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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1083/2023

ATA/779/2023 du 18.07.2023 ( TAXIS ) , ADMIS

Descripteurs : TAXI;CHAUFFEUR;AUTORISATION D'EXPLOITER UN SERVICE DE TAXI;DROIT TRANSITOIRE
Normes : LTVTC.46.al13
Résumé : Admission du recours d’un chauffeur de taxi ayant loué depuis août 2021 une autorisation d’usage accru du domaine public (AUADP) et sollicité, début novembre 2022, l’application du régime transitoire prévu par la nouvelle réglementation en faveur des locataires effectifs des AUADP (art. 46 al. 13 LTVTC). Annulation du refus litigieux et renvoi à l’autorité compétente. La condition litigieuse, ajoutée dans des conditions particulières lors des travaux parlementaires, consiste à limiter le cercle des utilisateurs effectifs d’AUADP ayant de bonne foi recouru à la location des plaques, à d’autres conditions que celles clairement et unanimement acceptées par la commission parlementaire. Il n’est, dans ces circonstances particulières et en l’absence de toute explication, pas décisif que le recourant remplisse la condition litigieuse exigeant qu’il soit utilisateur effectif d’une AUADP « au moment du dépôt de la présente loi », soit le 26 février 2020 (dépôt du projet de loi n° 12'649). Les autres conditions posées par la disposition transitoire en cause ne sont en l’espèce pas contestées. Prévoir un régime transitoire en faveur des chauffeurs de taxi ayant loué une AUADP à une époque où ils ne pouvaient de bonne foi pas s’attendre à l’interdiction de cette pratique et étant utilisateur effectif d’une AUADP au moment de l’adoption de la nouvelle LTVTC, est soutenable, selon la chambre administrative, au regard de la jurisprudence fédérale relative à la mise en place d’un régime transitoire, du but poursuivi par la nouvelle réglementation genevoise et de l’importance, pour les commissaires, de supprimer les abus liés à la pratique des locations des plaques. La location de plaque est interdite par la nouvelle LTVTC, adoptée le 28 janvier 2022 et entrée en vigueur le 1er novembre 2022, dont l’art. 13 al. 3 prévoit que l’AUADP est personnelle et intransmissible.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1083/2023-TAXIS ATA/779/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 18 juillet 2023

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Guy ZWAHLEN, avocat

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR intimé



EN FAIT

A. a. A______, né en 1985 et domicilié dans le canton de Genève, détient un permis de conduire suisse depuis le 6 avril 2021.

b. Il est titulaire d’une carte professionnelle de chauffeur de taxi, délivrée le 14 juin 2021 par le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci‑après : PCTN) du département de l’économie et de l’emploi (ci-après : le département).

c. Depuis août 2021, il loue une autorisation d’usage accru du domaine public (ci‑après : AUADP) portant sur la plaque d’immatriculation n° 1______ détenue par un tiers domicilié en France, représentant une entité ayant une adresse à Genève. Selon un document intitulé « contrat de mise à disposition d’une autorisation d’usage accru du domaine public » signé le 12 août 2021, il bénéficiait de l’usage exclusif de l’AUADP donnant droit à l’immatriculation « GE 1______ » en échange du paiement, par avance, d’un loyer mensuel de CHF 430.80 TTC.

B. a. Le 2 novembre 2022, l’intéressé a déposé auprès du PCTN, au moyen du formulaire correspondant, une requête en délivrance d’une AUADP au sens de l’art. 46 al. 13 de la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 28 janvier 2022 (LTVTC - H 1 31).

Outre le contrat précité, il a également produit une attestation démontrant le versement régulier de la somme de CHF 430.80 entre le 1er septembre 2021 et le 31 octobre 2022, à savoir un montant total de CHF 6'462.- pour 15 mois. Une attestation de l’office genevois compétent confirmait que le requérant était affilié dans le domaine du transport de personnes auprès d’une caisse genevoise de compensation depuis le 1er janvier 2020 en qualité d’assuré de condition indépendante.

b. Après l’avoir invité à exercer son droit d’être entendu et reçu ses observations, le PCTN a rejeté la demande par décision du 23 février 2023.

L’intéressé ne remplissait pas les conditions de l’art. 46 al. 13 LTVTC puisqu’il n’était pas l’utilisateur effectif d’une AUADP au moment du dépôt de cette loi, soit le 26 février 2020. Il avait obtenu sa carte professionnelle de chauffeur de taxi le 14 juin 2021. La date du 12 août 2021, à laquelle il était locataire d’une AUADP, n’était pas pertinente, faute d’être prise en compte dans l’art. 46 al. 13 LTVTC. Par ailleurs, le PCTN ne se considérait pas compétent pour examiner le grief tiré d’une violation du principe de non-rétroactivité des lois, dans la mesure où il était chargé d’appliquer les normes adoptées par le législateur. Une telle violation ne lui semblait, cela étant, pas être réalisée in casu.

C. a. Par acte expédié le 24 mars 2023, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci‑après : la chambre administrative) contre cette décision en concluant à son annulation. En outre, il a sollicité, tant à titre d’effet suspensif et de mesure provisionnelle qu’à titre principal, la délivrance d’une AUADP au sens de l’art. 20 LTVTC et l’octroi d’une équitable indemnité de procédure.

Il invoquait tout d’abord la non-conformité de l’art. 46 al. 13 LTVTC au principe de la non-rétroactivité des lois, ce qui empêchait l’application de cette norme. Seule était déterminante la date de l’entrée en vigueur de la LTVTC, fixée au 1er novembre 2022, et non celle de son dépôt. Comme il était utilisateur effectif d’une AUADP lors de l’entrée en vigueur de cette loi, il devait se voir attribuer une AUADP pour l’avenir. Il n’existait pas d’intérêt public prépondérant justifiant la position du PCTN, à savoir l’usage effectif de l’AUADP au moment du dépôt de la loi, position qui le privait de toute source de revenu, chauffeur de taxi indépendant étant sa seule profession. La loi devenait « publique » lorsqu’elle était « promulguée », mais non au moment de son dépôt. Seul était décisif le moment où la loi devenait obligatoire, c’est-à-dire lors de son entrée en vigueur. Il était donc insoutenable de prendre en compte les faits pertinents existant déjà au moment du dépôt de la loi. Il alléguait également la violation de la liberté économique garantie aux art. 27 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 35 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst‑GE ‑ A 2 00) ainsi que celle du principe d’égalité de traitement ancré à l’art. 8 Cst. par rapport aux autres chauffeurs de taxi indépendants bénéficiant d’une AUADP, de manière directe et non à travers une location de plaques, avant l’entrée en vigueur de la loi.

b. La présidente de la chambre administrative a, par décision du 9 juin 2023, admis la requête de mesure provisionnelle de l’intéressé, dit qu’il continuait de bénéficier d’une AUADP jusqu’à droit jugé au fond et réservé le sort des frais de la procédure.

c. Le PCTN a conclu au rejet du recours.

d. Dans sa réplique, le recourant a encore fait grief au PCTN de ne pas avoir démontré l’existence d’un intérêt public prépondérant pour faire rétroagir au jour du dépôt de la loi, et non de son entrée en vigueur, la condition de l’usage effectif d’une AUADP. Il s’est aussi prévalu d’une violation du principe de la proportionnalité parce qu’il ne pouvait, à l’avenir, plus exercer son activité lucrative et qu’il était de ce fait privé d’un droit acquis « dès lors qu’il l’exerçait auparavant ». Le fait d’exercer cette activité comme employé ou comme chauffeur de VTC comportait plusieurs inconvénients (trouver un employeur, perdre les avantages de l’AUADP ainsi que l’accès à l’aéroport et à la gare) et l’empêchait de pouvoir choisir et exercer librement son activité dans le cadre d’un marché assurant une libre et équitable concurrence, en violation des garanties constitutionnelles précitées. Il n’aurait par ailleurs pas le droit au chômage en raison de son statut d’indépendant et risquait de devoir recourir à l’aide sociale. Cela le mettrait dans une situation économique difficile et le contraindrait à s’« ubériser », alors qu’il remplissait les autres conditions de l’art. 46 al. 13 LTVTC et celles de l’art. 13 al. 5 LTVTC pour voir son AUADP maintenue.

e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente par le destinataire de la décision litigieuse, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 60 al. 1 let. a et b et 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             De jurisprudence constante, la chambre administrative est habilitée à revoir, à titre préjudiciel et à l’occasion de l’examen d’un cas concret, la conformité des normes de droit cantonal au droit fédéral (ATA/675/2021 du 29 juin 2021 consid. 6 ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. 1, 3e éd., 2012, p. 345 ss n. 2.7.3). Cette compétence découle du principe de la primauté du droit fédéral sur le droit des cantons, ancré à l’art. 49 Cst. (ATF 138 I 410 consid. 3.1 ; ATA/397/2021 du 13 avril 2021 consid. 6). D’une manière générale, les lois cantonales ne doivent rien contenir de contraire à la Cst., aux lois et ordonnances du droit fédéral (ATF 145 IV 10 consid. 2.1 ; ATA/1299/2020 du 15 décembre 2020 consid. 4a ; Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER/ Maya HERTIG RANDALL/Alexandre FLÜCKIGER, Droit constitutionnel suisse, vol. 1, 4e éd., 2021, p. 33 ss n. 1982 ss). Le contrôle préjudiciel permet de déceler et de sanctionner la violation par une loi ou une ordonnance cantonale des droits garantis aux citoyens par le droit supérieur. Toutefois, dans le cadre d'un contrôle concret, seule la décision d'application de la norme viciée peut être annulée (ATA/1367/2019 du 10 septembre 2019 consid. 6b ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, op. cit., p. 352 ss n. 2.7.4.2).

La juridiction constitutionnelle suisse consacre de façon générale le système diffus de contrôle de constitutionnalité. Toute autorité chargée de l’application des normes doit examiner si celles-ci sont conformes au droit supérieur et, si tel n’est pas le cas, refuser de les mettre en œuvre. Cette obligation est désignée par l’expression « contrôle préjudiciel général » (Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER/ Maya HERTIG RANDALL/Alexandre FLÜCKIGER, op. cit., p. 733 n. 1982). Le contrôle préjudiciel général s’exerce également sur les actes législatifs cantonaux, en tout cas dans la mesure où leur conformité au droit fédéral et au droit international est en cause. Cette conclusion s’impose en vertu du principe de la primauté du droit fédéral sur le droit cantonal (art. 49 al. 1 Cst. ; Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER/Maya HERTIG RANDALL/Alexandre FLÜCKIGER, op. cit., p. 736 n. 1991). Le PCTN pouvait ainsi examiner le grief tiré d’une violation du principe de non-rétroactivité des lois.

3.             La LTVTC, actuellement en vigueur depuis le 1er novembre 2022, résulte du projet de loi (ci-après : PL) n° 12'649 sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur, déposé par le Conseil d’État devant le Grand Conseil le 26 février 2020. Ce projet a été renvoyé à la commission parlementaire des transports qui a rendu deux rapports, respectivement le 16 août 2021 (ci-après : Rapport A) et le 11 janvier 2022 (ci-après : Rapport B).

3.1 Dans sa présentation du PL, le département a apporté les précisions suivantes. En raison du numerus clausus des AUADP, le délai d’attente pour leur obtention pouvait atteindre plusieurs années, ce qui augmentait leur valeur économique et permettait à leurs titulaires de gagner de l’argent en vivant de la rente résultant de la location de leurs plaques pour un loyer dépassant parfois plus de dix fois le montant de la taxe annuelle. De nombreux chauffeurs voulant exercer la profession de taxi étaient ainsi contraints de louer une AUADP, ce qui les rendait dépendants et économiquement vulnérables. Il était apparu que 53 personnes détenaient 150 AUADP, dont une personne qui en avait dix. En l’absence d’outils permettant de contrôler les prix, le PL prévoyait de supprimer la cession des plaques, en recourant à leur location ou au bail à ferme. Ainsi, selon le PL, le détenteur d’une AUADP pouvait soit l’utiliser lui-même, soit engager un chauffeur pour l’utiliser, qui devenait contractuellement son employé, soit céder définitivement l’AUADP.

3.2 Il ressort des débats que la commission parlementaire a voulu supprimer la location des plaques, qui conférait une rente de situation aux titulaires d’une AUADP, lesquels les louaient à un prix abusif. Le bail à ferme, tel qu’il était pratiqué par certaines personnes, restait un système exploitant une certaine dépendance, qui permettait la réalisation de marges excessives par rapport à l’outil de travail proposé, en tirant profit d’un avantage octroyé par l’État pour le monnayer. Il convenait de supprimer cette possibilité, une indemnisation étant introduite dans les dispositions transitoires en faveur des personnes rendant leur AUADP.

3.3 À l’issue de la séance du 28 janvier 2022, le Grand Conseil a adopté la LTVTC (loi 12'649), publiée le 4 février 2022 dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) fixant le délai référendaire au 16 mars 2022.

3.4 Vu l’expiration du délai référendaire, le Conseil d’État a, par arrêté du 23 mars 2022 publié dans la FAO du 25 mars 2022, promulgué la LTVTC pour être exécutoire dans tout le canton dès le lendemain de la publication dudit arrêté, l’entrée en vigueur de la loi devant être fixée ultérieurement par le Conseil d’État. Lors de son communiqué hebdomadaire du 19 octobre 2022, le Conseil d’État a annoncé que la LTVTC et son règlement d’application entreraient en vigueur le 1er novembre 2022.

4.             Le recourant considère que l’art. 46 al. 13 LTVTC n’est pas conforme au principe de la non-rétroactivité des lois, dans la mesure où il prend en compte la date du dépôt de ladite loi, et non son entrée en vigueur, pour examiner la condition de l’usage effectif de l’AUADP. Cet argument semble confondre deux questions distinctes, à savoir, d’une part, celle de la non-rétroactivité des lois et, d’autre part, celle des modalités du régime transitoire. Il convient de les examiner l’une après l’autre.

4.1 L’art. 46 al. 13 LTVTC dispose, sous l’intitulé « Attribution des autorisations restituées ou caduques », que : « Le département peut attribuer l’autorisation d’usage accru du domaine public à la personne physique ou morale qui en était l’utilisateur effectif au moment du dépôt de la présente loi, s’il en est toujours l’utilisateur au moment de l’adoption de la loi, en fait la requête et réalise les conditions de délivrance visées à l’article 13, alinéa 5, de la présente loi ».

4.2 Selon un principe général de droit intertemporel, rappelé dans l’arrêt 2C_339/2021 du Tribunal fédéral du 4 mai 2022 (consid. 4.1), les dispositions légales applicables à une contestation sont celles en vigueur au moment où se sont produits les faits juridiquement déterminants pour trancher celle-ci (ATF 146 V 364 consid. 7.1 ; 140 V 41 consid. 6.3.1). Liée aux principes de sécurité du droit et de prévisibilité, l'interdiction de la rétroactivité des lois résulte du droit à l'égalité de traitement (art. 8 Cst.), de l'interdiction de l'arbitraire et de la protection de la bonne foi (art. 5 et 9 Cst.). L'interdiction de la rétroactivité (proprement dite) fait obstacle à l'application d'une norme à des faits entièrement révolus avant son entrée en vigueur (ATF 147 V 156 consid. 7.2.1), car les personnes concernées ne pouvaient, au moment où ces faits se sont déroulés, connaître les conséquences juridiques découlant de ces faits et se déterminer en connaissance de cause. Une exception à cette règle n'est possible qu'à des conditions strictes, soit en présence d'une base légale suffisamment claire, d'un intérêt public prépondérant et moyennant le respect de l'égalité de traitement et des droits acquis (ATF 147 V 156 consid. 7.2.1 ; 146 V 364 consid. 7.1 ; 138 I 189 consid. 3.4). La rétroactivité doit en outre être raisonnablement limitée dans le temps (ATF 147 V 156 consid. 7.2.1 ; 146 V 364 consid. 7.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_366/2016 du 13 février 2017 consid. 2.1).

4.3 En l’espèce, la requête – c’est-à-dire le fait juridiquement déterminant – du recourant auprès du PCTN en vue de l’obtention d’une AUADP date du 2 novembre 2022, soit après l’entrée en vigueur de la nouvelle LTVTC. Cette demande doit donc s’examiner au regard de la nouvelle réglementation, conformément au principe général du droit intertemporel rappelé par la jurisprudence fédérale susmentionnée. Contrairement à ce que semble penser le recourant, sa requête ne soulève pas de question sous l’angle de la rétroactivité des lois puisqu’elle a été déposée après l’entrée en vigueur de la nouvelle LTVTC. Ce grief doit être écarté.

5.             Le recourant soulève aussi la question des modalités du régime transitoire. Celle-ci implique au préalable d’examiner si la nouvelle réglementation entrée en vigueur le 1er novembre 2022 exige la mise en place d’un régime transitoire en faveur du recourant. Celui-ci est chauffeur de taxi louant une AUADP depuis août 2021, après avoir obtenu la carte professionnelle de chauffeur de taxi en juin 2021.

5.1 L'ordre juridique suisse peut être modifié à tout moment, conformément aux principes régissant la démocratie. Il n'existe pas, selon le Tribunal fédéral, de droit au maintien d'une certaine législation (arrêt du Tribunal fédéral 2E_3/2020 du 11 novembre 2021 consid. 9.7.2 et arrêts cités). Dans certaines circonstances, la jurisprudence a toutefois déduit des principes de l'égalité de traitement, de la bonne foi, de la proportionnalité et de l'interdiction de l'arbitraire, l'obligation pour le législateur de prévoir un régime transitoire (ATF 145 II 140 consid. 4 ; 134 I 23 consid. 7.6.1 ; 130 I 26 consid. 8.1 ; 128 I 92 consid. 4). Un tel régime doit permettre aux administrés de s'adapter à la nouvelle réglementation et non pas de profiter le plus longtemps possible de l'ancien régime plus favorable (ATF 145 II 140 consid. 4 ; 134 I 23 consid. 7.6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2E_3/2020 précité consid. 9.7.2).

Il n'y a pas de droit constitutionnel à cet égard (ATF 118 Ib 241 consid. 5e et 9b ; arrêt du Tribunal fédéral 2E_3/2020 précité consid. 9.7.2). L'auteur de la réglementation dispose d'une large marge d'appréciation (ATF 128 I 92 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_482/2020 du 28 septembre 2021 consid. 7.2). Il faut, le cas échéant, procéder à une pesée des intérêts entre la protection de la bonne foi et le principe de la légalité qui exige que, sauf motif particulier, les lois ou ordonnances entrent en vigueur sans retard (arrêts du Tribunal fédéral 2C_158/2012 du 20 avril 2012 consid. 3.8 ; 1A.196/1999 du 24 novembre 1999 consid. 6a). La question de savoir quand le nouveau droit doit entrer en vigueur et selon quelles modalités dépend du but poursuivi par la norme. Une entrée en vigueur immédiate se justifie lorsqu'il s'agit d'éviter qu'à la faveur de certains délais, les intéressés ne se hâtent de faire ce que le nouveau droit tend à interdire, privant ainsi la loi de son effet (ATF 114 Ib 17 consid. 4 et 6b ; 104 Ib 205 consid. 5b).

En revanche, lorsque le changement de législation conduit les particuliers à des sacrifices trop importants au regard du but visé, il peut se justifier d'aménager l'entrée en vigueur, par exemple en publiant la loi assez tôt pour permettre aux personnes visées de prendre leurs dispositions, ou en prévoyant une entrée en vigueur par paliers, la possibilité d'octroyer des autorisations exceptionnelles ou encore des délais d'adaptation. Il convient toutefois de faire preuve de retenue à cet égard et de n'agir qu'en présence d'intérêts dignes de protection, car, outre l'intérêt public à une application immédiate du nouveau droit, les principes de l'égalité de traitement et de la sécurité du droit commandent que les anciens rapports juridiques soient rendus conformes au nouveau droit dans les meilleurs délais (arrêt du Tribunal fédéral 2E_3/2020 précité consid. 9.7.2 et arrêts cités).

5.2 La présente espèce se distingue des affaires ayant donné lieu aux ATA/525/2023 du 23 mai 2023 et ATA/687/2023 du 27 juin 2023. Celles-ci concernaient respectivement un chauffeur de taxi louant une AUADP depuis mai et juillet 2022, soit une période postérieure tant à la publication de l’adoption, le 28 janvier 2022, de la nouvelle LTVTC dans la FAO du 4 février 2022 qu’à la promulgation de cette loi, publiée dans la FAO du 25 mars 2022. Cette seconde publication constatait, d’une part, l’expiration du délai référendaire sans utilisation du référendum contre la nouvelle LTVTC et annonçait, d’autre part, sa future entrée en vigueur à une date à fixer ultérieurement par le Conseil d’État.

Le recourant loue une AUADP depuis août 2021, après avoir obtenu la carte professionnelle de chauffeur de taxi le 14 juin 2021 et signé le 12 août 2021 le contrat « de mise à disposition » y relatif. Ces deux dates correspondent à une période antérieure aux deux publications précitées, ce qui constitue une différence importante avec les affaires susmentionnées. Contrairement à celles-ci, le recourant ne savait ni ne pouvait de bonne foi savoir, au moment où il a conclu le contrat de location de l’AUADP le 12 août 2021, que la nouvelle LTVTC, et en particulier son art. 46 al. 13, serait adoptée, ni que l’exercice de la profession de chauffeur de taxi par le biais de la location d’une AUADP serait définitivement interdit par la loi. Une telle issue était alors seulement hypothétique vu les travaux législatifs en cours. Autre était la situation du chauffeur de taxi visé par l’arrêt précité de mai 2023, qui devait, pour les raisons susévoquées, connaître et s’attendre audit changement de loi et de pratique lorsqu’il a décidé, en mai 2022, d’exercer la profession de chauffeur de taxi moyennant la location d’une AUADP. Il va de soi que l’existence d’une probabilité qu’un événement se réalise n’est pas comparable à la survenance de celui-ci. Celle-ci supprime, à l’instar de la situation traitée dans l’arrêt de mai 2023, tout doute quant à sa réalisation. Ce même raisonnement s’applique à l’affaire susmentionnée de juin 2023.

5.3 Ainsi, les situations exigeant l’instauration d’un régime transitoire par le législateur résultent d’une pesée des intérêts entre la protection de la bonne foi et le principe de la légalité impliquant, en général, une entrée en vigueur immédiate du nouveau droit. À cet égard, la jurisprudence précitée rappelle que cette mise en balance s’effectue uniquement s’il existe des intérêts dignes de protection, eu égard non seulement au principe de la légalité mais également à ceux de l’égalité de traitement et de la sécurité du droit. Tel n’est pas le cas si le but de l’administré est de profiter le plus longtemps possible de l’ancien régime plus favorable.

Conformément aux deux conditions cumulatives découlant de la jurisprudence susmentionnée, la mise en place d’un régime transitoire présuppose d’abord d’avoir bénéficié de l’application de l’ancien droit, ce qui a été le cas du recourant dès août 2021. La seconde condition implique que le recourant ait dû supporter un sacrifice trop important découlant du changement de législation. Il convient de rappeler que le législateur, auteur de la réglementation en cause, dispose d’une large marge d’appréciation et que le but poursuivi par la norme est un critère décisif pour déterminer la date d’entrée en vigueur ainsi que ses modalités, compte tenu de la jurisprudence précitée. Dès lors, la notion jurisprudentielle de « sacrifice trop important » étant une notion juridiquement indéterminée, il revient, en premier lieu, au législateur de la préciser à l’aune du but poursuivi par la nouvelle réglementation et dans le respect des principes constitutionnels, tels que celui de la légalité, de la bonne foi et l’égalité de traitement.

5.4 Une des nouveautés importantes de la nouvelle LTVTC, entrée en vigueur le 1er novembre 2022, est la suppression de la cession des AUADP (art. 13 al. 3 LTVTC) et de toute possibilité de location de plaque ou de bail à ferme (p. 123 et 236 du Rapport A), rediscutée lors du deuxième renvoi en commission (p. 3, 7, 10 ss, 20 ss et 39 ss Rapport B). Ce changement législatif a des répercussions tant sur les bailleurs que sur les locataires des AUADP, pour lesquels un régime transitoire a été prévu à l’art. 46 al. 8 à 12 pour les premiers et à l’art. 46 al. 13 pour les seconds. Les al. 8 à 12 précités se trouvent, à l’art. 46 LTVTC, sous l’intitulé « Interdiction de la mise à disposition des [AUADP] » et l’al. 13 précité sous celui « Attribution des autorisations restituées ou caduques ».

5.4.1 La systématique de ces alinéas montre une corrélation entre ces deux réglementations transitoires en ce sens que l’application de l’art. 46 al. 13 LTVTC dépend de la restitution des AUADP par les bailleurs de celles-ci, régie par les al. 8 à 12 précités. L’art. 46 al. 13 LTVTC met aussi en place un traitement privilégié en faveur des locataires des AUADP par rapport aux personnes figurant sur la liste d’attente d’une AUADP, à certaines conditions. Certaines de celles-ci sont contestées en l’espèce, ce qui constitue l’objet du présent litige.

5.4.2 À titre de rappel, la teneur de l’art. 46 al. 13 LTVTC pose quatre conditions que le locataire d’une AUADP sous l’ancien droit doit remplir : être l’utilisateur effectif de l’AUADP « au moment du dépôt de la présente loi », l’être « toujours […] au moment de l’adoption de la loi », faire la requête de l’AUADP et réaliser les conditions de délivrance de l’AUADP visées à l’art. 13 al. 5 LTVTC. Cette norme-ci exige entre autres d’être titulaire d’une carte professionnelle et d’en réaliser toujours les conditions d’octroi (let. a), de ne pas avoir contrevenu, dans les trois années précédant la requête, de manière grave ou répétée aux dispositions de la LTVTC ou à ses normes d’exécution (let. b) et de s’être acquitté de la taxe annuelle (let. c).

Parmi les quatre conditions précitées posées par l’art. 46 al. 13 LTVTC, est en l’espèce litigieuse celle exigeant d’être utilisateur effectif de l’AUADP « au moment du dépôt de la présente loi ». Il convient ainsi d’examiner la volonté du législateur sur ce point à la lumière des travaux préparatoires, afin de cerner la notion de « sacrifice trop important » justifiant, aux yeux du législateur genevois, un régime transitoire en faveur des locataires des AUADP aux conditions susmentionnées.

5.4.3 Ces travaux sont ponctués par deux rapports de la commission parlementaire en charge de l’examen de la nouvelle LTVTC actuellement en vigueur : le Rapport A déposé le 16 août 2021 devant le Grand Conseil et le Rapport B déposé devant ce dernier le 11 janvier 2022.

Le Rapport A décrit les travaux de la commission parlementaire menés d’avril 2020 à janvier 2021. Après une description du PL 12’649 initial du Conseil d’État par les représentants du département compétent, ce rapport retranscrit les nombreuses auditions effectuées ainsi que les interventions du département et les débats de la commission sur ce PL initial. Celui-ci a été déposé le 26 février 2020, peu de temps avant la période de confinement dû à la pandémie et décrété en Suisse mi-mars 2020. Ces premiers travaux ont donné lieu à plusieurs amendements du PL initial par les commissaires et abouti à un nouveau PL, à savoir le PL 12’649-A.

À la suite de plusieurs sollicitations du milieu professionnel concerné, les commissaires ont voté un renvoi urgent du PL 12’649-A en commission, ce qui a donné lieu au deuxième tour des travaux de la commission décrits dans le Rapport B. Après une présentation du département sur les sujets sélectionnés par la commission en vue d’un deuxième traitement et une audition, la commission a discuté sur trois notes du département (annexe 2 à 4 du Rapport B) et procédé à de nouveaux débats et au vote final. Ces travaux ont conduit à de nouveaux amendements des commissaires et abouti à un nouveau PL 12’649-B, soumis à la séance plénière du Grand Conseil du 28 janvier 2022.

5.5 La question litigieuse porte, en l’espèce, sur la condition susévoquée d’être utilisateur effectif de l’AUADP « au moment du dépôt de la présente loi », formulation pouvant prêter à interprétation. Il n’est pas non plus clair si le locataire de l’AUADP doit en être l’utilisateur effectif depuis le « dépôt de la présente loi » jusqu’à son adoption, c’est-à-dire pendant toute la période comprise entre ces deux moments, ou s’il ne doit l’être qu’à ces deux moments précis. Il y a lieu de rappeler que cette période, située entre fin février 2020 et fin janvier 2022, a connu de nombreuses et variables restrictions liées à la crise sanitaire, avec des répercussions sociales et économiques importantes. Il est ainsi, dans ce contexte si particulier, d’autant plus essentiel de rechercher la volonté du législateur genevois sur ce point, compte tenu de l’impact de la nouvelle réglementation sur les chauffeurs ayant loué une AUADP à une époque où ils ne pouvaient de bonne foi pas s’attendre à l’interdiction de cette pratique.

5.5.1 L’al. 13 de l’art. 46 LTVTC est une disposition transitoire qui ne figurait pas dans le PL 12’649 initial du Conseil d’État. À l’origine, l’art. 46 de ce PL contenait sept alinéas. Les réglementations transitoires susmentionnées, contenues actuellement aux al. 8 à 13 de l’art. 46 LTVTC, s’y sont ajoutées, en deux temps, lors du processus législatif décrit supra et développé infra.

5.5.2 S’est d’abord imposée l’idée de prévoir un passage en douceur en faveur des bailleurs des AUADP (p. 104 ss du Rapport A). Elle s’est concrétisée, à l’issue du 2e débat devant la commission parlementaire concernant le PL initial lors du premier renvoi, avec l’adoption de trois nouveaux alinéas, proposés par le département, à l’art. 46 LTVTC (qui étaient alors les al. 8, 9 et 10) sous l’intitulé « Interdiction de la mise à disposition des [AUADP] » (p. 207 s du Rapport A). Ce sujet a été discuté à plusieurs reprises au sein de la commission, notamment après les auditions des milieux concernés, entre la fin du 2e débat et le 3e débat du PL initial lors du premier renvoi (p. 104 ss, 207s et 213s du Rapport A), ainsi que lors du deuxième renvoi en commission (p. 25 ss et 38 ss Rapport B). Les discussions ont notamment porté sur le moyen d’inciter les bailleurs d’AUADP à remettre celles-ci, et les plaques correspondantes, qu’ils n’utilisaient plus personnellement. Elles ont finalement abouti, lors du deuxième renvoi en commission, à l’adoption des al. 8 à 12 de l’art. 46 LTVTC, actuellement en vigueur. Deux préoccupations ont guidé les travaux des commissaires. Ceux-ci tenaient, d’une part, à mettre fin à la pratique, jugée problématique, que des personnes puissent tirer un profit, qui plus est excessif, de ce qu’elles avaient obtenu gratuitement de l’État et, d’autre part, à assurer le respect de la liste d’attente (p. 109 du Rapport A).

5.5.3 En revanche, les commissaires ont peu discuté du traitement transitoire en faveur des locataires des AUADP, qui n’était pas controversé. Il découle de quelques interventions à ce sujet qu’il leur semblait logique, voire évident, de leur attribuer en priorité les AUADP qui seraient restituées au département par les bailleurs de celles-ci. À ce sujet, on peut citer les propos du président de la commission lors du deuxième renvoi en commission, soulignant que le régime transitoire prévoyait « une attribution en priorité à l’utilisateur effectif » (p. 39 du Rapport B) et que « l’objectif [était] de donner la priorité aux utilisateurs effectifs et de mettre fin au bail à ferme » (p. 40 du Rapport B). Les représentants du département ont relevé, lors du deuxième renvoi en commission, s’agissant du régime transitoire en faveur des locataires des AUADP, qu’il s’agissait d’un « aspect social » afin de clarifier rapidement leur situation puisqu’ils dépendaient encore de leur bailleur à qui ils devaient payer la location. Le bailleur avait une obligation soit d’employer les chauffeurs locataires, soit de restituer les AUADP. Les représentants du département signalaient aussi l’existence d’une disposition transitoire permettant « au département d’attribuer l’AUADP restituée à la personne qui l’exploitait effectivement, soit au locataire. Cette clause évit[ait] que le locataire ne perde son outil de travail lorsque l’AUADP [était] restituée par le bailleur » (p. 27 du Rapport B). Par ailleurs, lors du premier renvoi en commission, après le 2e débat et avant le 3e débat sur le PL initial, le président alors en charge du département avait déjà admis qu’il fallait « obliger [les bailleurs] à remettre les plaques à ceux qui les utilis[ai]ent vraiment » (p. 213 du Rapport A). Un député avait aussi souligné l’importance de protéger les locataires des plaques qui « devraient avoir un accès privilégié et venir en tête de liste » (p. 214 du Rapport A), ce qui n’a été contesté par aucun autre membre de la commission. Aucune exigence de durée minimale d’utilisation effective de l’AUADP par son locataire n’apparaît à aucun moment dans les travaux préparatoires.

Ce n’est qu’à l’issue du 3e débat, dans le cadre du premier renvoi en commission, qu’un régime transitoire en faveur des locataires d’AUADP a été introduit dans le PL par les commissaires sous l’al. 10 de l’art. 46 d’alors (p. 235s du Rapport A). La teneur, mise au vote de ce nouvel al. 10 devant la commission parlementaire, est mise en évidence dans le Rapport A, par l’usage du gras, de l’italique et du rouge et d’un encadrement de cet alinéa 10 d’alors, en ces termes : « Le département peut attribuer l’autorisation d’usage accru du domaine public à la personne physique ou morale qui en était l’utilisateur effectif au moment de l’adoption de la loi, en fait la requête et réalise les conditions de délivrance visées à l’article 13, alinéa 5, de la présente loi » (p. 236 du Rapport A). Cette teneur, signalée comme étant l’art. 46 al. 10 tel qu’amendé par le département, a été acceptée par tous les commissaires, sans aucune opposition ni abstention (p. 236 du Rapport A). Elle ne contient pas la condition litigieuse dans la présente cause, qui exige d’être « l’utilisateur effectif au moment du dépôt de la présente loi ». Le président de la commission a ensuite mis au vote l’intégralité de l’art. 46 dans sa version alors amendée, qui a été unanimement acceptée, puis le PL 12649, tel qu’amendé par la commission, devenu le PL 12649-A, majoritairement accepté sous réserve de deux abstentions (p. 236 et 240 ss Rapport A).

5.5.4 De nouvelles discussions ont eu lieu lors du deuxième renvoi, en urgence, devant la commission parlementaire, sous la nouvelle présidence du département. Elles ont abouti à quelques nouveaux amendements. Ceux-ci ne sont pas déterminants par rapport à l’art. 46 al. 13 LTVTC qui est au centre de la présente procédure, si ce n’est pour des raisons formelles liées à la numérotation actuelle des alinéas de l’art. 46 LTVTC. C’est lors de ce deuxième renvoi en commission qu’ont été introduits les alinéas actuels 9, 10 et 11, l’ancien al. 9 devenant l’actuel al. 12 et l’ancien al. 10 devenant l’actuel al. 13 (p. 45, 69 et 107 du Rapport B).

5.5.5 Un constat frappant découle des travaux de la commission, dans le cadre du premier renvoi du PL initial en commission, au sujet de l’ancien al. 10, devenu l’actuel al. 13, de l’art. 46 prévoyant le régime transitoire en faveur des locataires des AUADP. La teneur susmentionnée relative à ce régime transitoire, acceptée unanimement par la commission parlementaire (p. 236 du Rapport A), n’est pas celle qui a été retranscrite dans le PL 12’649-A (p. 261 du Rapport A), pourtant censé contenir tous les amendements au PL initial que ladite commission a votés et acceptés. Cette retranscription erronée a été reprise dans le PL 12'649-B (p. 69 et 105 ss du Rapport B). Cette erreur n’a été repérée à aucun moment ultérieur du processus législatif et se retrouve dans la version actuellement en vigueur de l’art. 46 al. 13 LTVTC.

5.5.6 Il existe aussi, au sujet de l’al. 8 de l’art. 46 du PL, un décalage similaire entre la version acceptée par la commission, prévoyant un délai de douze mois (p. 235 du Rapport A), et celle répercutée dans le PL 12649-A (p. 261 du Rapport A), qui a conservé le délai de six mois proposé initialement par le département au lieu d’y intégrer le délai de douze mois voté par la commission. Cela étant, ce décalage a été identifié par une députée comme étant une « erreur de forme qui s’était glissée lors de l’amendement final » lors du deuxième tour des travaux de la commission (p. 38 du Rapport B). Cette erreur a ainsi pu être corrigée dans le PL 12’649-B (p. 38 et 68 du Rapport B).

5.6 Dans ces conditions, se pose la question du sort qu’il convient de réserver à la divergence constatée entre la version – à l’origine de l’actuel art. 46 al. 13 LTVTC (régime transitoire en faveur des locataires d’AUADP) – adoptée par la commission parlementaire (p. 236 du Rapport A) et celle retranscrite, de manière erronée, dans le PL 12’649-A (p. 261 du Rapport A) puis reportée dans le PL 12’649-B soumis au vote plénier du Grand Conseil (p. 69 et 105 ss du Rapport B). En recherchant la volonté du législateur au sujet de la condition litigieuse figurant dans la teneur en vigueur de l’art. 46 al. 13 LTVTC, la chambre administrative constate qu’il ressort des travaux préparatoires susmentionnés que cette condition n’a pas été acceptée par la commission parlementaire alors que l’article topique a fait l’objet d’un vote spécifique de celle-ci.

5.6.1 La première conclusion s’imposant à l’issue de ce constat est qu’il n’est pas possible d’interpréter l’art. 46 al. 13 LTVTC à la lumière de sa seule lettre. En effet, d’une part, celle-ci ne semble pas correspondre à la volonté initiale clairement exprimée dans le Rapport A de la commission parlementaire. D’autre part, l’idée de transmettre les AUADP remises par les bailleurs aux locataires effectifs a été admise au cours des travaux préparatoires, sans qu’elle ne suscite de débats ou désaccords ni qu’elle ne soit subordonnée à une exigence particulière, notamment de durée minimale d’utilisation effective. Cette idée correspond d’ailleurs au but poursuivi par la nouvelle LTVTC consistant à supprimer la location de plaques et le bail à ferme en faveur du principe exprimé à l’art. 13 al. 3 LTVTC, selon lequel l’AUADP est personnelle et intransmissible.

5.6.2 Dans ces circonstances inhabituelles, la chambre administrative peut difficilement considérer l’ajout – inexpliqué – de la condition litigieuse comme étant une volonté de la commission parlementaire vu que celle-ci a accepté une teneur correspondant à l’actuel art. 46 al. 13 mais sans la condition litigieuse. Si, certes, le département compétent est habilité à présenter le PL (art. 109 al. 2 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 - Cst‑GE - A 2 00), la décision de l’adopter, le cas échéant après l’avoir modifié par des amendements votés en commission puis, le cas échéant en séance plénière du Grand Conseil, relève de la compétence de l’organe législatif (art. 91 al. 1 Cst-GE) et non de l’organe exécutif, conformément au principe de la séparation des pouvoirs. À cet égard, le fait que le Conseil d’État dirige la phase préparatoire de la procédure législative (art. 109 al. 1 Cst-GE) et qu’il puisse aussi présenter des amendements et des propositions au Grand Conseil (art. 109 al. 2 Cst-GE) ne le dispense pas, dans ces cas, de clairement le signaler lors des travaux préparatoires, ce qui n’a pas été le cas concernant l’ajout de la condition litigieuse dans le PL 12’649-A, repris ensuite jusqu’au vote final du parlement genevois sans que personne ne remarque le rajout litigieux.

Reconnaître une valeur juridiquement contraignante à cette condition dans de telles circonstances compromettrait la mission confiée à la commission parlementaire par le Grand Conseil et la confiance qui y est légitimement associée. En effet, s’agissant du fonctionnement du Grand Conseil, l’art. 90 al. 1 Cst-GE dispose que le Grand Conseil constitue des commissions afin de préparer ses débats (phr. 1ère). La compétence de celles-ci est régie par l’art. 90 Cst-GE. Il est donc essentiel, pour garantir le bon fonctionnement de cette institution démocratique fondamentale, de veiller à une correcte retranscription des votes et amendements des commissions dans les documents pertinents. Le fait que tel n’a pas été le cas concernant la condition litigieuse de l’art. 46 al. 13 LTVTC nuit à la correcte transmission de la volonté claire et unanime de la commission parlementaire auprès des membres du Grand Conseil réunis en séance plénière et ainsi au processus démocratique d’adoption des lois.

Cela étant, qu’il s’agisse d’une simple erreur de transcription, à l’instar de l’autre erreur du même type relevée plus haut, ou d’un acte délibéré, ne change rien au fait qu’à aucun moment, ni la commission parlementaire, ni d’ailleurs le Grand Conseil, n’ont voulu limiter le cercle des utilisateurs effectifs d’AUADP, qui ont de bonne foi recouru à la location des plaques, à d’autres conditions que celles votées par la commission parlementaire à la fin du 3ème débat du premier renvoi en commission, juste avant son vote final (p. 236 du Rapport A). C’est ainsi dans ce sens qu’il y a lieu de définir la notion jurisprudentielle de « sacrifice trop important » justifiant in casu un régime transitoire en faveur des locataires des AUADP en raison du changement législatif apporté par la nouvelle LTVTC, entrée en vigueur le 1er novembre 2022, à la pratique de location de plaque, désormais légalement interdite.

Enfin, la chambre de céans peine à comprendre l’introduction du critère litigieux consistant à exiger d’avoir aussi été locataire effectif « au moment du dépôt de la présente loi », en l’absence de toute explication quant à sa motivation et/ou à sa mise en œuvre compte tenu du contexte exceptionnel lié à la crise sanitaire survenue peu après le dépôt du PL 12'649. Celle-ci a non seulement conduit au confinement dès mi-mars 2020 mais également à plusieurs restrictions affectant la population dans ses rapports sociaux mais également sur le plan économique, et ce pendant la période visée par la teneur en vigueur de l’art. 46 al. 13 LTVTC, soit de fin février 2020 à fin janvier 2022. Dans un contexte si singulier, il est surprenant qu’aucune référence n’y soit faite alors qu’est en cause un régime censé assurer une transition la moins abrupte possible aux locataires des AUADP. La formulation de la condition litigieuse est par ailleurs erronée puisqu’au moment du dépôt seul existait un PL, et non la loi.

Le département n’a pas non plus apporté d’explication à la divergence entre la version acceptée par la commission, ne contenant pas la condition litigieuse et n’ayant pas été correctement retranscrite dans le PL 12649-A respectivement le PL 12’649-B, destinés à la plénière du parlement, et celle finalement entrée en vigueur.

Dans ces circonstances, la chambre administrative ne peut retenir que le texte formellement adopté reflète la volonté du législateur genevois d’exiger des locataires des AUADP d’être des utilisateurs effectifs de celles-ci non seulement au moment de l’adoption de la nouvelle LTVTC, le 28 janvier 2022, mais également au moment du dépôt du PL y relatif, le 26 février 2020. Admettre le contraire compte tenu de la retranscription erronée du vote clair et unanime de la commission et de l’intention de celle-ci rappelée reviendrait à imputer une volonté au parlement, qui n’a pas été acceptée par les commissaires, qui ont en amont œuvré de manière approfondie à son élaboration alors qu’à aucun moment des travaux préparatoires n’apparaît la volonté de limiter le cercle des chauffeurs ayant loué de bonne foi les AUADP, à d’autres conditions que celles votées par la commission à la fin du 3e débat du premier renvoi en commission.

Le fait de circonscrire le cercle des locataires d’AUADP aux utilisateurs effectifs au moment de l’adoption de la nouvelle loi permet d’assurer le respect du principe de la bonne foi, en évitant des abus consistant à louer une AUADP pour pouvoir bénéficier de l’application de l’art. 46 al. 13 LTVTC et ainsi courcircuiter l’ordre prévu dans la liste d’attente. Comme déjà relevé dans les ATA/525/2023 et ATA/687/2023 précités, le régime transitoire ne sert pas à tirer profit de l’ancien droit le plus longtemps possible, mais à permettre un passage en douceur pour les personnes subissant des sacrifices trop importants du fait de la nouvelle réglementation. Considérer que tel est le cas des personnes utilisant effectivement les AUADP au moment de l’adoption de la LTVTC est soutenable au regard du but poursuivi par la nouvelle réglementation et de l’importance, pour les membres de la commission parlementaire, de supprimer les abus liés à la pratique des locations de plaques.

Au vu de ce qui précède et malgré la lettre de l’art. 46 al. 13 LTVTC, il y a lieu de considérer qu’il n’est pas décisif que le recourant ait été utilisateur d’une AUADP au moment du dépôt du projet de loi le 26 février 2020. Comme le recourant était, au regard du dossier produit, utilisateur effectif de l’AUADP depuis août 2021 de manière continue jusqu’au dépôt de sa requête au sens de l’art. 46 al. 13 LTVTC intervenu le 2 novembre 2022, il l’était au moment de l’adoption de la LTVTC, soit le 28 janvier 2022, et remplit ainsi la condition y relative. Il a en outre déposé ladite demande début novembre 2022, quelques jours après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Il n’apparaît pas que le recourant était une entreprise de diffusion de courses selon l’art. 46 al. 5 LTVTC. Il remplit ainsi les conditions d’octroi d’une AUADP au sens de l’art. 46 al. 13 LTVTC.

Partant, le recours sera admis et le dossier renvoyé au PCTN afin qu’il délivre au recourant une AUADP, pour autant que les autres conditions soient remplies, ce qui semble, a priori, le cas.

6.             Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée au recourant (art. 87 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 24 mars 2023 par A______ contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 23 février 2023 ;

au fond :

l’admet et annule la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 23 février 2023 ;

renvoie le dossier au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir en vue de l’octroi d’une autorisation d’usage accru du domaine public, au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à A______ une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l’État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Guy ZWAHLEN, avocat du recourant, ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : Valérie LAUBER, présidente, Valérie MONTANI, Florence KRAUSKOPF, Eleanor McGREGOR et Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

V. LAUBER

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :