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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/375/2023

ATA/396/2023 du 18.04.2023 ( FORMA ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/375/2023-FORMA ATA/396/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 18 avril 2023

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______ recourant
représenté par Me Géraldine Badel Poitras, avocate

contre

UNIVERSITÉ DE GENÈVE intimée



EN FAIT

A. a. Monsieur A______ a été admis en faculté d’économie et de management (ci-après : GSEM) pour y suivre le baccalauréat en économie et management dès la rentrée 2020-2021.

b. Il a réussi sa première année à l’issue de la session d’examens d’août-septembre 2021.

c. Lors de la session d’examens d’août 2022, il a obtenu la note de 3.25 pour la branche de « Coroporate Finance » et de 3.5 pour « optimisation et gestion des opérations ».

d. Par décision du 19 septembre 2022, le doyen de la faculté a prononcé son élimination, au motif qu'il avait définitivement échoué au contrôle des connaissances à l'issue de la session d'examens d'août 2022, n'obtenant pas l'ensemble des crédits requis.

e. Par décision sur opposition du 19 décembre 2022, la décision précitée a été confirmée.

Les difficultés auxquelles l’étudiant avait dû faire face, à savoir l’interruption de grossesse subie par sa compagne en mai 2022 et la crise cardiaque subie par sa sœur le 27 août 2022 ne se trouvaient pas en rapport de causalité avec l’échec à la session d’examens ayant eu lieu du 22 au 30 août 2022. Les conditions nécessaires à admettre l’existence de circonstances exceptionnelles justifiant l’annulation d’une session d’examens n’étaient pas remplies.

f. Par courrier du 23 décembre 2023, l’exmatriculation de M. A______ a été prononcée.

B. a. Par acte expédié le 1er février 2023 à la chambre administrative de la Cour de justice, M. A______ a recouru contre ces décisions, dont il a demandé l’annulation. Il a conclu à ce qu’il soit autorisé à présenter à nouveau les examens « Coroporate Finance » et « optimisation et gestion des opérations » et à ce qu’il soit réimmatriculé à la GSEM. Préalablement, lui-même et la Docteure B______ devaient être entendus.

Après avoir dû, en première année d’étude, faire face au décès de son ami d’enfance dû au Covid-19, il avait été confronté à l’avortement que sa compagne avait subi le 29 avril 2022 pour des raisons de santé. Cet évènement avait été traumatisant pour le couple, qui s’était d’ailleurs ensuite séparé. Le 18 mai 2022, sa tante, chez qui il avait habité plusieurs années, avait été admise d’urgence à l’hôpital et subi une opération au cerveau. Ces évènements avaient provoqué une grande détresse et anxiété. Malgré cet état, il s’était présenté aux examens de mai-juin 2022. En pleine session d’examens, il avait appris que sa tante avait dû subir une seconde intervention chirurgicale au cerveau. Il avait alors échoué, avec la note de 3 pour les branches « comptabilité financière », « optimisation et gestion des opérations » et « Introduction to Econometrics ». Il avait demandé à conserver la note 3 pour cette dernière branche et s’était présenté à la session de rattrapage qui s’était déroulée du 22 août au 25 août 2022.

Le 20 août 2022, sa sœur l’avait appelée, car elle ne se sentait pas bien, faisant ce qu’elle croyait être des crises d’asthme à répétition, qui s’étaient toutefois avérées être des « mini crises cardiaques ». Elle l’avait appelée de plus en plus souvent en décrivant ses douleurs et ses craintes de se rendre dans un hôpital alors que sa situation administrative n’était pas réglée. Il avait tenté de la soutenir moralement et financièrement, mais avait été très inquiet. Le 27 août 2022, sa sœur avait été admise à l’hôpital en raison d’un infarctus.

Ce n’était qu’à la suite de la décision d’exmatriculation qu’il avait réalisé dans quelle détresse il se trouvait. Grâce à l’aide des différents professionnels de la santé qu’il avait consultés, en janvier 2023, il avait compris qu’il n’avait pas été en état de se présenter aux examens. Les deux notes insuffisantes obtenues lors de la session de rattrapage se rapportaient à des examens passés les 25 et 26 août, soit après qu’il avait appris que sa sœur allait très mal.

b. Il a produit une attestation du département de médecine de premier recours des HUG, confirmant sa présence aux côtés de sa compagne aux rendez-vous des 8 avril et 2 mai 2022, avant et après l’interruption de la grossesse, puis seul à nouveau le 16 janvier 2023 ; un certificat médical du Docteur C______ du 20 janvier 2023, selon lequel le recourant avait « présenté en juillet-août 2022 une affection médicale susceptible de perturber ses compétences cognitives » ; des attestations de son ex-compagne, de sa sœur et de sa colocataire sur les difficultés traversées par lui et sa baisse de thymie ; plusieurs rapports médicaux relatifs à la crise cardiaque subie par sa sœur, âgée alors de 32 ans, dont il ressort que celle-ci avait commencé à ressentir des douleurs au dos, irradiant dans le bras gauche, environ trois jours avant son hospitalisation ; une attestation de la GSEM du 10 octobre 2022 indiquant que le recourant avait fait partie du groupe « Market-In » et s’était distingué en obtenant le premier prix du concours de bachelor 2021-2022, ayant réalisé la meilleure étude de bachelor en cours obligatoire, dans le domaine « introduction au marketing et à la dirigeance d’entreprise » ainsi qu’un certificat médical de la Dre B______, psychiatre, du 30 janvier 2023. Celle-ci décrivait une symptomatologie anxiodépressive, qui avait engendré une difficulté pour étudier et faire face aux engagements universitaires, « ce qui avait eu un impact décisif sur l’échec de ses examens ». Elle pensait également « qu’en relation avec la symptomatologie anxiodépressive, le patient n’a pas eu la capacité à faire face aux différentes démarches administratives (se retirer d’une session d’examens, consulter un médecin pour demander de l’aide) [ ]. Le patient explique que, selon lui, son état émotionnel dégradé a eu un impact négatif déterminant et a eu pour conséquence l’échec à ses examens ».

c. La GSEM a conclu au rejet du recours.

Il n’était pas nécessaire d’entendre la Dre B______, dont le certificat médical était clair. Son audition n’apporterait pas d’éléments nouveaux. Le recourant ne pouvait se prévaloir de ses problèmes de santé, dès lors qu’il n’avait consulté un médecin que plusieurs mois après les examens et qu’il alléguait avoir déjà été affecté dans sa santé au printemps 2022. Aucune attestation médicale n’indiquait que la capacité de discernement du recourant avait été altérée en août 2022.

Il n’y avait pas non plus lieu de retenir l’existence de circonstances exceptionnelles, le recourant ayant, bien que sa sœur ait subi un infarctus, réussi deux des quatre examens.

d. Dans sa réplique, le recourant a persisté dans ses arguments.

e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Il n’est pas contesté que les notes insuffisantes dans les branches « Corporate Finance » et « optimisation et gestion des opérations » ont justifié l’élimination du recourant de la GSEM. Celui-ci se prévaut toutefois de circonstances exceptionnelles devant conduire à l’annulation des examens relatifs à ces deux branches.

2.1 À teneur de l'art. 58 al. 3 du statut de l’Université, l'étudiant qui échoue à un examen ou à une session d'examens auxquels il ne peut plus se présenter en vertu du règlement d'études est éliminé (let. a). La décision d'élimination est prise par le doyen de l'unité principale d'enseignement et de recherche, lequel tient compte des situations exceptionnelles (art. 58 al. 4 du statut).

2.2 Selon la jurisprudence constante, l'admission d'une situation exceptionnelle doit se faire avec restriction. Il en va de l'égalité de traitement entre tous les étudiants s'agissant du nombre de tentatives qu'ils sont autorisés à effectuer pour réussir leurs examens. N'est ainsi exceptionnelle que la situation particulièrement grave et difficile pour l'étudiant, ce tant d'un point de vue subjectif qu'objectif. Les effets perturbateurs doivent avoir été dûment prouvés par l'étudiant et être en lien de causalité avec l'événement. Les autorités facultaires disposent dans ce cadre d'un large pouvoir d'appréciation, dont l'autorité de recours ne censure que l'abus. La chambre de céans n'annule donc le prononcé attaqué que si l'autorité intimée s'est laissée guider par des motifs sans rapport avec l'examen ou d'une autre manière manifestement insoutenable (ATF 136 I 229 consid. 6.2 ; 131 I 467 consid. 3.1 ; ATA/427/2022 du 26 avril 2022 consid. 3b ; ATA/281/2021 du 3 mars 2021).

Ont ainsi été considérées comme des situations exceptionnelles le décès d'un proche s'il est établi qu'il a causé un effet perturbateur en lien de causalité avec l'échec de l'étudiant, de graves problèmes de santé ou encore l'éclatement d'une guerre civile avec de très graves répercussions sur la famille de l'étudiant. En revanche, des difficultés financières, économiques ou familiales ainsi que l'obligation d'exercer une activité lucrative en sus des études ne constituent pas des circonstances exceptionnelles, même si elles représentent une contrainte. Ces difficultés sont certes regrettables, mais font partie d'une réalité commune à de très nombreux étudiants (ATA/281/2021 précité ; ATA/459/2020 du 7 mai 2020 consid. 5b ; ATA/250/2020 du 3 mars 2020 consid. 4b et les références citées).

2.3 Les candidats qui ne se sentent pas aptes, pour des raisons de santé, à se présenter à un examen doivent l’annoncer avant le début de celui-ci. À défaut, l’étudiant accepte le risque de se présenter dans un état déficient qui ne peut justifier par la suite l’annulation des résultats obtenus. Un motif d'empêchement ne peut, en principe, être invoqué par le candidat qu'avant ou pendant l'examen (ATA/128/2023 du 7 février 2023 consid. 2.2.1 ; ATA/345/2020 du 7 avril 2020 consid. 7b ; ATA/250/2020 du 3 mars 2020 consid. 4c ; ATA/192/2020 du 18 février 2020).

Des exceptions au principe évoqué ci-dessus permettant de prendre en compte un certificat médical présenté après l'examen ne peuvent être admises que si cinq conditions sont cumulativement remplies : la maladie n'apparaît qu'au moment de l'examen, sans qu'il ait été constaté de symptômes auparavant, le candidat à l'examen acceptant, dans le cas contraire, un risque de se présenter dans un état déficient ne saurait justifier après coup l'annulation des résultats d'examens ; aucun symptôme n'est visible durant l'examen ; le candidat consulte un médecin immédiatement après l'examen ; le médecin constate immédiatement une maladie grave et soudaine qui, malgré l'absence de symptômes visibles, permet à l'évidence de conclure à l'existence d'un rapport de causalité avec l'échec à l'examen ; l'échec doit avoir une influence sur la réussite ou non de la session d'examens dans son ensemble (ATA/128/2023 du 7 février 2023 consid. 2.2.2 et les références citées).

2.4 En l'espèce, le recourant ne peut se prévaloir de problèmes de santé qui l’auraient empêché de se rendre compte de son incapacité à se présenter à la session d’examens d’août 2022. En effet, il ne remplit pas les conditions jurisprudentielles précitées. Il s’est présenté à la session d’examens alors qu’il soutient qu’il était déjà affecté dans son état psychique. Il n’a pas non plus consulté un médecin immédiatement après les examens. En outre, sa psychiatre, consultée en janvier 2023 seulement, retient que, selon son patient, l’état émotionnel dégradé aurait eu pour conséquence l’échec à ses examens. La psychiatre ne met donc pas l’échec aux examens en relation avec les troubles de la santé du recourant. Cela étant, il n’y a pas lieu d’investiguer ce point davantage dès lors que, pour un autre motif, l’existence de circonstances exceptionnelles au sens de l’art. 58 du statut doit être admise.

En effet, à teneur du rapport de l’hôpital dans lequel la sœur du recourant a été admise, celle-ci a commencé à rencontrer des problèmes de santé inquiétants trois jours avant son hospitalisation le 27 août 2022. Il a alors été constaté qu’elle avait subi un infarctus. Elle s’était ouverte au recourant de ses difficultés de santé inquiétants alors que celui-ci se trouvait en pleine session d’examens. Les examens auxquels celui-ci a échoué ont eu lieu les 25 et 26 août 2022. Compte tenu de la proximité temporelle entre les importants et inquiétants problèmes de santé dont sa sœur faisait état et la date des examens, il y a lieu de retenir que ceux-ci ont eu un effet perturbateur en lien de causalité avec l'échec à ces deux examens. Certes, le recourant a réussi l’examen du 30 août 2022. Toutefois, cet examen n’a été réussi qu’avec la note de 4, de sorte que l’on ne saurait nier l’effet perturbateur que les graves problèmes de santé de sa sœur ont eu sur la capacité du recourant à passer des examens. En outre, ces évènements sont survenus dans un contexte où le recourant était déjà affecté par l’interruption de grossesse de son ex-compagne et les graves problèmes de santé de sa tante, chez qui il avait vécu plusieurs années.

Au vu de l’ensemble de ces circonstances, il y a lieu d’admettre que le recourant se trouvait dans des situations exceptionnelles au sens de l’art. 58 al. 4 du statut. Il y a donc lieu d’annuler la décision d’élimination et, par voie de conséquence, d’exmatriculation et d’ordonner à l’intimée de réimatriculer le recourant et l’autoriser à présenter en dernière tentative les examens de « corporate finance » et de « optimisation et gestion des opérations ».

Compte tenu de cette issue, il n’y a lieu de procéder ni à l’audition du recourant ni à celle de la Dre B______.

3.             Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument et une indemnité de procédure de CHF 1'500.- sera allouée au recourant (art. 87 LPA).

 

* * * * *

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 1er février 2023 par Monsieur A______ contre les décisions de l’Université de Genève des 19 et 23 décembre 2022 ;

au fond :

l’admet et annule ces décisions ainsi que celle du 19 septembre 2022  ;

ordonne à l’Université de Genève de réimmatriculer Monsieur A______ en faculté d’économie et de management et de l’autoriser à se présenter en dernière tentative aux examens « corporate finance » et « optimisation et gestion des opérations » ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1’500.- à Monsieur A______, à la charge de l’Université de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral :

- par la voie du recours en matière de droit public ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, s'il porte sur le résultat d'examens ou d'autres évaluations des capacités, en matière de scolarité obligatoire, de formation ultérieure ou d'exercice d'une profession (art. 83 let. t LTF) ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Géraldine Badel Poitras, avocate du recourant, ainsi qu'à l'Université de Genève.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :