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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/617/2023

ATA/525/2023 du 23.05.2023 ( TAXIS ) , REJETE

Descripteurs : TAXI;AUTORISATION D'EXPLOITER UN SERVICE DE TAXI;CHAUFFEUR;LIBERTÉ ÉCONOMIQUE;ÉGALITÉ DE TRAITEMENT
Normes : LTVTC.46.al13; Cst.27; Cst.8
Résumé : Rejet du recours d’un chauffeur de taxi contre le refus du PCTN de lui octroyer une autorisation d’usage accru du domaine public (AUADP) en vertu de la disposition transitoire prévue à l’art. 46 al. 13 de la LTVTC, loi entrée en vigueur le 1er novembre 2022. Rejet des griefs tirés du principe de non-rétroactivité des lois, du principe de protection de la bonne foi et des droits acquis. La demande du recourant a été déposée après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Il a obtenu la carte professionnelle de chauffeur de taxi en mai 2022, c’est-à-dire à un moment où les nouvelles règles avaient déjà été adoptées et publiées (pas dépôt de référendum), de sorte qu’il ne pouvait alors ignorer que la pratique consistant à louer des plaques à des tiers détenteurs d’AUADP serait supprimée. Choix volontaire du recourant de faire malgré tout usage de cette pratique entre mai et octobre 2022 : pas de régime transitoire nécessaire dans un tel cas. Rejet des griefs tirés de prétendues violations de la liberté économique et d’égalité de traitement entre concurrents directs pour les mêmes motifs que ceux exposés dans les arrêts récents de la chambre constitutionnelle, faute d’argument spécifique lié à l’application concrète de la nouvelle réglementation.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/617/2023-TAXIS ATA/525/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 mai 2023

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Guy ZWAHLEN, avocat

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR intimé



EN FAIT

A. a. A______, né en 1988 et domicilié dans le canton de Genève, détient un permis de conduire suisse depuis le 16 février 2015.

b. Il est titulaire d’une carte professionnelle de chauffeur de taxi, délivrée le 11 mai 2022 par le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) du département de la sécurité de l’emploi et de la santé (ci-après : le département).

B. a. Le 7 novembre 2022, l’intéressé a déposé auprès du PCTN, au moyen du formulaire correspondant, une requête en délivrance d’une autorisation d’usage accru du domaine public (ci-après : AUADP) au sens de l’art. 46 al. 13 de la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 28 janvier 2022 (LTVTC - H 1 31).

Dans ce formulaire, il a allégué avoir loué, du 16 mai au 12 juillet 2022, une première AUADP portant sur la plaque d’immatriculation n° 1______ détenue par un tiers domicilié à Genève. Selon un document intitulé « contrat de mise à disposition d’une [AUADP] » et signé avec cette personne le 16 mai 2022, il avait bénéficié de l’usage exclusif de l’AUADP donnant droit à l’immatriculation « 2______ » en échange du paiement d’un loyer mensuel de CHF 600.- TTC et d’une garantie de loyer de CHF 1'200.-. Trois récépissés postaux attestaient du versement de trois montants pour un total de CHF 1’900.65 entre les 30 mai et 1er juillet 2022.

L’intéressé a également affirmé louer une deuxième AUADP depuis le 12 juillet 2022 à une autre personne, domiciliée dans un autre canton, portant sur la plaque d’immatriculation n° 3______. À titre de preuves, il a produit sept justificatifs confirmant le versement de plusieurs sommes d’argent à cette personne, s’élevant à un montant total de CHF 2'690.50 en juillet 2022 ainsi qu’à un montant de CHF 1600.- versé trois fois, à savoir en août, septembre et octobre 2022.

Une attestation de l’office genevois compétent confirmait que le requérant était affilié dans le domaine du transport de personnes auprès d’une caisse genevoise de compensation depuis le 1er mai 2022 en qualité d’assuré de condition indépendante.

b. Après l’avoir invité à exercer son droit d’être entendu et reçu ses observations, le PCTN a rejeté la demande par décision du 23 janvier 2023.

L’intéressé ne remplissait pas les conditions de l’art. 46 al. 13 LTVTC puisqu’il n’était pas l’utilisateur effectif d’une AUADP au moment du dépôt de cette loi, soit le 26 février 2020, ni lors de son adoption, soit le 28 janvier 2022. Il avait obtenu sa carte professionnelle de chauffeur de taxi en « mars » (recte : mai) 2022.

Par ailleurs, le PCTN ne se considérait pas compétent pour examiner le grief tiré d’une violation du principe de non-rétroactivité des lois, dans la mesure où il était chargé d’appliquer les normes adoptées par le législateur. Une telle violation ne lui semblait, cela étant, pas être réalisée in casu.

C. a. Par acte déposé à la poste le 22 février 2023, A______ a interjeté recours contre cette décision auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) en concluant à son annulation. En outre, il a sollicité, tant à titre d’effet suspensif et de mesure provisionnelle qu’à titre principal, la délivrance d’une AUADP au sens de l’art. 20 LTVTC et l’octroi d’une équitable indemnité de procédure.

Il invoquait tout d’abord la non-conformité de l’art. 46 al. 13 LTVTC au principe de la non-rétroactivité des lois, ce qui empêchait l’application de cette norme. Seule était déterminante la date de l’entrée en vigueur de la LTVTC, fixée au 1er novembre 2022, et non celle de son dépôt. Comme il était utilisateur effectif d’une AUADP lors de l’entrée en vigueur de cette loi, il devait se voir attribuer une AUADP pour l’avenir. Il n’existait pas d’intérêt public prépondérant justifiant la position du PCTN qui le privait de toute source de revenu, chauffeur de taxi indépendant étant sa seule profession. Il alléguait également la violation de la liberté économique garantie aux art. 27 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 35 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00) ainsi que celle du principe d’égalité de traitement ancré à l’art. 8 Cst. par rapport aux autres chauffeurs de taxi indépendants bénéficiant d’AUADP, de manière directe et non à travers une location de plaques, avant l’entrée en vigueur de la loi.

b. Le PCTN a conclu au rejet de la requête de mesure provisionnelle et du recours.

c. La présidente de la chambre administrative a, par décision du 14 avril 2023, admis la requête de mesure provisionnelle de l’intéressé, dit qu’il continuait de bénéficier d’une AUADP jusqu’à droit jugé au fond et réservé le sort des frais de la procédure.

d. Dans sa réplique, le recourant a fait en outre grief au PCTN de ne pas avoir démontré l’existence d’un intérêt public prépondérant pour faire rétroagir au jour du dépôt de la loi, et non de son entrée en vigueur, la condition de l’usage effectif d’une AUADP. Il s’est aussi prévalu d’une violation du principe de la proportionnalité parce qu’il ne pouvait, à l’avenir, plus exercer son activité lucrative et qu’il était de ce fait privé d’un droit acquis « dès lors qu’il l’exerçait auparavant ». Le fait d’exercer cette activité comme employé ou comme chauffeur de VTC comportait plusieurs inconvénients (trouver un employeur, perdre les avantages de l’AUADP ainsi que l’accès à l’aéroport et à la gare) et l’empêchait de pouvoir choisir et exercer librement son activité dans le cadre d’un marché assurant une libre et équitable concurrence, en violation des garanties constitutionnelles précitées. Il n’aurait par ailleurs pas le droit au chômage en raison de son statut d’indépendant et risquait de devoir recourir à l’aide sociale. Cela le mettrait dans une situation économique difficile et le contraindrait à s’ « ubériser », alors qu’il remplissait les autres conditions de l’art. 46 al. 13 LTVTC et celles de l’art. 13 al. 5 LTVTC pour voir son AUADP maintenue.

e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente par le destinataire de la décision litigieuse, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 60 al. 1 let. a et b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             De jurisprudence constante, la chambre administrative est habilitée à revoir, à titre préjudiciel et à l’occasion de l’examen d’un cas concret, la conformité des normes de droit cantonal au droit fédéral (ATA/675/2021 du 29 juin 2021 consid. 6 ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. 1, 3e éd., 2012, p. 345 ss n. 2.7.3). Cette compétence découle du principe de la primauté du droit fédéral sur le droit des cantons, ancré à l’art. 49 Cst. (ATF 138 I 410 consid. 3.1 ; ATA/397/2021 du 13 avril 2021 consid. 6). D’une manière générale, les lois cantonales ne doivent rien contenir de contraire à la Cst., aux lois et ordonnances du droit fédéral (ATF 145 IV 10 consid. 2.1 et les arrêts cités ; ATA/1299/2020 du 15 décembre 2020 consid. 4a ; Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER/Maya HERTIG RANDALL/Alexandre FLÜCKIGER, Droit constitutionnel suisse, vol. 1, 4e éd., 2021, p. 33 ss n. 1982 ss). Le contrôle préjudiciel permet de déceler et de sanctionner la violation par une loi ou une ordonnance cantonale des droits garantis aux citoyens par le droit supérieur. Toutefois, dans le cadre d'un contrôle concret, seule la décision d'application de la norme viciée peut être annulée (ATA/1367/2019 du 10 septembre 2019 consid. 6b ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, op. cit., p. 352 ss n. 2.7.4.2).

La juridiction constitutionnelle suisse consacre de façon générale le système diffus de contrôle de constitutionnalité. Toute autorité chargée de l’application des normes doit examiner si celles-ci sont conformes au droit supérieur et, si tel n’est pas le cas, refuser de les mettre en œuvre. Cette obligation est désignée par l’expression « contrôle préjudiciel général » (Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER/Maya HERTIG RANDALL/Alexandre FLÜCKIGER, op. cit., p. 733 n. 1982). Le contrôle préjudiciel général s’exerce également sur les actes législatifs cantonaux, en tout cas dans la mesure où leur conformité au droit fédéral et au droit international est en cause. Cette conclusion s’impose en vertu du principe de la primauté du droit fédéral sur le droit cantonal (art. 49 al. 1 Cst. ; Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER/Maya HERTIG RANDALL/Alexandre FLÜCKIGER, op. cit., p. 736 n. 1991). Le PCTN pouvait ainsi examiner le grief tiré d’une violation du principe de non-rétroactivité des lois.

3.             La LTVTC, actuellement en vigueur depuis le 1er novembre 2022, résulte du projet de loi (ci-après : PL) n° 12'649 sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur, déposé par le Conseil d’État devant le Grand Conseil le 16 février 2020. Ce projet a été renvoyé à la commission parlementaire des transports qui a rendu deux rapports, respectivement le 16 août 2021 (PL 12’649-A) et le 11 janvier 2022 (PL 12’649-B).

3.1 Dans sa présentation du PL, le département a apporté les précisions suivantes. En raison du numerus clausus des AUADP, le délai d’attente pour leur obtention pouvait atteindre plusieurs années, ce qui augmentait leur valeur économique et permettait à leurs titulaires de gagner de l’argent en vivant de la rente résultant de la location de leurs plaques pour un loyer dépassant parfois plus de dix fois le montant de la taxe annuelle. De nombreux chauffeurs voulant exercer la profession de taxi étaient ainsi contraints de louer une AUADP, ce qui les rendait dépendants et économiquement vulnérables. Il était apparu que 53 personnes détenaient 150 AUADP, dont une personne qui en avait dix. En l’absence d’outils permettant de contrôler les prix, le PL prévoyait de supprimer la cession des plaques, en recourant à leur location ou au bail à ferme. Ainsi, selon le PL, le détenteur d’une AUADP pouvait soit l’utiliser lui-même, soit engager un chauffeur pour l’utiliser, qui devenait contractuellement son employé, soit céder définitivement l’AUADP.

3.2 Il ressort des débats que la commission parlementaire a voulu supprimer la location des plaques, qui conférait une rente de situation aux titulaires d’une AUADP, lesquels les louaient à un prix abusif. Le bail à ferme, tel qu’il était pratiqué par certaines personnes, restait un système exploitant une certaine dépendance, qui permettait la réalisation de marges excessives par rapport à l’outil de travail proposé, en tirant profit d’un avantage octroyé par l’État pour le monnayer. Il convenait de supprimer cette possibilité, une indemnisation étant introduite dans les dispositions transitoires en faveur des personnes rendant leur AUADP.

3.3 À l’issue de la séance du 28 janvier 2022, le Grand Conseil a adopté la LTVTC (loi 12'649), publiée le 4 février 2022 dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) fixant le délai référendaire au 16 mars 2022.

3.4 Vu l’expiration du délai référendaire, le Conseil d’État a, par arrêté du 23 mars 2022 publié dans la FAO du 25 mars 2022, promulgué la LTVTC pour être exécutoire dans tout le canton dès le lendemain de la publication dudit arrêté, l’entrée en vigueur de la loi devant être fixée ultérieurement par le Conseil d’État. Lors de son communiqué hebdomadaire du 19 octobre 2022, le Conseil d’État a annoncé que la LTVTC et son règlement d’application entreraient en vigueur le 1er novembre 2022.

4.             Le recourant considère que l’art. 46 al. 13 LTVTC n’est pas conforme au principe de la non-rétroactivité des lois, dans la mesure où il prend en compte la date du dépôt de ladite loi, et non son entrée en vigueur, pour examiner la condition de l’usage effectif de l’AUADP.

4.1 L’art. 46 al. 13 LTVTC dispose, sous l’intitulé « Attribution des autorisations restituées ou caduques », que : « Le département peut attribuer l’autorisation d’usage accru du domaine public à la personne physique ou morale qui en était l’utilisateur effectif au moment du dépôt de la présente loi, s’il en est toujours l’utilisateur au moment de l’adoption de la loi, en fait la requête et réalise les conditions de délivrance visées à l’article 13, alinéa 5, de la présente loi ».

4.2 Selon un principe général de droit intertemporel, rappelé dans l’arrêt 2C_339/2021 du Tribunal fédéral du 4 mai 2022 (consid. 4.1), les dispositions légales applicables à une contestation sont celles en vigueur au moment où se sont produits les faits juridiquement déterminants pour trancher celle-ci (ATF 146 V 364 consid. 7.1 ; 140 V 41 consid. 6.3.1). Liée aux principes de sécurité du droit et de prévisibilité, l'interdiction de la rétroactivité des lois résulte du droit à l'égalité de traitement (art. 8 Cst.), de l'interdiction de l'arbitraire et de la protection de la bonne foi (art. 5 et 9 Cst.). L'interdiction de la rétroactivité (proprement dite) fait obstacle à l'application d'une norme à des faits entièrement révolus avant son entrée en vigueur (ATF 147 V 156 consid. 7.2.1), car les personnes concernées ne pouvaient, au moment où ces faits se sont déroulés, connaître les conséquences juridiques découlant de ces faits et se déterminer en connaissance de cause. Une exception à cette règle n'est possible qu'à des conditions strictes, soit en présence d'une base légale suffisamment claire, d'un intérêt public prépondérant et moyennant le respect de l'égalité de traitement et des droits acquis (ATF 147 V 156 consid. 7.2.1 ; 146 V 364 consid. 7.1 ; 138 I 189 consid. 3.4). La rétroactivité doit en outre être raisonnablement limitée dans le temps (ATF 147 V 156 consid. 7.2.1 ; 146 V 364 consid. 7.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_366/2016 du 13 février 2017 consid. 2.1).

4.3 L'ordre juridique suisse peut être modifié à tout moment, conformément aux principes régissant la démocratie. Il n'existe pas, selon le Tribunal fédéral, de droit au maintien d'une certaine législation (arrêt du Tribunal fédéral 2E_3/2020 du 11 novembre 2021 consid. 9.7.2 et arrêts cités). Dans certaines circonstances, la jurisprudence a toutefois déduit des principes de l'égalité de traitement, de la bonne foi, de la proportionnalité et de l'interdiction de l'arbitraire, l'obligation pour le législateur de prévoir un régime transitoire (ATF 145 II 140 consid. 4 ; 134 I 23 consid. 7.6.1 ; 130 I 26 consid. 8.1 ; 128 I 92 consid. 4). Un tel régime doit permettre aux administrés de s'adapter à la nouvelle réglementation et non pas de profiter le plus longtemps possible de l'ancien régime plus favorable (ATF 145 II 140 consid. 4 ; 134 I 23 consid. 7.6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2E_3/2020 précité consid. 9.7.2).

Il n'y a pas de droit constitutionnel à cet égard (ATF 118 Ib 241 consid. 5e et 9b ; arrêt du Tribunal fédéral 2E_3/2020 précité consid. 9.7.2). L'auteur de la réglementation dispose d'une large marge d'appréciation (ATF 128 I 92 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_482/2020 du 28 septembre 2021 consid. 7.2). Il faut, le cas échéant, procéder à une pesée des intérêts entre la protection de la bonne foi et le principe de la légalité qui exige que, sauf motif particulier, les lois ou ordonnances entrent en vigueur sans retard (arrêts du Tribunal fédéral 2C_158/2012 du 20 avril 2012 consid. 3.8 ; 1A.196/1999 du 24 novembre 1999 consid. 6a). La question de savoir quand le nouveau droit doit entrer en vigueur et selon quelles modalités dépend du but poursuivi par la norme. Une entrée en vigueur immédiate se justifie lorsqu'il s'agit d'éviter qu'à la faveur de certains délais, les intéressés ne se hâtent de faire ce que le nouveau droit tend à interdire, privant ainsi la loi de son effet (ATF 114 Ib 17 consid. 4 et 6b ; 104 Ib 205 consid. 5b).

En revanche, lorsque le changement de législation conduit les particuliers à des sacrifices trop importants au regard du but visé, il peut se justifier d'aménager l'entrée en vigueur, par exemple en publiant la loi assez tôt pour permettre aux personnes visées de prendre leurs dispositions, ou en prévoyant une entrée en vigueur par paliers, la possibilité d'octroyer des autorisations exceptionnelles ou encore des délais d'adaptation. Il convient toutefois de faire preuve de retenue à cet égard et de n'agir qu'en présence d'intérêts dignes de protection, car, outre l'intérêt public à une application immédiate du nouveau droit, les principes de l'égalité de traitement et de la sécurité du droit commandent que les anciens rapports juridiques soient rendus conformes au nouveau droit dans les meilleurs délais (arrêt du Tribunal fédéral 2E_3/2020 précité consid. 9.7.2 et arrêts cités).

4.4 En l’espèce, la requête – c’est-à-dire le fait juridiquement déterminant – du recourant auprès du PCTN en vue de l’obtention d’une AUADP date du 7 novembre 2022, soit après l’entrée en vigueur de la nouvelle LTVTC. Cette demande doit donc s’examiner au regard de la nouvelle réglementation, conformément au principe général du droit intertemporel rappelé par la jurisprudence fédérale susmentionnée. Contrairement à ce que semble penser le recourant, sa requête ne soulève pas de question sous l’angle de la rétroactivité des lois puisqu’elle a été déposée après l’entrée en vigueur de la nouvelle LTVTC.

Par ailleurs, pour prétendre bénéficier d’une AUADP, il faut entre autres être titulaire d’une carte professionnelle de chauffeur de taxi (art. 13 al. 5 let. a LTVTC), y compris sous l’ancien droit (art. 5 al. 1, 10 al. 1, 15 al. 1 et 19 al. 1 de l’ancienne LTVTC du 13 octobre 2016). Or, le recourant ne l’a obtenue qu’en mai 2022, soit à un moment où les règles prévues dans la nouvelle LTVTC étaient déjà connues et que seule restait à fixer la date de son entrée en vigueur. En effet, cette loi, adoptée le 28 janvier 2022, soit près de deux ans après son dépôt auprès du Grand Conseil, a été publiée le 4 février 2022 dans la FAO et son arrêté de promulgation par le Conseil d’État y a été publié le 25 mars 2022, après l’expiration du délai référendaire fixé. Ainsi, dès fin mars 2022, le recourant ne pouvait de bonne foi ignorer que la pratique consistant à exercer la profession de chauffeur de taxi en louant les plaques à des tiers détenteurs d’AUADP serait supprimée lors de l’entrée en vigueur de la nouvelle LTVTC. Cet objectif a d’ailleurs d’emblée été énoncé par le PL 12'649 déposé par le Conseil d’État le 16 février 2020 pour mettre un terme à la précarisation des chauffeurs de taxi contraints de louer une AUADP à des prix abusifs, vu le long délai d’attente pour leur obtention. La nouvelle réglementation prévue dans ledit PL offrait trois options au détenteur d’une AUADP, à savoir l’utiliser lui-même, engager un chauffeur pour l’utiliser qui devenait contractuellement son employé ou la céder définitivement, ce qui permettait de l’octroyer à des nouveaux candidats.

Ainsi, lorsqu’il a commencé à louer une AUADP en mai 2022, le recourant ne pouvait ignorer le changement prochain de réglementation affectant l’exercice de la profession de chauffeur de taxi, en raison notamment des deux publications précitées dans la FAO en février et mars 2022. Il ne peut dès lors se prévaloir ni du principe de la bonne foi, ni de droits acquis liés à l’exercice de cette profession.

L’art. 46 al. 13 LTVTC invoqué par le recourant est une disposition transitoire qui a pour fonction d’atténuer la « rigueur du passage d’une loi à une autre loi » (Milena PIREK, L’application du droit public dans le temps : la question du changement de loi, 2018 p. 182). Or, la mise en place d’un régime transitoire présuppose, d’une part, d’avoir pu bénéficier de l’application de l’ancien droit, ce qui a été le cas du recourant entre mai et octobre 2022, et, d’autre part, de devoir supporter un sacrifice trop important découlant du changement de législation, ce qui ne peut être admis in casu pour les raisons évoquées supra et infra. En effet, entre mai et octobre 2022, le recourant devait s’attendre à l’entrée en vigueur de la nouvelle LTVTC qui supprimerait la possibilité d’exercer la profession de chauffeur de taxi en louant une AUADP. En outre, comme le relève la jurisprudence susmentionnée, le recourant n’a ni le droit au maintien de l’ancienne LTVTC, ni de profiter le plus longtemps possible de l’ancien régime qui serait par hypothèse plus favorable à travers des dispositions transitoires. Le législateur dispose à cet égard d’une large marge d’appréciation pour fixer la date d’entrée en vigueur du nouveau droit et ses modalités, étant rappelé que la protection de la bonne foi doit être mise en balance avec le principe de la légalité exigeant, sauf motif particulier, une entrée en vigueur immédiate du nouveau droit.

Dans la présente espèce, le recourant ne peut se prévaloir de la protection de la bonne foi, ni a fortiori de bénéficier d’un régime transitoire, dans la mesure où il savait, ou à tout le moins ne pouvait de bonne foi ignorer, lorsqu’il a décidé en mai 2022 d’exercer la profession de chauffeur de taxi à travers la location d’une AUADP, que cette possibilité disparaîtrait dès l’entrée en vigueur de la nouvelle LTVTC. En choisissant malgré tout d’en faire usage tant que l’ancienne LTVTC demeurait applicable, le recourant a délibérément pris le risque de devoir cesser cette activité dès l’entrée en vigueur du nouveau droit et en conséquence d’en assumer les éventuels préjudices en découlant pour lui. Cette situation, dans laquelle le recourant s’est volontairement placé en toute connaissance du changement législatif connu et attendu, ne justifie donc pas la mise en place d’un régime transitoire.

Au demeurant, en visant les utilisateurs effectifs d’une AUADP au moment du dépôt du PL 12'649, soit en février 2020, et au moment de l’adoption de cette loi, fin janvier 2022, le législateur a ciblé les chauffeurs de taxi ayant recouru à la location d’AUADP, tolérée sous l’ancien droit, pour exercer cette profession à un moment où ils ne pouvaient de bonne foi pas s’attendre à la suppression juridique de cette pratique, de sorte que la question d’un régime transitoire pouvait se poser pour eux, contrairement à la situation du recourant. Par conséquent, le grief tiré d’une prétendue violation du droit par l’art. 46 al. 13 LTVTC est écarté.

5.             Le recourant invoque également la violation de la liberté économique et de l’égalité de traitement entre acteurs de la même branche économique, sans toutefois développer d’argument tiré de l’application concrète de la nouvelle réglementation à sa demande du 7 novembre 2022. La chambre administrative ne voit donc pas de raison de s’écarter de la jurisprudence de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) qui a tranché ces questions, incluant l’examen du respect du principe de la proportionnalité et celui de la question des droits acquis, dans des arrêts récents du 22 décembre 2022 (ACST/26/2022 et ACST/27/2022) s’agissant de la nouvelle LTVTC et du 24 mars 2023 (ACST/15/2023) quant à son règlement d’application.

5.1 Dans ses arrêts du 22 décembre 2022, la chambre constitutionnelle a jugé que le caractère strictement personnel et intransmissible des AUADP – résultant des nouvelles dispositions de la LTVTC, entrée en vigueur le 1er novembre 2022, et supprimant la possibilité de louer les plaques d’immatriculation des taxis aux détenteurs de celles-ci – répondait aux exigences de la proportionnalité (ACST/26/2022 précité consid. 5e ; ACST/27/2022 précité consid. 6).

Une telle mesure permettait à l’autorité d’effectuer un contrôle sur l’attribution des AUADP et d’éviter leur commerce et, par conséquent, des spéculations sur les prix. Il ressortait des constats effectués par le Conseil d’État dans son rapport RD 1'327 sur le bilan intermédiaire de l’ancienne loi sur les taxis et les voitures de transport de personnes avec chauffeur du 13 octobre 2016, entrée en vigueur le 1er juillet 2017 (ci-après : aLTVTC), ainsi que des déclarations des représentants des milieux des taxis devant la commission parlementaire, que de nombreux titulaires d’AUADP mettaient en location leurs plaques, percevant une rente pouvant atteindre jusqu’à CHF 2'000.- par mois par jeu de plaques, sans pour autant exercer eux-mêmes la profession. Ce prix à payer, ajouté à une diminution des revenus, plaçait les chauffeurs concernés dans une situation de précarité économique, qu’ils devaient compenser en augmentant leur temps de travail. L’intransmissibilité des AUADP permettait ainsi non seulement de mettre fin à une telle précarisation de la profession et à l’enrichissement correspondant des titulaires des AUADP, mais également d’inciter ceux n’exerçant plus comme chauffeur de les restituer afin de permettre l’accès à la profession de nouvelles personnes (ACST/26/2022 précité ch. 5 et 7b et consid. 5e).

Par ailleurs, la chambre constitutionnelle a admis que les nouvelles dispositions querellées, à savoir les art. 13 al. 3 et al. 9 let. et art. 46 al. 8 à 13 LTVTC, poursuivaient un but d’intérêt public admissible pour ces mêmes motifs et vu l’exigence d’égalité entre concurrents qui supposait, pour être effective, la mise en place d’un système de distribution des autorisations qui soit cohérent, transparent et fondé sur des motifs objectifs, sous peine d’ouvrir la porte à l’arbitraire (ACST/26/2022 précité consid. 5d). Cette juridiction a dès lors conclu que l’incessibilité des AUADP constituait une restriction admissible à la liberté économique dans sa dimension individuelle (ACST/26/2022 précité consid. 5e ; ACST/27/2022 précité consid. 6). Elle a également écarté le grief tiré d’une inégalité de traitement entre concurrents directs, plus particulièrement entre les chauffeurs de taxi et les chauffeurs de voiture de transport avec chauffeur (ACST/26/2022 précité consid. 6 ; ACST/27/2022 précité consid. 7).

5.2 Dans son arrêt du 24 mars 2023 (ACST/15/2023), la chambre constitutionnelle a jugé que l’art. 46 al. 13 LTVTC était une disposition légale transitoire, adoptée pour permettre aux chauffeurs de taxis exerçant leur profession à travers la location de plaques ou d’un bail à ferme de continuer leur activité, malgré l’abolition de ces pratiques par l’entrée en vigueur de la LTVTC, et de leur attribuer, pour autant que les conditions légales soient remplies, une AUADP (consid. 5.3.4). Dans ce contexte, le Conseil d’État avait indiqué que l’augmentation transitoire du nombre d’AUADP pendant un an (art. 57 al. 11 RTVTC) permettait d’atténuer les effets du passage au régime de l’interdiction de location des autorisations.

5.3 La chambre constitutionnelle a aussi rappelé que l’AUADP octroyée aux taxis ne conférait généralement pas de droits acquis, à moins de garanties spécifiquement obtenues concernant la poursuite de l’activité de location de plaques, ce qui n’était pas le cas dans les affaires dont elle était saisie (ACST/26/2022 précité consid. 7 ; ACST/27/2022 précité consid. 10).

Pour les raisons qui viennent d’être évoquées, le recourant ne peut donc pas non plus se prévaloir de droits acquis concernant son activité de chauffeur de taxi entre mai et octobre 2022 fondée sur la location de plaques d’autrui.

En conséquence, le recours doit être rejeté.

6.             Un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant qui succombe, compte tenu du présent arrêt et de la décision sur effet suspensif et mesures provisionnelles du 14 avril 2023 (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée vu l’issue du litige (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 février 2023 par A______ contre la décision du service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir du 23 janvier 2023 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de A______ ;

dit qu’il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Guy ZWAHLEN, avocat du recourant, ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF,
Jean-Marc VERNIORY, Eleanor McGREGOR et Fabienne MICHON RIEBEN, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :