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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3506/2020

ATA/664/2023 du 20.06.2023 sur JTAPI/647/2021 ( LCI ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET DROIT PUBLIC DES CONSTRUCTIONS;CONSTRUCTION ET INSTALLATION;CHANGEMENT D'AFFECTATION;PERMIS DE CONSTRUIRE;TRAVAUX SOUMIS À AUTORISATION;CONFORMITÉ À LA ZONE;ZONE AGRICOLE;BÂTIMENT D'EXPLOITATION AGRICOLE;GRANGE
Normes : LCI.1; LAT.16a; LAT.20.al1; LAT.22.leta; LAT.24; LAT.24d
Résumé : Le Tribunal fédéral a annulé l’arrêt ATA/24/2022 du 11 janvier 2022 et renvoyé le dossier à la chambre administrative, au motif qu’elle n’avait pas examiné concrètement si le bâtiment qui faisait l’objet de l’autorisation de construire justifiait un changement d’affectation. Il a rappelé que le devoir de vérifier, au stade de la procédure d’autorisation de construire, si la protection se justifie matériellement vaut également lorsque la mise sous protection formelle est déjà en force. Cette procédure formelle s’inscrit dans le cadre du droit cantonal uniquement et un nouvel examen à la lumière du droit fédéral est nécessaire dans la procédure d’autorisation de construire dérogatoire, afin de déterminer si la protection de la construction se justifie matériellement au sens de l’art. 24d al. 2 let. a LAT. Le TAPI n’ayant pas procédé à cet examen, la cause lui a été renvoyée pour instruction complémentaire et nouveau jugement, afin de préserver le double degré de juridiction.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3506/2020-LCI ATA/664/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 juin 2023

3ème section

 

dans la cause

 

A______

B______

C______

D______

représentés par Me Laurent WINKELMANN, avocat recourants

contre

E______

F______

G______

H______

I______

J______ intimés

représentés par Me Philippe COTTIER, avocat

et

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du
24 juin 2021 (JTAPI/647/2021)


EN FAIT

A. a. E______, F______, G______, H______, I______ et J______ (ci-après : les copropriétaires) sont copropriétaires de la parcelle n° 3'693 de la commune de K______, sur laquelle sont notamment construits les bâtiments nos 1______ (grange), 2______(bergerie), 3______ (réduit, porcherie), 4______ (couvert) et 5______ (ancien logement d’ouvriers agricoles).

La société A______ (ci-après : A______) est propriétaire de la parcelle adjacente n° 5'011 de cette même commune.

B______ est copropriétaire des parcelles nos 6'097 et 6'098 de la commune de K______, où est édifié un bâtiment d'habitation, sis chemin de L______ 44, dans lequel il loge.

M______ est propriétaire de la parcelle n° 6'176 de cette commune. S’y trouve notamment le bâtiment n°6______, loué à D______ et C______ à usage d’habitation.

Ces parcelles font partie du hameau de N______ et se situent en zone agricole.

b. Le 19 juin 2013, le Conseil d'État a approuvé le plan de site n° 7______
(ci-après : le plan de site) et son règlement, qui ont notamment pour but de protéger le hameau de N______ pour l’ensemble de ses qualités architecturales et paysagères.

Il ressort de l’exposé des motifs qu’en raison d'un nombre insuffisant de bâtiments le constituant, le hameau de N______ ne faisait pas partie de la liste, établie dans le plan directeur cantonal, des ensembles bâtis en zone agricole correspondant à la définition des hameaux et pouvant être déclassés, selon l'art. 22 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30). Néanmoins, une partie du site de N______ méritait d'être soumise à un régime de protection spécifique. Certains bâtiments qui constituaient le hameau avaient perdu tout ou partie de leur vocation agricole et leurs propriétaires souhaitaient affecter à l’habitat les constructions qui présentaient une valeur historique et architecturale. L’art. 24d al. 2 let. a de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700) permettait de modifier l’affectation de bâtiments agricoles si ces derniers bénéficiaient d’une mesure de protection assurant leur maintien durable. Dans ce contexte, la direction générale de l’agriculture (ci-après : DGA) avait accepté une proposition de modification des affectations selon un plan indiquant les bâtiments dont les surfaces actuellement affectées à des activités agricoles seraient dévolues à l’habitat et de ceux dans lesquels seraient regroupées les activités agricoles.

Le plan de site, qui englobe les parcelles nos 3'693, 5'011, 6'097, 6'098 et 6'176, désigne les « bâtiments maintenus », pouvant être considérés comme dignes de protection, les « autres bâtiments », pouvant être démolis et reconstruits pour autant qu’ils soient affectés à l’exploitation agricole, ainsi que les « bâtiments ou parties de bâtiments dont la démolition (parcelle n° 3'693) ou le déplacement (parcelle
n° 6'176) sont exigés en contrepartie de transformations nécessaires à une adaptation des locaux ou à un changement d’affection de bâtiments situés sur les parcelles concernées ».

Le bâtiment n° 1______ fait partie de la première catégorie, le bâtiment n° 2______ de la deuxième et les bâtiments nos 3______, 4______, 5______ et une partie du bâtiment n° 1______ de la troisième.

c. Par arrêt du 18 novembre 2014 (ATA/900/2014), la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a rejeté le recours interjeté par A______ et B______ contre l’arrêté du 19 juin 2013 précité, jugeant le plan de site conforme à la loi. Elle a notamment constaté que le bâtiment n° 1______, construit à la fin du 19ème siècle dans le style « Heimatstil », méritait selon la commission des monuments de la nature et des sites (ci-après : CMNS), une valeur de « 4+ Bien intégré (volume et substance) », ce qui était en soi suffisant pour le considérer comme étant digne d’être protégé au sens de l’art. 24d al. 2 LAT. Elle n’avait aucun motif de s’écarter de l’appréciation de la commission, composée de spécialistes. Partant, les bâtiments que le plan de site maintenait pouvaient valablement être considérés comme dignes de protection, alors que les « autres bâtiments » ne pourraient en aucun cas faire l’objet d’un changement complet d’affectation régi par l’art. 24d LAT. Chaque changement d’affectation devrait faire l’objet d’une demande d’autorisation de construire, procédure au cours de laquelle il serait vérifié que les conditions de l’art. 24d al. 2 et 3 LAT étaient respectées, tout comme les principes architecturaux et paysagés du site.

B. a. Le 15 mai 2019, les copropriétaires ont déposé une demande d'autorisation de construire afin de transformer la grange et y aménager huit logements avec création d'un sous-sol, installation de panneaux photovoltaïques et d'un abri pour voitures et vélos (demande DD 8______).

Suite aux préavis défavorables de l'office cantonal de l'agriculture et de la nature (ci-après: OCAN) et de la CMNS, le projet a été modifié et la demande n’a porté que sur la transformation de la grange en quatre logements.

Le 30 avril 2020, l’OCAN a rendu un nouveau préavis, favorable, avec dérogations et conditions. Les travaux ne pourraient pas débuter avant d'avoir démontré l'entrée en force d'une autorisation de construire permettant l'agrandissement de la bergerie, laquelle devrait être accompagnée d'une déclaration d'intention des propriétaires quant à ces travaux et d’un bail à ferme à l’attention des exploitants agricoles pour une durée d’au moins quinze ans.

Le 12 mai 2020, la CMNS a constaté que le projet avait évolué de manière satisfaisante et proposait désormais un programme allégé permettant une meilleure réaffectation de la grande ferme et des qualités paysagères du site, à savoir une toiture sobre avec un unique percement technique, l'absence d'excavation, le maintien des structures, une diminution du nombre de places de stationnement et un emplacement unique le long du mur mitoyen, la création d'un verger, la plantation de haies indigènes, une perméabilité des surfaces minérales ou des aires de stationnement. S’agissant d'un bâtiment ayant valeur d'inscription à l'inventaire, il était attendu que les volumes d'origine soient toujours nettement lisibles. Elle comprenait que la géométrie très particulière de la toiture de la ferme rendait complexe les prises de jour sur les façades gouttereaux. Afin d'émettre un avis circonstancié sur la pertinence du balcon, d'avancées et de certaines prises de jour sur l'étage deux, elle demandait des précisions complémentaires. En outre, le plan de site ne prévoyait pas de nouvelles constructions en dehors des aires d'implantation signifiées, à l'exception de constructions à affectation agricole, de sorte que l'aire d'implantation pour les deux abris à vélos à l'endroit signifié sur le plan de masse ne pouvait être acceptée. Enfin, elle demandait de réduire les épaisseurs de l'isolation intérieure, de poursuivre la réduction et l’ajustement des proportions des baies sur les façades pignons encore trop percées, et de conserver et restaurer les volets, portes et fenêtres anciennes situées dans les embrasures en pierres de taille ; en cas de remplacement, les nouvelles fenêtres devraient reconduire les partitions existantes, voire le type d'ouverture originelle.

Le 24 août 2020, le service des monuments et sites (ci-après : SMS) a préavisé favorablement le projet, avec dérogations et sous conditions. Le projet répondait désormais majoritairement aux remarques émises par la CMNS, respectant le bâtiment et les qualités paysagères du site. Il émettait un avis favorable au sujet des balcons et avancées sous toiture, vu qu'ils s'inséraient à l'intérieur des gabarits de cette dernière, à condition que l'ensemble de ces éléments soit traité en bois. Certaines tuiles du toit seraient en verre au droit des balcons ou d'autres prises de jour verticales selon un calepinage discret. L'isolation intérieure était réduite, la proportion des baies sur les façades pignons avait été réduite à 120 cm et les volets, portes et fenêtres anciens étaient conservés et restaurés.

Toutes les autres instances consultées se sont prononcées favorablement à la construction projetée, avec ou sans réserves.

Par décision du 1er octobre 2020, le département du territoire (ci-après : le département) a délivré l’autorisation de construire DD 8______.

b. Le 15 mai 2019, les copropriétaires ont également sollicité l’autorisation de démolir des dépendances, soit les bâtiments n° 3______, 4______ et 5______ et une partie du bâtiment n° 6 (demande M 9______).

Toutes les instances de préavis consultées se sont prononcées favorablement à la démolition projetée.

Par décision du 1er octobre 2020, le département a délivré l’autorisation de démolir M 9______.

c. Le 9 mars 2020, les copropriétaires ont déposé une demande d'autorisation de construire visant à l'agrandissement et à l'aménagement de la bergerie existante (demande DD 10______).

Dans son préavis positif du 22 juin 2020, l’OCAN a notamment relevé que les rénovations envisagées, qui consistaient en l’aménagement d’un avant-toit, permettraient une meilleure utilisation de la bergerie grâce à son agrandissement au rez-de-chaussée et à la création de volumes de stockage de fourrage à l’étage. Ces modifications étaient nécessaires au bon fonctionnement de l’exploitation par les agriculteurs. Vu la zone agricole, les copropriétaires devaient fournir un bail à ferme signé avec les fermiers, d’une durée minimale de quinze ans, pour le bâtiment considéré et les terrains avoisinants.

Par décision du 3 septembre 2020, le département a délivré l'autorisation de construire DD 10______.

C. a. Le 2 novembre 2020, A______, B______, O______, D______ et C______ (ci-après : A______ et consorts) ont recouru contre les autorisations DD 8______ et M 9______ auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après: TAPI). Ils ont conclu à leurs annulations et subsidiairement au renvoi du dossier à l'office des autorisations de construire afin d'instruire des mesures compensatoires pour les pertes de surfaces exploitables, permettant la continuation de l'exploitation agricole dans le hameau de N______ d'une manière profitable.

b. Les copropriétaires ont conclu à ce que les deux décisions attaquées soient déclarées conformes à la loi.

c. L’autorité intimée a conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

d. Par jugement du 24 juin 2021, le TAPI a rejeté le recours.

Les conditions posées par l'art. 24d al. 2 LAT étaient remplies. Le plan de site et le caractère digne de protection du bâtiment n° 1______ avaient été confirmés par jugement entré en force, constats qu'il n'y avait pas lieu de remettre en cause dans la mesure où l'état de fait n'avait pas changé.

Le bâtiment litigieux constituait un vaste volume qui n'était utilisé que de manière très marginale à des fins agricoles et dont les revenus, selon toute vraisemblance, étaient largement insuffisants pour couvrir à long terme les frais d'entretien. La transformation du bâtiment en vue d'y créer des logements paraissait être la meilleure option pour garantir sa conservation à long terme.

L'autorité intimée avait suivi les préavis favorables de l'OCAN, de la CMNS et du SMS, autorités composées de spécialistes. Lors du transport sur place du
13 juin 2014, il avait été constaté que le bâtiment n° 1______ n'était que partiellement utilisé pour les activités agricoles. Une association louait le rez-de-chaussée pour ses réunions quatre à cinq fois par année, une petite partie de la moisson était stockée à l'étage supérieur et quelques chèvres se trouvaient dans une partie délabrée au sud du bâtiment. La DGA, dans une note de service du 2 juillet 2009, avait relevé que les activités agricoles déployées dans ce bâtiment pouvaient être transférées dans d'autres bâtiments existants, notamment dans les espaces vides de la bergerie, qui serait a fortiori agrandie vu la DD 10______ délivrée à cet effet et entrée en force. Ainsi, le bâtiment n° 1______ n'était plus nécessaire à l'usage agricole. De plus, l'agrandissement autorisé de la bergerie, d'une surface de 128 m2, par l’installation d'avant-toits, ne créait pas de nouveau volume, ni de modification de la toiture du bâtiment.

Le projet de construction avait été modifié pour tenir compte des préavis successifs de la CMNS, qui avait examiné avec toute l'attention voulue ses différents aspects, notamment le traitement des murs pignons et l'aménagement des jours. Le SMS avait en outre expressément qualifié certains de ces éléments de modifications mineures de la structure du bâtiment. Le SMS et la CMNS avaient conclu que l'aspect extérieur et la structure architecturale du bâtiment n° 6 étaient pour l'essentiel maintenus.

L'avenir de l'exploitation agricole n'était pas mis en péril et l'exploitation des terrains agricoles environnants n'apparaissait pas être menacée par le projet en cause. Il n'apparaissait pas qu'il existât en l'espèce d'intérêts prépondérants s'opposant au projet de construction. La diminution des exploitations agricoles était un fait qui ne résultait pas directement de l'activité de l'État, mais des actions privées.

D. a. Par acte du 24 août 2021, A______, B______, D______ et C______ont formé recours contre ce jugement auprès de la chambre administrative, concluant à son annulation et à celle des autorisations de construire DD 8______ et de démolir M 9______.

Le dossier ne contenait aucune analyse de la valeur patrimoniale du bâtiment n° 1______ qui permettrait de le considérer comme étant digne de protection au sens de
l'art. 24d al. 2 let. a LAT. Son évaluation restait en attente sur le site internet de l'État de Genève. Les deux préavis de la CMNS ne contenaient aucune analyse de sa valeur architecturale.

En outre, le dossier ne fournissait aucun renseignement sur les revenus issus de ce bâtiment, dont l’entretien n’apparaissait pas particulièrement onéreux, ni sur le coût engendré par l'agrandissement de la bergerie voisine afin d’y déplacer les activités agricoles prétendument « marginales ».

Le TAPI s’était uniquement fondé sur la note de service du 2 juillet 2009 de la DGA et on ignorait pourquoi le transfert des activités agricoles dans d'autres bâtiments n'avait pas eu lieu depuis douze ans, ce qui semblait démontrer que le bâtiment n° 6 conservait une utilité pour l'exploitation agricole. Les travaux de transformation de la bergerie, portant sur 128 m2 d'espace ouvert, complété d'un nouveau mur remonté jusqu'à sa base, constituaient une construction de remplacement. Cet espace recouvert serait désormais impropre à la culture.

Le TAPI n'avait pas examiné la pertinence des préavis de la CMNS et du SMS s'agissant de la condition du maintien pour l'essentiel de l'aspect extérieur et de la structure architecturale du bâtiment n° 1______. Les interventions prévues dénaturaient complètement son aspect, ce qui ressortait d'une juxtaposition photographique. Il n'y avait pas besoin de faire appel à des spécialistes pour constater que l'aspect extérieur serait totalement bouleversé, altéré (constructions attenantes démolies, façades pignons percées de fenêtres, créations sur les deux autres murs de balcons, remplacement d'une partie des tuiles par des jours et modification complète de l'aspect des portes) au point que la vocation initiale de la grange disparaîtrait totalement. Dès lors, même si la CMNS et le SMS approuvaient l'esthétique du futur bâtiment, cette opinion ne saurait occulter le fait que celui-ci n'était pas « pour l'essentiel inchangé » comme le voulait la loi.

La situation n'était plus la même que celle examinée par la DGA en juillet 2009, ne serait-ce que parce qu'aux abords du périmètre visé par le plan de site, le plateau de N______ avait subi une substantielle modification lorsque les terrains agricoles avaient été remplacés par plusieurs groupes d'immeubles à l'ouest du périmètre déclassé des Grands Esserts. Les futures étapes du développement de ce nouveau quartier étendraient l'urbanisation jusqu'à la limite sud du périmètre du plan de site. Dans ces conditions, il n'était pas concevable qu'une nouvelle analyse de l'activité agricole déployée sur le plateau de N______ parvienne à la conclusion que celle-ci n'était pas menacée. Il fallait au contraire préserver l'existant, en particulier les locaux d'exploitation nécessaires. L'opinion du TAPI, fondée sur un état de fait dépassé, ne justifiait donc pas l'octroi de la dérogation.

b. Le 4 octobre 2021, les copropriétaires ont conclu au rejet du recours.

L'utilisation marginale du bâtiment n° 1______ avait été constatée à plusieurs reprises lors des divers transports sur place. L'autorisation DD 10______ ne visait pas à construire un avant-toit au bâtiment existant n° 2______, mais uniquement à fermer l'avant-toit existant. Les recourants n'avaient émis aucune observation lors de l'instruction de cette autorisation ni ne s'y étaient opposés. L'espace clos ainsi créé était sans commune mesure avec celui du bâtiment dont l'affectation était modifiée par les autorisations querellées.

L'OCAN s'était prononcé récemment sur le projet, notamment à l'occasion des préavis des 27 mai 2019 et 13 mars 2020.

c. Le 18 octobre 2021, le département a conclu au rejet du recours.

Le plan de site adopté le 19 juin 2013 désignait le bâtiment n° 1______ comme bâtiment maintenu, ce qui avait été confirmé par la chambre de céans. Le 16 avril 2018, le SMS et l'historien de l'inventaire des monuments d'art et d'histoire (IMAH) , après constat sur place, lui avaient donné une valeur plus élevée que celle de 4+ estimée au stade dudit arrêt, ce qui correspondait à une valeur d'inscription à l'inventaire, confirmée par la CMNS dans son préavis du 12 mai 2020. Cette dernière, dans son préavis précédent du 18 juin 2019, s'était également appuyée sur l'évaluation patrimoniale du 16 avril 2018. Conformément à l'art. 27D al. 2 LaLAT, il bénéficiait dès lors d'une mesure de protection au sens de l'art. 24d al. 2 let. a LAT.

Pour le reste, les recourants n’apportaient aucun élément permettant de contredire l’appréciation du TAPI. En particulier, ils ne démontraient ni même n'alléguaient qu'un transfert des activités agricoles dans un autre bâtiment serait impossible ou menacerait l'activité agricole existante, ce qui n'était pas le cas et avait au demeurant été dûment et scrupuleusement examiné lors du transport sur place du 13 juin 2014. L'aménagement des avant-toits de la bergerie, d'une surface largement inférieure à celle du bâtiment n° 1______, n'avait à évidence pas pour but de remplacer celui-ci. Cet aménagement ne rendrait pas les surfaces agrandies impropres à la culture, puisqu’elles n'étaient déjà plus cultivées en raison de leur emplacement sous un avant-toit préexistant. Il s'agissait au surplus d'un groupement tel que préconisé à l'art. 21 al. 1 LaLAT, qui visait aussi une meilleure utilisation de la bergerie et s'avérait nécessaire à son bon fonctionnement selon le préavis de l'OCAN du
22 juin 2020. Le département avait suivi les préavis favorables des instances techniques compétente en matière d’esthétique et de préservation du patrimoine, soit le SMS et la CMNS, lesquelles avaient imposé des conditions d’exécution des travaux et avaient constaté que les structures étaient maintenues.

La question de savoir si l'adoption des modifications de zones et des plans localisés de quartier dans le cadre du projet des Grands Esserts menacerait l'avenir de l'exploitation agricole dépassait le cadre du litige.

d. Par arrêt du 11 janvier 2022, la chambre administrative a rejeté le recours.

Elle a notamment retenu que la question du caractère digne de protection de la grange, qui comprenait des écuries, des étables, une remise et un fenil, et de sa mise sous protection par l'autorité compétente, avait déjà été tranchée dans l'arrêt définitif et exécutoire ATA/900/2014. Les immeubles que le plan de site maintenait pouvaient valablement être considérés comme dignes de protection au sens de l’art. 24d al. 2 LAT. Le bâtiment n° 1______, construit à la fin du 19ème siècle dans le style « Heimatstil », méritait selon la CMNS une valeur de 4+ (bien intégré, en volume et en substance), ce qui était en soi suffisant pour le considérer comme étant digne d’être protégé au sens de l’art. 24d al. 2 LAT. En outre, la commission avait clairement pris position en faveur d'une mise sous protection et du maintien des principes architecturaux de cette grange, dont elle avait rappelé les qualités historico-architecturales spécifiques dans son premier préavis défavorable. Dans son second préavis, favorable, elle avait relevé que la grange avait valeur d'inscription à l'inventaire. Enfin, le SMS avait relevé dans son préavis que les qualités architecturales relevées du bâtiment litigieux devaient être préservées. Ces récents constats, émanant d'entités composées de spécialistes, confirmaient la protection dont jouissait cette grange.

e. Par arrêt du 27 février 2023 (1C_119/2022), le Tribunal fédéral a statué sur recours de A______, B______, D______ et
C______, annulé l’arrêt précité et renvoyé la cause à la chambre de céans pour nouvelle décision.

Il a rappelé que le droit fédéral ne prévoyait pas de prescriptions procédurales pour la reconnaissance du caractère digne de protection au sens de l'art. 24d al. 2
let. a LAT et que la mise sous protection formelle était régie par le droit cantonal. Tout au plus était-il nécessaire que la valeur de protection soit établie dans le cadre d'une procédure formelle selon des critères objectifs et techniques. Il a reproché à la chambre administrative de ne pas avoir procédé à un examen concret de la situation dans le cadre de l'autorisation de construire en cause, relevant que la note 4+ correspondant à un bâtiment « bien intégré » n'en faisait pas manifestement un bâtiment aux valeurs intrinsèques telles que sa protection justifierait un changement d'affectation au sens de l'art. 24d LAT. Un simple renvoi au plan de protection du site ne valait pas contrôle de l'applicabilité de l'art. 24d LAT au bâtiment concerné. Cette procédure formelle s'inscrivant dans le cadre du droit cantonal uniquement, un nouvel examen à la lumière du droit fédéral était nécessaire dans la procédure d'autorisation de construire dérogatoire, afin de déterminer si la protection de la construction se justifiait matériellement au sens de l'art. 24d al. 2 let. a LAT.

f. Le 24 mars 2023, les recourants ont maintenu leurs conclusions et sollicité que les émoluments de première et deuxième instance (CHF 1'300.-, respectivement
CHF 1'500.-) soient mis à la charge solidaire des intimés, que ces derniers soient condamnés à leur rembourser les avances de frais de première et deuxième instance (CHF 1'300.- et CHF 1'500.-) et que leur soient allouées des indemnités de procédure de première et deuxième instances (CHF 2'000.- et 1'500.-) à la charge solidaire des intimés.

g. Le même jour, le département a persisté dans ses conclusions et relevé que l’appréciation du plan de site quant à la qualité architecturale et historique du bâtiment avait été confirmée par l’ensemble des spécialistes invités à se prononcer dans le cadre de la demande DD 8______. Le rapport du 18 avril 2018 concluait que le bâtiment litigieux présentait un indéniable intérêt patrimonial. Le SMS l’avait qualifié de « ferme modèle du début du XXème siècle » et la valeur 3 lui avait été attribuée dans le cadre du plan de site. La grange existante, qui n’était en l’état que peu exploitée, méritait l’application de l’art. 24d LAT, ne serait-ce que pour la préserver.

h. Les intimés ont estimé que la valeur intrinsèque individuelle du bâtiment n° 6 avait fait l’objet d’une étude minutieuse, tant sur le plan formel que matériel, par le département et ses offices spécialisés, et par les juridictions cantonales, étant rappelé les objectifs du plan de site, les appréciations de la représentante du Conseil d’État et, de l’historienne de l’art représentante de la CMNS lors du transport sur place de juin 2014, les considérations retenues dans l’arrêt de la chambre administrative de novembre 2014, l’évaluation du SMS qui avait retenu une valeur de 3 correspondant à une valeur d’inscription à l’inventaire. L’OCAN avait noté que le bâtiment était digne d’être protégé au sens de l’art. 24d al. 2 LAT et la CMNS avait indiqué que la grange avait valeur d’inscription à l’inventaire, raison pour laquelle elle avait posé des exigences supplémentaires. Il découlait des préavis favorables de la CMNS et du SMS que l’aspect extérieur et la structure du bâtiment n° 6 devaient absolument demeurer essentiellement inchangés, en vue de maintenir son caractère remarquable.

i. Les recourants ont répliqué que la protection matérielle de l’art. 24d al. 2 LAT ne pouvait porter que sur des bâtiments d’une qualité exceptionnelle, satisfaisant à des exigences qualitatives élevées qui, en raison de leur grande valeur au sens de la protection des monuments historiques, ne pouvaient faire l’objet d’une démolition et devaient rester intacts. Un changement d’affectation ne pouvait être admis qu’exceptionnellement. Le Tribunal fédéral avait conclu que la chambre de céans ne s’était pas livrée à l’examen qui lui incombait. Les différents documents au dossier ne considéraient pas la grange comme exceptionnelle. Les valeurs de 4+ ou même 3 étaient largement insuffisantes à un changement d’affectation exceptionnel. En outre, seuls certains éléments étaient dignes de protection, et non l’intégralité du bâtiment. Même si la protection de la grange se justifiait matériellement, l’autorisation de construire serait contraire au droit car les transformations sollicitées n’auraient jamais dû être accordées. En effet, à elles seules, les neuf ouvertures sur trois étages, dans chacune des façades en pignon, ou les ouvertures dans la toiture, dénaturaient fortement le bâtiment au point de ne plus rendre son affectation agricole reconnaissable. Enfin, les intimés n’avaient pas démontré que la conservation de la grange ne pourrait être assurée à long terme, d’une autre manière.

j. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. La recevabilité du recours ayant déjà été admise, il n’y a pas lieu d’y revenir.

2. Le présent arrêt fait suite à celui du Tribunal fédéral 1C_119/2022 précité renvoyant la cause pour instruction complémentaire et nouvelle décision.

2.1 En application du principe de l’autorité de l’arrêt de renvoi du Tribunal fédéral, l’autorité cantonale à laquelle la cause est renvoyée par celui-ci est tenue de fonder sa nouvelle décision sur les considérants de droit de l’arrêt du Tribunal fédéral. Elle est ainsi liée par ce qui a déjà été définitivement tranché par le Tribunal fédéral et par les constatations de fait qui n’ont pas été attaquées devant lui ou l’ont été sans succès. La motivation de l’arrêt de renvoi détermine dans quelle mesure la cour cantonale est liée à la première décision, décision de renvoi qui fixe aussi bien le cadre du nouvel état de fait que celui de la nouvelle motivation juridique (arrêt du Tribunal fédéral 6B_904/2020 du 7 septembre 2020 consid. 1.1 et les références citées ; ATA/8/2023 du 10 janvier 2023 consid. 2a et l'arrêt cité).

2.2 Le Tribunal fédéral a reproché à la chambre administrative de ne pas avoir procédé à un examen concret de la situation dans le cadre de l'autorisation de construire DD 8______, relevant que la note 4+ correspondant à un bâtiment « bien intégré » n'en faisait pas manifestement un bâtiment aux valeurs intrinsèques telles que sa protection justifierait un changement d'affectation au sens de l'art. 24d LAT.

3.             Selon l'art. 1 al. 1 let. a de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), nul ne peut, sur tout le territoire du canton, sans y avoir été autorisé, élever en tout ou partie une construction ou une installation. De même n'est-il pas possible de modifier, même partiellement, le volume, l'architecture, la couleur, l'implantation, la distribution ou la destination d'une construction ou d'une installation sans autorisation (al. 1 let. b).

Dans le système de la LCI, les avis ou préavis des communes, des départements et organismes intéressés ne lient pas les autorités (art. 3 al. 3 LCI). Ils n'ont qu'un caractère consultatif, sauf dispositions contraires et expresses de la loi. L'autorité reste libre de s'en écarter pour des motifs pertinents et en raison d'un intérêt public supérieur. La LCI ne prévoit pas de hiérarchie entre les différents préavis requis. Toutefois, lorsqu'un préavis est obligatoire, il convient de ne pas le minimiser (ATA/462/2020 du 7 mai 2020 consid. 18 et les références citées).

En zone agricole, le préavis de la DGA ne doit pas être minimisé car il est obligatoire (art. 82 al. 2 LCI ; ATA/534/2016 du 21 juin 2016 cité in Stéphane GRODECKI/Valérie DEFAGO GAUDIN, La jurisprudence genevoise en matière d'aménagement du territoire et de droit public des constructions rendue en 2016, RDAF 2017 I p. 20).

Chaque fois que l'autorité administrative suit les préavis des instances consultatives, les juridictions de recours observent une certaine retenue, lorsqu'il s'agit de tenir compte des circonstances locales ou de trancher de pures questions d'appréciation (ATF 136 I 265 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_579/2015 du 4 juillet 2016 consid. 5.1). Elles se limitent à examiner si le département ne s'écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (arrêt du Tribunal fédéral 1C_891/2013 du 29 mars 2015 consid. 8.2 ; ATA/258/2020 du 3 mars 2020 consid. 3c).

Au TAPI, en matière de constructions, le juge statue avec deux assesseurs ayant des compétences spéciales en matière de construction, d'urbanisme et d'hygiène publique (art. 143 LCI).

4.             Selon l’art. 16a LAT, précisé par les art. 34 de l'ordonnance sur l'aménagement du territoire du 28 juin 2000 (OAT - RS 700.1) et 20 al. 1 LaLAT, sont conformes à l'affectation de la zone agricole les constructions et installations qui sont nécessaires à l'exploitation agricole ou à l'horticulture.

L'art. 22 LAT prévoit qu'aucune construction ou installation ne peut être créée ou transformée sans autorisation de l'autorité compétente (al. 1). L'autorisation est délivrée si la construction ou l'installation est conforme à l'affectation de la zone (al. 2 let. a) et si le terrain est équipé (al. 2 let. b).

Conformément à l’art. 24 LAT, en dérogation à l'art. 22 al. 2 let. a LAT, des autorisations peuvent être délivrées pour de nouvelles constructions ou installations ou pour tout changement d'affectation si l'implantation de ces constructions ou installations hors de la zone à bâtir est imposée par leur destination et si aucun intérêt prépondérant ne s'y oppose.

Selon l'art. 24d LAT, l’utilisation de bâtiments d’habitation agricoles conservés dans leur substance peut être autorisée à des fins d’habitation sans rapport avec l’agriculture (al. 1). Le changement complet d'affectation de constructions et d'installations jugées dignes d'être protégées peut être autorisé à condition que :
(al. 2) celles-ci aient été placées sous protection par l'autorité compétente (let. a) ; leur conservation à long terme ne puisse être assurée d'une autre manière (let. b). Les autorisations prévues par le présent article ne peuvent être délivrées que si
(al. 3) : la construction ou l'installation n'est plus nécessaire à son usage antérieur, qu'elle se prête à l'utilisation envisagée et qu'elle n'implique pas une construction de remplacement que n'imposerait aucune nécessité (let. a) ; l'aspect extérieur et la structure architecturale du bâtiment demeurent pour l'essentiel inchangés (let. b) ; tout au plus une légère extension des équipements existants est nécessaire et que tous les coûts supplémentaires d'infrastructure occasionnés par le changement complet d'affectation de la construction ou de l'installation sont à la charge du propriétaire (let. c) ; l'exploitation agricole des terrains environnants n'est pas menacée (let. d) ; aucun intérêt prépondérant ne s'y oppose (let. e).

4.1 À teneur du message accompagnant la proposition du Conseil fédéral d'introduire cette disposition, l'art. 24d LAT serait applicable uniquement aux constructions et installations placées sous protection par l'autorité compétente en vertu du droit cantonal (il pouvait s'agir d'une autorité aussi bien communale que cantonale). Toutefois, il ne suffisait pas que la construction bénéficie formellement d'un statut de protection. Il importait également de vérifier, au stade de la procédure d'autorisation de construire, si la protection se justifiait matériellement. La phrase d'introduction du 2ème alinéa précisait en effet qu'il devait s'agir de constructions et installations « dignes d'être protégées ». La mise sous protection de constructions et installations pouvait s'imposer si elle contribuait de façon déterminante à préserver l'aspect du paysage. Dans ces cas, la mise sous protection relèverait principalement de la protection du paysage. Il allait de soi que d'autres bâtiments remarquables du point de vue de la protection des monuments historiques pouvaient également être protégés. Il ne suffisait pas que la construction ou l'installation bénéficie d'un statut de protection pour qu'une autorisation de changement d'affectation soit délivrée ; il fallait également démontrer que la conservation à long terme de ces bâtiments protégés ne pouvait être assurée que par un changement d'affectation. Si ces conditions étaient remplies, les bâtiments d'exploitation pouvaient, dans certaines circonstances, être transformés à des fins d'habitation. De plus, les bâtiments existants pouvaient également être réaffectés à un usage artisanal ou commercial. Il était très peu probable que cette disposition déclenche un développement incontrôlé de la construction hors de la zone à bâtir, et cela pour deux raisons ; premièrement, les constructions et installations répondant aux exigences du 2ème alinéa n’étaient pas très nombreuses ; deuxièmement, un changement complet d'affectation ne pouvait être autorisé que si les autres conditions strictes fixées au 3e alinéa étaient également remplies (Message du 22 mai 1996 relatif à une révision partielle de la LAT, FF 1996 513 ch. 208.3).

La séparation entre terrains constructibles et terrains non constructibles étant imposée par la constitution, les autorités compétentes étaient tenues d'appliquer rigoureusement ces critères. Il importerait donc d'examiner avec soin dans chaque cas si ces conditions étaient réellement remplies (Message du 22 mai 1996,
FF 1996 513 ch. 208.4).

S’agissant de la première condition (la construction n'est plus nécessaire à son usage antérieur et se prête à l'utilisation envisagée ; let. a), le message prévoit que les changements complets d'affectation ne seraient autorisés que pour les constructions et installations ayant perdu leur vocation agricole à la suite de changements structurels. Tout changement d'affectation exigeait au préalable que l'on démontre que ladite construction ou installation n'était plus nécessaire à son usage antérieur. La réaffectation de bâtiments existants ne pouvait être autorisée que s'il était prouvé que les locaux restants répondaient aux besoins actuels et à venir de l'exploitation agricole ou horticole, faute de quoi l'exploitation agricole ou horticole risquerait d'exiger des bâtiments supplémentaires peu de temps après l'autorisation de changement d'affectation. Cela serait contraire aux objectifs de la révision, qui visait à éviter les nouvelles constructions hors de la zone à bâtir en favorisant une réaffectation judicieuse des bâtiments existants. La question de savoir si les constructions et installations n’étaient plus nécessaires à leur usage antérieur ne pouvait pas être examinée uniquement sur la base des explications données par le requérant. Un changement complet d'affectation ne pouvait être admis que s'il était constaté que les besoins de l'agriculture dans le territoire concerné continueraient d'être satisfaits même si la construction en question était soustraite à son usage agricole. S'il apparaissait, après un examen objectif, que tel n'était pas le cas, l'autorisation devait être refusée. Une autorisation de changement d'affectation exigeait non seulement que ladite construction ne soit plus nécessaire à son usage antérieur, mais aussi qu'elle se prête à l'utilisation envisagée, ce deuxième paramètre devant être apprécié selon des critères très stricts.

Dans les cas de changements complets d'affectation au sens du 2ème alinéa, cette adéquation devrait généralement pouvoir être établie : une construction ayant à ce jour servi d'habitation à des agriculteurs se prêterait également à un usage d'habitation sans rapport avec l'agriculture, sous réserve de quelques aménagements nécessaires (modernisation des installations sanitaires, par exemple). Le critère d'adéquation à l'utilisation envisagée avait une portée beaucoup plus grande en ce qui concernait les changements complets d'affectation au sens du 3ème alinéa. La typologie des bâtiments jouait à cet égard un rôle déterminant : ainsi, une étable, qui était en général un bâtiment ventilé, froid en hiver et sombre ne se prêterait guère à une transformation en bureaux. Il faudrait en effet installer des fenêtres, des sols, un chauffage et effectuer des travaux d'isolation. Par contre, une étable pourrait convenir à une transformation en entrepôt ou en bâtiment à usage similaire. Par ailleurs, l'adéquation à l'utilisation envisagée ne pouvait être reconnue que si tous les besoins en locaux liés à cette nouvelle utilisation pouvaient être satisfaits à l'intérieur du volume bâti. Ce critère impliquait également que l'emplacement du bâtiment soit examiné. Un bâtiment situé dans un endroit reculé ou difficilement accessible ne se prêterait par exemple pas à un usage commercial ou artisanal engendrant un trafic important (Message du 22 mai 1996, FF 1996 514
ch. 208.41).

Le deuxième critère (aspect extérieur et structure architecturale ; let. b) était étroitement lié aux conditions énoncées à la lettre b, qui subordonnaient l'octroi d'une autorisation de changement complet d'affectation à la conservation de l'aspect extérieur et de la structure architecturale des bâtiments. La nouvelle affectation pouvait toutefois être visible. Les petites modifications - notamment celles qui apportaient des améliorations esthétiques - étaient autorisées si elles n'altéraient pas les caractéristiques du bâtiment. En revanche, l'aspect extérieur d'un bâtiment ne resterait plus fondamentalement inchangé, si le changement complet d'affectation impliquait l'aménagement d'annexes ou de superstructures. La question de savoir si l'aspect extérieur demeurerait pour l'essentiel inchangé malgré le changement complet d'affectation envisagé, devait être examinée non seulement en fonction des caractéristiques du bâtiment lui-même mais également en fonction de son aire environnante (végétation notamment). Si celle-ci était totalement modifiée en raison du changement d'affectation, force serait alors de considérer que l'exigence selon laquelle l'aspect extérieur du bâtiment devait rester pour l'essentiel inchangé n’était plus remplie. On entendait par « structure architecturale » les éléments statiques importants du bâtiment. Ainsi, on ne pourrait guère envisager de transformer à des fins de logement une grange n'ayant jamais été conçue pour être habitée. En effet, même si l'on pouvait conserver tel quel son aspect extérieur, la nouvelle utilisation entraînerait une transformation si importante de la structure architecturale que ces travaux ne seraient plus conformes aux exigences prévues à la lettre b. Par contre, on considérerait de façon générale qu'une réorganisation des pièces, plus adaptée à la nouvelle utilisation envisagée, ne bouleversait pas fondamentalement la structure architecturale. Cependant, si l'on prévoyait de ne conserver que la façade et le toit d'un bâtiment dont on aurait vidé le volume intérieur qui serait remplacé, pour ainsi dire, par une nouvelle construction, les prescriptions de la lettre b seraient violées aussi bien sous l'angle de l'aspect extérieur du bâtiment que sous l'angle de sa structure architecturale. Etant donné que les changements complets d'affectation au sens du 3ème alinéa n’étaient autorisés que pour des bâtiments placés sous protection, il allait de soi que la lettre b devait être interprétée de façon plus restrictive que pour un changement d'affectation au sens du 2ème alinéa (Message du 22 mai 1996, FF 1996 515 ch. 208.42).

Concernant la troisième condition (équipements et répercussion des coûts ; let. c) l'octroi d'une autorisation de changement d'affectation supposait l'existence d'équipements généralement adaptés aux besoins de l'agriculture. Le fait que les aménagements apportés aux équipements doivent être limités à une « extension légère » excluait tant la construction de nouvelles dessertes que la création d'un réseau de canalisations. Si la nouvelle affectation nécessitait de tels travaux, l'autorisation devait être refusée. Cependant, il serait illusoire de demander que les équipements existants correspondent parfaitement à la nouvelle affectation envisagée. Il semblait par conséquent justifié de permettre une légère extension des équipements existants, par exemple le raccordement au réseau de canalisation ou un système d'assainissement des eaux usées conforme la législation sur la protection des eaux. Il importait néanmoins de souligner que la notion d'extension légère devait être interprétée de manière restrictive. La lettre c subordonnait en outre l'octroi d'une autorisation de changement d'affectation à la condition expresse que les coûts supplémentaires d'infrastructure occasionnés par cette transformation soient à la charge du propriétaire. Cette obligation de droit fédéral montrait clairement qu'il fallait éviter à tout prix de subventionner les logements sans rapport avec l'agriculture situés hors de la zone à bâtir (Message du 22 mai 1996, FF 1996 515-516 ch. 208.43).

Enfin, s’agissant de la condition relative à la pesée des intérêts en présence (let. d), une autorisation de changement d'affectation ne pouvait être délivrée que si aucun intérêt prépondérant, public ou privé, ne s'y opposait. À cet égard, on accorderait une importance particulière aux aspects liés à la protection du paysage (Message du
22 mai 1996, FF 1996 516 ch. 208.44).

4.2 Dans son arrêt du 27 février 2023 (1C_119/2022), le Tribunal fédéral a rappelé que le devoir de vérifier, au stade de la procédure d'autorisation de construire, si la protection se justifie matériellement vaut également lorsque la mise sous protection formelle est déjà en force. Le droit fédéral ne prévoit pas de prescriptions procédurales pour la reconnaissance du caractère digne de protection au sens de l'art. 24d al. 2 let. a LAT et la mise sous protection formelle est régie par le droit cantonal. Tout au plus est-il nécessaire que la valeur de protection soit établie dans le cadre d'une procédure formelle selon des critères objectifs et techniques. Aussi, cette procédure formelle s'inscrivant dans le cadre du droit cantonal uniquement, un nouvel examen à la lumière du droit fédéral est nécessaire dans la procédure d'autorisation de construire dérogatoire, afin de déterminer si la protection de la construction se justifie matériellement au sens de l'art. 24d al. 2 let. a LAT. Compte tenu des effets considérables sur la séparation entre le territoire constructible et non constructible, les exigences matérielles du caractère digne de protection étaient relativement restrictives, l'objet devant présenter une qualité exceptionnelle. Dans ce contexte, un simple renvoi au plan de protection du site ne valait pas contrôle de l'applicabilité de l'art. 24d LAT au bâtiment en cause (ATF 147 II 465 consid. 4.3.2 et les références citées).

Dans un arrêt portant sur des aménagements extérieurs (création de balustrades préfabriquées, de colonnes en pierre, d'une terrasse, ainsi que le réaménagement des jardins et de la cour), le Tribunal fédéral a constaté que les conditions de
l'art. 24 LAT n’étaient pas remplies et que l'intérêt public lié à la sauvegarde de l'aspect traditionnel des bâtiments agricoles s'opposait à la création de ces éléments, lesquels modifiaient l'aspect extérieur du bâtiment en lui conférant un caractère résidentiel incompatible avec la destination de la zone. Même à supposer
l'art. 24d LAT applicable, la condition de l'al. 3 let. b de cette disposition ne pourrait être tenue pour remplie  (arrêt du Tribunal fédéral 1A.156/2004 du
5 novembre 2004).

4.3 En droit genevois, l'art. 27 LaLAT prévoit que, hors des zones à bâtir, en dérogation à l'art. 20 LaLAT, une autorisation ne peut être délivrée pour une nouvelle construction ou installation ou pour tout changement d'affectation que si l'emplacement de la construction prévue est imposé par sa destination (let. a) et si elle ne lèse aucun intérêt prépondérant, notamment du point de vue de la protection de la nature et des sites et du maintien de la surface agricole utile pour l'entreprise agricole (let. b).

Conformément à l’art. 27D LaLAT, le département délivre les autorisations visant le maintien de l’habitation sans rapport avec l’agriculture ou le changement complet d’affectation de constructions ou installations dignes d’être protégées au sens et aux conditions fixées à l’art. 24d LAT (al. 1). Constituent des mesures de protection au sens de l’art. 24d al. 2 let. a LAT, celles qui sont prévues par la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites, du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05), à savoir (al. 2) le classement (let. a) ; la mise à l'inventaire, dans les limites fixées par le règlement d'application de la présente loi (let. b), le maintien par un plan de site
(al. 3).

La LPMNS a notamment pour but de conserver les monuments de l’histoire, de l’art ou de l’architecture, les antiquités immobilières ou mobilières situés ou trouvés dans le canton ainsi que le patrimoine souterrain hérité des anciennes fortifications de Genève (art. 1 al. 1 let. a), de préserver l’aspect caractéristique du paysage et des localités, les immeubles et les sites dignes d’intérêt, ainsi que les beautés naturelles (art. 1 al. 1 let. b).

Selon l’art. 35 LPMNS, sont protégés conformément à la présente loi les sites et paysages, espèces végétales et minéraux qui présentent un intérêt biologique, scientifique, historique, esthétique ou éducatif (al. 1). Constituent notamment des sites, au sens de l’alinéa premier, les ensembles bâtis qui méritent d’être protégés pour eux-mêmes ou en raison de leur situation privilégiée (al. 2 let. b).

L’art. 38 LPMNS précise que le Conseil d’État peut édicter les dispositions nécessaires à l’aménagement ou à la conservation d’un site protégé par l’approbation d’un plan de site assorti, le cas échéant, d’un règlement (al. 1). Ces plans et règlements déterminent notamment (al. 2) : les mesures propres à assurer la sauvegarde ou l’amélioration des lieux, telles que : maintien de bâtiments existants, alignement aux abords de lisières de bois et forêts ou de cours d’eau; angles de vue, arborisation (let. a) ; les conditions relatives aux constructions, installations et exploitations de toute nature (implantation, gabarit, volume, aspect, destination ; let. b) ; les cheminements ouverts au public ainsi que les voies d’accès à un site ou à un point de vue (let. c) ; les réserves naturelles (let.d). Les immeubles maintenus au sens de l’al. 2 let. a ne peuvent, sans l’autorisation du Conseil d’État, être démolis, transformés ou faire l’objet de réparations importantes (al. 4).

Conformément à l’art. 42C LPMNS, par bâtiment présentant un intérêt sur le plan du patrimoine, il faut en principe entendre tout bâtiment classé, inscrit à l’inventaire, situé dans une zone protégée ou formant un ensemble protégé de la fin du XIXème siècle ou du début du XXème siècle, qui de ce fait doit être maintenu ; tout bâtiment dont le maintien est imposé par un plan d’affectation du sol, notamment un plan de site ou une autre mesure de protection du patrimoine ; à titre exceptionnel, d'autres bâtiments dont le maintien est recommandé par la commission des monuments, de la nature et des sites en raison de leur intérêt architectural ou historique.

5.             En l’espèce, dans son jugement du 24 juin 2021, le TAPI n’a pas non plus examiné concrètement si le bâtiment n° 1______ présentait une qualité exceptionnelle lui permettant d’être qualifié de digne de protection au sens de l’art. 24d al. 2 LAT, puisqu’il s’est uniquement référé au plan de site et à l’arrêt de 2014, à l’instar de la chambre de céans. Or, le Tribunal fédéral a souligné qu’il appartient au juge de vérifier si la protection se justifie matériellement dans le cadre de la procédure d’autorisation de construire, et ce même si la mise sous protection formelle est déjà en force, et de procéder à sa propre appréciation de la situation et de l’éligibilité du bâtiment à une application de cette disposition.

Dans ces circonstances, il convient de renvoyer la cause au TAPI pour instruction complémentaire et nouveau jugement, afin de préserver le double degré de juridiction et de permettre à la chambre administrative d’exercer sa fonction de contrôle (art. 69 al. 3 LPA).

À toutes fins utiles, la chambre de céans relève qu'il incombera encore au TAPI de vérifier, cas échéant, si toutes les conditions cumulatives prévues par l’art. 24d al. 2 et 3 LAT sont réalisées et d’en appliquer rigoureusement les critères à la lumière du message du Conseil fédéral.

Eu égard à ce qui précède, le recours sera partiellement admis et le jugement querellé annulé. La cause sera renvoyée au TAPI pour complément d’instruction dans le sens des considérants et nouvelle décision.

6.             Les recourants concluent que les émoluments de première et deuxième instances soient mis à la charge solidaire des intimés, que ces derniers soient condamnés à leur rembourser les avances de frais de première et deuxième instances et enfin que leur soient allouées des indemnités de procédure de première et deuxième instances à la charge solidaire des intimés.

À ce stade de la procédure, le jugement du TAPI du 24 juin 2021 est annulé, de même que l’arrêt de la chambre de céans du 11 janvier 2022, ce qui vaut donc également pour les condamnations diverses aux émoluments et indemnités de procédure. L’avance de frais effectuée par les recourants au TAPI n’a en l’état pas à leur être remboursée, dans la mesure où précisément le sort du litige au fond n’est pas scellé et où la cause est renvoyée à cette autorité.

Dès lors que les recourants n’obtiennent que partiellement gain de cause, le dossier étant renvoyé à l’instance inférieure pour nouvel examen, un émolument, réduit, de CHF 1'000.- sera mis à leur charge solidaire, lequel sera donc partiellement compensé par l’avance de frais de CHF 1'500.-. Tant les recourants que les intimés obtiennent partiellement gain de cause, respectivement succombent, de sorte qu’il ne leur sera alloué aucune indemnité de procédure (art. 87 al. 1 et 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 24 août 2021 par A______,
B______, D______ et C______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 24 juin 2021 ;

au fond :

admet partiellement le recours interjeté le 24 août 2021 par A______,
B______, D______ et C______;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 24 juin 2021 ;

renvoie la cause au Tribunal administratif de première instance pour nouvelle décision au sens des considérants ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge solidaire de A______, B______, D______ et C______;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du
17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Laurent WINKELMANN, avocat des recourants, à Me Philippe COTTIER, avocat des intimés, au département du territoire, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu’à l’office fédéral du développement territorial (ARE).

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Valérie LAUBER, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :