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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/620/2022

ATA/566/2023 du 30.05.2023 sur JTAPI/1098/2022 ( LCI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/620/2022-LCI ATA/566/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 mai 2023

3ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Pascal AEBY, avocat

contre

 

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC intimés

 

et

 

B______

représenté par Me Cédric LENOIR, avocat

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 octobre 2022 (JTAPI/1098/2022)


EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : la société ou la SA) a notamment pour but « les constructions navales, fluviales et aéronautiques, ainsi que celles de tous genres de garages ». Elle exploite le chantier naval de ______.

Selon un arrêté du Conseil d’État du 20 novembre 2013, la SA bénéficie d’une concession d’occupation sur la parcelle n° 8'346 du domaine public lac, l’assiette de celle-là s’étendant aux « jetées et digues construites par la SA et à l’espace qu’elles enserrent » (art. 2 de l’arrêté).

Le 9 décembre 2013, la SA a été autorisée par le département de l’urbanisme, devenu depuis le département du territoire (ci-après : le département ou le DT) à reconstruire le chantier naval et le port et à agrandir ce dernier (DD 1______). Une pompe à essence était prévue sur l’enrochement est du port.

Le 21 janvier 2020, la SA a bénéficié d’une décision globale d’autorisation de construire (DD 1______/3) pour déplacer la citerne et la colonne de distribution d’essence sur la digue de 27 m de longueur, 2,65 m de largeur, à l’ouest du port (ci-après : la digue), soit immédiatement à l’entrée de celui-ci. Sur les plans visés ne varietur, le 21 janvier 2020, la place de la colonne d’essence est mentionnée par un rectangle rouge rempli d’une croix, au bord de la digue à l’intérieur du port ; une « zone essence » de 2 m x 4,8 m est prévue à côté de la colonne ; l’emplacement d’un « barrage flottant protection des hydrocarbures » est indiqué, à côté de la pompe ; les canalisations d’alimentation de la borne et du distributeur d’essence passent du côté intérieur du port selon la coupe AA, soit dans les 1,325 m du côté intérieur de la digue.

Le 28 juin 2021, le mandataire de la SA a transmis au DT l’attestation globale de conformité (ci-après : AGC).

b. La pompe à essence a été construite au milieu de la digue. Elle est notamment utilisée depuis le côté ouest de celle-ci, à l’extérieur du port.

c. B______ (ci-après : le propriétaire) est propriétaire des parcelles nos 158, de 22 m2, et 159, de 1'444 m2, voisines du port à l’ouest, sur la commune de ______ (ci-après : la commune), sise, pour la n° 159 en zone 5. Sa propriété donne sur le côté ouest de la digue.

B. a. Le 20 mai 2021, le propriétaire a sollicité l’autorisation de construire un débarcadère, en bois, d’une longueur de 18,73 m, parallèle à la digue, éloignée de celle-ci de 2,49 m, au bout de laquelle se trouverait une plateforme, carrée, de 3 m de côté, permettant d’amarrer un bateau, un angle de celle-ci étant à 1,68 m de la digue. La plateforme se trouve à plus de 10 m de l’extrémité de la digue, faisant office d’entrée du port. La bouée de mouillage serait située à 8 m à l’ouest de l’extrémité de la digue, reliée par une chaîne secondaire à trois ancres hélicoïdales.

b. Par décision du 24 janvier 2022, le DT a délivré au propriétaire l’autorisation de construire (ci-après : DD 2______). Tous les préavis étaient favorables. La commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS) ne s’opposait plus à l’usage de dérogations, compte tenu des constructions voisines récemment érigées et « dans un esprit de conciliation » avec les autorisations délivrées à la SA.

C. a. Par acte du 21 février 2022, la société a interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le TAPI) concluant, préalablement à ce qu’un transport sur place soit ordonné et, principalement, à l’annulation de la décision.

La construction du débarcadère rendait impossible l'accès et l'utilisation de la pompe à essence depuis le lac, soit depuis l'ouest, et péjorait ainsi l'usage d'installations lacustres voisines existantes, contrevenant ainsi au préavis de l'office cantonal de l’eau (ci-après : OCEau). Le projet entraverait en outre très fortement les manœuvres des bateaux entrant et sortant du port, dès lors que le corps-mort se situerait dans le chenal du port, approximativement au milieu de son embouchure, et son emplacement ne figurait pas sur les plans visés ne varietur. De plus, l'accès au côté ouest du ponton était en principe réservé pour les grands bateaux ou pour les situations d'urgence, comme l'attestait la lettre de E______. Le projet causerait ainsi des inconvénients graves pour les usagers du port et le public, ainsi qu'un danger et une gêne durable pour la circulation lacustre, en violation de l'art. 14 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).

La distance de sécurité prévue par l'art. 9 § 2 de la directive de protection incendie « matières dangereuses » (ci-après: la directive incendie) n'était pas respectée, violant ainsi l'art. 121 al. 2 LCI.

b. Le propriétaire a conclu au rejet du recours et relevé que la digue avait été munie de taquets sur sa partie ouest, de sorte à permettre un amarrage à cet endroit, alors que la concession était limitée à l'intérieur du port. Les deux piliers existants en bout de la digue ne figuraient sur aucun plan et rendaient particulièrement difficile la navigation dans le port. Les bateaux s'amarraient régulièrement sur la face extérieure de la digue pour se ravitailler en essence, nonobstant la présence du panneau indiquant que le ravitaillement n'était possible qu'à l'intérieur du port.

S’agissant de son projet, l'attache en béton de la bouée serait ancrée exactement en dessous de celle-ci et la plaque en béton, enterrée, serait installée à quelques mètres de l'extrémité du débarcadère, parallèlement à l'extrémité du ponton. L'accès au port ne serait pas entravé.

Plusieurs autres débarcadères/pontons situés à quelques dizaines de mètres, majoritairement à l'est du port, pourraient être utilisés en cas d'urgence. En tout état, la digue de la société n'avait jamais eu pour vocation de servir de stationnement d'urgence. Il serait en outre plus facile de s'amarrer sur le ponton en bois projeté en cas d'urgence plutôt que sur la digue à essence existante qui ne disposait d'aucune protection. L'utilisation du ponton projeté n'était pas incompatible avec la sécurité des usagers du port.

c. Le département a conclu au rejet du recours. Si, dans la pratique, les bateaux venaient se ravitailler des deux côtés de la digue, il s'agissait d'une violation de l'autorisation de construire et de la concession. La confusion de la recourante à ce sujet ne rendait ni légal ni digne de protection un tel usage, non conforme.

d. Dans sa réplique, la société a relevé que les pieux installés au bout du ponton servaient à protéger les bateaux et la digue des éventuels chocs mais pouvaient aussi servir à l'amarrage des bateaux ou au déchargement. Le ponton projeté causerait d'importants inconvénients notamment à l'association C______, mettant en péril son activité principale. Les plans de la DD 1______/3 situaient approximativement la pompe à essence sur la face intérieure de la digue, mais pour des raisons techniques, pratiques et de sécurité, les tuyaux d'alimentation et la pompe à essence avaient dû être installés au centre de celle-ci, sans que cela ne déroge à l'autorisation de construire. L'emplacement final de la pompe avait été annoncé sur les plans annexés à l'AGC. Dès lors, le projet se situait à une distance de moins de 3 m de la pompe. Elle a produit une attestation de D______, ingénieur civil, relevant le caractère inexécutable de l'amarrage prévu et précisant qu'il gênerait fortement l'accès au port.

e. Dans sa duplique, le propriétaire a relevé que le système d'amarrage du projet litigieux était réalisable et que l'ancre serait adaptée à la nature du terrain et au poids du bateau, D______ confondant place d'amarrage en eau libre et place d'amarrage en bout de ponton.

f. Les parties ont produit spontanément un troisième échange d’écritures.

g. Par jugement du 19 octobre 2022, le TAPI a rejeté le recours. Une expertise n’était pas nécessaire. Le projet n'était pas source d'inconvénients graves au sens de l’art. 14 LCI et les exigences en matière de prévention des incendies, auxquelles renvoyait l'art. 121 al. 2 LCI, étaient respectées.

D. a. Par acte du 18 novembre 2022, la société a interjeté recours contre ce jugement devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Elle a conclu à son annulation et à celle de l’autorisation du 24 janvier 2022. Préalablement, une expertise devait être ordonnée afin de déterminer les impacts que la DD 2______ aurait sur les installations portuaires de la SA et leurs usages ainsi que les dangers au niveau sécuritaire qu’elle pourrait engendrer.

Le débarcadère projeté entraverait toutes les manœuvres dans le chenal du port, notamment à cause de la bouée et du bateau qui y serait amarré. Les sources de danger, notamment de collisions seraient plus grandes et la sécurité des manœuvres d’entrée et de sortie du port ne seraient plus garanties. Un accident était inévitable dans les années suivant la construction. Or, l’OCEau avait précisé que « la nouvelle installation ne [devait] pas péjorer l’usage des installations lacustres voisines existantes ». La commune de ______, la E______, l’association C______ et la F______, sans s’opposer à la construction du débarcadère, relevaient qu’en l’absence de bouée police au large du ______, l’endroit était utile pour les éventuelles urgences.

La SA formulait deux griefs : des violations (1) des conditions d’accès et de sécurité et (2) des exigences en matière de prévention des incendies.

b. Le propriétaire a conclu au rejet du recours. Il permettrait l’utilisation temporaire de son débarcadère par un bateau en détresse, pour évacuer des naufragés ou faciliter la prise en charge de blessés. Une bouée Police pouvait être installée au large du ______.

c. Le DT a conclu au rejet du recours. L’emplacement de la pompe était clairement dessiné sur les plans visés ne varietur du 21 janvier 2020. Ni places ni pieux d’amarrage n’étaient autorisés le long du côté ouest de la digue. Sur le plan d’exécution, la place d’amarrage d’urgence ou provisoire se trouvait sur la digue nord où quatre pieux étaient prévus à l’extérieur du port.

d. Dans sa réplique, la recourante a maintenu que l’emplacement de la pompe, au centre de la digue, était conforme à la DD 1______/3. La DD 1______/4 comprenant le plan des canalisations indiquait leur passage au milieu de la digue. La SA en détaillait les raisons sécuritaires et techniques.

e. Dans leurs dupliques, les intimés ont persisté dans leurs conclusions. Le DT a relevé que la DD 1______/4, dont se prévalait pour la première fois la recourante, était sans lien avec la pompe à essence litigieuse. Aucune raison n’imposait de réaliser la pompe à un emplacement différent de celui validé dans la DD 1______/3, soit au bord de la digue, à l’est.

f. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

g. Pour le surplus, le contenu des pièces sera repris en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             La recourante sollicite une expertise afin de déterminer les impacts que la DD 2______ aurait sur les installations portuaires de la SA et leurs usagers ainsi que les dangers au niveau sécuritaire qu’elle pourrait engendrer.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Le droit de faire administrer des preuves n'empêche cependant pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1.).

2.2 En l'espèce, le dossier comprend tous les préavis nécessaires, ce que la recourante ne conteste pas. Ils sont tous positifs, notamment celui de l’OCEau et de la police du feu, laquelle ne s’estime pas concernée. La recourante n'apporte aucun élément déterminant permettant de jeter le doute sur l'analyse faite par les services spécialisés et rendant nécessaire un nouvel examen du dossier par le biais d'une expertise. Les attestations qu’elle produit, de la commune du 3 mars 2022, du « E______ » du 21 février 2022, du C______ du 31 mai 2022 et de F______ non datée, portent principalement sur leur souhait de pouvoir conserver un accès à la zone concernée pour garantir la sécurité en cas d’intempéries ou « en tout temps pour les urgences » (société de sauvetage), voire lors « d’interventions compliquées », notamment pour « évacuer les naufragés et faciliter la prise en charge des blessés » (société internationale du sauvetage). Le C______ a mis en avant l’embarquement de passagers moins mobiles et le gage de sécurité que représente le côté ouest de la digue lorsque les airs forcissent. Deux des attestations évoquent l’absence de bouée police au large du ______. Cette carence ne peut être imputée au propriétaire. Si certes, les manœuvres du C______ seront parfois plus délicates, voire rendront impossibles certaines sorties en fonction du régime de vent, ce qui n’est en l’état qu’allégué, il évoque aussi un problème de sécurité. Or, non seulement aucun service spécialisé n’a considéré que la construction poserait problème, mais le propriétaire a indiqué qu’en cas d’extrême urgence, il resterait possible d’y accoster. De surcroît, la recourante n’indique pas sur quels points le TAPI aurait, à tort, écarté sa demande d’instruction complémentaire. Au contraire, elle se borne à reprendre ses arguments, sans les développer, se limitant à invoquer des impacts, sans clairement les définir. Dans ces conditions, une expertise n'apparaît pas nécessaire. La chambre administrative dispose d'un dossier complet lui permettant de trancher le litige en toute connaissance de cause. La demande d'instruction sera rejetée.

3.             Dans un premier grief, la recourante invoque des violations des conditions d’accès et de sécurité et fonde son argumentation sur les inconvénients graves que la construction projetée lui causerait. L’espace actuellement libre de toute construction garantirait qu’en cas de mauvais utilisation de la pompe à essence ou de fuites d’hydrocarbures, les barrages flottants pourraient être déployés du côté ouest du ponton et limiter le risque de pollution. Il serait essentiel que le côté ouest de la digue demeure libre de toute construction : il assurerait une marge minimale pour tous les bateaux entrant et sortant du port et serait réservé pour l’amarrage provisoire des grands bateaux et pour les situations d’urgence ou de difficultés particulières, notamment pour les services du feu, la police, ou les services de sauvetage en cas d’accident. Les bateaux seraient sujets à des dérives latérales, par l’effet des vagues, du vent et des courants. L’inertie étant grande lors des manœuvres, une marge suffisante devrait exister. Un corps-mort, soit une dalle en béton au fond du lac avec une chaîne reliée à une bouée, aurait été prévue sur les plans de la DD 2______ et serait situé approximativement dans le chenal d’accès au port, ce qui augmenterait le danger.

3.1 Le département peut refuser les autorisations prévues à l’art. 1 LCI lorsqu’une construction ou une installation peut être la cause d’inconvénients graves pour les usagers, le voisinage ou le public (let. a), ne remplit pas les conditions de sécurité et de salubrité qu’exige son exploitation ou son utilisation (let. b), ne remplit pas des conditions de sécurité et de salubrité suffisantes à l’égard des voisins ou du public (let. c) ou offre des dangers particuliers (notamment incendie, émanations nocives ou explosions), si la surface de la parcelle sur laquelle elle est établie est insuffisante pour constituer une zone de protection (let. d ; art. 14 al. 1 LCI).

3.2 Cette disposition appartient aux normes de protection qui sont destinées à sauvegarder les particularités de chaque zone, en prohibant les inconvénients incompatibles avec le caractère d’une zone déterminée. Elle n’a toutefois pas pour but d’empêcher toute construction dans une zone à bâtir qui aurait des effets sur la situation ou le bien-être des voisins (ATA/1103/2021 du 19 octobre 2021 consid. 18b). La construction d’un bâtiment conforme aux normes ordinaires applicables au régime de la zone ne peut en principe pas être source d’inconvénients graves, notamment s’il n’y a pas d’abus de la part du constructeur (ATA/285/2021 du 2 mars 2021 consid. 8b).

3.3 La notion d’inconvénients graves est une notion juridique indéterminée qui laisse à l’autorité une liberté d’appréciation et n’est limitée que par l’excès ou l’abus de pouvoir. La chambre de céans peut revoir librement l’interprétation des notions juridiques indéterminées, mais contrôle sous le seul angle des limites précitées, l’exercice de la liberté d’appréciation de l’administration, en mettant l’accent sur le principe de la proportionnalité en cas de refus malgré un préavis favorable, et sur le respect de l’intérêt public en cas d’octroi d’une autorisation.

Chaque fois que l'autorité administrative suit les préavis des instances consultatives – étant entendu qu’un préavis sans observation équivaut à un préavis favorable –, l'autorité de recours observe une certaine retenue, fonction de son aptitude à trancher le litige (ATA/1296/2022 du 20 décembre 2022 consid. 6c ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 508 p. 176 et la jurisprudence citée). Les autorités de recours se limitent à examiner si le département ne s'écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l'autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d'émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/423/2023 du 25 avril 2023 consid. 5.2 ; ATA/1261/2022 du 13 décembre 2022 consid. 4d et les références citées).

3.4 En l’espèce, il ressort des plans visés ne varietur (DD 1______/3) le 21 janvier 2020 que la place de la colonne d’essence est mentionnée clairement au bord de la digue à l’intérieur du port, qu’une « zone essence » est prévue à côté de la colonne, de 2 m x 4,8 m à l’intérieur du port. De même, les canalisations ont été validées, dans la même autorisation, à droite de la digue (coupe A-A 1 :50). La DD 1______/4 ne concerne pas le positionnement des canalisations et n’est pas pertinente dans le présent litige. Les deux pieux en bout de digue, auxquels se trouvent amarrés des bateaux selon les photos du dossier et qui servent à décharger du matériel, à teneur de la réplique de la recourante devant le TAPI, n’ont pas été autorisés. La concession accordée par le Conseil d’État à la société ne porte que sur les « jetées et digues construites par la SA et à l’espace qu’elles enserrent ». La recourante reconnaît que les usagers doivent se ravitailler à l’intérieur du port et qu’un panneau « Service à l’intérieur du port » le précise.

La société et les usagers du port n’ont en conséquence aucun droit à faire le plein d’essence à l’extérieur du port, d’accoster ou de s’amarrer aux taquets placés sur le côté ouest de la digue, ni de s’amarrer en bout de digue. Il n’existe pas d’inconvénients graves au sens de l’art. 14 al. 1 let. a LCI de par la perte de pratiques non conformes à l’autorisation de construire et à la concession.

S’agissant des questions sécuritaires, comme l’a très justement relevé le TAPI, l'avis d'un ingénieur civil mandaté par la partie recourante ne constitue qu'un simple allégué de partie (ATF 142 II 355 consid. 6 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_507/2022 du 13 juin 2022 consid. 3.2). De surcroît, selon un document du mandataire du propriétaire, ledit ingénieur s’était déterminé sur une place d’amarrage en eau libre et non à l’extrémité d’un embarcadère. Dans le présent cas, la plaque en béton sera enterrée dans le fond du lac afin de ne pas péjorer la navigation à l’approche de l’installation. Le point d’amarrage est en retrait du chenal. Le débarcadère aura, de surcroît, en matière de sécurité, l’avantage d’obliger le respect de l’autorisation DD 1______/3, d’imposer la prise d’essence de façon conforme aux plans autorisés et de limiter les risques de déversement de carburant à l’extérieur du port.

Les attestations produites mentionnent la perte d’un confort et évoquent des craintes en matière de sécurité. Or, d’une part, aucune de ces organisations n’a interjeté recours contre l’autorisation. D’autre part, l’OCEau, instance spécialisée, a préavisé favorablement le 7 décembre 2021, après une analyse détaillée du dossier. Il n’a émis aucune réserve quant à l’accès au port ni n’a évoqué un problème de sécurité. La demande a d’ailleurs été déposée sous l’égide de la capitainerie. De même, la CMNS a analysé deux fois le dossier, étant défavorable lors du premier examen. La police du feu a indiqué ne pas être concernée par préavis du 6 octobre 2021 et la compagnie générale de navigation a favorablement préavisé le projet indiquant que leurs bateaux ne seraient pas gênés. Outre les préavis favorables de l’office cantonal de l’agriculture et de la nature du 14 septembre 2021, la commission consultative de la diversité biologique ne s’est pas non plus opposée au projet. Enfin, l’office des autorisations de construire n’a émis aucune opposition, à l’instar de l’office de l’urbanisme en lien avec la construction. L'autorité administrative a suivi les préavis des instances consultatives, imposant dès lors à la chambre de céans une certaine retenue sans son examen à teneur de la jurisprudence.

Il sera enfin relevé que les griefs de la recourante sont d’ordre général, similaires à ceux développés en première instance et ne comprennent pas de critique précise de la motivation détaillée du jugement du TAPI. Il peut en conséquence être renvoyé pour le surplus à ladite motivation.

C’est en conséquence conformément au droit et sans abuser de son pouvoir d’appréciation que le DT a considéré que le projet n'était pas source d'inconvénients graves et que l'art. 14 LCI n’était pas violé, ce que le TAPI a, à juste titre, confirmé.

4.             Dans un second grief, la SA évoque des violations des exigences en matière de prévention des incendies, soit les art. 121 al. 2 LCI, 51 § 1 de la norme de protection incendie et 9 § 2 de la directive. La recourante reproche au débarcadère d’être situé à moins de 3 m de la pompe à essence et d’être en bois, en violation de l’art. 121 al. 2 LCI.

4.1 Une construction, une installation et, d’une manière générale, toute chose doit remplir en tout temps les conditions de sécurité et de salubrité exigées par la présente loi, son règlement d’application ou les autorisations délivrées en application de ces dispositions légales et réglementaires (art. 121 al. 1 LCI).

4.2 S’agissant plus spécifiquement de la protection contre l’incendie, l’art. 121 al. 2 et 3 prévoit que les exigences imposées pour les constructions et les installations en matière de prévention des incendies sont régies par la norme de protection incendie et les directives de l’Association des établissements cantonaux d’assurance incendie (AEAI ; al. 2). Une construction, une installation et, d’une manière générale, toute chose doit être maintenue en tel état et utilisée de telle sorte que : a)  sa présence, son exploitation ou son utilisation ne puisse, à l’égard des usagers, du voisinage ou du public : 1° ni porter atteinte aux conditions exigibles de sécurité et de salubrité, 2° ni être la cause d’inconvénients graves, 3° ni offrir des dangers particuliers (notamment incendie, émanations nocives ou explosions) par le fait que la surface de la parcelle sur laquelle elle est établie est insuffisante pour constituer une zone de protection ; b)  elle ne crée pas, par sa nature, sa situation ou le trafic que provoque sa destination ou son exploitation, un danger ou une gêne pour la circulation (al. 3).

Les propriétaires sont responsables, dans l’application de la présente loi et sous réserve des droits civils, de la sécurité et de la salubrité des constructions et installations (art. 122 LCI).

4.3  À teneur de l’art. 51 de la norme de protection incendie, pour l'entreposage et la manipulation des matières dangereuses, il faut prendre des mesures de protection en vue d'empêcher les incendies et les explosions ou de limiter leurs effets (al. 1). Les mesures de protection sont déterminées par le type et la quantité des matières, des fûts, des récipients et des matériaux de conditionnement utilisés (al. 2).

4.4 Les pompes à essence doivent être installées à l'extérieur. Elles doivent se trouver à au moins 3 m des bâtiments et des autres ouvrages. Cette distance peut être réduite si, sur une longueur de 3 m de chaque côté de la pompe et jusqu'à une hauteur de 1 m au-dessus de celle-ci, la paroi du bâtiment est de construction EI 60, et ne présente pas d'ouverture (art. 9 § 1 et 2 de la directive de protection incendie relative aux matières dangereuses).

4.5 En l’espèce, un bord de la plateforme du débarcadère projeté, plus précisément un angle de celle-ci, se trouve à 2,8 m de la pompe, à teneur du plan n° 02-01 visé ne varietur le 24 janvier 2022 qui mentionne le positionnement réel de la pompe à essence. En conséquence, quelques centimètres carrés, situés dans un angle de la plateforme, sont à moins de 3 m de la pompe. D’une part, la surface concernée est infime. D’autre part, il s’agit d’une surface plane peu praticable, s’agissant d’une extrémité du carré concerné. Il sera surtout relevé que si l’emplacement de la pompe respectait les plans visés ne varietur de la DD 1______, le ponton se situerait à plus de 3 m de la pompe. Or, la modification de la situation de la pompe à essence n'a pas été annoncée au département ni a fortiori ultérieurement autorisé. Dans ces conditions, l’attitude de la recourante contrevient à l'adage nemo auditur suam (propriam) turpitudinem allegans (nul ne peut se prévaloir de sa propre faute) concrétisant le principe constitutionnel de la bonne foi et valant également en droit public (arrêt du Tribunal fédéral 2C_17/2008 du 16 mai 2008 consid. 6.2 ; ATA/169/2020 du 11 février 2020 consid. 7b). À ce titre, il ne peut être retenu que « l’attestation de conformité » adressée par le mandataire de la SA alors que l’emplacement de la pompe n’était pas conforme aux plans visés ne varietur permette à la société d’invoquer sa bonne foi.

La police du feu a par ailleurs émis un préavis indiquant ne pas être concernée, le 6 octobre 2021, ce qui tend à confirmer que le projet est compatible avec les normes pertinentes.

En tous points infondé, le recours sera rejeté.

5.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de la société (art. 87 al. 1 LPA) et une indemnité de procédure de CHF 1'500.- sera allouée au propriétaire qui y a conclu et a exposé des frais pour la défense de ses intérêts
(art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 18 novembre 2022 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 octobre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge de A______ ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'500.- à B______ à la charge de A______ ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pascal AEBY, avocat de la recourante, à Me Cédric LENOIR, avocat de B______, au département du territoire-oac ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Fabienne MICHON RIEBEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

F. DIKAMONA

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :