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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2150/2022

ATA/998/2023 du 12.09.2023 sur JTAPI/239/2023 ( LCI ) , REJETE

Descripteurs : AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET DROIT PUBLIC DES CONSTRUCTIONS;SANCTION ADMINISTRATIVE;RÉTABLISSEMENT DE L'ÉTAT ANTÉRIEUR;REMISE EN L'ÉTAT;ORDRE DE DÉMOLITION;PROPORTIONNALITÉ;POUVOIR D'APPRÉCIATION;EXCÈS ET ABUS DU POUVOIR D'APPRÉCIATION;PESÉE DES INTÉRÊTS;LÉGALITÉ;GARANTIE DE LA PROPRIÉTÉ;RESTRICTION DE DROIT PUBLIC À LA PROPRIÉTÉ;DROIT CONSTITUTIONNEL À LA PROTECTION DE LA BONNE FOI;PRINCIPE DE LA BONNE FOI;LIBERTÉ ÉCONOMIQUE
Normes : Cst.5.al1; Cst.5.al2; Cst.9; Cst.26.al1; Cst.36; Cst.27; Cst-GE.35; LCI.1.al1.leta; LCI.4.al5; LCI.129.lete; LCI.130; LCI.132.al1; LCI.133.al3; RCI.33A
Résumé : Recours contre un jugement du TAPI confirmant un ordre du département du territoire de procéder, dans un délai de quatre mois, à la suppression et à l'évacuation de toutes constructions et installations érigées sur la parcelle des recourants ainsi qu'à la remise en état du terrain naturel. Chantier à l'arrêt depuis plus de deux ans au jour du prononcé de la décision querellée. Seule la capacité financière actuelle des recourants est déterminante, et elle ne leur permet pas de terminer le chantier. L'autorité était donc fondée à ordonner la remise en état, soit une mesure prévue par les art. 129 let. e et 130 LCI et 33A RCI. Examen des conditions de restriction à la garantie de la propriété. Base légale suffisante. L'ordre de remise en état poursuit plusieurs intérêts publics importants, notamment le respect de la loi, la salubrité publique et la lutte contre les chantiers abandonnés pendant une période excessive. Examen de la proportionnalité de la mesure. Intérêts privés des recourants de pure convenance. Aucune autre mesure envisageable, un ordre d'achèvement de l'ouvrage à court terme étant manifestement voué à l'échec. Restriction ainsi admissible. Absence de violation du principe de la bonne foi, la décision querellée et les décisions de séquestres pénaux à l'origine de l'indigence des recourants ayant été rendues par deux autorités totalement indépendantes l'une de l'autre, à l'issue de procédures ne portant pas sur le même objet et n'ayant aucun lien de connexité. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2150/2022-LCI ATA/998/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 12 septembre 2023

3ème section

 

dans la cause

 

A______

et

FONDATION B______ recourants
représentés par Me Pascal PÉTROZ, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE - OAC intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 mars 2023 (JTAPI/239/2023)


EN FAIT

A. a. A______ est propriétaire de la parcelle n°2'729 de la commune de C______, située en zone de développement 4B protégée.

b. La Fondation B______ (ci‑après : la fondation), dont A______ est le président, a notamment pour but d'exposer des œuvres de sculpteurs de renom, notamment dans des parcs situés dans le canton de Genève et de faire connaître l'œuvre et la personnalité d'D______, fondateur.

Selon l'art. 2 ch. 6 de ses statuts, elle n'a pas d'activité commerciale.

c. Le 27 février 2012, le département du territoire (ci-après : le département) a délivré à la fondation une autorisation de construire portant notamment sur l'édification, sur la parcelle n°2'729 de la commune précitée, d'une fondation d'art et d'ateliers d'artistes.

d. Cette décision a fait l'objet d'un recours auprès des instances judiciaires genevoises et a été confirmée en dernier lieu par le Tribunal fédéral le 20 mars 2015.

e. La validité de cette autorisation a été prolongée à deux reprises, la première fois du 27 mars 2017 au 2 avril 2018 et la seconde du 28 mars 2018 au 2 avril 2019.

f. L'ouverture de chantier a eu lieu le 28 mars 2019.

B. a. Par courriel du 29 avril 2022, le chef de service de l'inspection de la construction a interpellé le mandataire professionnellement qualifié (ci-après : MPQ) en charge du chantier afin de connaître son état d’avancement.

b. Le MPQ a indiqué que l'avis d'ouverture du chantier avait été publié le 13 mars 2019 et que les travaux préparatoires et le pré‑terrassement avaient été exécutés entre les mois d'avril et mai 2019. En raison de travaux menés simultanément par la commune, portant sur la réfection d'un collecteur situé sur un chemin adjacent à la parcelle, les travaux de terrassement avaient dû être reportés. Ils avaient finalement débuté en même temps que l'abattage des arbres, en novembre 2019, pour s’achever le 7 février 2020. A______ avait fait l'objet d'une procédure pénale dans le cadre de laquelle tous ses biens avaient été séquestrés, de sorte qu'il s'était trouvé dans l'incapacité de poursuivre le chantier. Néanmoins, lui et la fondation conservaient la volonté de réaliser de poursuivre le chantier, et ce dès le début de l'année 2023.

Il n'y avait aucune activité sur ce dernier.

c. Par décision du 27 mai 2022, le département, constatant l'interruption effective du chantier depuis plus d'une année, ce dernier n'ayant pas évolué depuis fin 2019, a ordonné au MPQ de procéder à la suppression et à l'évacuation de toutes constructions et installations érigées sur la parcelle ainsi qu'à la remise en état du terrain naturel. Un délai au 30 septembre 2022 lui était imparti à cet effet.

C. a. A______ et la fondation ont recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI).

b. Le département a conclu au rejet du recours.

c. Par jugement du 3 mars 2023, le TAPI a rejeté le recours.

Il était établi que le chantier n'avait pas avancé depuis la fin du mois de février 2020, soit depuis deux ans, que le propriétaire se trouvait dans l'incapacité financière de le poursuivre et qu’il n’y avait aucune activité sur ce dernier.

Si les difficultés financières que rencontrait A______ en raison du séquestre de ses avoirs pouvaient expliquer l’interruption du chantier, elles tendaient également à démontrer que lui et la fondation n'avaient pas les moyens financiers de le terminer. À ce titre, ils n'avaient pas produit de documents attestant d’un retour à meilleure fortune et/ou un planning de reprise des travaux.

Dans ces circonstances, le département était en droit d’ordonner la remise en état de la parcelle, un ordre d'achèvement de l'ouvrage étant voué à l'échec vu la situation financière de A______ et l’état d’avancement minime du chantier. Cette mesure – proportionnée – était ainsi conforme à la loi et ne consacrait aucune violation de la garantie de propriété, de la liberté économique et du principe de la légalité.

Le délai de quatre mois imparti pour la remise en état apparaissait proportionné et raisonnable, compte tenu du peu d'avancement du chantier.

D. a. Par acte remis à la poste le 20 avril 2023, A______ et la fondation ont interjeté recours contre ce jugement auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), concluant à son annulation.

Le projet devait être financé par A______ par ses propres deniers.

Les faits avaient été établis de façon inexacte s'agissant de leur capacité financière.

Le département avait abusé de son pouvoir d'appréciation en exigeant la remise en état du terrain naturel et la démolition des installations existantes sur la parcelle. La mesure était disproportionnée.

Le département avait violé le principe de la bonne foi, la garantie de leur propriété, leur liberté économique et le principe de la légalité.

b. Le département a conclu au rejet du recours.

c. Dans leur réplique, A______ et la fondation ont persisté dans leurs conclusions et ajouté que le fait qu'ils ne disposaient momentanément pas de leurs biens ne signifiait pas qu'ils n'avaient pas les moyens financiers de terminer le projet.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 149 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 - LCI - L 5 05).

2.             Le litige porte sur la conformité au droit de l'ordre de remise en état et de démolition prononcé par l'intimé à l'encontre des recourants.

3.             Les recourants se plaignent de la constatation inexacte et incomplète de faits pertinents, dans la mesure où le TAPI aurait retenu à tort qu'ils n'avaient pas les moyens financiers nécessaires à la réalisation de leur projet.

3.1 Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

3.2 En l'espèce, et comme la chambre de céans l'exposera ci-après, seule est déterminante pour la résolution du présent litige la situation financière actuelle des recourants.

Or, il sera vu que ces derniers ne contestent pas qu'ils ne disposent en l'état pas des moyens financiers pour terminer leur projet de construction, ce que le TAPI a correctement constaté, vu le séquestre pénal des biens de A______.

Le grief sera donc écarté.

4.             Les recourants reprochent à l'intimé d'avoir fait une mauvaise application de l'art. 33A du règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RCI – L 5 05.01) ainsi que d'avoir violé le principe de proportionnalité.

Ils soutiennent que l'intimé et le TAPI n'auraient pas tenu compte de leur « réelle » capacité financière et des circonstances liées à la pandémie de Covid-19. Selon eux, il aurait été plus approprié de fixer un délai raisonnable pour l'achèvement du chantier, dont la reprise était prévue au début de l'année 2023, et ce n'aurait été que dans l'hypothèse où ce délai n'aurait pas été respecté qu'une remise en état aurait pu être envisagée. Vu les coûts engagés pour obtenir l'autorisation de construire (CHF 500'000.-), ils avaient la volonté de finir le chantier. Le délai de quatre mois qui leur avait été imparti pour remettre en état la parcelle, arrivant à échéance à la fin du mois de septembre 2022, était trop court.

De plus, il n'existait aucune nécessité de remblayer la parcelle, les travaux déjà exécutés n'ayant aucun impact pour les environs, dans la mesure où la parcelle concernée se situait en zone rurale 4B, artisanale et de développement, et que sur les parcelles alentour se trouvaient un atelier de construction, une activité de menuiserie et un chantier naval. Le but de l'aménagement était de créer un espace culturel d'exposition des œuvres d'D______, sculpteur de renom international. Le projet revêtait donc un intérêt privé, mais également public, en faveur du canton et de sa renommée.

Enfin, l'intimé n'avait pas tenu compte des coûts importants de la remise en état, estimés, sur la base de ceux déjà engagés pour la construction, à CHF 280'000.-.

4.1 Sur tout le territoire du canton nul ne peut, sans y avoir été autorisé, notamment élever en tout ou partie une construction ou une installation, notamment un bâtiment locatif, industriel ou agricole, une villa, un garage, un hangar, un poulailler, un mur, une clôture ou un portail (art. 1 al. 1 let. a LCI).

L’autorisation de construire est caduque si les travaux ne sont pas entrepris dans les deux ans qui suivent sa publication (art. 4 al. 5 LCI). Le commencement des travaux implique l’ouverture effective du chantier et la poursuite de la construction de l’ouvrage (art. 33A al. 1 RCI). Les travaux doivent être exécutés sans interruption notable et menés à bien dans un délai raisonnable. En cas de suspension du chantier excédant une année, le département peut soit ordonner l’achèvement de l’ouvrage, soit exiger la démolition des parties inachevées et la remise en état des lieux (art. 33A al. 2 RCI).

4.2 Dans les limites des dispositions de l’art. 130 LCI, le département peut ordonner, à l’égard des constructions, des installations ou d’autres choses notamment la remise en état, la réparation, la modification, la suppression ou la démolition (art. 129 let. e LCI). Ces mesures peuvent être ordonnées par le département lorsque l’état d’une construction, d’une installation ou d’une autre chose n’est pas conforme aux prescriptions de la présente loi, des règlements qu’elle prévoit ou des autorisations délivrées en application de ces dispositions légales ou réglementaires (art. 130 LCI).

Le département notifie aux intéressés, par lettre recommandée, les mesures qu’il ordonne. Il fixe un délai pour leur exécution, à moins qu‘il n’invoque l’urgence (art. 132 al. 1 LCI). Si le délai d’exécution est expiré sans résultat, il n’est procédé d’office aux mesures ordonnées qu’à l’échéance d’un nouveau délai d’au moins cinq jours, imparti par lettre recommandée (art. 133 al. 3 LCI).

4.3 L'administration dispose d'un pouvoir d'appréciation lorsque la loi lui laisse une certaine marge de manœuvre, à savoir lorsque l'autorité chargée d'appliquer la loi a le choix entre plusieurs solutions qui sont toutes conformes au droit (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, 2e éd. p. 174 n. 500). Une liberté d'appréciation peut être conférée à l'administration lorsque la loi indique qu'elle statue « librement » ou lorsqu'elle prévoit que l'autorité « peut » prendre une mesure (Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 175 n. 506 ; ATA/1564/2019 du 23 octobre 2019 consid. 5a).

Il y a abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité, tout en restant dans les limites du pouvoir d'appréciation qui est le sien, se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3). Une décision est arbitraire au sens de l’art. 9 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), lorsqu’elle est manifestement insoutenable, qu’elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait ou qu’elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté (ATF 141 I 70 consid. 2.2 ; 141 I 49 consid. 3.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_68/2016 du 2 juin 2017 consid. 5.1).

4.4 Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 Cst., exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent pas être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées).

Les critères de l'aptitude et de la subsidiarité sont particulièrement concernés lorsqu'un ordre de démolition pur et simple est envisagé. Ils impliquent en effet de déterminer si une – ou plusieurs – autre mesure administrative pourraient être préférées, le cas échéant en combinaison (ATA/565/2023 du 30 mai 2023 consid. 11.1).

La proportionnalité au sens étroit implique une pesée des intérêts. Donner de l’importance aux frais impliquerait de protéger davantage les graves violations et mènerait à une forte et inadmissible relativisation du droit de la construction. C’est pourquoi il n’est habituellement pas accordé de poids particulier à l’aspect financier de la remise en état (ATA/818/2023 du 9 août 2023 consid. 5.4.2 et les références citées).

4.5 Le 18 mars 2020, le Conseil d'État a ordonné l'arrêt total des chantiers pour le vendredi 20 mars 2020 à 12h00 (art. 1 de l'arrêté concernant les chantiers sur le territoire de la République et canton de Genève du 18 mars 2020).

Le 25 mars 2020, le Conseil d'État a modifié l'arrêté précité, le nouvel arrêté prévoyant qu'aucun chantier ne pouvait être poursuivi avant que n'aient été adressés au service de l'inspection de la construction et des chantiers l'avis de poursuite de chantier et l'attestation du respect des prescriptions émises par le SECO relatives à la prévention du Covid-19 en matière de chantiers (art. 4 de l'arrêté n° 2 d'application de l'ordonnance fédérale 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus [Covid-19] et sur les mesures de protection de la population et de soutien aux entreprises face à la propagation du coronavirus Covid-19 du 25 mars 2020).

4.6 En l'espèce, il convient de préciser au préalable que l'art. 33A RCI utilise une formule potestative, de sorte qu'une liberté d’appréciation est reconnue à l'autorité dans le choix de la mesure à prendre. La chambre de céans doit dès lors se limiter à examiner si l'autorité a fait un usage correct de son pouvoir d'appréciation.

Il est établi, et les parties ne le contestent pas, que le chantier a été ouvert de façon effective entre les mois d'avril et mai 2019 et qu'il s'est arrêté au mois de février 2020. Ainsi, au jour du prononcé de la décision de l'intimé le 27 mai 2022, le chantier était à l'arrêt depuis plus de deux ans.

Le choix de l'intimé d'ordonner aux recourants de procéder à la suppression et l'évacuation des constructions érigées sur la parcelle et de remettre en état le terrain naturel reste donc dans le cadre fixé par l'art. 33A RCI, ce qui n'est pas contesté.

4.6.1 L'ordre de remise en état et la démolition poursuivent plusieurs intérêts publics, notamment le respect de la loi, la salubrité publique et la lutte contre les chantiers abandonnés pendant une période excessive, qui sont des intérêts publics importants. Les mesures précitées sont aptes à les atteindre, leur mise en œuvre ayant pour effet de ramener la parcelle à son état naturel et de la libérer de toutes installations de chantier.

Ces intérêts publics priment l'intérêt privé des recourants à l'édification, dans un délai incertain, de la fondation d'art et d'ateliers d'artistes, cet intérêt relevant de leur pure convenance personnelle. On ne peut pas non plus accorder une importance prépondérante à un intérêt public à l'exposition des œuvres d'D______, ces dernières pouvant être exposées dans d'autres lieux dans le canton. Il en va de même des coûts de la remise en état, dans la mesure où, de jurisprudence constante, il n’est habituellement pas accordé de poids particulier à l’aspect financier de la remise en état. Enfin, contrairement à ce que prétendent les recourants, la portée géographique des intérêts publics précités n'est pas limitée aux seules parcelles adjacentes à un projet de construction et touche l'ensemble du territoire cantonal. Il n'est dès lors pas pertinent que les travaux déjà exécutés n'aient aucun impact sur les environs et que sur les parcelles alentour se trouvent uniquement des immeubles affectés à des activités commerciales.

4.6.2 S'agissant de la condition de la subsidiarité, compte tenu notamment des explications du MPQ, selon lesquelles A______ aurait fait l'objet d'une procédure pénale dans le cadre de laquelle tous ses biens auraient été séquestrés, de sorte qu'il se trouverait dans l'incapacité – financière – de poursuivre le chantier, l'intimé a renoncé à ordonner l’achèvement de l’ouvrage pour prononcer l'ordre de remise en état querellé. Le TAPI a confirmé le bien-fondé de ce choix, dans la mesure notamment où un tel ordre aurait été voué à l'échec, compte tenu de la situation financière des recourants et de l'état d'avancement minime du chantier.

Les recourants contestent ce raisonnement. Ils font valoir que les autorités précédentes n'auraient pas tenu compte de leur capacité financière une fois les séquestres levés.

La capacité financière d'une personne constitue incontestablement un critère pertinent et objectif pour déterminer si celle-ci est en mesure d'achever une construction, un chantier ne pouvant être mené à bien sans ressources financières. Au vu des enjeux liés au droit public des constructions, notamment la sécurité et la salubrité publiques, seule doit être déterminante la capacité financière de la personne concernée au moment de son interpellation par l'autorité, sous réserve de circonstances permettant d'espérer de façon certaine un retour à meilleure fortune à court terme.

Or, il n'est pas contesté que la situation financière actuelle des recourants ne leur permet pas de terminer le chantier, et personne ne peut prévoir si et quand les séquestres maintenus par le Tribunal correctionnel seront levés. Dès lors, il ne peut être tenu compte d'un hypothétique retour à meilleure fortune résultant d'une éventuelle levée des séquestres.

Les travaux n'ont manifestement pas été menés à bien dans un délai raisonnable. Les recourants ont tardé plusieurs années avant de commencer les travaux de construction, – l'autorisation étant entrée en force sept ans avant le prononcé de la décision de l'intimé –, pour ensuite laisser rapidement le chantier à l'abandon. Il aurait donc été illusoire de leur accorder un nouveau délai pour achever un chantier lié à une autorisation de construire entrée en force depuis aussi longtemps, mais également à l'arrêt depuis plus de deux ans. À cet égard, c'est en vain que les recourants se prévalent de l'arrêt forcé des chantiers « pendant de long mois » au cours de la période de la pandémie de Covid-19. En effet, d'une part, le chantier s'est arrêté en février 2020, soit avant le début de la pandémie. D'autre part, les chantiers n'ont été contraints à l'arrêt de façon absolue que pendant quelques jours, du 18 au 25 mars 2020.

Le délai de quatre mois qui a été octroyé aux recourants pour la remise en état est tout à fait raisonnable, vu l'état d'avancement minime du chantier et la nécessité de revenir sans tarder à une situation conforme au droit. Ce délai leur permet également sans difficultés de s'organiser et contacter les entreprises, l'ensemble d'entre elles ne cessant pas toutes leurs activités pendant la période estivale, contrairement à ce qu'ils prétendent.

Compte tenu de toutes ces circonstances, l'intimé était fondé, sans abuser de son pouvoir d'appréciation, à prononcer la mesure de démolition et de remise en état telle que prévue par l’art. 33A al. 2 RCI, un ordre d'achèvement de l'ouvrage à court terme, seule autre mesure envisageable, étant manifestement voué à l'échec. Le fait que les recourants aient affirmé vouloir reprendre les travaux en début d'année 2023, ce qu'ils n'ont pas démontré avoir été en mesure de faire, n'y change rien, aucune assurance ne pouvant être déduite de cette allégation, en particulier en l'absence de documents susceptibles de la rendre crédible.

Le grief sera donc écarté.

5.             Les recourants invoquent une violation de la garantie de leur propriété et du principe de la légalité.

Selon eux, l'ordre de remise en état et de démolition constituerait une restriction grave à la garantie de leur propriété, qui devrait être fondée sur une base légale formelle. Or, elle reposerait sur une seule base règlementaire, à savoir l'art. 33A RCI.

5.1 À teneur de l'art. 26 al. 1 Cst., la propriété est garantie. Cette garantie constitutionnelle comprend la faculté de disposer de son terrain dans les limites des lois et des plans d'affectation du sol. Pour être admissible, sa restriction doit répondre aux exigences de l'art. 36 Cst., soit reposer sur une base légale (al. 1 ; ATF 135 I 233 consid. 2.1), répondre à un intérêt public (al. 2 ; ATF 140 I 201 consid. 6.7 ; 137 I 167 consid. 3.6) et respecter le principe de la proportionnalité (al. 3 ; ATF 140 I 168 consid. 4.2.1 ; 135 I 233 consid. 3.1).

Selon la doctrine, reprise par la chambre de céans, les intérêts publics justifiant des restrictions à la propriété peuvent résulter de l’ensemble des tâches, responsabilités et compétences que la Constitution confie aux pouvoirs publics et dont la concrétisation incombe au législateur. Ainsi, en principe, tout intérêt public permet de restreindre le droit de propriété (Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER/Maya HERTIG RANDALL/Alexandre FLÜCKIGER, Droit constitutionnel suisse, vol. II, 4e éd., 2021, p. 454 ss n. 909 ; ATA/226/2007 du 8 mai 2007 consid. 5).

Un ordre de remise en état constitue une restriction du droit de propriété (arrêt du Tribunal fédéral 1C_197/2021 du 12 novembre 2021 consid. 2.1.3).

5.2 Le principe de la légalité, consacré par l’art. 5 al. 1 Cst., exige que les autorités n'agissent que dans le cadre fixé par la loi. Il implique qu’un acte étatique se fonde sur une base légale matérielle qui est suffisamment précise et qui a été adoptée par l’organe compétent (ATF 141 II 169 consid. 3.1).

En matière de restrictions aux droits fondamentaux, une atteinte grave exige en principe une base légale formelle, claire et précise, alors que les atteintes plus légères peuvent, par le biais d'une délégation législative, figurer dans des actes de niveau inférieur à la loi, ou trouver leur fondement dans une clause générale (ATF 135 I 233 consid. 2.1 ; 130 I 16 ; Thierry TANQUEREL, op.cit., n. 481). Constituent une atteinte grave à la garantie de la propriété, nécessitant une base légale formelle, les mesures par lesquelles la propriété foncière se trouve enlevée de force, ou les interdictions et prescriptions qui rendent impossible ou beaucoup plus difficile une utilisation conforme à la destination (ATF 135 III 633 consid. 4.3).

5.3 En l'espèce, il n'est pas contesté que la décision de l'intimé constitue une restriction à la garantie de la propriété des recourants.

Si ladite décision se fonde certes sur l'art. 33A RCI, elle repose également sur les art. 129 let. e et 130 LCI, qui sont des bases légales formelles et confèrent explicitement au département le pouvoir d'ordonner la démolition et la remise en état des lieux en cas de non-respect des bases règlementaires découlant de la LCI, dont fait partie l'art. 33A RCI.

Ainsi, même à considérer que l'atteinte serait grave, le principe de la légalité a été respecté.

Pour le surplus, et comme on l'a retenu ci-dessus, la restriction répond à plusieurs intérêts publics et respecte le principe de la proportionnalité. Elle est donc admissible.

Le grief sera ainsi écarté.

6.             Les recourants se plaignent de la violation du principe de la bonne foi.

6.1 Ancré à l'art. 9 Cst. et valant pour l'ensemble de l'activité étatique, le principe de la bonne foi exige que l'administration et les administrés se comportent réciproquement de manière loyale (arrêt du Tribunal fédéral 2C_596/2022 du 8 novembre 2022 consid. 8.1 ; ATA/175/2023 du 28 février 2023 consid. 4b). En particulier, l'administration doit s'abstenir de tout comportement propre à tromper l'administré et ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d'une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 138 I 49 consid. 8.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_596/2022 du 8 novembre 2022 consid. 8.1).

Le principe de la bonne foi comprend notamment l’interdiction des comportements contradictoires (ATF 143 IV 117 consid. 3.2 ; 136 I 254 consid. 5.2). Cette interdiction ne concerne toutefois que la même autorité, agissant à l'égard des mêmes justiciables, dans la même affaire ou à l'occasion d'affaires identiques (ATF 111 V 81 consid. 6 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_822/2019 du 25 mars 2020 consid. 5.1).

6.2 En l'espèce, les recourants exposent qu'il leur est reproché de ne pas disposer de la capacité financière pour terminer le chantier litigieux, alors que cette impossibilité ne serait que la conséquence des séquestres prononcés par les autorités pénales. L'administration leur reprocherait ainsi un comportement dont elle serait la source. Ce serait en raison de la contradiction des décisions de l'administration qu'ils ne pourraient pas terminer le chantier ni remblayer la parcelle.

Ce raisonnement ne peut être suivi, compte tenu de ce qui suit.

Les autorités pénales exercent le pouvoir judiciaire (art. 116 al. 1 let. a et b de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 - Cst‑GE - A 2 00 ; art. 1 let. a et c LOJ), tandis que le département du territoire, autorité administrative (art. 1 al. 2 et 5 let. c LPA ; art. 1 al. 1 let. et 6 ROAC), dépend du Conseil d'État (art. 106 al. 1 Cst-GE), lequel exerce le pouvoir exécutif (art. 101 Cst-GE).

La décision de l'intimé et les décisions de séquestre ont ainsi été rendues par deux autorités totalement indépendantes l'une de l'autre, à l'issue de procédures ne portant pas sur le même objet et n'ayant aucun lien de connexité. Même à retenir que les séquestres de la procédure pénale auraient objectivement provoqué la procédure administrative, il ne saurait en être inféré un quelconque comportement contradictoire des autorités, de sorte que la protection conférée par le principe de la bonne foi ne s'applique pas. Pour le surplus, l'intimé n'avait pas à prendre en compte, dans sa décision, la cause de l’absence de capacité financière des recourants.

Les recourants font valoir que cette même cause les prive des moyens de remblayer la parcelle. En telle hypothèse, toutefois, la loi permet au département, s'il l'estime nécessaire, d’entreprendre d'office les travaux nécessaires (art. 133 al. 3 LCI) afin de faire exécuter sa décision.

Le grief sera en conséquence écarté.

7.             Dans un ultime grief, les recourants invoquent une violation de leur liberté économique.

7.1 La liberté économique est garantie (art. 27 al. 1 Cst. ; art. 35 al. 1 Cst-GE). Elle comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (art. 27 al. 2 Cst. ; art. 35 al. 2 Cst‑GE).

7.2 En l'espèce, il ressort de l'art. 2 ch. 6 des statuts de la fondation recourante, librement accessible sur le site internet de l'index central des raisons de commerce (https://ge.ch/hrcintapp/externalCompanyReport.action?companyOfsUid=CHE-109.598.685, page consultée le 25 août 2023) que celle-ci elle n'a pas d'activité commerciale. Dès lors, son activité n'est pas protégée par la liberté économique.

Le grief sera en conséquence écarté et le recours, mal fondé, sera rejeté.

8.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge solidaire des recourants (art. 87 al. 1 LPA), et il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 avril 2023 par A______ et la B______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 mars 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge solidaire de A______ et de la B______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pascal PÉTROZ, avocat des recourants, au département du territoire - OAC ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Valérie LAUBER, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. WERFFELI BASTIANELLI

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :