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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4536/2006

ATA/226/2007 du 08.05.2007 ( DCTI ) , REJETE

Parties : BEZAT Claude et Phuong Lan, BEZAT Phuong Lan / DEPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION, COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIERE DE CONSTRUCTIONS
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4536/2006-DCTI ATA/226/2007

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 8 mai 2007

dans la cause

 

 

Madame Phuong Lan et Monsieur Claude BEZAT
représentés par Me Jean-Charles Sommer, avocat

contre

DÉPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION

et

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE DE CONSTRUCTIONS



1. Madame Phuong Lan et Monsieur Claude Robert Bezat, domiciliés tous deux 1, chemin Charles-Georg à Genève, ont acheté en 2004, chacun pour moitié, la parcelle n° 3651, feuille 57 du Petit-Saconnex à l’adresse précitée sur laquelle est édifié un bâtiment affecté au logement et à une activité commerciale. Cette acquisition s’est faite par transfert de patrimoine lors de la liquidation de la société immobilière La Tarentelle S.A. à Genève dont ils étaient actionnaires. Compte tenu de ce mode d’acquisition, l’Etat n’a pas été informé de la transaction et n’a de ce fait pas exercé son droit de préemption.

Dans le bâtiment susmentionné, Mme Bezat exploite en son nom un salon de beauté et de coiffure à l’enseigne "Just for you".

2. Le 15 décembre 2005, les époux Bezat ont déposé auprès du département des constructions et des technologies de l’information (ci-après  : DCTI) une requête en autorisation de construire en procédure accélérée enregistrée sous n° APA 25’833-6 portant sur l’agrandissement du salon précité.

3. Le 2 février 2006, la direction de l’aménagement du territoire a préavisé défavorablement le projet. Cette parcelle était sise en zone de développement 3 et était incluse dans le plan localisé de quartier n° 29’452 qui prévoyait la démolition de ce bâtiment et la construction sur cet emplacement d’un immeuble comportant des arcades au rez-de-chaussée et du logement dans les étages.

4. Par décision du 16 mars 2006, le DCTI a refusé l’autorisation sollicitée. La réalisation du projet des recourants compromettrait les objectifs d’urbanisme et serait ainsi contraire à l’article 13B de la loi d’application de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30).

5. Le 11 avril 2006, les époux Bezat ont interjeté recours contre cette décision auprès de la commission cantonale de recours en matière de constructions (ci-après  : CCRMC).

6. Par décision du 30 octobre 2006, celle-ci a rejeté le recours et confirmé la décision du DCTI pour les même motifs.

7. Par acte posté 4 décembre 2006, les recourants ont saisi le Tribunal administratif en concluant derechef à l’annulation de la décision de la CCRMC et à celle du DCTI. Mme Bezat employait six personnes et ces locaux étaient trop exigus pour lui permettre de développer son activité. Le chiffre d’affaires de cette entreprise s’élevait à CHF 550’000.- par an et elle avait débuté en 2005. La recourante avait besoin d’aménager de nouvelles surfaces au sous-sol, de créer un escalier extérieur pour la liaison entre le salon, situé au rez-de-chaussée, et le sous-sol ; enfin, elle souhaitait agrandir les ouvertures existantes au sous-sol pour augmenter l’apport de lumière naturelle.

Les travaux précités avaient fait l’objet d’une approbation de l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après  : OCIRT). Les recourants renonçaient à toute éventuelle indemnité due suite à la plus-value pouvant résulter de ces travaux. D’autres propriétaires de parcelles situées dans le périmètre du PLQ ne souhaitaient pas vendre leur bien immobilier de sorte que la concrétisation du projet de l’Etat serait nécessairement différée.

Peu avant le dépôt du recours, soit le 20 novembre 2006, le PLQ n° 29’452 a été accepté en votation populaire.

Les deux décisions dont les recourants demandaient l’annulation violaient le principe de proportionnalité puisqu’avant la mise en œuvre du PLQ, Mme Bezat aurait la possibilité d’exploiter son salon pendant des années. Ces décisions contrevenaient aussi à la garantie de la propriété et de la liberté économique.

8. Le 15 janvier 2007, le DCTI a conclu au rejet du recours. L’autorisation sollicitée n’était ni conforme aux objectifs de la zone de développement 3 ni au PLQ. Si elle était accordée, elle compromettrait les objectifs d’urbanisme. Le refus conservatoire devait être confirmé de même que la décision de la CCRMC.

9. Les parties ont été entendues en audience de comparution personnelle le 9 février 2007.

a. Les recourants ont déclaré avoir acheté cet immeuble en 2004. Ils n’avaient pas eu connaissance du PLQ dont le notaire ne leur avait pas parlé. En revanche, celui-ci avait fait état d’un droit de préemption de l’Etat, lequel n’avait jamais été exercé.

M. Bezat a exposé qu’il était d’origine valaisanne et qu’il ne connaissait pas les projets de développement existants dans ce périmètre du canton. Il avait été intéressé par le fait que ce bâtiment était précédemment un immeuble de bureaux de sorte qu’en installant le salon exploité par son épouse, l’affectation du bâtiment n’était pas modifiée. Cette maison avait été mise en vente par une régie depuis un an à un prix tout à fait normal.

Les travaux que les recourants souhaitaient entreprendre si l’autorisation leur était délivrée s’élevaient à quelque CHF 150’000.- mais incluaient des agencements et du mobilier.

Mme Bezat a indiqué qu’elle formait des personnes pour la coiffure, l’esthétique et l’onglerie. Faute de place, elle ne pouvait conserver ce personnel. Elle perdait de l’argent, les personnes qu’elle avait formées quittant son commerce. De plus, elle employait beaucoup de personnes qui étaient des chômeuses ou qui bénéficiaient de l’aide sociale et à cet égard aussi son activité devait être prise en considération.

Les recourants ont ajouté qu’ils désiraient savoir si des travaux étaient programmés pour la réalisation du PLQ.

b. Le représentant du DCTI a indiqué que celui-ci avait pour pratique de refuser les demandes d’autorisation de construire susceptibles comme en l’espèce de contrecarrer les objectifs d’aménagement, et cela même si les requérants renonçaient à toute forme d’indemnisation pour les travaux qu’ils auraient entrepris. De plus, le DCTI avait refusé à titre conservatoire, en application du principe d’égalité de traitement, d’autres demandes de travaux dans le même périmètre, mais ces refus n’avaient pas fait l’objet de recours. Les aménagements projetés par les recourants étaient tout de même conséquents puisqu’ils devaient s’élever à quelque CHF 150’000.-.

Le DCTI n’avait pas connaissance du fait que la mise en œuvre du PLQ aurait débuté mais il conviendrait de se renseigner auprès de la police des constructions.

10. Un délai au 15 mars a été fixé pour chacune des deux parties pour produire des renseignements complémentaires.

a. Le 27 février 2007, le DCTI a précisé que le PLQ n’était pas encore en vigueur, car il devait être adopté par le Conseil d’Etat.

Depuis 2003, le DCTI n’avait délivré aucune autorisation de construire dans ce périmètre excepté celles relatives à des aménagements routiers.

Le fait que les recourants renoncent à toute indemnité en raison d’une éventuelle plus-value avait été transmis à la direction de l’aménagement du territoire laquelle avait refusé de revenir sur son préavis défavorable du 2 février 2006.

Le DCTI persistait dans son refus de délivrer l’autorisation requise.

b. Le 7 mars 2007, le conseil des recourants a adressé au tribunal une estimation faite par M. André Dupraz, architecte. Le montant de l’équipement en mobilier et agencements était d’environ CHF 60’000.-. Les travaux de maçonnerie, plomberie, chauffage, ventilation, électricité, menuiserie, gypserie-peinture et revêtement de sol représentaient le solde, soit environ CHF 90’000.-. Certains travaux seraient effectués par le propriétaire lui-même.

11. Ces courriers ont été transmis aux parties et la cause gardée à juger.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le PLQ n° 29’452 a été accepté en votation populaire le 20 novembre 2006 et il est aujourd’hui en force. Les recourants ayant acquis la parcelle n° 3651 courant 2004, il leur était loisible de se renseigner sur la densification de ce périmètre, le PLQ en question daté du 12 novembre 2004 ayant été élaboré avant cette date.

Par ailleurs, le département a exposé, sans être contredit, que les époux Bezat avait acquis cette parcelle par transfert de patrimoine lors de la liquidation de La Tarentelle S.A. dont ils étaient actionnaires. Ainsi l’Etat n’avait pas eu connaissance de la transaction et il n’avait pas exercé son droit de préemption.

Il résulte clairement de ce PLQ que l’immeuble acquis par les recourants doit être démoli pour être remplacé par un bâtiment comportant du logement et des activités commerciales, la parcelle se trouvant en zone de développement 3.

3. Or, à teneur de l’article 13B de la loi d’application de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30) le département peut refuser une autorisation de construire sollicitée, en application de l’article 1 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) si la demande compromet des objectifs d’urbanisme concrétisés par ledit plan.

C’est en application de cette disposition que tant le DCTI que la CCRMC ont refusé d’accorder aux époux Bezat l’autorisation de construire sollicitée. Le fait que ceux-ci renoncent d’ores et déjà à se prévaloir des quelque CHF 90’000.- de travaux projetés (le mobilier et les agencements ne pouvant être pris en considération) ne saurait modifier cette réalité. Or, le tribunal de céans a déjà jugé sous l’empire de l’ancien article 2A de la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD - L 1 35) que dans le périmètre des zones de développement, le DCTI pouvait refuser la délivrance d’une autorisation de construire requise selon les dispositions de la zone ordinaire lorsque la réalisation du projet serait de nature à compromettre les objectifs de ladite zone de développement (ATA/225/2004 du 16 mars 2004). Il a également statué depuis sur le fait qu’il n’y avait pas lieu de s’écarter de cette jurisprudence, le nouvel article 13B LaLAT ne faisant que reprendre les termes de l’ancien article 2A LGZD (ATA/895/2004 du 16 novembre 2004 confirmé par les arrêts du Tribunal fédéral du 4 août 2005 1A.9/2005 et 1P.17/2005 déclarant le recours de droit administratif irrecevable et rejetant le recours de droit public).

4. Le refus du département, fondé sur le préavis défavorable de la direction de l’aménagement du territoire, respecte le principe de l’égalité de traitement puisque depuis 2003, le DCTI a refusé toutes les demandes d’autorisation de construire dans le périmètre de ce PLQ avant même que celui-ci ne soit en force.

5. Les recourants allèguent encore que le refus qui leur est opposé violerait la garantie de la propriété et celle de la liberté économique, toutes deux garanties par les articles 26 et 27 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) ou encore l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), cette disposition garantissant à toute personne "le droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance".

Les droits constitutionnels peuvent être restreints à certaines conditions  : pour la doctrine de façon générale, les intérêts publics justifiant des restrictions à la propriété peuvent résulter de l’ensemble des tâches, responsabilité et compétence que la Constitution confie aux pouvoirs publics et dont la concrétisation incombe au législateur (A. AUER, G. MALINVERNI, M. HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, 2ème éd., vol. II p. 390).

En l’espèce, le PLQ a été adopté en votation populaire de sorte que l’intérêt public à la construction de logements faisant cruellement défaut a été consacrée par la volonté du peuple souverain.

La décision attaquée ne viole en rien la garantie de la propriété des recourants.

6. L’article 27 de la Constitution garantit la liberté économique qui comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice. Nul n’empêche Mme Bezat d’exercer sa profession pour autant qu’elle désire le faire dans un autre immeuble. Le fait qu’elle engage du personnel ou permette même à certaines de ses employées de ne plus être au chômage ne saurait être un argument devant être pris en considération, car la liberté économique de Mme Bezat est parfaitement garantie.

7. On ne voit pas davantage en quoi le refus de l’autorisation sollicitée contreviendrait à l’article 8 CEDH ou violerait le droit au respect de la vie privée et familiale des recourants.

8. Enfin, ces derniers plaident la violation du principe de proportionnalité au motif que d’autres propriétaires, dont les parcelles sont situées dans le périmètre du PLQ n’ayant aucune intention de vendre, la réalisation dudit PLQ risquerait de prendre des années, ce qui devrait leur permettre d’être autorisés à exploiter leur commerce, ce d’autant qu’ils renoncent par avance à toute indemnité en raison des frais à engager.

Cette théorie ne résiste pas à l’examen  : si l’Etat devait y souscrire, il délivrerait alors une autorisation aux recourants, puis devrait le faire, par souci d’égalité de traitement, à toutes les autres personnes intéressées qui lui en feraient la demande, ce qui compromettrait de manière définitive les objectifs d’aménagement de ce périmètre.

9. En tous points mal fondé, le recours sera rejeté.

Un émolument de CHF 1’000.- sera mis à la charge des recourants pris conjointement et solidairement. Vu l’issue du litige, il ne leur sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 4 décembre 2006 par Madame Phuong Lan et Monsieur Claude Bezat contre la décision de la commission cantonale de recours en matière de constructions du 30 octobre 2006 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge des recourants pris conjointement et solidairement un émolument de CHF 1’000.- ;

dit qu’il ne leur est pas alloué d’indemnité ;

dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jean-Charles Sommer, avocat des recourants, à la commission cantonale de recours en matière de constructions ainsi qu’au département des constructions et des technologies de l'information.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy et Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le président :

 

 

F. Paychère

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :