Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/3048/2022

ATA/659/2023 du 20.06.2023 ( TAXIS ) , REJETE

Descripteurs : OBJET DU LITIGE;RÉVOCATION(EN GÉNÉRAL);DÉCISION;PRINCIPE DE LA BONNE FOI;SÉCURITÉ DU DROIT
Normes : LPA.48; aLTVTC.12.al3.leta; aLTVTC.12.al3.letc; Cst.9; Cst.5.al3
Résumé : Demande de reconsidération ayant débouché sur la confirmation d'une décision constatant la caducité d'autorisation d'usage accru du domaine public de la recourante suite au dépôt de ses plaques d'immatriculation à l'OCV. Autorité entrée en matière sur la demande de reconsidération et instruction menée : l'objet du litige est la nouvelle décision au fond. La décision initiale aurait dû être rendue après instruction complémentaire pour savoir si la recourante renonçait à son autorisation d'usage accru du domaine public ou si elle souhaitait uniquement déposer ses plaques provisoirement. Décision initiale partant irrégulière. Mais elle ne peut être révoquée en raison des principes de la bonne foi et de la sécurité du droit, la recourant l'ayant comprise, ne l'ayant pas contestée et l'ayant fait valoir devant une tierce autorité. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3048/2022-TAXIS ATA/659/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 juin 2023

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Jacques ROULET, avocat

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR intimé


EN FAIT

A. a. Par courriel du 5 mai 2020, A______ a demandé des renseignements au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN), rattaché au département de la sécurité, de l'emploi et de la santé, devenu depuis lors le département de l'économie et de l'emploi (ci-après : DEE). Elle souhaitait déposer ses plaques de taxi au « service des automobiles » et connaître les démarches à faire auprès du PCTN.

b. Le même jour, le PCTN lui a indiqué qu'elle pouvait déposer ses plaques auprès de l'office cantonal des véhicules (ci-après : OCV), si elle ne souhaitait pas payer d'impôt sur les plaques pendant ce laps de temps, et l'a invitée à contacter ce dernier à ce sujet. Il convenait toutefois de faire attention à ne pas dépasser le délai de douze mois de dépôt de plaques, sinon elles seraient annulées.

c. Le 28 mai 2020, l'intéressée a demandé au PCTN comment procéder pour lui remettre ses plaques de taxi définitivement « cette fois-ci ».

d. Le même jour, le PCTN lui a indiqué qu'elle devait déposer ses plaques à l'OCV et demander à ce dernier une attestation de dépôt définitive, puis lui annoncer, à lui-même, par courrier postal sa décision de cessation d'activité définitive. Une fois qu'il aurait reçu ces deux documents, il lui confirmerait sa décision et procéderait à la rectification de la taxe annuelle due.

e. Le 29 mai 2020, l'OCV a attesté que les plaques 1______ au nom de A______ avaient été déposées le jour-même.

f. Le 2 juin 2020, l'intéressée a adressé un courrier au PCTN. En raison de la situation prévalant alors, soit la concurrence déloyale de B______ et la crise sanitaire liée au Covid-19, elle s'était inscrite à l'Hospice général (ci-après : l'hospice), qui lui avait demandé de lui fournir la preuve de remise de ses plaques de taxi et d'annoncer la fin de son activité indépendante auprès du PCTN. À la suite de cette demande, la semaine précédente, elle avait déposé ses plaques à l'OCV, comme le confirmait l'attestation annexée, et elle faisait parvenir sa demande au PCTN. Elle espérait que la situation changerait le plus rapidement possible, pour tout le monde dans le secteur, et remettait ses plaques avec une grande tristesse.

g. Par courriel du lendemain, elle a demandé au PCTN d'éclaircir un point et a signalé son arrêt maladie dès le jour-même. Elle espérait ne pas perdre ses plaques définitives et demandait s'il y avait toujours un délai de douze mois pour les reprendre, comme au service des automobiles.

Le PCTN lui a répondu le jour même. En cas de dépôt de ses plaques de manière provisoire, ce dernier ne devait pas dépasser 360 jours (cinq jours pour pouvoir obtenir une reprise si nécessaire).

h. Par décision du 26 juin 2020, le PCTN a constaté, d'une part, la caducité de l'autorisation d'usage accru du domaine public liée aux plaques d'immatriculation 1______ délivrée à A______ le 24 août 2017 et, d'autre part, que les plaques d'immatriculation 1______ avaient été déposées auprès de l'OCV depuis le 29 mai 2020.

Elle avait annoncé par courrier reçu le 3 juin 2020 la cessation définitive de son activité de chauffeuse de taxi et avait déposé les plaques d'immatriculation 1______ auprès de l'OCV le 29 mai 2020. Elle avait ce faisant expressément renoncé, par écrit, à son autorisation d'usage accru du domaine public, ce qui entraînait la caducité de celle-ci à compter du 3 juin 2020.

B. a. Par courriel du 19 avril 2022, l'intéressée s'est adressée au PCTN. Elle avait appris qu'un collègue avait pu récupérer ses plaques après plus d'une année et demandait ce qu'elle devait encore faire et s'il y avait des chances qu'elle puisse elle aussi récupérer ses plaques.

b. Le même jour, le PCTN lui a répondu ne pas pouvoir lui donner d'avis sur la faisabilité de la procédure, qui relevait de son choix et de son droit.

c. Par requête du 5 mai 2022, A______ a sollicité la restitution de l'autorisation d'usage accru du domaine public lié aux plaques d'immatriculation 1______.

Elle avait reçu l'assurance qu'elle pourrait récupérer ses plaques, de sorte qu'elle était protégée dans sa bonne foi. Elle n'était pas juriste et n'avait pas bien compris le sens de la décision du 26 juin 2020. Il fallait considérer que le dépôt n'était que provisoire. Si sa demande intervenait en dehors du délai de 360 jours, celui-ci n'avait pas force de loi et ne pouvait trouver application dans la situation particulière de la pandémie. Elle se trouvait dans une situation particulièrement difficile. En plus de sa santé, elle élevait seule deux enfants. Elle souhaitait se reconstruire, sortir de l'aide sociale et pouvoir offrir un cadre de vie décent à sa famille. Elle avait besoin de pouvoir reprendre une activité professionnelle avec les plaques de taxi qu'elle s'était vue contrainte de déposer provisoirement.

d. Le 31 mai 2022, A______ a écrit un courriel au PCTN. Elle s'était inscrite pour une deuxième plaque en 2009 et se demandait ce qu'il adviendrait de la liste d'attente avec l'entrée en vigueur de la nouvelle législation sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur. Elle avait, par l'intermédiaire de son avocat, demandé une « faveur » pour récupérer ses plaques 1______ et abandonnerait la liste d'attente si elle recevait dans ce cadre une réponse positive.

Le PCTN lui a confirmé le 3 juin 2022 que la caducité de son autorisation d'usage accru du domaine public n'avait pas mis fin à son inscription sur la liste d'attente.

e. Le 23 juin 2022, le PCTN a imparti un délai de 30 jours à l'intéressée pour indiquer, preuve à l'appui, une éventuelle incapacité totale de travail et produire tout document de l'hospice permettant de démontrer qu'elle était en droit de percevoir l'aide financière sans renoncer à son activité exercée en tant qu'indépendante.

La décision du 26 juin 2020 avait été prononcée sans prendre en considération les échanges de courriels du 3 juin 2020. Compte tenu du temps écoulé, le prise en compte des échanges n'aurait pour effet que de remettre en cause le motif de la caducité de son autorisation d'usage accru du domaine public. Lorsqu'elle avait interpellé le PCTN en avril 2022, elle n'avait pas utilisé son autorisation pendant près de deux ans. La caducité de celle-ci devrait en tout état de cause être prononcée, sauf si elle attestait avoir été en incapacité totale de travail. La pandémie n'était pas considérée comme un motif permettant de suspendre le délai de 360 jours. L'activité pouvait à tout le moins être exercée lorsque les mesures sanitaires étaient assouplies. Il n'était pas vraisemblable que les aides financières eussent été versées pendant près de deux ans sans indication d'avoir renoncé à l'activité exercée en tant qu'indépendante.

f. Le 11 juillet 2022, l'intéressée a versé à la procédure un certificat médical et une attestation de son médecin concernant son incapacité totale de travailler du 3 juin 2020 au 21 février 2022 ainsi qu'une attestation de l'hospice du 7 juillet 2022. Selon cette dernière, elle avait perçu une aide en tant que chauffeuse de taxi indépendante d'avril à juin 2020 puis une aide ordinaire dès le 1er juillet 2020, après avoir annoncé fin juin 2020 qu'elle renonçait à son activité indépendante à cause de la crise sanitaire, et avait déposé une demande d'assurance-invalidité le 25 janvier 2021.

Son incapacité de travail suffisait à considérer que la demande de reprendre sa plaque intervenait après moins d'une année, vu la suspension du délai. L'analyse complémentaire s'agissant de l'aide apportée par l'hospice, notamment durant la crise sanitaire, n'était dès lors pas utile pour prononcer la décision de restitution de l'autorisation d'usage accru du domaine public Dès l'instant où elle avait provisoirement renoncé à son activité, en déposant temporairement sa plaque, l'aide était forcément ordinaire, puisqu'elle n'avait plus de revenu. C'était d'ailleurs sur conseil de l'hospice qu'elle avait déposé sa plaque, pour pouvoir toucher une aide complète.

g. Le 17 août 2022, l'intéressée a demandé au PCTN de lui communiquer sa décision.

h. Par décision du 19 août 2022, le PCTN a refusé de reconsidérer sa décision du 26 juin 2020 constatant la caducité de l'autorisation d'usage accru du domaine public liée aux plaques d'immatriculation 1______ délivrée à A______.

Suite à la demande de reconsidération, le PCTN avait procédé à des actes d'instruction. Il rendait donc une nouvelle décision sur le fond.

Le dépôt de ses plaques d'immatriculation 1______ et l'annonce de la fin de son activité d'indépendante avaient été entrepris à la demande de l'hospice, qui avait, selon ses dires, besoin d'une telle preuve pour lui octroyer l'aide financière. Dans la mesure où l'aide ordinaire était accordée de manière subsidiaire, signifiant l'absence de possibilité de percevoir un revenu, elle ne pouvait que renoncer à son activité de manière définitive. Une renonciation provisoire ne lui aurait pas permis de percevoir une aide ordinaire. Dans le cas contraire, il serait difficile de comprendre pourquoi l'hospice aurait eu besoin qu'elle lui communique la preuve de l'annonce de la cessation de son activité. Son courrier du 2 juin 2020 et la décision du 26 juin 2020 coïncidaient avec la renonciation intervenue fin juin 2020 selon le courrier de l'hospice du 7 juillet 2022. La renonciation était définitive et soutenir le contraire constituerait un abus de droit.

C. a. Par acte posté le 19 septembre 2022, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation, à la restitution de l'autorisation d'usage accru du domaine public liée aux plaques d'immatriculation 1______ et à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Elle ne contestait pas avoir déposé ses plaques à l'OCV le 29 mai 2020. Elle ne les avait toutefois pas déposées de manière définitive ni n'avait renoncé définitivement à exercer toute activité lucrative en lien avec son autorisation d'usage accru du domaine public. Il s'agissait d'une renonciation provisoire, puisqu'elle comptait reprendre son activité indépendante une fois en capacité de le faire. Si elle avait dû renoncer à l'exercice de son activité et déposer ses plaques de taxi pour pouvoir toucher une aide sociale complète, cette solution n'était que temporaire, comptant reprendre son emploi pour sortir de l'aide sociale, comme le démontrait son courriel du 3 juin 2020 et le fait qu'elle avait rapidement pris contact avec le PCTN une fois sa capacité de travail retrouvée. Il ne faisait pas de sens de considérer que pour pouvoir bénéficier des prestations de l'hospice, il était nécessaire de renoncer définitivement à l'exercice d'une activité. Le PCTN lui avait lui-même demandé un certificat de travail, considérant que la renonciation n'était pas définitive, et son revirement était d'autant moins compréhensible.

Elle s'était fondée en toute bonne foi sur l'indication fournie par l'autorité selon laquelle elle ne perdait pas définitivement son autorisation d'usage accru du domaine public et pourrait récupérer ses plaques. À réception de la décision du 26 juin 2020, elle était partie du principe qu'il s'agissait de la procédure ordinaire pour ce type de cas de figure et ne s'en était pas alarmée, confortée par le courriel du 3 juin 2020. Le PCTN avait lui-même reconnu que cette décision avait été prononcée sans tenir compte des échanges de courriels du 3 juin 2020.

Le délai avait commencé à courir au plus tôt au moment du dépôt de ses plaques le 29 mai 2020, puis avait été suspendu pendant son incapacité de travail du 3 juin 2020 au 21 février 2022, arrivant à échéance le 16 février 2023. Sa demande de restitution du 19 avril 2022 était ainsi intervenue dans le délai de douze mois.

b. Par réponse du 6 octobre 2022, le PCTN a conclu au rejet du recours.

L'intéressée avait en premier obtenu les informations pour un dépôt provisoire de ses plaques et s'était ensuite renseignée sur la procédure pour un dépôt définitif, procédure qu'elle avait ensuite suivie le 2 juin 2020. Il s'agissait donc d'une renonciation définitive. Le courriel du 31 mai 2022 le confirmait, puisqu'il demandait la faveur d'obtenir ses anciennes plaques 1______.

La renonciation à son activité indépendante impliquait la renonciation à son autorisation d'usage accru du domaine public. Dans le cas contraire, il ne serait pas compréhensible pourquoi elle aurait eu besoin de déposer les plaques 1______ et annoncer la fin de son activité auprès du PCTN pour démontrer à l'hospice qu'elle avait renoncé à son activité indépendante. Une renonciation à l'activité indépendante permettant la perception de l'aide ordinaire ne pouvait être que définitive, ce que confirmaient les prescriptions de la législation en matière d'aide sociale. Si l'intéressée avait conservé son activité indépendante de chauffeuse de taxi, elle n'aurait perçu que trois mois d'aide financière, voire six mois en cas d'incapacité de travail. Au-delà de cette limitation, elle devait renoncer définitivement à son activité indépendante, l'aide n'ayant pas vocation à servir à rémunérer des activités indépendantes non viables.

Si les échanges de courriels du 3 juin 2020 n'avaient pas été pris en compte, ils auraient uniquement mené à une instruction complémentaire pour connaître la volonté de l'intéressée, qui était visiblement de recevoir les aides financières pendant plus de trois à six mois, de sorte qu'il aurait été établi qu'elle souhaitait une renonciation à son autorisation d'usage accru du domaine public, seul moyen d'arriver à son but.

La réponse du PCTN avait uniquement été formulée de manière générale, sans prendre en compte le cas concret, et ne constituait aucunement une assurance faite à l'intéressée visant à lui certifier qu'elle pourrait récupérer ses plaques avant l'échéance des douze mois. Cette dernière ne pouvait se prévaloir du principe de la bonne foi.

c. Par réplique du 2 novembre 2022, la recourante a persisté dans les termes de son recours.

Elle avait eu droit aux prestations financières car elle n'exerçait plus – de manière provisoire – son activité d'indépendante. La législation en matière d'aide sociale n'exigeait pas de renonciation définitive à l'exercice de l'activité indépendante. Une telle exigence irait à l'encontre du principe de subsidiarité des prestations d'aide financière.

Son courriel du 3 juin 2020 faisait expressément référence à son courrier du 2 juin 2020.

d. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Il convient préalablement d'examiner l'objet du litige.

2.1 Saisie d'une demande de reconsidération, l'autorité examine préalablement si les conditions de l'art. 48 LPA sont réalisées. Si tel n'est pas le cas, elle rend une décision de refus d'entrer en matière qui peut faire l'objet d'un recours dont le seul objet est de contrôler la bonne application de cette disposition (ATF 117 V 8 consid. 2 ; 109 Ib 246 consid 4a). Si lesdites conditions sont réalisées, ou si l'autorité entre en matière volontairement sans y être tenue, et rend une nouvelle décision identique à la première sans avoir réexaminé le fond de l'affaire, le recours ne pourra en principe pas porter sur ce dernier aspect. Si la décision rejette la demande de reconsidération après instruction, il s'agira alors d'une nouvelle décision sur le fond, susceptible de recours. Dans cette hypothèse, le litige a pour objet la décision sur réexamen et non la décision initiale (arrêts du Tribunal fédéral 2C_319/2015 du 10 septembre 2015 consid. 3 ; 2C_406/2013 du 23 septembre 2013 consid. 4.1).

2.2 En l'espèce, l'autorité intimée est entrée en matière sur la demande de reconsidération et l'a instruite, par courrier du 23 juin 2022. L'autorité intimée a dès lors rendu une nouvelle décision sur le fond, dont il revient à la chambre de céans d'examiner la conformité au droit. Cette décision, si elle indique refuser la reconsidération, constitue en réalité une nouvelle constatation de la caducité de l'autorisation d'usage accru du domaine public de la recourante à compter du 3 juin 2020, remplaçant la précédente.

Le litige porte par conséquent sur la conformité au droit du constat de la caducité de l'autorisation d'usage accru du domaine public liée aux plaques d'immatriculation 1______ délivrées à la recourante le 24 août 2017 à compter du 3 juin 2020.

3.             Il convient préalablement d'examiner le droit applicable.

3.1 Conformément aux principes généraux du droit intertemporel, lorsqu'un changement de droit intervient au cours d'une procédure administrative contentieuse ou non contentieuse, la question de savoir si le cas doit être tranché sous l'angle du nouveau ou de l'ancien droit se pose. En l'absence de dispositions transitoires, s'il s'agit de tirer les conséquences juridiques d'un événement passé constituant le fondement de la naissance d'un droit ou d'une obligation, le droit applicable est celui en vigueur au moment dudit événement. Dès lors, en cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste en principe celle qui était en vigueur lors de la réalisation de l'état de fait qui doit être apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques (ATA/277/2023 du 21 mars 2023 consid. 6.2 ; ATA/813/2022 du 17 août 2022 consid. 2b ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, n. 403 ss).

3.2 Le 1er novembre 2022 est entrée en vigueur la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 28 janvier 2022 (LTVTC - H 1 31), qui a remplacé l'ancienne loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 13 octobre 2016 (aLTVTC).

Les autorisations d’usage accru du domaine public délivrées en application de l'aLTVTC demeurent valables après l’entrée en vigueur de la LTVTC (art. 46 al. 6 LTVTC). Les plaques d’immatriculation de taxis correspondant aux autorisations d’usage accru du domaine public ainsi que celles de VTC sont réputées délivrées en application de la LTVTC (art. 46 al. 7 LTVTC).

3.3 En l'espèce, la question litigieuse est celle de la caducité ou non de l'autorisation d'usage accru du domaine public de la recourante. L'art. 46 LTVTC ne règle pas cette question particulière, de sorte que c'est le droit au moment de l'événement déterminant qui est applicable. Or, tant les manifestations de volonté de la recourante sur son autorisation d'usage accru du domaine public et la décision initiale que la demande de reconsidération et la décision sur cette requête sont intervenues avant l'entrée en vigueur de la LTVTC.

Le présent litige doit par conséquent être examiné à l'aune de l'aLTVTC.

4.             La recourante conteste la confirmation du constat de la caducité de son autorisation d'usage accru du domaine public.

4.1 L'autorité compétente pour adopter une décision l’est également, en vertu du parallélisme des formes, pour la révoquer, sauf règle légale expresse contraire. La révocation d’une décision peut intervenir d’office, de la propre initiative de l’autorité, ou à la suite d’une demande de reconsidération sur laquelle l’autorité sera entrée en matière, de son plein gré ou en raison de la présence d’un motif de reconsidération obligatoire (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, n. 965ss).

Au moment de rendre sa décision, l'autorité détermine la situation de fait et y applique les dispositions légales en vigueur. Lorsque, par la suite, cette décision, qui est entrée en force, se révèle affectée d'une irrégularité initiale ou subséquente à son prononcé, que cette irrégularité soit de fait ou de droit, l'autorité a la possibilité de révoquer sa décision, dans la mesure où l'intérêt à une correcte application du droit objectif l'emporte sur l'intérêt de la sécurité du droit, respectivement à la protection de la confiance. Dans le cas contraire, il n'est en principe pas possible de révoquer la décision en cause. Cela est par exemple le cas lorsque la décision administrative fonde un droit subjectif, que la procédure qui a mené à son prononcé a déjà mis en balance les intérêts précités ou que le justiciable a déjà fait usage du droit que lui a conféré la décision. Cette règle n'est toutefois pas absolue et une révocation est également possible dans ces cas, lorsqu'un intérêt public particulièrement important l'impose (ATF 139 II 185 consid. 10.2.3 ; 137 I 69 consid. 2.3 ; 135 V 215 consid. 5.2 ; 127 II 306 consid. 7a).

4.2 L'aLTVTC a pour objet de réglementer les professions de chauffeur de taxi et de chauffeur de voiture de transport avec chauffeur, en tant que services complémentaires à ceux offerts par les transports publics (art. 1 al. 1). Elle a pour but de promouvoir un service public efficace et de qualité capable de répondre à la demande tous les jours de l'année, à toute heure et en tout lieu du territoire genevois et également pour but de garantir que l’activité des transporteurs est conforme aux exigences de la sécurité publique, de l’ordre public, du respect de l'environnement, de la loyauté dans les transactions commerciales et de la transparence des prix, ainsi qu'aux règles relatives à l'utilisation du domaine public, tout en préservant la liberté économique (art. 1 al. 2 et 3).

À teneur de son art. 2, l'aLTVTC et ses dispositions d’application régissent exclusivement l'activité de transport professionnel de personnes déployée par les taxis et les voitures de transport avec chauffeur dans le canton de Genève, que ce soit à titre individuel ou sous la forme d'une entreprise, quelle que soit sa forme juridique (let. a) ; l'activité des intermédiaires entre les clients et les chauffeurs, exercée dans le canton de Genève ou y déployant ses effets (let. b).

Les autorisations d'usage accru du domaine public sont attribuées sur requête, à des personnes physiques ou morales. Elles sont personnelles et incessibles (art. 11 al. 1 aLTVTC). En contrepartie du droit d’usage accru du domaine public, chaque détenteur d'une ou plusieurs autorisations paie une taxe annuelle ne dépassant pas CHF 1'400.- par autorisation (art. 11A al. 1 aLTVTC). L'autorisation est valable six ans. Elle est renouvelable selon les critères de l’art. 11 aLTVTC (art. 12 al. 1 aLTVTC). Le département constate la caducité de l'autorisation lorsque son titulaire y renonce par écrit (let. a), son titulaire ne dépose pas une requête de renouvellement avant son échéance (let. b), son titulaire n’en fait pas usage pendant douze mois consécutifs de façon effective, sauf en cas d'incapacité totale de travail dûment attestée (let. c), l’office compétent a prononcé la décision prévue à l’art. 45 al. 1 let. a ou c, de la LIRT et que celle-ci est entrée en force (let. d ; art. 12 al. 3 aLTVTC).

Le nombre maximal d'autorisations d'usage accru du domaine public est fixé à 1'100 (art. 21 du règlement d'exécution de l'aLTVTC du 21 juin 2017).

4.3 Le Conseil d’État fixe par règlement les conditions d’une aide financière exceptionnelle, qui peut être inférieure à l'aide financière ordinaire et/ou limitée dans le temps, en faveur des catégories de personnes qui n'ont pas droit aux prestations ordinaires prévues par l'art. 2 let. b de la loi sur l’insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 (LIASI - J 4 04), notamment les personnes exerçant une activité lucrative indépendante (art. 11 al. 4 LIASI). Peut être mise au bénéfice de prestations d’aide financière ordinaire, à l’exception des prestations à caractère incitatif, la personne qui exerce une activité lucrative indépendante (art. 16 al. 1 du règlement d'exécution de la LIASI du 25 juillet 2007 - RIASI - J 4 04.01). L’aide financière est accordée pour une durée de trois mois. En cas d’incapacité de travail du bénéficiaire, les prestations peuvent être accordées pendant une durée maximale de six mois (art. 16 al. 2 RIASI, dans son état avant le 1er janvier 2022).

4.4 Le principe de la bonne foi consacré aux art. 9 et 5 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) exige que l'administration et les administrés se comportent réciproquement de manière loyale et leur commande de s'abstenir, dans leurs relations de droit public, de tout comportement contradictoire ou abusif (ATF 137 II 182 consid. 3.6.2 ; 137 I 69 consid. 2.5.1). Le principe de la confiance s'applique aux procédures administratives. Selon ce principe, les décisions, les déclarations et comportements de l'administration doivent être compris dans le sens que son destinataire pouvait et devait leur attribuer selon les règles de la bonne foi, compte tenu de l'ensemble des circonstances qu'il connaissait ou aurait dû connaître (ATF 135 III 410 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2P.170/2004 du 14 octobre 2004 consid. 2.2.1 ; ATA/1132/2022 du 8 novembre 2022 consid. 4c ; ATA/1031/2020 du 13 octobre 2020 consid. 4a et les références citées). L'interprétation objectivée selon le principe de la confiance sera celle d'une personne loyale et raisonnable (ATF 116 II 431 consid. 3a ; ATA/1132/2022 précité consid. 4c ; ATA/399/2019 du 9 avril 2019 consid. 2). L'interprétation selon le principe de la confiance s'applique aussi aux déclarations de personnes privées (ATA/1132/2022 précité consid. 4c ; ATA/548/2018 du 5 juin 2018 consid. 4h et les références citées).

4.5 En l'espèce, la recourante affirme qu'en 2020, elle ne souhaitait renoncer que provisoirement à ses plaques d'immatriculation 1______, de sorte que l'art. 12 al. 3 let. a aLTVTC n'était pas applicable, et qu'étant en incapacité de travail du 3 juin 2020 au 21 février 2022, elle n'avait pas laissé son autorisation d'usage accru du domaine public sans utilisation effective pendant plus de douze mois au moment de sa demande du 5 mai 2022, l'art. 12 al. 3 let. c aLTVTC ne dictant dès lors pas non plus le constat de la caducité de ladite autorisation. Elle considère en conséquence que l'autorité intimée n'aurait pas dû constater la caducité de son autorisation d'usage accru du domaine public.

Ce faisant, elle reproche à l'autorité intimée, qui est entrée en matière sur sa demande de reconsidération, d'avoir confirmé sa décision initiale et donc d'avoir refusé de la révoquer. Il convient donc dans un premier temps d'examiner si ladite décision est affectée d'une irrégularité.

Le courrier de la recourante du 2 juin 2020, rédigé en personne, ne précise pas expressément qu'il constitue une renonciation à l'autorisation d'usage accru du domaine public au sens de l'art. 12 al. 3 let. a aLTVTC. Seule une telle renonciation nécessite cependant la forme écrite, puisque l'absence d'utilisation provisoire n'a aucun effet avant douze mois, moment auquel la caducité de l'autorisation se pose et auquel il convient d'attester d'une éventuelle incapacité totale de travailler. Cet élément tend donc à indiquer qu'il s'agit effectivement d'une renonciation à l'autorisation d'usage accru du domaine public.

Par ailleurs, ce courrier expose la demande de l'hospice à la recourante de lui fournir la preuve de la remise de ses plaques et d'annoncer la fin de son activité indépendante auprès du PCTN. Il indique ensuite qu'elle a déposé ses plaques à l'OCV. Il précise enfin qu'elle formule une demande et remet ses plaques avec une grande tristesse. Ces éléments dénotent également une renonciation à son autorisation d'usage accru du domaine public.

Finalement, ce courrier s'inscrit dans la suite des échanges de courriels des 5 et 28 mai 2020, au cours desquels la recourante a clairement fait la distinction entre le dépôt des plaques, provisoire, et la renonciation à son autorisation d'usage accru du domaine public, définitive, en demandant, après avoir obtenu les informations pour un dépôt de plaques provisoire, les indications pour remettre ses plaques définitivement. C'est le lendemain de l'obtention de ces informations qu'elle est ensuite allée remettre ses plaques à l'OCV et cinq jours plus tard qu'elle a rédigé le courrier du 2 juin 2022.

L'ensemble de ces éléments tend ainsi à indiquer que la recourante a écrit à l'autorité intimée pour procéder à une renonciation écrite au sens de l'art. 12 al. 3 let. a aLTVTC.

Néanmoins, la recourante a écrit à l'autorité intimée le lendemain, soit le jour où cette dernière a reçu son courrier du 2 juin 2022, pour lui indiquer espérer ne pas perdre ses « plaques définitives », transmettre son certificat médical d'incapacité de travail dès le jour même et lui demander s'il y avait toujours un délai de douze mois pour reprendre ses plaques. Il lui a été répondu qu'effectivement, elle ne devait pas dépasser les 360 jours en cas de dépôt provisoire de ses plaques. Ces échanges, s'ils ne peuvent, contrairement à ce qu'affirme la recourante, être interprétés comme une promesse sur le caractère provisoire du dépôt dans le cas concret de cette dernière, conduisent cependant à douter de la renonciation définitive de la recourante à son autorisation d'usage accru du domaine public.

Or, à ce moment-là, l'autorité intimée n'avait pas encore constaté la caducité de l'autorisation d'usage accru du domaine public au sens de l'art. 12 al. 3 let. a aLTVTC, de sorte qu'en considérant ces derniers échanges, que l'autorité intimée a reconnu n'avoir pas pris en compte pour prononcer sa décision initiale du 26 juin 2020, il n'était de bonne foi pas possible de considérer que la recourante avait effectué une renonciation au sens de l'art. 12 al. 3 let. a LTVTC, du moins pas sans instruction complémentaire.

L'autorité intimée affirme que le fait que la recourante souhaitait obtenir des prestations d'aide financière ordinaire de l'hospice démontrait qu'elle avait renoncé à son autorisation d'usage accru du domaine public. Un tel raisonnement ne peut être suivi. En effet, la compétence pour trancher la question de savoir si un dépôt provisoire des plaques suffit à ne plus être considéré comme exerçant une activité indépendante au sens de la LIASI et ainsi obtenir l'aide financière ordinaire sans limite temporelle ou si la renonciation à l'autorisation d'usage accru du domaine public est nécessaire pour l'obtention de ladite aide ne revient pas à l'autorité intimée, mais à l'autorité compétente en matière d'octroi de l'aide sociale, soit en l'occurrence l'hospice et, au vu des échanges de courriels du 3 juin 2020, il n'était pas évident que la recourante ait fait le choix de renoncer définitivement à son autorisation d'usage accru du domaine public.

Dans ces circonstances, avant de prononcer la décision du 26 juin 2020, l'autorité intimée aurait dû instruire la question de savoir si la recourante avait définitivement renoncé à son autorisation d'usage accru du domaine public ou non.

Toutefois, la recourante a ensuite reçu notification de ladite décision, dont la motivation ne laissait place à aucune ambiguïté, ceci d'autant plus après les informations qu'elle avait obtenues les 5 et 28 mai 2020. Ladite motivation précise en effet expressément que son courrier du 2 juin 2020 était considéré comme une annonce de cessation d'activité définitive et qu'elle avait déposé ses plaques d'immatriculation, de sorte qu'elle avait renoncé par écrit à son autorisation d'usage accru du domaine public, dont la caducité était dès lors constatée.

Or, il ressort de l'attestation de l'hospice du 7 juillet 2020 que la recourante lui a annoncé avoir renoncé à son activité indépendante à cause de la crise sanitaire liée au Covid-19, ce qui concorde avec le contenu du courrier du 2 juin 2020. Elle a procédé à cette annonce fin juin 2020 pour ensuite obtenir dès juillet 2020 l'aide ordinaire. Il appert donc que la recourante a fait valoir sa renonciation définitive telle que retenue dans la décision du 26 juin 2020 auprès de l'hospice, ayant vraisemblablement versé ladite décision à la procédure pendante devant ce dernier. Elle a dès lors compris la décision initiale de l'autorité intimée, contrairement à ce qu'elle a ensuite affirmé dans le cadre de sa demande de reconsidération, ne l'a pas contestée et l'a fait valoir pour obtenir les prestations de l'hospice.

Il sera ici relevé que s'il s'agissait d'une renonciation provisoire pour incapacité de travail, comme le fait valoir la recourante pour obtenir l'application de l'art. 12 al. 3 let. c aLTVTC, l'art. 16 al. 2 RIASI traite expressément du cas de la personne indépendante incapable de travailler et cet article, dans sa teneur en 2020, limitait dans un tel cas l'aide à six mois, et la recourante a perçu pendant trois mois l'aide d'une personne indépendante apte au travail, d'avril à juin 2022, puis l'aide ordinaire dès le mois de juillet 2020, et non l'aide à une personne indépendante incapable de travailler, alors limitée à six mois.

La recourante ne peut par conséquent pas de bonne foi aujourd'hui remettre en cause une décision qu'elle avait comprise sans la contester et qu'elle avait utilisée dans ses relations avec une tierce autorité pour obtenir des prestations d'aide financière. Si l'autorité intimée aurait dû mener une instruction complémentaire avant sa décision initiale, celle-ci étant dès lors irrégulière, les principes de la bonne foi et de la sécurité du droit empêchent la révocation de celle-ci.

La décision du 19 août 2022 est, partant, conforme au droit.

Dans ces circonstances, le recours, mal fondé, sera rejeté.

5.             Malgré l'issue du litige, aucun émolument ne sera perçu, la recourante plaidant au bénéfice de l'assistance juridique (art. 87 al. 1 LPA et 13 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu cette issue, il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 19 septembre 2022 par A______ contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 19 août 2022 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jacques ROULET, avocat de la recourante, ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :