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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1320/2023

ATA/819/2023 du 09.08.2023 ( FPUBL ) , SANS OBJET

Descripteurs : PROCÈS DEVENU SANS OBJET;RÈGLEMENT DU LITIGE;RADIATION DU RÔLE;DÉCISION INCIDENTE;DÉLAI DE RECOURS;DROIT DE LA FONCTION PUBLIQUE;INTERDICTION D'EXERCER UNE PROFESSION;PROVISOIRE;FRAIS JUDICIAIRES
Normes : LPAC.28; LPA.46.al1; LPA.57.letc; LPA.87
Résumé : Postérieurement à l’introduction du recours, l’autorité compétente a validé la décision de libération de l’obligation de travailler prise par une autorité incompétente, de sorte que la cause est devenue sans objet et doit être rayée du rôle, conformément à la jurisprudence de la chambre administrative. Le recourant ayant été informé que le Conseil d’État serait saisi pour confirmer la décision du directeur de l’office cantonal des véhicules, le dépôt de son recours n’était pas nécessaire. Il se justifie donc de lui faire supporter les frais de la procédure inutilement initiée. Ce d’autant plus que le recours aurait de toute façon dû être déclaré irrecevable, les conditions pour recourir contre une décision incidente n’étant pas réalisées. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1320/2023-FPUBL ATA/819/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 9 août 2023

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Mattia DEBERTI, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DES VÉHICULES intimé



EN FAIT

A. a. Par courrier du 20 mars 2023, le directeur général de l’office cantonal des véhicules (ci-après : OCV) du département de la santé et des mobilités a libéré
A______, préposé au guichet depuis 2010, de son obligation de travailler « pour garantir la bonne marche du service », précisant qu’il envisageait de demander au Conseil d’État de valider cette mesure. L’intéressé serait prochainement convoqué à un entretien de service afin d’être entendu au sujet de son « attitude inappropriée », en particulier à l’égard d’une collaboratrice. Selon les déclarations de cette dernière, il avait adopté un comportement pouvant être assimilé à du harcèlement. Les faits en cause et l’état de la procédure demandaient qu’il reste éloigné de son lieu de travail. Un délai au 24 mars 2023 lui était octroyé pour faire part de ses éventuelles observations.

b. Le 22 mars 2023, A______, par l’intermédiaire d’un avocat, a requis l’annulation immédiate de la libération de son obligation de travailler et l’autorisation de reprendre son activité dès le 27 mars 2023. La suspension devait être ordonnée par les autorités en charge d’une éventuelle enquête administrative. L’éloignement décidé par le directeur général avait pour but de l’isoler et de le punir avant même de connaître l’issue d’une telle enquête qui n’avait pas encore été ouverte.

c. En date du 27 mars 2023, le directeur administratif du service des ressources humaines du département des infrastructures (ci-après : DI-RH) a informé
A______ qu’il transmettrait ses observations à l’autorité compétente, soit le Conseil d’État, lequel se prononcerait sur la suite à leur donner probablement au début du mois de mai, compte tenu des processus de décisions internes et des fêtes pascales. Dans l’intervalle, l’intéressé était invité à respecter strictement la mesure.

d. Le 28 mars 2023, A______ a demandé sur quelle base légale il avait été libéré de son obligation de travailler et les motifs justifiant cet éloignement.

e. Par courrier du 31 mars 2023, le directeur administratif du DI-RH lui a répondu que la mesure en cause ne s’inscrivait pas dans le cadre d’une enquête administrative, mais dans celui des mesures de gestion du personnel, raison pour laquelle elle devrait être validée par le Conseil d’État, comme le prévoyait la jurisprudence. Il lui a communiqué copie des procès-verbaux des auditions de trois collaborateurs du service entendus au début du mois et octroyé un délai pour faire valoir des observations. La procédure suivrait ensuite son cours sans autre avis et son dossier serait transmis au Conseil d’État. L’employeur pourrait également décider d’ouvrir une procédure de résiliation des rapports de service ou de sanctions disciplinaires.

f. Le 5 avril 2023, l’intéressé a réitéré sa demande d’annulation de la libération de l’obligation de travailler, cette dernière ne pouvant être exigée en l’absence de décision du Conseil d’État. À défaut, il saisirait la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative).

g. Par courrier du 19 avril 2023, le directeur administratif du DI-RH a informé l’intéressé qu’il envisageait de demander au Conseil d’État, outre la validation de la libération de l’obligation de travailler, l’ouverture d’une enquête administrative et sa suspension provisoire. Dans un tel cas, un entretien de service préalable ne serait pas nécessaire.

h. Le 4 mai 2023, l’employé a contesté le bien-fondé de la libération de son obligation de travailler et le renoncement à la tenue d’un entretien de service.

B. a. Par arrêté du 17 mai 2023, le Conseil d’État a ouvert une enquête administrative à l’encontre de A______, validé la libération de l’obligation de travailler du 20 mars 2023, prononcé sa suspension immédiate avec maintien de ses prestations, réservé le prononcé d’une décision de suppression de toutes les prestations et dit que l’intéressé devait compenser ses heures excédentaires pendant sa suspension provisoire.

b. L’employé n’a pas recouru contre cet arrêté.

C. a. Par acte du 18 avril 2023, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre la libération de l’obligation de travailler du 20 mars 2023. Il a conclu à la constatation de la nullité de ladite décision et à ce qu’il soit dit qu’il était tenu par son obligation de travailler aussi longtemps que l’autorité compétente n’en aurait pas décidé autrement.

La libération de l’obligation de travailler constituait une mesure individuelle et concrète prise à son encontre par une autorité. Elle avait des conséquences sur sa présence au bureau, sa réputation et ses relations avec les autres membres du personnel, lui causant ainsi un préjudice irréparable. Le recours contre une telle décision incidente était de dix jours, mais le courrier du 20 mars 2023 ne qualifiait pas la mesure en question de décision, ni ne mentionnait de voies de droit. La notification de la décision était donc irrégulière, de sorte que sa nullité pouvait être invoquée en tout temps. En outre, la décision était nulle pour ne pas avoir été prononcée par le Conseil d’État.

b. Dans sa réponse du 31 mai 2023, l’office du personnel de l’État a relevé que l’arrêté du Conseil d’État du 17 mai 2023 validant la libération de l’obligation de travailler du 20 mars 2023 n’ayant pas été attaqué, le recours était devenu sans objet et la cause devait être rayée du rôle.

Subsidiairement, la décision litigieuse n’était en soi pas susceptible de causer un préjudice irréparable, puisqu’une décision finale entièrement favorable au recourant permettrait de la réparer. Le recourant n’avait pas allégué que l’admission de son recours pourrait conduire immédiatement à une décision finale permettant d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

c. Le 13 juin 2023, le recourant a admis que l’objet principal du recours n’avait plus lieu d’être, une décision ayant désormais été rendue par l’organe compétent. Cela étant, les motifs de son recours étaient légitimes, puisque ce n’était que sur son insistance concernant l’illégalité de la mesure et l’introduction de son recours que l’intimé s’était adressé à l’autorité compétente. Une telle pratique, contraire à la loi et impliquant une mauvaise foi évidente, semblait « se populariser ». Elle devait être fermement condamnée. Il convenait d’accéder, à tout le moins, à sa dernière conclusion et à condamner l’intimé à tous les frais et dépens de la procédure.

d. Invité par la chambre de céans à préciser s’il retirait son recours, le recourant a conclu à ce qu’il soit constaté que la cause était devenue sans objet et à ce que l’État soit condamné aux frais de la procédure et à une indemnité.

e. Le 7 juillet 2023, l’intimé a fait valoir que le recourant savait que son recours était voué à l’échec, puisqu’il avait attiré son attention sur la jurisprudence de la chambre de céans rendue dans une affaire similaire.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

2.             2.1 Aux termes de l’art. 28 al. 1 de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), dans l’attente du résultat d’une enquête administrative ou d’une information pénale, le Conseil d’ État, la commission de gestion du pouvoir judiciaire ou le conseil d’administration peut, de son propre chef ou à la demande de l’intéressé, suspendre provisoirement un membre du personnel auquel il est reproché une faute de nature à compromettre la confiance ou l’autorité qu’implique l’exercice de sa fonction. Au sein de l’établissement, le président du conseil d’administration peut procéder, à titre provisionnel et sans délai, à la suspension de l’intéressé.

2.2 Selon la jurisprudence de la chambre administrative, la libération imposée de l’obligation de travailler ne se différencie pas, relativement aux droits et obligations du membre du personnel de l’État qui en fait l’objet, de la suspension provisoire visée à l’art. 28 LPAC (ATA/1169/2022 du 22 novembre 2022 consid. 1 ; ATA/231/2017 du 22 février 2017 consid. 1).

Une telle décision est une décision incidente contre laquelle le délai de recours est de dix jours (ATA/1169/2022 précité consid. 1 ; ATA/231/2017 précité consid. 1).

La chambre administrative a déjà eu l’occasion de juger que le recours contre une décision de libération de l’obligation de travailler prise par une autorité incompétente, en l’occurrence la directrice d’une école de commerce et de culture générale, était devenu sans objet suite au prononcé d’une nouvelle décision de l’autorité compétente en la matière, soit le Conseil d’État. Elle a donc rayé la cause du rôle (ATA/1225/2019 du 13 août 2019).

2.3 Dans deux arrêts (ATA/97/2014 du 18 février 2014 ; ATA/846/2014 du 28 octobre 2014), dont le premier concernait un directeur d'établissement scolaire genevois, la chambre administrative a considéré que la libération de l'obligation de travailler, comme la suspension provisoire, était susceptible d'affecter la situation juridique du fonctionnaire en tant que titulaire de droits et d'obligations à l'égard de l'État (ATF 136 I 323 consid. 4.5), à l'instar d'une privation de toute direction d'un dicastère prise à l'encontre d'un élu communal par ses collègues (arrêt du Tribunal cantonal neuchâtelois CDP.2013.269 du 25 novembre 2013). La mesure litigieuse touchait non seulement l'obligation de travailler du recourant, mais aussi sa présence dans son bureau et ses relations avec le personnel, de sorte que cette mesure devait être considérée comme une décision, au même titre que la suspension provisoire visée par l'art. 28 LPAC.

2.4 En l’espèce, conformément à la jurisprudence précitée, le recours du 18 avril 2023 est devenu sans objet, dès lors que le Conseil d’État a validé la mesure litigieuse, par arrêté du 17 mai 2023.

La cause sera donc rayée du rôle, ce qui correspond d’ailleurs aux dernières conclusions des parties.

3.             Le recourant requiert que l’intimé soit condamné à tous les frais et dépens de la procédure. Il soutient que le Conseil d’État n’a validé la décision du directeur général de l’OCV de le libérer de son obligation de travailler, qu’en raison de son insistance et du dépôt du présent recours.

3.1 Conformément à l’art. 87 de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), la juridiction administrative qui rend la décision statue sur les frais de procédure et émoluments. En règle générale, l’État, les communes et les institutions de droit public ne peuvent se voir imposer de frais de procédure si leurs décisions font l’objet d’un recours (al. 1). La juridiction administrative peut, sur requête, allouer à la partie ayant entièrement ou partiellement gain de cause, une indemnité pour les frais indispensables causés par le recours (al. 2). La juridiction administrative statue dans les limites établies par règlement du Conseil d’État et cela conformément au principe de proportionnalité (al. 3).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les décisions des tribunaux en matière de frais et dépens n’ont pas à être motivées, l’autorité restant néanmoins liée par le principe général de l’interdiction de l’arbitraire (ATF 114 Ia 332 consid. 2b ;
111 Ia 1).

La chambre administrative dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant à la quotité de l’émolument qu’elle met à charge de la partie qui succombe (ATA/413/2023 du 20 avril 2023 et les références).

Il est de jurisprudence constante que la partie qui succombe supporte une partie des frais découlant du travail qu’elle a généré par sa saisine (ATA/182/2018 du
27 février 2018 consid. 2).

Les frais de justice sont des contributions causales qui trouvent leur fondement dans la sollicitation d’une prestation étatique et, partant, dépendent des coûts occasionnés par le service rendu. Il est cependant notoire que, en matière judiciaire, les émoluments encaissés par les tribunaux n’arrivent pas, et de loin, à couvrir leurs dépenses effectives (ATF 143 I 227 consid. 4.3.1 ; 141 I 105 consid. 3.3.2 ; 133 V 402 consid. 3.1). La mise en œuvre de la justice génère une activité qui ne se limite pas à celle des seuls juges et du greffier, puisqu’elle nécessite également tout un travail administratif. Dans ce sens, tout dossier nécessite un travail minimum incompressible (arrêt du Tribunal fédéral 2C_580/2014 du 13 février 2015 consid. 3.4).

3.2 Dans le courrier litigieux du 20 mars 2023, le directeur général de l’OCV a clairement indiqué à l’intéressé qu’il entendait saisir le Conseil d’État pour valider sa décision de libération de l’obligation de travailler. Le 27 mars 2023, le service des RH a précisé au recourant que le Conseil d’État se prononcerait au début du mois de mai 2023, compte tenu de la procédure de prise des décisions et des fêtes pascales. Le 31 mars 2023, il lui a expliqué que la libération de l’obligation de travailler constituait une mesure de gestion du personnel qui serait validée par le Conseil d’État et que cette pratique était conforme à la jurisprudence, dont les références lui étaient communiquées. Enfin, le 19 avril 2023, le service des RH a confirmé une nouvelle fois que la validation de la mesure allait être demandée à l’autorité compétente.

Partant, le dépôt d’un recours n’était pas nécessaire, l’intéressé ayant été informé dès le prononcé de la décision litigieuse que le Conseil d’État serait saisi pour valider la décision du directeur général de l’OCV. Conformément à ce qui avait été annoncé, le Conseil d’État s’est déterminé le 17 mai 2023. Bien qu’un délai de près de deux mois puisse interpeller, il sera relevé que le recourant ne l’a nullement critiqué en tant que tel, étant rappelé qu’il savait d’emblée qu’une telle validation n’interviendrait pas avant le début du mois de mai 2023 et que ce nonobstant il a déposé son recours le 18 avril 2023.

Dans ces circonstances, il se justifie de faire supporter au recourant les frais de la procédure qu’il a inutilement initiée.

4.             Un émolument de CHF 800.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

dit que le recours interjeté le 18 avril 2023 par A______ contre la décision du 20 mars 2023 prise par le directeur de l’office cantonal des véhicules est devenu sans objet ;

raye la cause du rôle ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 800.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du
17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15’000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15’000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les
art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15’000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Mattia DEBERTI, avocat du recourant, ainsi qu’à l’office cantonal des véhicules.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Valérie LAUBER, Eleanor McGREGOR, Philippe KNUPFER, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :