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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1414/2023

ATA/883/2023 du 22.08.2023 ( FPUBL ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1414/2023-FPUBL ATA/883/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 22 août 2023

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Anne MEIER, avocate

contre

COMMUNE DE B______ intimée
représentée par Me Nicolas WISARD, avocat



EN FAIT

A. a. A______, née le ______ 1972, a été engagée par la commune de B______ (ci‑après : la commune) le 1er décembre 2000.

Le 1er septembre 2016, elle a été nommée secrétaire générale adjointe.

b. La commune a traversé une crise institutionnelle en fin d’année 2022, relayée dans la presse. Des dissensions entre les membres du Conseil administratif (ci‑après : CA) au sujet d’une procédure de licenciement ont provoqué une rupture de collégialité, revendiquée par un des membres du CA à la plénière du conseil municipal de décembre 2022.

A______ était chargée de la supervision de ladite procédure de licenciement.

c. Le 9 janvier 2023, deux des trois conseillers administratifs de la commune ont annoncé être en arrêt maladie à 100 % pour une durée indéterminée.

d. Par arrêté du 12 janvier 2023, publié dans la feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève, le Conseil d’État a nommé, en qualité d’administrateurs provisoires de la commune, jusqu’au retour des deux élus, C______ et D______.

Leur mandat consistait à : a) expédier les affaires courantes ; b) prendre toutes mesures conservatoires nécessaires pour préserver les intérêts de la commune, en accord avec le Conseil d’État, respectivement avec l’accord du conseiller d’État chargé de la surveillance des communes ; c) faire régulièrement rapport au Conseil d’État, respectivement au conseiller d’État chargé de la surveillance des communes, sur l’exécution du mandat.

e. Les deux conseillers administratifs absents pour raisons de santé ont repris leurs fonctions fin avril 2023.

f. Pendant la période du 12 janvier à fin avril 2023 :

- le 28 février 2023, le Conseil municipal (ci-après : CM) a été informé du fait que la Cour des Comptes avait répondu positivement à la demande d’audit et d’évaluation de la gestion des ressources humaines de la commune et de certains services ;

- le 2 mars 2023, le secrétaire général de la commune, E______, a informé oralement A______ que son poste allait être fortement modifié ;

- le 6 mars 2023, lors d’un entretien, C______ et E______ ont annoncé à A______ qu’une réorganisation se traduirait vraisemblablement par la suppression de son poste et/ou des deux postes de secrétaire général adjoint ; dès le départ du responsable du service des RH, à fin mars 2023, la supervision de ce service lui serait vraisemblablement retirée ;

- par courrier du 13 mars 2023, A______ a demandé à être entendue dans le cas du remaniement prévu et à ce que les décisions prises lui soient formellement notifiées ;

- lors de l’entretien du 27 mars 2023, E______ a informé A______ de la volonté du CA de réorganiser le département du secrétariat général (ci-après : le département) ;

- lors de la séance du conseil municipal du 28 mars 2023, le CA a communiqué le départ, au 31 mars, du responsable du service des RH et informé de l’ouverture d’une mission de la Cour des Comptes sur la gestion des ressources humaines de la commune, notamment sur la gouvernance et l’organisation de la fonction RH ;

- par courrier du 29 mars 2023, A______ a indiqué qu’elle souhaitait poursuivre son activité pour la commune, même si la fonction de secrétaire générale adjointe devait être supprimée ; elle a proposé plusieurs pistes pour mettre en forme ces propositions et a demandé l’ouverture d’un dialogue ;

- le 4 avril 2023 le CA a décidé de réorganiser le département ;

- par courrier du 5 avril 2023, le CA a informé A______ que, par décision du 4 avril 2023, il avait décidé de réorganiser le département du secrétariat général en réduisant les services placés directement sous la responsabilité dudit département. La structure en place avait donné lieu à un constat mitigé, qu’il détaillait. Des difficultés s’étaient notamment présentées en fin d’année 2022. Le Conseil municipal avait interpellé la Cour des Comptes sur la bonne gouvernance des ressources humaines et sur son sentiment que le CA n’était pas suffisamment soutenu. Sur la base des constats faits et dans l’optique de mettre en place une gouvernance plus simple et plus directe notamment, le CA avait décidé de mesures de réorganisation impliquant notamment la suppression des deux fonctions de secrétaire général adjoint et, par conséquent, du poste qu’elle occupait. La nouvelle organisation serait mise en œuvre à compter du 1er juin 2023. La commune entendait procéder conformément à l’art. 37 du statut du personnel de la commune du 14 octobre 2010 (LC 30 151 ; ci-après : le statut) relatif à la suppression de poste. Elle souhaitait lui soumettre, dans un premier temps et avant de lui proposer d’autres mesures de reconversion professionnelle, deux postes qui paraissaient en phase avec ses aptitudes. Le CA décrivait les postes, les projets de cahier des charges étant annexés. Il la remerciait de lui faire part de sa détermination « sur ce qui précède, respectivement de [votre] intérêt pour l’un ou l’autre, ou les deux postes précités, dans un délai de dix jours dès réception de la présente, par écrit ».

B. a. Par acte du 26 avril 2023, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le courrier précité, qualifié de « décision ». Elle a conclu au constat de la nullité des mesures de réorganisation décidées par le CA le 4 avril 2023 et de la décision du CA du 5 avril 2023 de supprimer son poste ; subsidiairement, la décision du CA du 5 avril 2023 devait être annulée et il devait être constaté qu’elle était injustifiée, la cause devant lui être renvoyée pour nouvelle décision. À la forme, il devait être constaté que le recours avait effet suspensif ; sur mesures provisionnelles, il devait être ordonné à la commune de surseoir à l’exécution de la décision du 5 avril 2023 dont il était recours et, jusqu’à droit jugé sur le présent recours, la procédure de suppression du poste devait être suspendue, il devait être interdit à la commune de poursuivre la procédure de reclassement et de prendre toute décision concernant ses rapports de travail.

Le courrier du 5 avril 2023, remis en mains propres, était une décision et non une mesure d’organisation interne. La décision avait un effet direct sur ses droits et obligations puisque son poste était supprimé. Il s’agissait d’une décision incidente. La décision d’ouverture de la procédure en suppression de poste était à même de lui causer un préjudice irréparable : le statut du personnel ne prévoyait pas la réintégration du fonctionnaire licencié ; ainsi, si la chambre administrative devait retenir que le licenciement était contraire au droit, elle ne pourrait retrouver son poste, ce qui lui créerait un préjudice irréparable. Même le montant maximal de l’indemnité, comprenant par hypothèse une indemnité pour licenciement abusif, ne pourrait réparer le préjudice subi par la perte de son emploi : elle serait de 13.6 mois de salaire alors même qu’elle était âgée de 53 ans et avait 23 ans d’ancienneté au service de la commune. Les deux administrateurs délégués par le Conseil d’État en janvier 2023, en remplacement de deux conseillers administratifs en incapacité de travail, avaient outrepassé les compétences qui leur avaient été attribuées en faisant adopter une réorganisation fondamentale de la commune dont ils n’étaient pas élus, alors que leur mandat était d’expédier les affaires courantes. Les décisions du CA sur la réorganisation du département du secrétariat général du 4 avril 2023 étaient dès lors nulles car prises en violation manifeste des pouvoirs conférés aux administrateurs délégués par le Conseil d’État. Par voie de conséquence, la décision du 5 avril 2023 était frappée de nullité s’agissant d’une concrétisation des mesures décidées la veille. Son droit d’être entendue et l’art. 37 du statut du personnel avaient été violés. La suppression de son poste était infondée et les principes du reclassement n’avaient pas été respectés.

b. Par décision du 9 juin 2023, après la réplique de la recourante à la réponse de la commune, la présidente de la chambre administrative a rejeté, en tant qu’elle était recevable, la demande de mesures provisionnelles.

La qualification du courrier du 5 avril 2023 était litigieuse. Il s’agissait, de prime abord, de l’exercice d’un droit d’être entendu avant la prise d’une décision. La recevabilité du recours apparaissait, à première vue, douteuse. L’intérêt public au bon fonctionnement de la commune primait, prima facie, l’intérêt de la recourante à ce que le processus n’aille pas de l’avant et qu’elle ne soit pas licenciée.

c. La commune a conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet, détaillant la procédure de reclassement en cours.

d. Le 20 juillet 2023, la commune a informé la chambre de céans que la procédure de reclassement avait échoué. Le 29 juin 2023, la commune avait résilié les rapports de service de A______ suite à la suppression de son poste, avec effet au 30 septembre 2023. Cette décision devait mettre un terme à la procédure en cours, laquelle pouvait être rayée du rôle.

e. Dans sa réplique, la recourante a persisté dans ses conclusions. Préalablement, des enquêtes devaient être ordonnées afin de déterminer l’étendue concrète des pouvoirs donnés par le Conseil d’État aux administrateurs délégués au CA. Les rapports qu’ils avaient rendus au Conseil d’État sur leur mandat de gestion des affaires courantes de la commune devaient être produits.

La légalité de la décision de réorganisation prise par les administrateurs délégués par le Conseil d’État était contestée : cette décision devait être considérée comme nulle de plein droit. Partant, toutes les décisions subséquentes qui en découlaient étaient également nulles.

La réorganisation était motivée par des questions politiques visant à éteindre une crise institutionnelle et médiatique plutôt que de répondre à un véritable besoin organisationnel de la commune. L’impact de la réorganisation sur son poste était contesté.

La mise en œuvre de la réorganisation ainsi que la procédure de suppression de poste était contestée et entraînaient plusieurs violations du statut du personnel de la commune ainsi que la violation de son droit d’être entendue.

f. Dans un courrier accompagnant sa réplique, elle a relevé que la commune avait transmis à la chambre de céans copie de la lettre de licenciement trois semaines après la lui avoir notifiée et quelques jours avant l’échéance du délai pour rédiger sa réplique. L’autorité intimée agissait de mauvaise foi, dans le but de tenter d’éviter que la chambre de céans se prononce sur son recours. Le travail de rédaction de la réplique étant déjà pratiquement terminé, elle la transmettait. Elle interjetterait recours contre la décision de licenciement en temps utile, compte tenu des « féries judiciaires ». Les deux procédures devraient être jointes.

Elle contestait que la cause doive être rayée du rôle comme suggéré par la commune. Au-delà des nombreux arguments liés à l’irrégularité de la procédure de licenciement, la question de la nullité de la décision à l’origine de la suppression du poste subsistait. Elle avait été prise par un CA qui n’était pas investi, de par la loi, du pouvoir de prendre cette décision, puisqu’il était composé, sur trois membres, de deux administrateurs délégués par le Conseil d’État, dont la mission était d’expédier les affaires courantes de la commune dans l’attente du retour aux affaires des deux conseillers administratifs élus qui s’étaient mis en arrêt maladie.

g. Dans une écriture spontanée, la commune a persisté dans sa conclusion en radiation du rôle de la procédure, devenue sans objet. La jonction n’était pas envisageable, la procédure contre le licenciement n’étant même pas encore « ouverte ».

h. Les parties ont été informées, le 7 août 2023, que la cause était gardée à juger.

i. Le contenu des pièces, notamment le courrier du 5 avril 2023 litigieux, sera repris en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. b et 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             La recourante a conclu préalablement à la jonction de la présente cause avec celle, à venir, contre la décision de licenciement.

2.1 À teneur de l’art. 70 al. 1 LPA, l’autorité peut, d’office ou sur requête, joindre en une même procédure des affaires qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune.

2.2 En l’espèce seule une affaire est pendante devant la chambre de céans. L’application de l’art. 70 al. 1 LPA n’est en conséquence pas envisageable. La demande de jonction sera rejetée.

3.             À teneur de l'art. 60 al. 1 LPA, ont qualité pour recourir les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée (let. a) et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée (let. b). Les let. a et b de cette disposition doivent se lire en parallèle. Ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s'il était partie à la procédure de première instance (ATA/805/2020 du 25 août 2020 consid. 2b et les références citées).

3.1 L'intérêt digne de protection au sens de cette disposition consiste dans l'utilité pratique que l'admission du recours apporterait à la partie recourante en lui évitant de subir un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre que la décision attaquée lui occasionnerait (ATF 138 III 537consid. 1.2.2). Cet intérêt doit être direct et concret (ATF 143 II 506 consid. 5.1). Par ailleurs, la qualité pour recourir suppose un intérêt actuel à obtenir l'annulation ou la modification de la décision attaquée et cet intérêt doit exister tant au moment du dépôt du recours qu'au moment où l'arrêt est rendu (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1). Si l'intérêt actuel disparaît durant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle ou déclaré irrecevable (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1). La simple perspective d'un intérêt juridique futur ne suffit pas à fonder un intérêt actuel (ATA/629/2020 du 30 juin 2020 consid. 5a).

3.2 Un intérêt actuel et pratique fait en particulier défaut lorsque l'acte de l'autorité a été exécuté ou a perdu son objet ou encore lorsque l'admission du recours ne permettrait pas la réparation du préjudice subi (arrêt du Tribunal fédéral 2C_863/2019 du 14 avril 2020 consid. 3.2 et les références citées). De cette manière, les tribunaux sont assurés de trancher uniquement des questions concrètes et non de prendre des décisions à caractère théorique, ce qui répond à un souci d'économie de procédure (ATF 136 I 274 consid. 1.3 ; ATA/373/2018 du 24 avril 2018 consid. 2d et les références citées).

3.3 Il est toutefois exceptionnellement renoncé à l'exigence d'un intérêt actuel lorsque la contestation peut se reproduire en tout temps dans des circonstances identiques ou analogues, que sa nature ne permet pas de la trancher avant qu'elle ne perde son actualité et que, en raison de sa portée de principe, il existe un intérêt public suffisamment important à la solution de la question litigieuse (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_863/2019 précité consid. 3.3).

3.4 En l’espèce, l'intimée a licencié la recourante le 29 juin 2023 pour le 30 septembre 2023. La réorganisation du département ayant été exécutée et le licenciement prononcé le 29 juin 2023 pour le terme du 30 septembre 2023, l'intérêt digne de protection de la recourante fait défaut, de sorte que son recours est devenu sans objet.

Il ne saurait, en outre, être renoncé à l'exigence d'un intérêt actuel, la situation n’allant pas se reproduire.

Le recours sera déclaré irrecevable pour ce motif déjà.

4.             Le recours est dirigé contre le courrier du 5 avril 2023 du CA que la recourante qualifie de décision.

4.1 Au sens de l'art. 4 al. 1 LPA, sont considérées comme des décisions les mesures individuelles et concrètes prises par l'autorité dans les cas d'espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal ou communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d'annuler des droits et des obligations (let. a), de constater l'existence, l'inexistence ou l'étendue de droits, d'obligations ou de faits (let. b), de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou des obligations (let. c).

4.2 En droit genevois, la notion de décision est calquée sur le droit fédéral (art. 5 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 - PA - RS 172.021), ce qui est également valable pour les cas limites, ou plus exactement pour les actes dont l'adoption n'ouvre pas de voie de recours.

Ainsi, de manière générale, les communications, opinions, recommandations et renseignements ne déploient aucun effet juridique et ne sont pas assimilables à des décisions, de même que les avertissements ou certaines mises en demeure (arrêts du Tribunal fédéral 8C_220/2011 du 2 mars 2012 ; 8C_191/2010 du 12 octobre 2010 consid. 6.1). Ces dernières peuvent constituer des cas limites et revêtir la qualité de décisions susceptibles de recours, lorsqu'elles apparaissent comme des sanctions conditionnant ultérieurement l'adoption d'une mesure plus restrictive à l'égard du destinataire. Lorsque la mise en demeure ou l'avertissement ne possède pas un tel caractère, il n'est pas sujet à recours (ATA/715/2014 du 9 septembre 2014 consid. 3 ; ATA/537/2014 du 17 juillet 2014 consid. 2 ; ATA/104/2013 du 19 février 2013 consid. 2).

4.3 Doivent être considérées comme des décisions les mesures qui affectent les droits et obligations d'un fonctionnaire en tant que sujet de droit, par exemple la fixation de son salaire, ou d'indemnités diverses, les sanctions disciplinaires ou encore le changement d'affectation qui va au-delà de l'exécution des tâches qui incombent au fonctionnaire dans sa sphère d'activité habituelle ou des instructions qui lui sont données dans l'exercice de ces tâches (ATF 136 I 323 consid. 4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 8D_8/2020 du 6 juillet 2021 consid. 5.3 et les références citées).

5.             La décision comme acte juridique a pour objet de régler la situation d'administrés en tant que sujets de droit et donc, à ce titre, distincts de la personne étatique ou, en d'autres termes, extérieurs à l'administration.

On oppose dans ce contexte la décision à l'acte interne ou d'organisation, qui vise des situations à l'intérieur de l'administration ; l'acte interne peut avoir des effets juridiques, mais ce n'en est pas l'objet, et c'est pourquoi il n'est en règle générale pas susceptible de recours.

5.1 Deux critères permettent généralement de déterminer si on a affaire à une décision ou à un acte interne : d'une part, l'acte interne n'a pas pour objet de régler la situation juridique d'un sujet de droit en tant que tel et, d'autre part, le destinataire en est l'administration elle-même, dans l'exercice de ses tâches. Ainsi, un acte qui affecte les droits et obligations d'un fonctionnaire en tant que sujet de droit, par exemple la fixation de son salaire, d'indemnités diverses ou encore de sanctions disciplinaires, est une décision. En revanche, un acte qui a pour objet l'exécution même des tâches qui lui incombent en déterminant les devoirs attachés au service, telles que la définition du cahier des charges, est un acte interne (ATF 136 I 323 consid. 4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 8D_2/2018 du 21 février 2019 consid. 6.2).

5.2 Ont été considérés comme des actes internes : un changement de lieu de travail qui n’implique ni un changement de domicile ni un déménagement, au sein du même office, pour une fonction identique et des tâches identiques et un même traitement, constitue une mesure interne qui n’ouvre pas la voie du recours (arrêt du Tribunal fédéral 8D_1/2016 précité) ; le changement d’affectation provisoire d’un fonctionnaire de police, compte tenu notamment d’une procédure pénale dirigée à son encontre, qui ne revêt pas le caractère d’une sanction disciplinaire déguisée, est un acte interne à l’administration (ATA/889/2018 précité) ; le contrôle individualisé opéré sur l’ordinateur d’un fonctionnaire ayant giflé un collègue et par ailleurs soupçonné de plusieurs irrégularités est un acte interne à l’administration (ATA/820/2023 du 9 août 2023, non définitif).

Par contre, la mutation d’un chef de brigade de la police judiciaire au commissariat de la police avec un nouveau cahier des charges sans véritable adéquation avec ses aptitudes, sans modification de salaire, mais avec perte de charge de commandement, a été jugée comme devant être soumis à un contrôle judiciaire, indépendamment de tout caractère disciplinaire. La mesure relevait non seulement de l’organisation des services de police, mais était également susceptible d’affecter la situation juridique du fonctionnaire de police en tant que titulaire de droits et d’obligations à l’égard de l’État. L’objet de la mesure allait au-delà de l’exécution des tâches qui incombaient au fonctionnaire dans sa sphère d’activité habituelle ou des instructions qui lui étaient données dans l’exercice de ses tâches. Le nouveau cahier des charges de l’intéressé avait un contenu totalement différent de celui de sa fonction antérieure (ATF 136 I 323 consid. 4.5 et 4.7).

5.3 La garantie de l'accès au juge selon l'art. 29a Cst. ne s'applique pas aux actes internes de l'administration qui n'ont pas le caractère d'une décision (ATF 143 I 336 consid. 4.2; 136 I 323 consid. 4.4; arrêt 8D_8/2020 du 6 juillet 2021 consid. 5.2).

6.             La recourante est soumise au statut.

6.1 L’art. 37 traitant de la « procédure en cas de suppression de poste » prévoit qu’avant d'envisager une résiliation des rapports de travail fondé sur l'art. 35 al. du statut, l'employeur procède à des recherches en vue de proposer à la personne concernée, dans la mesure du possible, un ou plusieurs postes en rapport avec ses aptitudes, ses connaissances professionnelles et sa situation. Subsidiairement, il doit proposer des mesures de reconversion professionnelle (al. 1) ; en cas de proposition de reconversion professionnelle à l'extérieur de l'administration communale, l'employeur peut décider que les frais de formation seront pris en charge par la Commune (al. 2) ; la collaboratrice qui a son contrat résilié en vertu de l'art. 35 al. d (sic) statut, a droit à une indemnité égale à trois fois son dernier traitement mensuel de base, plus un cinquième de son dernier traitement mensuel de base par année passée au service de la Commune, une année entamée comptant pour une année entière. Le nombre de mois d'indemnités versées ne peut toutefois excéder le nombre de mois restant à courir jusqu'à l'âge statutaire de la retraite. Le droit à l'indemnité tombe en cas de refus d'un poste équivalent au sein de l'administration communale. 

Aux termes de l’art. 35 statut, l’employeur résilie les rapports de travail par voie de décision après avoir accordé à la collaboratrice le droit d'être entendue (al. 1) ; pour résilier des rapports de travail, il doit invoquer un motif pertinent tel que, notamment, la suppression du poste sans qu'il soit possible d'affecter la personne concernée à un autre emploi correspondant à ses capacités et aptitudes professionnelles (al. 2 let. d) ; la décision de résiliation doit être notifiée par écrit. Elle mentionne les motifs et la voie de recours (al. 3) ; la décision de licenciement est exécutoire nonobstant recours. Si la chambre administrative juge que la résiliation des rapports de service est contraire au droit, elle peut proposer à l'employeur la réintégration, sauf si l'employeur a d'ores et déjà signifié durant la procédure qu'une réintégration était impossible. En cas d'impossibilité de réintégrer la personne concernée, la chambre administrative fixera une indemnité pour résiliation contraire au droit qui ne pourra être supérieure à plus de six mois du dernier traitement de base à l'exécution de tout autre élément de rémunération (al. 4).

6.2 En droit de la fonction publique, la décision de suppression de poste comporte deux étapes : une décision interne d’organisation, indépendante du collaborateur, et une décision « externe » touchant le collaborateur. La décision interne d’organisation est prise en fonction des contingences financières, du changement des activités, mais jamais en fonction de la personnalité du collaborateur. D’ailleurs, ce dernier n’intervient pas à ce stade puisqu’il n’a pas de droit au maintien de sa fonction. La décision qui le concerne et qui doit être précédée du droit d’être entendu est celle par laquelle on lui signifie l’intention de supprimer le poste, sur la base de l’analyse organisationnelle effectuée, et qui a pour conséquence que ce collaborateur ne pourra plus occuper ce poste. C’est au moment où la décision touche le collaborateur particulier que celui-ci devra être entendu (Gabrielle STEFFEN, Le droit d’être entendu du collaborateur de la fonction publique : juste une question de procédure ?, RJN 2005 p. 64 ss ; ATA/849/2016 du 11 octobre 2016 consid. 3).

7.             Si les autorités d’une commune ne peuvent pas être régulièrement constituées, ou sont momentanément empêchées d’exercer leurs fonctions, le Conseil d’État désigne un ou plusieurs administrateurs jusqu’à ce que la situation normale soit rétablie et fixe leurs attributions (art. 96 de la loi sur l'administration des communes du 13 avril 1984 (LAC - B 6 05).

8.             En l’espèce, le recours est dirigé contre une correspondance de la commune du 5 avril 2023 remise en mains propres à l’intéressée que cette dernière qualifie de décision.

Ce courrier informe la recourante de la décision prise la veille par le Conseil administratif de réorganiser le département. Il rappelle l’origine de la création du département, le constat mitigé, après plus de deux années de fonctionnement et les objectifs visés par les mesures de réorganisation qu’elle détaille en quatre points : 1) le département se voyait déchargé de trois services (finances, systèmes d’information et ressources humaines) auxquels étaient rattachées deux personnes ; 2) par conséquent, le département ne comprendrait plus que le secrétariat politique, le service communication et affaires économiques et les personnes chargées du système interne de gestion durable, du système de contrôle interne (ci-après : SCI) et de la gestion du portefeuille des projets stratégiques et transversaux, et de soutien des démarches coopératives ; 3) deux postes seraient ouverts dans ce contexte, à savoir celui pour la personne en charge du SCI, qui devrait avoir un profil d’auditeur interne, et celui pour la personne en charge de la gestion du portefeuille des projets stratégiques et transversaux, et du soutien des démarches coopératives, qui devrait avoir un profil de responsable de projet ; 4) en revanche, cette réorganisation impliquerait la suppression des deux fonctions de secrétaire général adjoint et, par conséquent, de son poste.

Le courrier litigieux précise que la nouvelle organisation serait mise en œuvre à compter du 1er juin 2023. La commune entendait procéder conformément à l’art. 37 du statut relatif à la suppression de poste. Elle souhaitait lui soumettre, dans un premier temps et avant de lui proposer d’autres mesures de reconversion professionnelle, deux postes qui paraissaient en phase avec ses aptitudes. Le CA décrivait les postes, les projets de cahier des charges étant annexés. Il la remerciait de lui faire part de sa détermination « sur ce qui précède, respectivement de [votre] intérêt pour l’un ou l’autre, ou les deux postes précités, dans un délai de dix jours dès réception de la présente, par écrit ».

La correspondance du 5 avril 2023 informe ainsi la recourante qu’il a été décidé que son poste serait supprimé et que la commune procéderait conformément à
l’art. 37 du statut applicable en cas de suppression de poste. Or, conformément à ladite disposition, avant d’envisager une résiliation des rapports de travail fondée sur une suppression de poste, l’employeur doit procéder à des recherches en vue de proposer à la personne concernée, dans la mesure du possible, un ou plusieurs postes en rapport avec ses aptitudes, ses connaissances professionnelles et sa situation. En soumettant à l’intéressée les postes de responsable du pôle Aînés et de gestionnaire du portefeuille des projets stratégiques et transversaux, et du soutien des démarches coopératives, l’autorité intimée satisfaisait au droit d’être entendue de l’employée en application de l’art. 37 al. 1 statut. À ce titre, le courrier invitant l’intéressée à lui faire part de sa détermination dans un délai de dix jours ne déploie aucun effet juridique et n’est pas assimilable à une décision.

La recourante invoque la nullité de la décision de réorganisation et partant de toutes les décisions subséquentes qui en découlent, notamment de suppression de son poste. Toutefois, la réorganisation litigieuse vise la situation à l'intérieur de l'administration ; elle a certes des effets juridiques sur la situation de l’employée, mais ce n'en est pas l'objet. Il en découle que la décision de réorganisation est un acte interne dès lors qu’elle n’a pas pour objet de régler la situation juridique de la recourante en tant que telle, d’une part, et, d’autre part, que le destinataire de ladite réorganisation en est l’administration elle-même, dans l’exercice de ses tâches. La réorganisation n’est en conséquence pas susceptible de recours. De surcroît, le grief selon lequel les administrateurs délégués par le Conseil d’État devaient se limiter à expédier les affaires courantes de la commune est exorbitant à l’objet du présent litige. Celui-ci est dirigé contre le courrier du 5 avril 2023, signé par F______, maire, et E______, impartissant à la recourante un délai pour faire valoir des observations.

Il découle de ce qui précède que le recours est irrecevable pour ce motif aussi.

9.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 26 avril 2023 par A______ contre le courrier de la commune de B______ du 5 avril 2023 ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s'il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n'est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Anne MEIER, avocate de la recourante, ainsi qu'à Me Nicolas WISARD, avocat de la commune de B______.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Eleanor McGREGOR, Claudio MASCOTTO, Fabienne MICHON RIEBEN juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :