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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1968/2023

ATA/813/2023 du 04.08.2023 ( DIV ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1968/2023-DIV ATA/813/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 4 août 2023

sur mesures provisionnelles

 

dans la cause

 

A______ et
B______ recourants
représentés par Me Romain JORDAN, avocat

contre

DÉPARTEMENT DES INSTITUTIONS ET DU NUMÉRIQUE intimé



Vu, en fait, la décision du département de la sécurité, de la population et de la santé, devenue depuis lors le département des institutions et du numérique (ci-après : DIN) du 8 mai 2023 adressée à B______, constatant que le déploiement des « bodycams » dans les établissements pénitentiaires genevois reposait sur une base légale suffisante ;

vu le recours interjeté le 8 juin 2023 par A______(ci-après : A______) et B______ devant la chambre administrative de la Cour de justice, concluant, à titre principal, à l’annulation de cette décision, au constat du caractère illicite de l’emploi desdites caméras dans les établissements pénitentiaires genevois et à l’ordre de mettre fin à leur emploi, subsidiairement au renvoi de la cause au DIN pour nouvelle décision, sur mesures superprovisionnelles et provisionnelles, à la suspension de l’emploi des « bodycams » et, préalablement, à la tenue d’une audience « répondant aux réquisits de l’art. 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101)» ;

que A______ représentait la « quasi-totalité » des gardiens concernés par l’emploi des caméras litigieuses et que B______ était gardien de prison et président de la « section prison » de A______ ; que le 1er juin 2021 avait été adoptée la directive interne 5.04 régissant l’utilisation de « bodycams », qui indiquait reposer sur les art. 8 de la loi sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 (LOPP ‑ F 1 50) et 21 du règlement sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 22 février 2017 (ROPP ‑ F 1 50.01) ; que le préposé cantonal à la protection des données (ci-après : PPDT) avait, le 10 octobre 2022, conclu à l’illicéité de l’emploi des caméras, du fait d'une base légale suffisante ; qu’à la suite du recours de B______ et A______, la chambre administrative avait constaté, le 14 février 2023, le déni de justice du département qui avait refusé de rendre une décision formelle se prononçant sur la légalité de l’utilisation des caméras et enjoint au département de rendre une telle décision dans les 30 jours suivant l’entrée en force de l’arrêt ;

que les recourants avaient à nouveau saisi la chambre administrative d’un recours pour déni de justice, dès lors que le département ne s’était toujours pas prononcé le 22 mars 2023 ; la procédure était pendante sous cause A/1______/2023 ; que le prononcé de mesures superprovsisionnelles et provisionnelles s’imposait vu que la pratique de l’autorité intimée « constit[uait] un traitement illicite de données quotidien » ; que le préjudice en résultant était irréparable ; que la récolte des données exposait aussi les recourants au reproche de violation du domaine secret des personnes détenues ; que les intérêts publics avancés pour justifier la récolte de données n’étaient pas prépondérants ; qu’ainsi, le constat du caractère illicite de l’emploi des caméras et leur suspension justifiaient le prononcé rapide de mesures ;

que la décision querellée violait leur droit d’être entendus et comportait un déni de justice en tant qu’elle ne discutait pas tous leurs arguments, notamment ceux relatifs aux droits fondamentaux atteints et à la gravité de ladite atteinte ; les art. 42 de la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD ‑ A 2 08) et 8 LOPP ne constituaient pas des bases légales suffisantes ; la directive souffrait de défauts, ne précisant pas les critères d’emploi des caméras et le mécanisme visant à garantir l’invisibilité des parties intimes des détenus et ne prévoyant pas que ceux-ci soient informés de la mise en marche et de l’arrêt des caméras ; l’art. 35 LIPAD imposait l’adoption d’une base légale claire ; celle-ci était également nécessaire afin d’éviter aux recourants de se rendre coupables d’une violation du domaine secret ou du domaine privé au moyen d’un appareil de prise de vue au sens de l’art. 179 quater du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) ;

que, se déterminant sur mesures provisionnelles, le DIN a relevé que A______ ne disposait pas de la qualité pour agir, que les mesures sollicitées visaient, de manière inadmissible, à anticiper l’arrêt au fond, qu’il n’y avait aucune urgence ni préjudice irréparable justifiant les mesures requises, que les « bodycams » étaient déployées pour assurer la sécurité des détenus, du personnel pénitentiaire et pour réduire les risques de violences et autres incidents, que leur usage était strictement limité à des situations particulièrement à risque de violence, qu’une étude néo-zélandaise avait démontré les bénéfices de ce type de dispositif (baisse du nombre d’interventions de sécurité et d’usage de la contrainte, effet calmant sur la population carcérale renforcement de sentiment de sécurité des agents de détention etc.) et que l’installation de vidéosurveillance fixe comme alternative aux « bodycams » suggérée par les recourants porterait une atteinte à la personnalité supérieure et induirait des coûts disproportionnés ;

que, dans leur réplique sur mesures provisionnelles, les recourants ont relevé que celles-ci ne tendaient nullement à anticiper l’arrêt à venir ; qu’ils avaient un intérêt à ne pas se voir reprocher d’avoir participé à un système illicite ; qu’ils s’étaient déjà plaints des dispositifs fixes de vidéosurveillance ; que la pesée des intérêts en présence s’opposait de manière manifeste à l’utilisation des « bodycams » ; que la possibilité de supprimer les images n’écartait pas le risque de leur diffusion, créant ainsi un dommage irréparable ; que l’enregistrement du son n’était pas abordé par le DIN ; qu’enfin, la chambre administrative avait déjà admis la qualité pour agir de B______ ;

qu’à teneur de la directive n° 5.04, l’usage des « bodycams » n’est prévu systématiquement que pour un nombre restreint de situations, soit l’extraction d’une cellule d’une personne récalcitrante ou présentant un danger pour le personnel ou elle-même, la mise en cellule forte, la mise en cellule de soins intensifs à Curabilis et l’intervention dans le cadre d’une médication sous contrainte, et qu’elle doit être ordonnée spécifiquement par la hiérarchie pour toute autre situation ;

que, sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur mesures provisionnelles ;

Considérant, en droit, l'art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020, à teneur duquel les décisions sur effet suspensif sont prises par la présidente de ladite chambre, respectivement par la vice-présidente, ou en cas d'empêchement de ceux-ci, par une juge ;

qu’aux termes de l’art. 66 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1) ; que toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 3) ;

que selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles – ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/503/2018 du 23 mai 2018 ; ATA/955/2016 du 9 novembre 2016 consid. 4 ; ATA/1244/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2) ;

qu’elles ne sauraient, en principe, anticiper le jugement définitif (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, spéc. 265) ;

que, par ailleurs, l’octroi de mesures provisionnelles présuppose l’urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l’intéressé la menace d’un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405 ; ATA/941/2018 du 18 septembre 2018) ;

que le prononcé de mesures provisionnelles est subordonnée à l’existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1) ;

que la chambre de céans dispose dans l’octroi de mesures provisionnelles d’un large pouvoir d’appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 précité consid. 5.5.1 ; ATA/941/2018 précité) ;

qu’en l’espèce, il convient en premier lieu de relever que la qualité pour recourir de A______ paraît douteuse, l’association n’alléguant ni ne rendant vraisemblable que tous ses membres sont gardiens de prison et directement touchés par la décision querellée (ATA/147/2023 du 14 février 2023) ;

qu’en revanche, a priori et sans préjudice de l’examen au fond, il convient d’admettre celle du recourant, agent de détention, qui est susceptible d’être directement touché par l’usage des « bodycams » et à qui la décision a d’ailleurs été notifiée ;

que, comme la chambre de céans l’a déjà retenu dans la précédente procédure, l’atteinte à la sphère privée et au droit à l’image des recourants du fait de l’utilisation des « bodycams », ne paraît, prima facie et sans préjudice de l’examen au fond, pas irréparable, rien n’indiquant que la suppression des images ne serait pas possible ;

que les recourants ne rendent pas non plus vraisemblable que ces images seraient susceptibles d’être diffusées dans le public ;

qu’ils ne rendent ainsi pas vraisemblable que le refus d’ordonner la suspension de l’usage des « bodycams » jusqu’à droit connu sur le fond est de nature à les exposer à un dommage difficile à réparer ;

que, par ailleurs, si le PPDT a recommandé le 10 octobre 2023 – puis le 6 avril 2023 – l’élaboration d’une base légale spécifique à l’emploi des « bodycams », ce à quoi le DIN s’est depuis lors attelé, il n’a pas exigé la cessation de l’emploi des « bodycams », comme l’a constaté la chambre de céans dans sa décision sur mesures provisionnelles ATA/20/2023 du 10 janvier 2023 ;

qu’il est relevé que la directive n° 5.04 décrit les situations, limitatives, dans lesquelles les « bodycams » peuvent être utilisées ;

que le DIN a exposé les retours positifs tirés de leur utilisation, selon une étude néo‑zélandaise, notamment la baisse du nombre d’interventions de sécurité et d’usage de la contrainte, effet calmant sur la population carcérale renforcement de sentiment de sécurité des agents de détention, points que les recourants ne semblent pas remettre en cause ;

qu’ainsi, il n’apparaît pas qu’en l’état, l’intérêt privé des recourants à la suspension de l’usage des « bodycams » l’emporterait sur l’intérêt public à l’utilisation de celles-ci jusqu’à droit jugé sur le recours ;

qu’au vu de ce qui précède, la requête sur mesures provisionnelles sera rejetée ;

qu’il sera statué sur les frais de la présente décision avec l’arrêt au fond.

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette la requête de mesures provisionnelles ;

réserve le sort des frais du présent incident à l’arrêt au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession des recourants, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Romain JORDAN, avocat des recourants, ainsi qu'au département des institutions et du numérique.

 

 

La juge :

 

 

 

F. KRAUSKOPF

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :