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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1676/2023

ATA/963/2023 du 05.09.2023 ( LAVI ) , REJETE

Descripteurs : LOI FÉDÉRALE SUR L'AIDE AUX VICTIMES D'INFRACTIONS;AIDE AUX VICTIMES;INFRACTIONS CONTRE LA VIE ET L'INTÉGRITÉ CORPORELLE;VICTIME;LÉSION CORPORELLE SIMPLE;INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL);DOMMAGE MÉNAGER;TORT MORAL;ATTEINTE À LA SANTÉ PHYSIQUE;AFFECTION PSYCHIQUE
Normes : LAVI.19; LAVI.22.al1; CO.49.al1; CO.47; LAVI.23
Résumé : Dommage ménager fondé uniquement sur un dommage abstrait alors que le législateur a expressément exclu la réparation du dommage normatif. Le fait que l’épouse du recourant prenne soin de lui répond à un devoir que les époux se doivent mutuellement. Seuls les faits retenus par l’autorité pénale lient l’instance LAVI. Absence de faute de la victime retenue par le Ministère public. Cela étant, vu la jurisprudence, le montant accordé au titre de tort moral est proportionné et correspond aux barèmes de référence. Recours rejeté, notamment par substitution de motifs.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1676/2023-LAVI ATA/963/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 septembre 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Michael ANDERS, avocat

contre

INSTANCE D'INDEMNISATION LAVI intimée



EN FAIT

A. a. A______, né le ______1965, marié et père de trois enfants, est sans activité lucrative. Depuis environ 2009, il est au bénéfice d’une rente d’invalidité (ci-après : AI) en raison de troubles psychiatriques, souffrant d’un trouble schizo‑affectif type dépressif.

b. Le 29 mars 2014, il a été blessé par B______, dans le cadre d’une bagarre qui s’est déroulée devant le café C______, sis rue D______ à Genève (ci-après : le bar ou l’établissement).

c. Immédiatement après les faits, A______ a été transféré en ambulance aux Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), où il a séjourné jusqu’au 5 avril 2014.

Durant cette période, il a été opéré, le 31 mars 2014, pour une fracture ouverte au 1/3 distal de la jambe gauche, type Gustilo IIA, avec un fragment osseux apparent. L’intervention chirurgicale a consisté en une réduction et ostéosynthèse de la jambe gauche. Un traitement médicamenteux lui a été prescrit. À sa sortie, A______ devait se maintenir en décharge au moyen de cannes anglaises, sous protection d’un Combicast durant six semaines.

d. Du 2 au 4 juillet 2014, A______ a été hospitalisé une seconde fois aux HUG, pour mise au repos de sa jambe gauche et surveillance clinique en raison d’une suspicion de surinfection du matériel d’ostéosynthèse avec douleurs et écoulement séreux de la cicatrice distale depuis le mois de mai 2014, majoré d’une inflammation locale. En raison d’une fistule de la partie distale de la cicatrice antérieure, A______ devait se rendre deux fois par semaine aux HUG pour la réfection de son pansement, après sa sortie. Un contrôle clinique était également prévu deux semaines plus tard.

e. Du 23 au 29 août 2014, A______ a dû être hospitalisé une troisième fois en raison d’une surinfection du matériel d’ostéosynthèse avec problèmes de cicatrisation, soit la persistance de la présence d’un pertuis au niveau de la plaie, d’un écoulement purulent, de chaleur et rougeur en regard de la cicatrice, sur la base d’un scanner de sa jambe gauche du 23 août 2014. Le 25 août 2014, une nouvelle intervention chirurgicale a été effectuée en vue de l’incision et du drainage de la jambe, ainsi que de l’excision du pertuis, avec fermeture primaire. Le matériel d’ostéosynthèse n’avait pas pu être retiré, les fractures n’étant pas encore entièrement consolidées. Un traitement antibiotique a été prescrit à A______. Après sa sortie, il devait être revu régulièrement pour réfection de son pansement et adaptation de l’antibiothérapie.

Après chaque hospitalisation, A______ a été totalement immobilisé à son domicile. Son incapacité de travail a été totale sur le plan physique jusqu’à la fin de l’année 2014.

f. Selon certificat médical du docteur E______, médecin adjoint agrégé au département de chirurgie des HUG, du 24 septembre 2014, A______ souffrait d’une fracture de la jambe gauche qui n’était alors pas guérie et qui le limitait fortement dans ses déplacements. Il nécessitait une aide à domicile pour les soins et la toilette à raison de trois à cinq fois par semaine.

g. Entre les 29 mai 2014 et 9 décembre 2015, A______ a consulté le docteur F______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, à sept reprises.

Celui-ci a attesté que, des mois d’avril à mai 2014, l’intéressé avait pris un traitement antidépresseur irrégulièrement et s’était plaint d’anxiété et de ruminations négatives. Des mois de mai à septembre 2014, il avait souffert principalement des complications physiques de son agression, était irritable et déprimé. Des mois d’octobre 2014 à janvier 2015, son état psychique s’était stabilisé, mais il gardait un moral fragile et une irritabilité. De février à décembre 2015, son état psychique était stable, seuls des symptômes affectifs étaient au premier plan. En résumé, l’agression avait entraîné une rechute dépressive et anxieuse d’intensité moyenne, désormais stabilisée chez un patient au psychisme fragile.

h. Entre les 23 et 24 juin 2016, A______ a subi une nouvelle intervention chirurgicale visant à l’ablation du matériel d’ostéosynthèse. Après une nouvelle période d’immobilisation d’une durée de cinq jours, il a dû se mouvoir avec l’aide de cannes anglaises durant à tout le moins deux semaines. Le sport, à l’exception du vélo, lui était interdit durant six semaines.

i. Selon certificat médical du Dr F______ du 28 août 2017, l’état de A______ était stationnaire, sans amélioration ni péjoration. Il souffrait encore de symptômes dépressifs et anxieux avec une difficulté à faire face aux contraintes et une intolérance au stress. Il avait tendance à s’isoler, suivait un traitement psychiatrique et psychothérapeutique intégré espacé mais régulier qu’il devait garder. Celui-ci avait pour objectif principal de lui permettre une stabilité dans sa vie de tous les jours. Il souffrait d’un trouble psychique chronique, sans possibilité d’amélioration ces prochaines années.

j. D’après le certificat médical du Dr E______ du 19 septembre 2017, A______ se plaignait toujours de douleurs à la face postérieure de la malléole interne de la jambe gauche. Une IRM n’avait pas permis de conclure à une lésion tendineuse correspondant à cette clinique. Ces symptômes étaient également à corréler avec une infiltration des parties molles de la cheville à l’IRM, sans signe d’ostéite sous-jacente. Si les douleurs devaient s’accentuer, une biopsie osseuse pouvait être discutée. Le traitement suivi du point de vue chirurgical était terminé dans la mesure où le matériel avait été enlevé. Le traitement de l’ostéomyélite était également terminé dès lors que le patient avait bénéficié pendant trois mois d’une double antibiothérapie. Désormais, seul était préconisé un suivi clinique avec un traitement antalgique selon nécessité.

B. a. Le 5 mai 2014, l’intéressé a déposé plainte pénale pour les faits du 29 mars 2014 à l’encontre de B______.

Ce soir-là, il s’était rendu au bar pour regarder à la télévisions les élections politiques en Turquie. Alors qu’il était sorti fumer une cigarette, B______ était arrivé soudainement et avait agressé un compatriote. Tandis qu’il avait essayé de les séparer, B______ avait commencer à lui donner des coups à la jambe et lui avait cassé le pied.

b. Ce dernier a également déposé plainte pénale contre A______ le 20 juin 2014 et contesté l’avoir agressé. Ils s’étaient bagarrés et A______ s’était blessé en chutant.

c. Les éléments suivants ressortent de l’instruction pénale :

- selon le rapport de renseignements établi par la police le 12 novembre 2014, le soir des faits, les autres personnes présentes avaient rapidement quitté les lieux afin de ne pas être identifiées, le patron de l’établissement n’avait pas souhaité répondre à leurs questions ou se rendre au poste de gendarmerie pour être auditionné, B______ était craint par la communauté turque et kurde pour ses antécédents judiciaires et son taux d’alcool dans le sang était alors de 0,39 ‰ ;

- les trois seuls témoins entendus n’avaient pas été en mesure de relater précisément les faits.

d. Par ordonnance pénale du 8 août 2016 (procédure pénale 1______), entrée en force, le Ministère public a reconnu B______ coupable de lésions corporelles simples à l’endroit de A______, l’a condamné à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à CHF  50.- le jour, l’a mis au bénéfice du sursis et a fixé le délai d’épreuve à trois ans. Au surplus, il a renvoyé A______ à agir par la voie civile pour ses éventuelles conclusions civiles.

Il était reproché à B______ d’avoir, le 29 mars 2014, devant l’établissement, blessé A______ au niveau de la jambe, lui occasionnant une fracture ouverte 1/3 distal de la jambe gauche Gustillo II A. Plusieurs témoins valablement convoqués ne s’étaient pas présentés aux diverses audiences d’instruction. Les témoins F______, G______ et H______ n’avaient pas été en mesure de relater précisément le déroulement des faits. Le docteur I______ avait expliqué que le type de fracture subie par A______ correspondait à un mécanisme de torsion. Au vu du dossier médical de l’intéressé, il était plus envisageable qu’il y eût eu un choc sur la jambe, plutôt qu’une simple chute. Les lésions présentées correspondaient au récit de A______.

e. Le 10 janvier 2018, A______ a sommé B______ de lui verser les sommes de CHF 54'157.50 à titre de préjudice ménager, CHF 4'050.- à titre de préjudice d’assistance (les soins à sa personne [toilette, douche et habillement] avaient été réalisés par son épouse), CHF 400.- à titre de dommage matériel, CHF 600.- à titre de frais de déplacement, CHF 2'897.40 à titre de frais médicaux et CHF 15'000.- à titre de tort moral, soit un total de CHF 99'708.25 au 5 décembre 2017, avec intérêts à 5 % l’an.

Une réquisition de poursuite dirigée contre B______ a été adressée à l’office des poursuites (ci-après : OP).

f. Le même jour, il a déposé une requête en indemnisation auprès de l'instance d'indemnisation LAVI (ci-après : instance LAVI), en concluant à l’allocation d’une somme de CHF 15'000.- à titre de réparation du tort moral.

Était notamment jointe une photographie de sa jambe, montrant une cicatrice relativement grande.

g. Le 16 janvier 2018, l’instance LAVI en a accusé réception, en l’informant que son dossier était gardé en suspens jusqu’à l’issue de la procédure de recouvrement dirigée à l’encontre de B______.

h. Le 18 juin 2018, l’OP a rendu une décision de non-lieu de notification du commandement de payer, faute de domicile connu de B______.

i. Lors de son audition du 4 octobre 2018 par-devant l’instance LAVI, A______ a expliqué avoir toujours mal à sa jambe. S’il marchait trop longtemps, il devait s’arrêter. Le port de poids surchargeait sa jambe. Il devait encore mettre de la crème et faire de la physiothérapie. Il consultait le Dr F______ tous les deux ou trois mois. Il avait une grosse cicatrice et ne pouvait de ce fait pas mettre de pantalons courts. Sa vie de famille avait changé. Il avait dû payer des frais pour se faire soigner.

À cette occasion, A______ a été informé du fait que s’il entendait faire valoir des préjudices autre que le tort moral, il devait agir sur le plan civil préalablement.

j. Le 13 novembre 2020, une demande en paiement à l’encontre de B______ a été introduite auprès du Tribunal civil de première instance (ci-après : TPI).

k. Par ordonnance du 11 mars 2021, la cause a été suspendue jusqu’à droit connu en matière civile.

l. Par jugement du 29 novembre 2021, statuant par défaut en l’absence de réaction de B______, sans domicile ni résidence connus, le TPI l’a condamné à verser à A______ les sommes suivantes :

- CHF 46'237.50 à titre de préjudice ménager passé, avec intérêts à 5 % l’an dès le 1er juillet 2017 ;

- CHF 131'522.05 à titre de préjudice ménager futur, avec intérêts à 5 % l’an dès le 14 juillet 2020 ;

- CHF 4'050.- à titre de dommage d’assistance, avec intérêts à 5 % l’an dès le 6 juillet 2015 ;

- CHF 400.- à titre de dommage matériel (habits endommagés), avec intérêts à 5 % l’an dès le 30 mars 2014 ; CHF 600.- à titre de dommage matériel (frais de déplacement), avec intérêts à 5 % l’an dès le 30 mars 2017 ;

- CHF 10'000.- à titre de tort moral, avec intérêts à 5 % l’an dès le 29 mars 2014 ;

- CHF 10'650.- à titre de frais de procédure et CHF 10'000.- à titre de dépens.

Les montants retenus à titre de préjudice ménager étaient déterminés par le TPI sur la base des allégations de A______, comparées aux données statistiques ressortant de l’enquête suisse de la population active (ci-après : ESPA) effectuée par l’office fédéral de la statistique. Le dommage d’assistance était admis, les faits étant considérés comme établis vu l’absence de toute contestation du défendeur. Le fait que l’épouse de A______ n’avait pas été rémunérée pour son assistance n’était pas pertinent, au vu de la nature abstraire du dommage. L’indemnité pour tort moral demandée avait été réduite à CHF 10'000.-, vu les souffrances endurées du fait de l’agression elle-même, des hospitalisations répétées, de la persistance de douleurs chroniques, des limitations fonctionnelles et du préjudice esthétique, vu le montant des indemnités accordées dans d’autres cas autrement plus sévères.

Ledit jugement est entré en force de chose jugée.

m. Par courrier du 24 août 2022, A______ a modifié ses conclusions en indemnisation, en concluant à ce que l’instance LAVI lui alloue un montant de CHF 10'000.- à titre de tort moral ; de CHF 10'650.- à titre de remboursement des frais de procédure civile ; de CHF 10'000.- à titre de dépens obtenu dans le cadre de la procédure civile ; constate son droit à un montant de CHF 177'759.55 à titre de préjudice ménager passé et futur et à CHF 4'050.- à titre de préjudice d’assistance et lui alloue sur cette base la somme de CHF 120'000.- correspondant au maximum prévu par la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions du 23 mars 2007 (LAVI - RS 312.5).

n. Par décision du 6 octobre 2022, notifiée le 31 mars 2023, l’instance LAVI a partiellement admis la requête de A______ en lui allouant la somme de CHF 5'000.- à titre de réparation morale.

Ses prétentions en indemnisation de ses frais de procédure et d’avocat ne pouvaient pas être admises, celles-ci étant du ressort du centre LAVI.

Le requérant n’avait pas prouvé ni allégué avoir supporté des frais supplémentaires en lien avec l’activité ménagère à la suite des faits dont il avait été victime. Le montant auquel il prétendait à titre de préjudice ménager était entièrement fondé sur des données statistiques. Il s’agissait d’un dommage normatif dont l’indemnisation était exclue par la loi. Il en allait de même du dommage d’assistance dont il se prévalait. Les soins ayant été exécutés par son épouse, il n’avait supporté aucun frais supplémentaire à ce titre.

L’atteinte à l’intégrité corporelle du requérant consistait en une fracture ouverte au niveau du membre inférieur gauche, dont le processus de guérison avait été marqué par différentes complications, lesquelles avaient eu des conséquences sur sa vie privée et familiale. Le requérant avait également présenté une rechute dépressive et anxieuse d’intensité moyenne à la suite des faits en question. Sur le plan physique, plus de quatre ans après, il se plaignait encore de douleurs à la jambe, pour lesquelles seuls un traitement antalgique pouvait désormais être envisagé. Les limitations physiques importantes alléguées par le requérant n’étaient étayées par aucune pièce du dossier. Compte tenu de la position de la cicatrice sur sa jambe, celle-ci pouvait facilement être dissimulée.

Son état psychique était stable depuis février 2015. L’impact psychique des faits en question était difficile à mesurer dès lors que le requérant était déjà au bénéfice d’une rente AI en raison de troubles psychiatriques préexistants.

Au vu de ces éléments, notamment des complications endurées à la suite de la lésion subie et compte tenu de la pratique de l’instance LAVI, une somme de CHF 10'000.- était de nature à tenir compte de manière équitable et proportionnée du traumatisme qu’il avait subi. Les circonstances ayant entouré l’altercation du 29 mars 2014 étant peu claires et les éléments du dossier faisant état d’une bagarre ou d’une altercation qui aurait dégénéré entre le requérant et l’auteur à la suite d’un différend intervenu entre eux au sujet de la situation géopolitique entre la Turquie et les Kurdes. En s’adonnant à un tel débat, portant sur un sujet particulièrement sensible, en période d’élections politiques, avec un individu ayant consommé de l’alcool, notoirement connu pour ses antécédents judiciaires et craint pour cela par la communauté turque et kurde, et en laissant la situation dégénérer jusqu’à en venir aux mains, en lieu et place de quitter les lieux ou de prendre de la distance, le requérant n’avait pas pris toutes les mesures exigées par les circonstances pour éviter la survenance du préjudice, son attitude contribuant à aggraver, ou à tout le moins, à maintenir le climat de tension préexistant jusqu’à ce que l’altercation éclate immédiatement. Cela justifiait de réduire l’indemnité pour tort moral de 50 %.

C. a. Par acte du 17 mai 2023, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, en concluant à son annulation et à la condamnation de l’instance LAVI à lui payer les sommes de CHF 4'050.- et CHF 10'000.-.

Dès lors que le TPI avait admis le préjudice d’assistance allégué, l’instance LAVI ne pouvait retenir, sous peine de violer son droit d’être entendu, que le préjudice d’assistance suivait le sort du préjudice ménager, alors que l’art. 19 al. 4 LAVI visait les soins aux proches de la victime, et non ceux nécessités par celle-ci.

Les éléments retenus par l’instance LAVI pour justifier la réduction de 50 % du montant accordé à titre de tort moral n’étaient pas fondés sur le dossier pénal. Au contraire, son médecin avait confirmé que les lésions présentées correspondaient à son récit et qu’aucun élément de preuve objectif ne permettait d’accréditer les accusations de l’auteur. Sa version était partiellement confirmée par un témoin. Aucune faute concomitante pouvait lui être imputée.

Étaient notamment jointes copies :

- de l’ordonnance de classement du Ministère public du 8 août 2016 le concernant (procédure pénale 1______). Il en ressortait que les déclarations du Dr J______ avaient permis de confirmer que les lésions présentées par A______ correspondaient à son récit, de sorte que B______ avait été reconnu coupable de lésions corporelles simples. Compte tenu des déclarations contradictoires des parties et des témoignages vagues et imprécis des divers témoins entendus au cours de l’instruction, aucun élément de preuve objectif ne permettait d’accréditer les accusations portées par B______ à l’encontre de A______. Ainsi, aucun soupçon qui justifierait une mise en accusation n’était établi ;

- du procès-verbal d’audience du témoin F______ du 20 février 2015 par-devant le Ministère public. Celui-ci avait alors notamment déclaré ne pas avoir été témoin oculaire des faits. Le soir des faits, A______ et lui fumaient une cigarette à l’extérieur du bar, lorsque B______ était passé une première fois en voiture devant l’établissement. Ce dernier avait alors crié « Nevzat ». F______ était ensuite rentré dans le bar, sans penser qu’il allait se produire quoi que ce soit, car ces deux personnes se connaissaient. B______ est passé une seconde fois en voiture. Il était ressorti du bar et avait alors vu A______ sur le sol avec la jambe cassée. Comme les autres personnes présentes, il n’avait pas vu le déroulement de l’altercation. Il avait seulement vu A______ avec la jambe cassée. B______ lui avait dit qu’il n’y avait pas eu de problème entre eux, tandis que A______ lui avait indiqué que le premier l’aurait insulté, poussé avant de lui casser la jambe. Selon lui, B______ était une personne agressive, raison pour laquelle, une année auparavant, il avait attiré son attention en lui demandant de ne pas venir trop souvent au bar. Il ne pouvait pas dire si c’était B______ qui avait frappé A______. Celui-ci criait tout le temps, il était alcoolisé. A______ était une personne âgée, il avait presque l’âge du père de B______. Il considérait que ce qui s’était produit était honteux.

b. L’instance LAVI a conclu au rejet du recours.

Selon les travaux législatifs et recommandations y relatifs, l’art. 19 al. 4 LAVI s’appliquait également aux soins prodigués à la victime par des proches. La question de la compétence de l’instance LAVI pouvait se poser quant aux prétentions du recourant, le préjudice d’assistance réclamé relevant davantage de l’aide à plus long terme incombant au centre LAVI. Cette question pouvait toutefois demeurer indécise dès lors que l’art. 19 al. 4 LAVI était pleinement applicable in casu et que le recourant n’avait pas démontré avoir supporté une diminution de son patrimoine en lien avec le préjudice allégué.

Les déclarations du Dr I______ permettaient tout au plus de confirmer la version des faits du recourant, selon laquelle l’origine de la fracture était liée à des coups reçus, et non à une simple chute comme le soutenait l’auteur. Elles ne permettaient en revanche pas d’exclure le fait que ladite fracture se soit produite au cours d’une bagarre opposant l’auteur et le recourant. L’existence d’une altercation entre l’auteur et le recourant n’avait pas été exclue, bien que l’origine et les motifs de l’altercation demeurassent flous. Seuls les éléments constitutifs d’une infraction pénale n’avaient pas été réalisés. L’existence d’une bagarre et d’un potentiel contentieux opposant l’auteur et le recourant avaient été établis, Les éléments nouveaux apportés par le recourant ne permettaient pas de retenir une solution différente.

c. Le recourant a répliqué en persistant dans ses conclusions et précédents développements.

d. Sur quoi, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10 ; art. 19 de la loi d'application de la LAVI du 11 février 2011 - LaLAVI - J 4 10).

2.             Vu les conclusions du recourant, seules demeurent litigieuses les questions liées à la prise en charge du préjudice d’assistance en CHF 4'050.- et à la réduction de l’indemnité pour tort moral de CHF 10'000.- à CHF 5'000.-.

2.1 Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a) et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b) ; les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

2.2 Il est incontesté que le recourant a la qualité de victime (art. 1 al. 1 LAVI) et que le délai de péremption de cinq ans de l'art. 25 al. 1 LAVI a été respecté.

3.             Le recourant demande l’indemnisation du préjudice d’assistance qu’il aurait subi du fait de la nécessité de faire appel à son épouse pour des soins personnels.

3.1 Selon l’art. 19 LAVI, la victime et ses proches ont droit à une indemnité pour le dommage qu’ils ont subi du fait de l’atteinte ou de la mort de la victime (al. 1). Le dommage est fixé selon les art. 45 (dommages-intérêts en cas de mort) et 46 CO (dommages-intérêts en cas de lésions corporelles). Les al. 3 et 4 sont réservés (al. 2). Le dommage aux biens et le dommage pouvant donner lieu à des prestations d’aide immédiate et d’aide à plus long terme au sens de l’art. 13 LAVI ne sont pas pris en compte (al. 3). Le préjudice lié à l’incapacité d’exercer une activité ménagère ou de prodiguer des soins aux proches, n’est pris en compte que s’il se traduit par des frais supplémentaires ou par une diminution de l’activité lucrative (al. 4).

3.2 Selon le message du Conseil fédéral concernant la révision de la LAVI, l’art. 19 LAVI fixe les conditions du droit à une indemnisation pour la diminution involontaire du patrimoine (le dommage) subie par la victime ou ses proches. Lors de la procédure de consultation, plusieurs participants ont souhaité une délimitation claire entre le préjudice couvert par l’indemnisation et celui couvert par l’aide à plus long terme. Plusieurs cantons et la Conférence suisse des offices de liaison de la LAVI (ci‑après : CSOL-LAVI) ont en outre proposé d’exclure le préjudice ménager en tant que dommage normatif. Le projet prévoit que, d’une manière générale, les principes du droit de la responsabilité civile sont applicables pour la détermination du dommage. Mais certains postes du dommage sont exclus. Il s’agit d’une part de postes du dommage dont l’indemnisation irait au-delà des objectifs de l’aide aux victimes et d’autre part de postes qui sont pris en considération par la loi d’une autre manière. La précision des dommages déterminants proposée, en relation avec la clarification du but et de la durée de l’aide offerte par les centres de consultation selon l’art. 13 LAVI, permet de définir clairement ce qui est couvert à titre d’indemnisation et ce qui l’est à titre d’aide (FF 2005 6735).

L’art. 19 al. 4 LAVI permet de prendre en compte le dommage lié aux activités dans le ménage, dans la mesure où il a des conséquences financières concrètes ; en effet, l’indemnisation d’un dommage qui ne serait pas effectivement subi n’est pas compatible avec l’objectif social de la LAVI. S’inspirant des propositions faites lors de la procédure de consultation, la réglementation proposée s’éloigne de la pratique actuelle. En effet, la pratique en cours s’aligne sur le droit civil et reconnaît le préjudice ménager en tant que « dommage normatif ». La particularité de ce dommage tient au fait qu’il est compensé sans preuve de l’existence de frais supplémentaires. Le préjudice lié aux soins ou à l’assistance apportés aux proches est indemnisé selon les mêmes principes en droit civil. Contrairement au droit de la responsabilité civile, l’aide aux victimes ne vise pas à replacer la victime dans la situation financière qui était la sienne avant l’infraction ; les dommages qui n’ont pas pour conséquence une diminution du patrimoine ne sont pas pris en compte lors de la détermination du dommage. Dès lors, le préjudice ménager ou lié à l’incapacité de prodiguer des soins aux proches n’est indemnisé que s’il entraîne une diminution du patrimoine, par la nécessité d’engager un auxiliaire ou par la diminution de gain résultant de la réduction de l’activité lucrative. Cette réduction de l’activité lucrative peut être aussi bien celle de la victime que celle des proches qui font ménage commun avec elle ou lui fournissent des soins. Il ne sera en revanche plus possible d’indemniser le préjudice ménager lorsque la victime préfère supporter une baisse de qualité de l’entretien de son ménage ou s’occuper elle-même de ce dernier au prix de plus grands efforts, de même que lorsque les proches assument le surcroît de travail sans recourir à une aide extérieure, ni réduire leur activité lucrative. Le dommage est calculé selon le droit de la responsabilité civile (art. 45 al. 2 et 42 CO ; FF 2005 6736 s.).

Les recommandations de la CSOL-LAVI du 21 janvier 2010 confirment que, dans le cadre de l’aide immédiate et à plus long terme, les centres de consultation peuvent fournir aux victimes, en cas de besoin et autant que nécessaire, des aides à domicile pour le ménage, la prise en charge des proches et les soins médicaux. L’aide au ménage, la prise en charge des proches et les soins médicaux ne peuvent être fournis à titre de prestations financières (aide immédiate ou contributions aux frais pour l’aide à plus long terme) que s’ils occasionnent effectivement des frais pour la victime, indépendamment de l’intervention de l’aide aux victimes. L’aide gratuite apportée habituellement par des proches, amis, voisins, etc. en vertu de leur devoir d’entretien et d’assistance et des règles de bon voisinage, ne peut pas faire l’objet d’une prestation financière de la LAVI (Recommandations CSOL-LAVI, n° 3.3.4 p. 24 s.).

Un dommage est pris en compte par l’aide aux victimes s’il se traduit par des effets financiers concrets. Le dommage dit normatif, qui, au sens de la théorie de la différence, ne conduit pas à une baisse du patrimoine et donc à un dommage effectif, ne donne pas droit à une indemnisation à titre d’aide aux victimes. Le préjudice ménager et les dommages liés à la prise en charge des proches et les soins médicaux ne sont donc déterminants pour l’aide aux victimes que s’ils entraînent effectivement (Recommandations CSOL-LAVI, n° 4.5 p. 36 s.).

3.3 En l’occurrence, tel que l’a retenu l’intimée, le recourant n’apporte aucune précision quant aux éventuels frais financiers qu’aurait généré la nécessité pour son épouse de lui prêter assistance. Il ressort d’ailleurs du jugement du TPI du 13 novembre 2020, que le dommage d’assistance allégué n’a été admis que sur la base d’absence de contestation en raison du défaut du défendeur et sur la nature abstraite du dommage.

Or, contrairement à ce que soutient le recourant, le législateur fédéral a expressément manifesté son intention d’exclure le dommage normatif, y compris dans l’hypothèse de soins apportés à la victime par son entourage proche.

En outre, force est de relever que, conformément à l’intention du législateur, le fait que l’épouse du recourant prenne soin de lui répond à un devoir que les époux se doivent mutuellement.

Par conséquent, c’est à bon droit que l’intimée a rejeté les conclusions du recourant à cet égard. Ce grief sera écarté.

4.             Le recourant considère que l’indemnité pour tort moral de CHF 5'000.- serait insuffisante.

4.1 Selon l'art. 22 al. 1 LAVI, la victime et ses proches ont droit à une réparation morale lorsque la gravité de l'atteinte le justifie ; les art. 47 et 49 CO s'appliquent par analogie. Celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité a droit à une somme d’argent à titre de réparation morale, pour autant que la gravité de l’atteinte le justifie et que l’auteur ne lui ait pas donné satisfaction autrement (art. 49 al. 1 CO). Le juge peut, en tenant compte de circonstances particulières, allouer à la victime de lésions corporelles ou, en cas de mort d’homme, à la famille une indemnité équitable à titre de réparation morale (art. 47 CO).

La réparation morale constitue un droit (FF 2005 6742). Le système d'indemnisation instauré par la LAVI et financé par la collectivité publique n'en demeure pas moins subsidiaire par rapport aux autres possibilités d'obtenir réparation que la victime possède déjà (art. 4 LAVI ; ATF 131 II 121 consid. 2 ; 123 II 425 consid. 4b/bb). Les prestations versées par des tiers à titre de réparation morale doivent être déduites du montant alloué par l’instance LAVI (art. 23 al. 3 LAVI). La victime doit ainsi rendre vraisemblable qu’elle ne peut rien recevoir de tiers ou qu’elle ne peut en recevoir que des montants insuffisants (ATF 125 II 169 consid. 2cc).

4.2 En vertu de l’art. 23 LAVI, le montant de la réparation morale est fixé en fonction de la gravité de l’atteinte (al. 1). Il ne peut excéder CHF 70'000.- lorsque l’ayant droit est la victime (let. a) et CHF 35'000.- lorsque l’ayant droit est un proche (let. b ; al. 2).

Le législateur n'a pas voulu assurer à la victime une réparation pleine, entière et inconditionnelle du dommage qu'elle a subi (ATF 131 II 121 consid. 2.2 ; 129 II 312 consid. 2.3 ; 125 II 169 consid. 2b/aa). Ce caractère incomplet est particulièrement marqué en ce qui concerne la réparation du tort moral, qui se rapproche d'une allocation ex aequo et bono (arrêt du Tribunal fédéral 1C_48/2011 du 15 juin 2011 consid. 3 ; ATA/1291/2022 du 20 décembre 2022 consid. 6c et les références citées).

L’ampleur de la réparation dépend avant tout de la gravité de l’atteinte – ou plus exactement de la gravité de la souffrance ayant résulté de cette atteinte, car celle-ci, quoique grave, peut n’avoir que des répercussions psychiques modestes, suivant les circonstances – et de la possibilité d’adoucir la douleur morale de manière sensible, par le versement d’une somme d’argent (ATF 137 III 303 consid. 2.2.2 ; 129 IV 22 consid. 7.2 ; 115 II 158 consid. 2 et les références citées). Sa détermination relève du pouvoir d’appréciation du juge (ATF 137 III 303 consid. 2.2.2 ; 116 II 299 consid. 5a). Il est nécessaire de préciser l'ensemble des circonstances et de s'attacher surtout aux souffrances ayant résulté de l'atteinte. Les souffrances psychologiques résultant de l'agression, tel le sentiment d'insécurité ou la perte de confiance en soi, ne doivent pas être négligées (ATA/1291/2022 précité consid. 7c).

La détermination de l'indemnité relève du pouvoir d’appréciation du juge. En raison de sa nature, elle échappe à toute fixation selon des critères mathématiques (ATF 117 II 60 consid. 4a/aa et les références citées). L’indemnité pour tort moral est destinée à réparer un dommage qui, par sa nature même, ne peut que difficilement être réduit à une simple somme d’argent. C’est pourquoi son évaluation chiffrée ne saurait excéder certaines limites. Néanmoins, l’indemnité allouée doit être équitable. Le juge en proportionnera donc le montant à la gravité de l’atteinte subie et il évitera que la somme accordée n’apparaisse dérisoire à la victime. S’il s’inspire de certains précédents, il veillera à les adapter aux circonstances actuelles (ATF 129 IV 22 consid. 7.2 ; 125 III 269 consid. 2a ; 118 II 410 consid. 2a).

4.3 En matière de réparation du tort moral, une comparaison avec d'autres causes ne doit intervenir qu'avec circonspection, puisque le tort moral ressenti dépend de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce. Cela étant, une comparaison peut se révéler, suivant les occurrences, un élément utile d'orientation (ATF 138 III 337 consid. 6.3.3 ; 130 III 699 consid. 5.1).

La chambre administrative se fonde sur la jurisprudence rendue en la matière, et, vu le renvoi opéré par l’art. 22 al. 1 LAVI, sur la jurisprudence rendue en matière d’indemnisation du tort moral sur la base de l’art. 49 CO (SJ 2003 II p. 7) ou, le cas échéant, l’art. 47 CO, étant précisé que, au sens de cette disposition, des souffrances psychiques équivalent à des lésions corporelles (arrêt du Tribunal fédéral 6B_246/2012 du 10 juillet 2012 consid. 3.1.1). Le système d’indemnisation du tort moral prévu par la LAVI répond à l’idée d’une prestation d’assistance et non pas à celle d’une responsabilité de l’État ; la jurisprudence a ainsi rappelé que l’utilisation des critères du droit privé est en principe justifiée, mais que l’instance LAVI peut au besoin s’en écarter (ATF 129 II 312 consid 2.3 ; 128 II 49 consid. 4.1 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_244/2015 du 7 août 2015 consid. 4.1) ou même refuser le versement d’une réparation morale. Une réduction du montant de l’indemnité LAVI par rapport à celle octroyée selon le droit privé peut en particulier résulter du fait que la première ne peut pas tenir compte des circonstances propres à l’auteur de l’infraction (ATF 132 II 117 consid. 2.2.4 et 2.4.3).

La LAVI prévoit un plafonnement des indemnisations pour tort moral, laissant une large liberté d'appréciation au juge pour déterminer une somme équitable dans les limites de ce cadre (ATF 117 II 60 ; 116 II 299 consid. 5.a). Il implique que les montants alloués en vertu de la LAVI sont clairement inférieurs à ceux alloués selon le droit privé. Sans avoir voulu instaurer une réduction systématique et proportionnelle des montants alloués en vertu du droit privé, le législateur a fixé les plafonds environ aux deux tiers des montants de base généralement attribués en droit de la responsabilité civile (arrêt du Tribunal fédéral 1C_583/2016 du 11 avril 2017 consid. 4.3 et les références citées).

4.4 Selon le Conseil fédéral, pour les infractions commises dès le 1er janvier 2009, les montants alloués sont calculés selon une échelle dégressive indépendante des montants accordés habituellement en droit civil, même si ceux-ci peuvent servir à déterminer quels types d'atteintes donnent lieu à l'octroi des montants les plus élevés. La fourchette des montants à disposition est plus étroite qu'en droit civil, les montants les plus élevés devant être réservés aux cas les plus graves (FF 2005 6745).

Le Conseil fédéral a proposé un ordre de grandeur qui, pour la victime, prévoit les montants suivants : montants proches du plafond pour les cas les plus graves, qui coïncident en règle générale avec une invalidité à 100 %, CHF 55'000.- à 70'000.- en cas de mobilité et/ou fonctions intellectuelles et sociales très fortement réduites (par exemple tétraplégie), CHF 40'000.- à 55'000.- en cas de mobilité et/ou fonctions intellectuelles et sociales fortement réduites (par exemple paraplégie, cécité ou surdité totale), CHF 20'000.- à 40'000.- en cas de mobilité réduite, perte d’une fonction ou d’un organe importants (par exemple hémiplégie, perte d’un bras ou d’une jambe, atteinte très grave et douloureuse à la colonne vertébrale, perte des organes génitaux ou de la capacité de reproduction, grave défiguration) et moins de CHF 20'000.- en cas d'atteintes de gravité moindre (par exemple perte du nez, d’un doigt, de l’odorat ou du goût). Des listes semblables pour les atteintes à l’intégrité psychique ou à l’intégrité sexuelle pouvaient être établies (FF 2005 6745).

4.5 Ces montants ont été repris dans les directives de l'office fédéral de la justice (ci-après : OFJ), à savoir le Guide relatif à la fixation du montant de la réparation morale à titre d'aide aux victimes d'infractions à l'intention des autorités cantonales en charge de l'octroi de la réparation morale à titre de LAVI, rédigé en octobre 2008 (ci-après : le guide). Ce guide a été entièrement remanié et s'intitule désormais « Guide relatif à la fixation du montant de la réparation morale selon la LAVI » du 3 octobre 2019.

Pour les victimes ayant subi une atteinte grave à l'intégrité physique, le guide prévoit les fourchettes suivantes : CHF 50'000.- à CHF 70'000.- en cas d'atteintes corporelles gravissimes entraînant une incapacité de travail permanente (tétraplégie, lésions cérébrales gravissimes, perte des deux yeux), CHF 20'000.- à CHF 50'000.- en cas d'atteintes corporelles graves avec séquelles permanentes et traumatisme psychique sévère dus à des actes d’une violence exceptionnelle (cicatrices aliénantes, traumatisme crânien sévère, perte d’un œil, d’un bras ou d’une jambe, lésions critiques et douloureuses de la colonne vertébrale, perte de l’ouïe), CHF 10'000.- à CHF 20'000.- en cas d'atteintes corporelles avec séquelles durables (perte de la rate, d’un doigt, de l’odorat ou du goût), CHF 5'000.- à CHF 10'000.- en cas d'atteintes corporelles à la guérison plus lente et plus complexe avec séquelles tardives (éventuelles opérations, longues réhabilitations, dégradation de la vue, paralysie intestinale, sensibilité accrue aux infections), jusqu’à CHF 5'000.- en cas d'atteintes corporelles non négligeables, en voie de guérison ou d'atteintes de peu de gravité avec circonstances aggravantes (fractures, commotions cérébrales ; guide, p. 10).

Les fourchettes concernant les victimes ayant subi une atteinte grave à l'intégrité psychique ne s’appliquent que lorsque seule l’intégrité psychique est gravement atteinte, avec tout au plus des atteintes de bien moindre importance à l'intégrité physique ou sexuelle. En revanche, lorsque l'atteinte grave à l'intégrité psychique va de pair avec une atteinte à l'intégrité physique ou sexuelle, elle est une conséquence ou une circonstance aggravante de cette dernière, auquel cas la prétention et le montant de la réparation seront déterminés par les fourchettes applicables à la première atteinte. On procède alors comme pour l'application du principe de l'aggravation des peines (guide, p. 14). Les fourchettes pour atteinte grave à l'intégrité psychique prévues par les guide sont les suivantes : CHF 15'000.- à CHF 40'000.- en cas d'atteinte à l’intégrité psychique très sévère suite à une violence à l’impact exceptionnel qui a laissé des séquelles psychiques permanentes, de grandes difficultés à affronter le quotidien, une aptitude au travail durablement limitée sinon anéantie (par exemple maltraitance sévère pendant plusieurs années durant l’enfance ayant causé une atteinte grave à l’intégrité psychique, par exemple avec une aptitude au travail durablement limitée), CHF 5'000.- à CHF 25'000.- en cas d' atteinte à l’intégrité psychique sévère en raison de circonstances dramatiques avec de lourdes séquelles (traitement psychothérapeutique reconnu ou incapacité de travail prolongée, par exemple vol à main armée particulièrement brutal sans séquelles corporelles ou séquestration ayant causé une atteinte durable à l’intégrité psychique) et jusqu’à CHF 5'000.- en cas d'atteinte à l’intégrité psychique non négligeable même si temporaire avec circonstances aggravantes déterminées par l’acte, par exemple utilisation d'armes ou d'autres objets dangereux, commission en groupe, acte commis dans un cadre protégé, récidive : longue période et fréquence (par exemple vol à main armée, menaces de mort appuyées et répétées ; guide, p. 15).

L’autorité prend en compte les conséquences directes de l'acte, le déroulement de l'acte et les circonstances et la situation de la victime (guide, p. 11, 13 et 16).

Ces directives ne sauraient certes lier les autorités d'application. Toutefois, dans la mesure où elles concrétisent une réduction des indemnités LAVI par rapport aux sommes allouées selon les art. 47 et 49 CO, elles correspondent en principe à la volonté du législateur et constituent une référence permettant d'assurer une certaine égalité de traitement, tant que le Conseil fédéral n'impose pas de tarif en application de l'art. 45 al. 3 LAVI (arrêt du Tribunal fédéral 1C_583/2016 du 11 avril 2017 consid. 4.3). Dans un souci d'application uniforme et équitable de la loi, il peut être tenu compte des recommandations qui y sont mentionnées (ATA/661/2022 du 23 juin 2022 consid. 4b).

4.6 Conformément à la jurisprudence, l'instance LAVI est en principe liée par les faits établis au pénal, mais non par les considérations de droit ayant conduit au prononcé civil. Elle peut donc, en se fondant sur l'état de fait arrêté au pénal, déterminer le montant de l'indemnité allouée à la victime sur la base de considérations juridiques propres. L’autorité LAVI doit se livrer à un examen autonome de la cause (ATF 129 II 312 consid. 2.8 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_34/2014 du 16 mai 2014 consid. 2.3 ; 1C_182/2007 du 28 novembre 2007 consid. 6 ; ATA/1232/2021 du 16 novembre 2021 consid. 5c). Il sera au surplus relevé qu'en l'espèce, le Tribunal correctionnel a rendu son jugement, portant également sur les conclusions civiles, en procédure simplifiée.

4.7 En l’espèce, il sied d’emblée de souligner que, conformément à la jurisprudence susrappelée, l’intimée n’était pas tenue par les motifs et les conclusions du TPI dans le cadre de la détermination du tort moral. Seuls les faits retenus par l’autorité pénale la lient.

Le Ministère public a condamné B______ pour les faits survenus le 29 mars 2014, tandis qu’il a classé la plainte dirigée à l’encontre du recourant. À cette fin, compte tenu de la difficulté d’obtenir des témoignages précis, il s’est principalement fondé sur l’expertise du Dr I______, qui confirmait que la version des faits relatés par le recourant était davantage crédible. Cette version est corrélée par les déclarations du témoin F______, selon lesquelles l’auteur était connu pour son agressivité et ivre ce soir-là.

Or, il ne ressort pas du dossier pénal produit qu’une faute aurait été retenue à charge du recourant. L’autorité intimée ne pouvait donc retenir un tel critère de réduction du tort moral.

Cela étant, compte tenu des blessures dont le recourant a souffert subséquemment aux faits en cause et des soins que ceux-ci ont impliqués, ainsi que de l’aggravation de la fragilité de son état psychique préexistante, il n’en demeure pas moins que le montant de CHF 5'000.- apparaît proportionné. En effet, conformément au guide précité, l’atteinte subie par le recourant se rapproche d’atteintes non négligeables, voire d’atteintes corporelles graves à la guérison plus lente et plus complexe avec séquelles tardives, pour lesquelles le montant maximum de la réparation est de CHF 10'000.-. En l’occurrence, il ressort du certificat médical du Dr F______ du 19 septembre 2017 qu’aucune lésion n’avait été décelée, que le traitement chirurgical et de l’ostéomyélite était terminé. Seul un suivi clinique avec un traitement antalgique selon nécessité était préconisé. S’il est vrai que le recourant semble désormais limité dans ses mouvements quant à l’utilisation de sa jambe gauche laquelle revêt désormais une cicatrice, il n’en est pas pour autant immobilisé ni défiguré. Il conserve la capacité de se mouvoir et sa cicatrice reste peu visible de par son emplacement et sa taille. Le montant accordé correspond donc aux barèmes précités pour l’atteinte à l’intégrité physique et psychique dont le recourant a été victime, étant rappelé que l’instance LAVI n’est pas tenue par le montant de CHF 10'000.- octroyé par le juge civil à titre d’indemnité pour tort moral.

Il convient ainsi de constater, par substitution de motifs, que l’allocation d’un montant de CHF 5'000.- au titre d’indemnité pour tort moral par l’instance LAVI ne viole ni la loi ni ne consacre un abus du pouvoir d’appréciation de celle-ci.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

5.             Vu la nature de la cause, aucun émolument ne sera prélevé (30 al. 1 LAVI et 87 al. 1 LPA) Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 17 mai 2023 par A______ contre la décision de l’instance d'indemnisation LAVI du 6 octobre 2022, notifiée le 31 mars 2023 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Michael ANDERS, avocat du recourant, à l'instance d'indemnisation LAVI, ainsi qu’à l’office fédéral de la justice.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Florence KRAUSKOPF, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. RODRIGUEZ ELLWANGER

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :