a pas violé la loi ni abusé de son pouvoir d'appréciation.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

8.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 11 mai 2023 par A______ contre la décision du département des institutions et du numérique du 24 mars 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Catarina MONTEIRO SANTOS, avocate de la recourante, ainsi qu'au département des institutions et du numérique.

Siégeant : Fabienne MICHON RIEBEN, présidente, Francine PAYOT
ZEN-RUFFINEN et Valérie LAUBER, juges.


 

Au nom de la chambre administrative :

 

la greffière :

 

 

P. HUGI

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. MICHON RIEBEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :