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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/827/2022

ATA/314/2023 du 28.03.2023 sur JTAPI/760/2022 ( PE ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/827/2022-PE ATA/314/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 28 mars 2023

 

dans la cause

 

M. A______
représenté par Me Laïla BATOU, avocate

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 21 juillet 2022 (JTAPI/760/2022)


EN FAIT

1) M. A______, né le ______ 1979, est ressortissant d'B______.

2) Le 27 juillet 1983, il a obtenu une autorisation d'établissement au titre de regroupement familial avec sa mère, décédée depuis.

Le délai de contrôle de l’autorisation d’établissement de M. A______ avait été fixé en dernier lieu au 1er juillet 2010.

3) Après avoir effectué un apprentissage d'employé de bureau, il a exercé diverses activités à titre salarial et indépendant, notamment dans le domaine de la vente et du conseil financier.

4) Entre 2003 et 2014, M. A______ a fait l'objet de plusieurs condamnations pénales :

-          le 8 décembre 2003, il a été condamné par le Ministère public genevois (ci-après : MP) à une peine privative de liberté de cinq jours, avec sursis pendant deux ans, pour lésions corporelles simples et dommages à la propriété ;

-          le 7 octobre 2004, il a été condamné par le MP à une peine privative de liberté de quarante-cinq jours, avec sursis pendant quatre ans, pour lésions corporelles simples et menaces ;

-          le 9 mai 2007, il a été condamné par le MP à une peine pécuniaire d'une durée de cinquante jours-amende, avec sursis pendant cinq ans, pour avoir circulé sans permis de circulation ou plaques de contrôle et sans assurance responsabilité civile et pour avoir fait usage de plaques de contrôle contrefaites ou falsifiées ; 

-          le 26 septembre 2008, il a été condamné par le juge d'instruction de la Côte du canton de Vaud à une peine pécuniaire de cinquante jours-amende pour conduite en état d'incapacité de conduire et infraction à la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01) ;

-          le 25 octobre 2010, il a été condamné par le MP à une peine pécuniaire de nonante jours-amende pour conduite en état d'ébriété avec alcoolémie qualifiée ;

-          le 20 décembre 2010, il a été condamné par le MP à une peine pécuniaire de septante jours-amende et à une amende de CHF 300.- pour menaces et injures ;

-          le 29 octobre 2011, il a été condamné par le MP à une peine privative de liberté de nonante jours pour lésions corporelles simples, dommages à la propriété et injures ;

-          le 24 mai 2012, il a été condamné par le MP à une peine pécuniaire de nonante jours-amende pour menaces, abus de confiance et incitation à l'entrée, à la sortie ou au séjour illégal ; 

-          le 2 avril 2014, il a été condamné par le MP à une peine pécuniaire de cent vingt jours amende pour lésions corporelles simples et menaces ; 

-          le 13 septembre 2017, il a été condamné par le Tribunal correctionnel de Genève à une peine privative de liberté de sept ans pour vol, escroquerie, contrainte, contrainte sexuelle, viol, tentative de viol, actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance et conduite d'un véhicule sous retrait de permis ;

-          le 25 mai 2018, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice de la République et canton de Genève l'a acquitté du viol commis au détriment d'une des parties plaignantes et du vol commis au détriment d'une autre des parties plaignantes, confirmant pour le surplus le jugement du Tribunal correctionnel, et a réduit la peine privative de liberté à cinq ans ; 

5) Selon une attestation de l'office des poursuites (ci-après : OP) du 11 janvier 2019, M. A______ faisait l'objet à cette date de diverses poursuites pour un montant de plus de CHF 58'673.- et de soixante-deux actes de défaut de biens pour un montant de CHF 210'183.-. Il avait par ailleurs été impossible de lui notifier plusieurs commandements de payer.

6) Selon attestation de l'Hospice général (ci-après : l’hospice) du 5 octobre 2020, sur une période allant de 2004 à 2013, il avait bénéficié de prestations financières pour un montant total de CHF 118'444.85.

7) Par décision du 18 février 2020, le département de la sécurité, de l'emploi et de la santé, devenu le département de la sécurité, de la population et de la santé
(ci-après : DSPS), a révoqué l’autorisation d’établissement de M.  A______ et prononcé son renvoi de Suisse, tout en lui impartissant un délai au 30 mai 2020 pour quitter le territoire helvétique.

Au vu de la gravité des infractions pour lesquelles il avait été condamné, il existait un intérêt public évident à son éloignement qui – en l’absence d’élément positif au dossier – n’était pas contrebalancé par son intérêt privé à demeurer en Suisse. Il séjournait depuis trente-six ans en Suisse, mais ne pouvait se prévaloir de la moindre intégration socio-professionnelle. Il était actuellement sans emploi et n’avait pas fait état de projets concrets dans le cadre de sa demande de libération conditionnelle. Enfin, il n’apparaissait pas que l’exécution de son renvoi serait impossible, illicite ou qu’elle ne pourrait être raisonnablement exigée.

8) Par jugement du 22 octobre 2020, le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) a rejeté le recours formé par M.  A______ contre cette décision.

9) Par arrêt du 30 mars 2021, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après: la chambre administrative) a rejeté le recours formé par M.  A______ contre ce jugement.

10) Par arrêt du 7 octobre 2021, le Tribunal fédéral (ci-après : TF) a rejeté le recours interjeté contre l'arrêt de la chambre administrative et renvoyé la cause à l'OCPM afin qu'il examine si le renvoi de M.  A______ en B______ était exécutable et s'il convenait de proposer au secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) une admission provisoire.

L'évolution de la situation en B______ depuis le prononcé de l'arrêt attaqué, le 30 mars 2021, avec l'assassinat du président B______ le 7 juillet 2021 et les troubles qui avaient suivi, de même que le puissant séisme qui avait frappé ce pays le 14 août 2021, constituaient des faits nouveaux qui ne pouvaient être pris en compte par le TF. Il appartenait toutefois à l'OCPM d'examiner si ces nouvelles circonstances avaient dans le cas présent une influence sur l'exécutabilité du renvoi (en particulier sur le caractère licite de celui-ci).

11) Par courriel du 3 janvier 2022, répondant à une demande de renseignements de l'OCPM du 14 décembre 2021, l'Ambassade de Suisse à C______ a indiqué qu'B______ ne se trouvait pas dans une situation de violence généralisée ou d'atteinte à la vie ou à l'intégrité humaine en cas de renvoi d'un ressortissant B______ dans son pays d'origine. La situation sécuritaire était préoccupante à D______ mais semblait meilleure dans le reste du pays.

12) Par décision du 11 février 2022, déclarée exécutoire nonobstant recours, l'OCPM a retenu que l'exécution du renvoi de M. A______ était licite au sens de l'art. 83 al. 3 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et a par conséquent refusé de proposer son admission provisoire auprès du SEM. Un nouveau délai au 31 mars 2022 lui était imparti pour quitter la Suisse, l'Union européenne et l'ensemble des territoires associés à Schengen.

En raison de sa lourde condamnation à une peine privative de liberté de cinq ans, l'application des art. 83 al. 2 et al. 4 LEI n'était pas possible, conformément à l'art. 83 al. 7 let.  a et b LEI. Concernant la licéité de l'exécution du renvoi en B______, M. A______ n'avait aucune raison d'être victime de traitements inhumains ou dégradants en lien avec l'assassinat du président B______ puisqu'il n'avait pas été impliqué, ni de près ni de loin, dans cette affaire. Il en allait de même s'agissant de la situation consécutive au tremblement de terre survenu dans son pays d'origine. La situation socio-économique n'était en effet pas telle qu'elle pourrait s'apparenter à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'art. 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101).

Pour le surplus, dans son arrêt du 7 octobre 2021, le TF avait confirmé le caractère raisonnablement exigible de son renvoi. Enfin, selon l'Ambassade de Suisse à C______, compétente pour B______, ce pays ne se trouvait pas dans une situation de violence généralisée.

13) Le 11 mars 2022, M. A______ a recouru contre cette décision auprès du TAPI, concluant à son annulation et au renvoi de la cause à l'OCPM en vue du prononcé d'une nouvelle décision conforme aux considérants. Préalablement, l'effet suspensif devait être octroyé au recours.

Au vu de l’insécurité régnant notoirement en B______, encore illustrée par l'assassinat du président le 7 juillet 2021, son renvoi paraissait inexigible. L'exécution de son renvoi paraissait en outre impossible voire illicite compte tenu du chaos dans lequel se trouvait actuellement le pays et de l’incapacité du gouvernement B______ à assurer la sauvegarde des droits fondamentaux de ses concitoyens, notamment le droit à la vie, de même que l'interdiction de la torture ou de traitements inhumains (art. 2 et 3 CEDH et art.  6 et 7 du pacte de Pacte international relatif aux droits civils et politiques - RS  0.103.2).

Certes, il avait des antécédents pénaux, mais cela n'était pas suffisant pour justifier son renvoi dans un pays qui lui était devenu étranger et qui l'exposerait à un danger concret et sérieux par rapport à ses libertés les plus fondamentales.

L'OCPM s'était contenté d'indiquer qu'il avait contacté le SEM pour vérifier si l'exécution de son renvoi était conforme aux engagements de la Suisse relevant du droit international, sans lui communiquer de copie des échanges en question.

Faute de compétence, en s'étant substitué au SEM et en ayant jugé son expulsion exigible, sans porter à sa connaissance la position de l'autorité fédérale, l'OCPM avait violé le principe de la légalité. Dans la mesure où elle avait basé sa décision essentiellement « sur un prétendu examen du SEM », l'autorité intimée aurait dû lui fournir une copie des documents liés à celui-ci, ce qui lui aurait permis de préparer une contestation précise.

En agissant de la sorte, l'autorité intimée avait violé son droit d'être entendu, ses droits fondamentaux précités et le principe de proportionnalité.

S'il avait rencontré des difficultés à trouver sa voie professionnelle, il mettait désormais tout en œuvre pour pérenniser sa place de travail. Titulaire d'un CFC d'employé de commerce, il s'était reconverti dans l'immobilier. Pour le surplus, il maîtrisait parfaitement le français et n'avait jamais envisagé de vivre en dehors de la Suisse ni même en dehors de Genève. Enfin, le refus de sa demande d'admission provisoire ainsi que son renvoi de Suisse emportaient également une ingérence dans le droit au respect de sa vie tant privée que familiale, de même que l'interdiction de la torture et des traitements inhumains.

Il produisait plusieurs pièces dont des copies d'articles de presse de l'Organisation des Nations Unies (ci-après : ONU) publiés les 19 janvier et 22 février 2021 ainsi qu'un rapport du secrétaire général du bureau intégré de l'ONU du 22 février 2021 sur la situation en B______.

14) Le 23 mars 2022, l'OCPM a déclaré ne pas être opposé à la restitution de l'effet suspensif et a conclu au rejet du recours.

L'admission provisoire était de la seule compétence du SEM et ne pouvait être que proposée par les autorités cantonales. L'art. 83 al. 6 LEI visait avant tout la situation dans laquelle des autorités cantonales constataient des obstacles liés à l'exécution d'un renvoi. Cette disposition avait un caractère facultatif et impliquait que le SEM n'était saisi que si l'avis de l'autorité cantonale s'avérait positif. M. A______ n'avait aucun droit à ce que le canton demande au SEM une admission provisoire en sa faveur. Le refus de proposer son dossier au SEM en vue du prononcé d'une admission provisoire respectait le principe de légalité prévu à l'art. 83 LEI.

Concernant la violation de son droit d'être entendu, M. A______ avait motivé sa demande d'admission provisoire et l'illicéité de son renvoi en se fondant sur un article de l'ONU publié en janvier 2021, repris dans le cadre du recours. L'OCPM s'était renseigné directement auprès de l'Ambassade de Suisse compétente pour B______ afin de connaitre la situation dans le pays. Dès lors qu'il n'avait pas statué en opportunité, une éventuelle violation du droit d'être entendu du recourant ne constituerait pas une atteinte grave à ses droits et pourrait être réparée dans le cadre de la procédure devant le TAPI. Le grief de violation du droit d'être entendu devait donc également être rejeté.

Concernant l'exécution du renvoi, B______ ne se trouvait pas dans une situation de violence généralisée ou une situation qui pourrait porter atteinte à la vie ou l'intégrité humaine de la population sur place ou du recourant en particulier.

15) Le 4 avril 2022, le TAPI a informé les parties que, vu leur accord, le recours avait effet suspensif.

16) Le 6 avril 2022, M. A______ a persisté dans ses conclusions.

Après avoir consulté le SEM ou l'Ambassade pour déterminer si son renvoi était exécutable ou non, l'OCPM aurait dû lui faire part de ses échanges avec ces entités, obligation à laquelle il persistait d'ailleurs à se soustraire, puisqu'il n'avait offert aucune preuve ni compte-rendu de ces prises de contact et de leur contenu. Ce procédé était choquant, partant arbitraire, car il ne proposait aucune justification circonstanciée, en adéquation avec la mesure radicale consistant à refuser de proposer son admission provisoire et à prononcer son renvoi d'un pays dans lequel il avait vécu pendant près de quarante ans. Le respect du principe de précaution ainsi que l'exigence d'équité auraient dû amener l'OCPM à proposer son admission provisoire au SEM, voire à soumette son cas à l'autorité fédérale avec des réserves concernant le caractère exécutoire de son renvoi.

17) Le 21 avril 2022, l'OCPM a indiqué qu'il n'avait pas d'observations ni requêtes complémentaires à formuler.

18) Le 13 juillet 2022, M. A______ a fait parvenir au TAPI un chargé de pièces complémentaires, soit une convention d'engagement signée le 23 juin 2022 avec l'association genevoise d'intégration sociale, des factures émises par ses soins pour le compte de l'entreprise individuelle E______ (dont il était titulaire) et une copie du passeport suisse de sa défunte mère.

19) Par jugement du 21 juillet 2022, le TAPI a rejeté le recours.

La question de savoir si l’OCPM aurait dû communiquer à M. A______ copie de ses échanges avec le SEM ou l’Ambassade pouvait rester ouverte, dans la mesure où celui-ci avait eu accès à l’ensemble du dossier dans la procédure de recours et avait pu s’exprimer à leur sujet, de sorte qu’une éventuelle violation de son droit d’être entendu aurait été réparée.

Le SEM n’était saisi que si l’OCPM émettait un avis positif et M. A______ n’avait aucun droit à ce que l’OCPM propose son admission provisoire, seul le SEM étant compétent.

M. A______ n’apportait pas d’indices objectifs, concrets et sérieux qu’il risquerait d’être victime en B______ de traitements contraires aux engagements de la Suisse, notamment aux dispositions de la CEDH. Il ne prouvait pas de risques réels pour sa personne et ses considérations générales étaient insuffisantes. La situation économique et sanitaire précaire régnant sur place, certainement aggravée par le tremblement de terre de 2021, ne pouvait être apparentée à un traitement inhumain. B______ ne connaissait ni guerre, ni guerre civile ni violence généralisée permettant de présumer pour tous ses ressortissants une mise en danger concrète.

20) Par acte remis à la poste le 7 septembre 2022, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative contre ce jugement, concluant à son annulation et au renvoi de la cause à l’OCPM pour nouvelle décision. À titre préalable, l’effet suspensif devait être octroyé au recours.

B______ était la proie, depuis janvier 2021, d’une crise sécuritaire, institutionnelle et humanitaire sans précédent. Le pays avait été ravagé par un tremblement de terre puis emporté par un déferlement de violences tragiques qui avait forcé dix-sept mille personnes à se déplacer. Des groupes armés s’étaient emparés de tous les pouvoirs et se livraient à des exécutions sommaires, avec plus de deux cent un homicides pour le seul mois de mai 2022. Chaque membre de la population était concrètement victime de véritables sévices du fait de ces violences généralisées instaurant un climat de terreur. En cas de renvoi, il constituerait une proie de choix pour les gangs, car il serait présumé riche et son retour serait compris comme l’indice d’une situation financière enviable.

Son renvoi était impossible, voire illicite compte tenu des engagements internationaux de la Suisse. La longueur de son séjour en Suisse, le fait qu’il avait purgé toutes les peines auxquelles il avait été condamné et qu’il avait occupé plusieurs postes nonobstant son incapacité à présenter un titre de séjour, son intérêt privé prépondérant à rester en Suisse rendaient disproportionné le renvoi de Suisse prononcé par le TAPI.

21) Le 21 septembre 2022, l’OCPM ne s’est pas opposé à la restitution de l’effet suspensif et a conclu au rejet du recours.

B______ ne se trouvait pas dans une situation de violence généralisée ou une situation pouvant porter atteinte à la vie ou l’intégrité corporelle de M. A______.

22) Le 26 septembre 2022, la chambre administrative a restitué l’effet suspensif au recours.

23) Le 24 octobre 2022, M. A______ a persisté dans ses conclusions.

Les autorités fédérales avaient renoncé à exécuter les renvois vers la Syrie, la Somalie ou le Yémen. L’ONU et les organisations compétentes en la matière avaient relevé pour la première fois des niveaux de faim catastrophiques, la moitié de la population B______ étant confrontée à une faim aiguë et au choléra. Le secrétaire général de l’ONU avait demandé au conseil de sécurité le déploiement d’une force armée internationale pour faire face aux violences endémiques et aux défis humanitaires et le prolongement de la mission de maintien de la paix. Plusieurs ambassades et des points de passage avec la F______ avaient été fermés. On ne pouvait exclure que les membres de sa famille demeurés en Suisse soient exposés à des demandes de rançon. Des violences entre gangs avaient provoqué cinq cents morts durant le seul mois de juillet 2022 dans un quartier populaire de D______. L’OCPM n’avait pas tenu compte de l’avis des plus hautes instances internationales sur la situation du pays. Son renvoi était hautement choquant et arbitraire.

24) Le 24 octobre 2022, M. A______ a demandé sa comparution personnelle et la composition de la chambre administrative dans un courrier séparé.

25) Le 27 octobre 2022, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger et qu’il n’était pas d’usage de communiquer la composition amenée à juger, d’éventuels motifs de récusation à l’égard d’un magistrat devant être soulevés sans délai.

26) Le 13 décembre 2022, le juge délégué a invité l’OCPM à recueillir du SEM une détermination à jour sur la situation actuelle en B______ et le caractère exécutable du renvoi.

27) Le 20 décembre 2022, le SEM a adressé à l’OCPM une détermination, que ce dernier à transmise à la chambre de céans.

Selon les pièces du dossier, le recourant n’avait aucune raison d’être victime de traitement inhumain ou dégradant en lien avec l’assassinat du président MOÏSE puisqu’il n’était impliqué ni de loin ni de près dans celui-ci. Ni la situation socio-économique ni la situation sécuritaire difficiles régnant sur l’île, en particulier du fait des activités des bandes criminelles, ne s’apparentaient à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’art. 3 CEDH susceptible de rendre illicite l’exécution du renvoi. Le Tribunal fédéral avait confirmé le 7 octobre 2021 le caractère raisonnablement exigible du renvoi malgré la situation précaire sévissant à B______. Ni l’assassinat du président le 7 juillet 2021 ni le tremblement de terre d’août 2021 ne sauraient modifier cette appréciation. B______ n’était pas en proie à une situation de violence généralisée. Quant à la situation socio-économique qui s’était aggravée depuis le tremblement de terre, l’aide humanitaire internationale sur place pourvoyait aux besoins de la population.

28) Le 16 janvier 2023, le juge délégué a invité le SEM à préciser à quelle date la détermination du « répondant pays » avait été établie et si l’ambassade compétente avait été consultée. Il souhaitait s’assurer que le SEM avait pu recueillir des informations récentes, soit une mise à jour des informations recueillies au début de l’année 2022, et invitait celui-ci à interpeller cas échéant l’ambassade compétente et à se déterminer sur la possibilité actuelle d’exécuter le renvoi.

29) Le 27 janvier 2023, le SEM a rappelé qu’il était responsable de la pratique des renvois de demandeurs d’asile déboutés, ajoutant : « Actuellement, l’exécution des renvois de demandeurs d’asile déboutés ou d’étrangers dont le renvoi a été ordonné par une décision de justice entrée en force est en principe licite et raisonnablement exigible. C’est ainsi dans ce contexte et suite à notre appréciation fondée sur une analyse du 19 janvier 2022 concernant la situation relative à des points spécifiques qui selon l’arrêt de la IIème Cour de droit public du Tribunal Fédéral du 7 octobre 2021 devaient encore être examinés que nous sommes arrivés à la conclusion que le renvoi de M. A______ est licite. Il n’y a dès lors pas lieu de nous adresser à l’ambassade d’B______ dans ce contexte ».

30) Le 3 mars 2023, l’OCPM a persisté dans ses conclusions.

L’autorité fédérale estimait que les renvois vers B______ étaient raisonnablement exigibles. Le prononcé d’une admission provisoire relevant exclusivement de la compétence du SEM, l’OCPM ne pouvait remettre en cause l’analyse faite par celui-ci, seul le caractère licite du renvoi pouvant être examiné en raison du passé pénal du recourant.

31) Le 6 mars 2023, le nouveau conseil du recourant a persisté dans ses conclusions.

La prise de position du SEM du 22 décembre 2022 reprenait mot pour mot celle du 7 février 2022. Le SEM avait indiqué s’être fondé sur une analyse du 19 janvier 2022, non versée à la procédure, et qu’il n’avait pas pris contact avec l’ambassade.

Depuis le dépôt du recours, la situation en B______ s’était encore aggravée. Selon un rapport de Human Rights Watch du 12 janvier 2021, le pays traversait une grave crise politique. Il était dirigé officieusement par un premier ministre dépourvu de légitimité démocratique et les négociations sur un gouvernement transitoire étaient en cours. Des groupes armés avaient profité de cette instabilité et intensifié leur contrôle sur des zones stratégiques. Dans la ville de D______, nonante-deux gangs sévissaient en 2022, et avaient commis entre janvier et août 2022, mille trois cent quarante-neuf meurtres et huit cent septante-sept enlèvements. Les groupes armés avaient étendu leur emprise au point d’arrivée principal du pétrole, empêchant la distribution d’essence. Les inondations et l’érosion du sol avaient affecté la production agricole et causé une inflation. Plus de la moitié de la population souffrait d’insécurité alimentaire chronique et un tiers n’avait pas accès à l’eau potable. En novembre 2022, une épidémie de choléra avait frappé onze mille huit cents personnes et fait au moins deux cent vingt-trois morts. Aucun programme de réintégration des personnes renvoyées en B______ n’avait été implémenté.

L’ONU n’avait eu de cesse d’appeler à cesser les renvois. Le 3 novembre 2022, M. G______, haut-commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU, avait appelé la communauté internationale à agir immédiatement et averti qu’il était « clair que des violations systématiques des droits en B______ ne permettent pas actuellement le retour sûr, digne et durable des B______ dans le pays ».

Le même jour, le Haut-Commissariat aux Réfugiés avait également appelé les États à suspendre les renvois en B______ et encouragé ceux-ci à veiller à ce que les émigrés B______ aient accès à des services de protection et de soutien, quelles que soient les raisons pour lesquelles ils avaient quitté leur pays. Pour ceux qui n’étaient pas éligibles à l’asile, une protection complémentaire, une protection temporaire ou d’autres mesures de séjour légal devaient être envisagées jusqu’à ce que la situation sécuritaire en B______ permette des retours en toute sécurité.

Le 6 octobre 2022, le Parlement européen avait demandé aux autorités des pays d’accueil de mettre un terme aux expulsions vers B______.

Le 16 novembre 2022, le Canada avait décidé de suspendre les renvois vers B______ au vu de la crise humanitaire que traversait le pays. Le 5 décembre 2022, les USA avaient étendu la protection temporaire des ressortissants B______ à dix-huit mois compte tenu de la crise que traversait le pays.

Le Tribunal administratif fédéral (ci-après : TAF) avait admis en 2011 à propos de l’H______ que la situation humanitaire régnant dans le pays hors des grandes villes devait être qualifiée de mise en danger concrète. Il avait abouti à la même conclusion à propos de la province de I______ au J______.

32) Le 7 mars 2023, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

33) Le 15 mars 2023, l’OCPM a produit la copie d’un rapport de police du 22 décembre 2022 et de ses annexes, soit notamment le procès-verbal du même jour d’une audition à la police judiciaire lors de laquelle le recourant a été entendu comme prévenu d’avoir agressé sexuellement et violé une jeune femme dans la nuit du 10 au 11 septembre 2022. Ces pièces sont communiquées au recourant avec le présent arrêt.

34) Le 21 mars 2023, l’OCPM a produit la copie d’un rapport de police établi par les douanes le 8 mars 2023 et portant sur un contrôle du même jour lors duquel le recourant a été interpellé au volant d’un véhicule alors qu’il était sous retrait du permis de conduire. Ces pièces sont communiquées au recourant avec le présent arrêt.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le recourant sollicite à titre préalable, dans sa réplique, sa comparution personnelle.

a Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

b. En l’espèce, le recourant a eu le loisir de déployer son argumentation et de produire toute pièce utile devant le TAPI et la chambre de céans. Il n’indique pas quels éléments pertinents qui n’auraient pu être produits par écrit son audition permettraient d’apporter à la solution du litige, étant observé qu’il a décrit l’impact qu’aurait sur lui l’exécution de son renvoi et que les conditions dans lesquelles il a quitté l’île en juillet 1983 ne paraissent pas pertinentes s’agissant de déterminer si l’exécution du renvoi doit être ordonnée.

Il ne sera pas donné suite à la demande d’acte d’instruction.

3) Le litige a pour objet le bien-fondé de la décision du 11 février 2022 par laquelle l’OCPM a retenu que l'exécution du renvoi de M. A______ était licite au sens de l'art. 83 al. 3 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 et a refusé de proposer son admission provisoire auprès du SEM.

Dans son arrêt du 7 octobre 2021, le Tribunal fédéral s’est limité à renvoyer la cause à l’OCPM pour examiner si l’assassinat du président et les troubles qui avaient suivi ainsi que le puissant séisme avaient une influence sur l’exécutabilité du renvoi (arrêt du Tribunal fédéral 2C_420/2021 du 7 octobre 2021 consid. 8.3).

Pour le surplus, le Tribunal fédéral a rejeté le recours, considérant que la révocation de l’autorisation d’établissement (et partant le refus d’octroyer une autorisation de séjour par « rétrogradation ») ainsi que le prononcé du renvoi étaient fondés et respectaient le principe de proportionnalité (arrêt 2C_420/2021 précité consid. 5 à 8).

Le principe du renvoi étant définitivement acquis, les développements sur son caractère disproportionné constituent des griefs irrecevables.

4) Le recours devant la chambre administrative peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation ainsi que pour constatation inexacte des faits (art. 61 al. 1 LPA). En revanche, la chambre administrative ne connaît pas de l'opportunité des décisions prises en matière de police des étrangers, dès lors qu'il ne s'agit pas d'une mesure de contrainte (art. 61 al. 2 LPA ; art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10, a contrario).

5) Le recourant soutient que son renvoi serait inexigible.

a. Aux termes de l'art. 64 al. 1 let. a LEI, tout étranger qui n’a pas d’autorisation alors qu’il y est tenu est renvoyé. La décision de renvoi est assortie d'un délai de départ raisonnable (art. 64d al. 1 LEI).

Les autorités cantonales peuvent toutefois proposer au SEM d'admettre provisoirement un étranger si l'exécution du renvoi ou de l'expulsion n'est pas possible, n'est pas licite ou ne peut être raisonnablement exigée (art. 83 al. 1 et 6 LEI). L'exécution de la décision n'est pas licite lorsque le renvoi de l'étranger dans son État d'origine, dans son État de provenance ou dans un État tiers, est contraire aux engagements de la Suisse relevant du droit international (art. 83 al. 3 LEI). L'art. 83 al. 3 LEI vise notamment l'étranger pouvant démontrer qu'il serait exposé à un traitement prohibé par l'art. 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH - RS 0.101) ou l'art. 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 (Conv. torture - RS 0.105 ; arrêt du TAF E-7712/2008 du 19 avril 2011 consid. 6.1 ; ATA/801/2018 du 7 août 2018 consid. 10c et l'arrêt cité).

L'art. 83 al. 4 LEI s'applique en premier lieu aux « réfugiés de la violence », soit aux étrangers qui ne remplissent pas les conditions de la qualité de réfugié parce qu'ils ne sont pas personnellement persécutés, mais qui fuient des situations de guerre ou de violence généralisée (Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations : Droits humains, Berne, 2014, p. 949). En revanche, les difficultés socio-économiques qui sont le lot habituel de la population locale, en particulier des pénuries de soins, de logement, d'emplois et de moyens de formation, ne suffisent pas en soi à réaliser une telle mise en danger (arrêts du TAF 2010/54 consid. 5.1 ; E-5092/2013 du 29 octobre 2013 consid 6.1 ; ATA/515/2016 du 14 juin 2016 consid. 6b). L'autorité à qui incombe la décision doit donc dans chaque cas confronter les aspects humanitaires liés à la situation dans laquelle se trouverait l'étranger concerné dans son pays après l'exécution du renvoi à l'intérêt public militant en faveur de son éloignement de Suisse (arrêts du TAF 2007/10 consid. 5.1 ; E-4024/2017 du 6 avril 2018 consid. 10 ; D-6827/2010 du 2 mai 2011 consid. 8.2 ; ATA/3161/2020 du 31 août 2021 consid. 9b).

Si l'interdiction de la torture, des peines et traitements inhumains (ou dégradants) s'applique indépendamment de la reconnaissance de la qualité de réfugié, cela ne signifie pas encore qu'un renvoi ou une extradition serait prohibée par le seul fait que dans le pays concerné des violations de l'art. 3 CEDH devraient être constatées. Une simple possibilité de subir des mauvais traitements ne suffit pas. Il faut au contraire que la personne qui invoque cette disposition démontre à satisfaction qu'il existe pour elle un risque réel, fondé sur des motifs sérieux et avérés, d'être victime de tortures ou encore de traitements inhumains ou dégradants en cas de renvoi dans son pays. Il en ressort qu'une situation de guerre, de guerre civile, de troubles intérieurs graves ou de tension grave accompagnée de violations des droits de l'homme ne suffit en principe pas (hormis des cas exceptionnels de violence d'une extrême intensité) à justifier la mise en œuvre de la protection issue de l'art. 3 CEDH, tant que la personne concernée ne peut rendre hautement probable qu'elle serait visée personnellement - et non pas simplement du fait d'un hasard malheureux - par des mesures incompatibles avec la disposition en question (ATA/16/2018 du 9 janvier 2018 consid. 10c).

La chambre de céans a ainsi estimé, dans un cas concernant la Turquie, que le fait que certaines régions de ce pays étaient le théâtre d’événements violents, la suspension de l’application de la CEDH et l’emprisonnement de militants des droits de l’homme ne suffisaient pas à démontrer l’existence d’un risque concret et sérieux pour le recourant lui-même, fût-il kurde, aucun élément au dossier ne démontrant que l’exécution de son renvoi l’exposerait à un risque réel de torture ou de traitements prohibés ou contraires aux engagements de la Suisse relevant du droit international (ATA/16/2018 précité consid. 10e).

b. À propos d’B______, le TAF a encore estimé de manière générale en 2017 et 2019 que la République d’B______ ne connaissait pas une situation de guerre, de guerre civile ou de violence généralisée qui permettrait d'emblée et indépendamment des circonstances du cas d'espèce de présumer l'existence d'une mise en danger concrète au sens de l'art. 83 al. 4 (ATAF F-7821/2015 du 27 avril 2017 consid. 6.3 ; F-3012/2016 du 1er mai 2019 consid. 7.3.2).

Dans un arrêt de 2021, il a pris en compte l’assassinat du président, des conflits armés entre bandes rivales, des protestations quotidiennes de citoyens mécontents, l’aggravation des enlèvements de nationaux et d’étrangers, la difficulté pour les forces de l’ordre de faire régner la sécurité et l’ordre, le tremblement de terre ayant fait deux mille morts et plus de douze mille blessés et réduit le nombre de survivants à l’aide humanitaire, le renvoi à 2022 des élections programmées en 2021, les soupçons d’implication du premier ministre dans l’homicide du président, pour conclure que bien que la situation socioéconomique et sécuritaire n’était pas satisfaisante, il n’existait pas de situation de violence généralisée qui conduirait à considérer comme inacceptable le retour des ressortissants B______ (ATAF D-3294/2021 du 10 décembre 2021 consid. 7.4.1).

Dans un arrêt récent concernant un requérant d’asile – qui soutenait avoir connu en B______ un policier, entre-temps devenu puissant, responsable de massacres, et avoir participé à des manifestations demandant sa révocation ou son arrestation, ce qui avait fait de lui une cible – qui recourait uniquement contre l’exécution de son renvoi, le TAF a admis que depuis l’évaluation cantonale du 13 mai 2020 la situation s’était récemment dégradée en B______ et particulièrement à D______. Le procès des présumés responsables de l’assassinat du président s’était enlisé. Les élections promises en 2020 n’avaient toujours pas eu lieu et le pays était sans parlement. La situation humanitaire s’était détériorée à la suite de catastrophes naturelles, des conditions socio-économiques comprenant l’insécurité alimentaire et la malnutrition, de l’instabilité du gouvernement et de l’escalade de la violence entre bandes criminelles. Des fusillades opposaient des gangs dans la rue, particulièrement à D______, et avaient conduit à une situation sécuritaire précaire. De janvier à mai 2022, les bandes s’étaient rendues responsables de cinq cent quarante enlèvements et sept cent quatre-vingt-deux homicides, ce qui constituait une hausse significative par rapport aux derniers cinq mois de l’année précédente. Selon un courrier du secrétaire général de l’ONU du 29 avril 2022, un expert indépendant avait conclu qu’B______ traversait un des moments les plus difficiles de son histoire. Le SEM aurait dû procéder à des clarifications supplémentaires tant générales qu’individuelles au lieu de se baser sur les renseignements obsolètes de l’office cantonal et la cause lui était retournée (ATAF E-2608/2022 du 12 août 2022 consid. 5.4.2).

6) En l’espèce, à l’appui de sa décision du 11 février 2022, l’OCPM a invoqué la détermination du SEM selon laquelle le recourant n’avait aucune raison d’être victime d’un traitement inhumain ou dégradant en lien avec l’assassinat du président, auquel il ne pouvait être lié. Il en allait de même s’agissant de la situation consécutive au tremblement de terre ainsi que de la situation socio-économique, qui ne pouvaient s’assimiler à un traitement inhumain ou dégradant, l’aide humanitaire sur place répondant aux besoins de la population. Il a relevé que selon l’ambassade de Suisse à C______, B______ ne se trouvait pas dans une situation de violence généralisée ou d’atteinte à la vie ou l’intégrité humaine.

Cependant, le 12 août 2022, le TAF a estimé dans un cas d’asile que la situation en B______ appelait des clarifications de la part du SEM (arrêt ATAF E-2608/2022 précité).

Or, ni la décision de l’OCPM ni le jugement du TAPI ne contiennent de données actualisées. Interpellé par la chambre de céans, le SEM ne lui a toutefois fait tenir, à la date du 22 décembre 2022, qu’un texte identique à celui qu’il avait déjà produit le 7 février 2022.

La chambre de céans a alors relancé le SEM, lequel a répondu le 27 janvier 2023 que les renvois vers B______ des demandeurs d’asile étaient en principe exigibles et licites, et que suite à son appréciation fondée sur une analyse du 19 janvier 2022 concernant la situation relative à des points spécifiques qui selon l’arrêt de la IIème Cour de droit public du Tribunal fédéral du 7 octobre 2021 devaient encore être examinés, il était arrivé à la conclusion que le renvoi du recourant était exigible, si bien qu’il n’avait pas à interpeller l’ambassade.

Cette détermination ne permet pas à la chambre de céans de s’assurer que le SEM a clarifié l’évolution de la situation en B______ depuis le début de l’année 2022, comme l’avait exigé le TAF en août 2022 et que le renvoi du recourant serait aujourd’hui exigible.

Or, la situation sur place semble s’être encore dégradée depuis l’été 2022.

Si l’État semble encore exister en B______, le pays ne paraît toujours pas doté d’autorités stables et régulièrement constituées. Le secrétaire général de l’ONU a demandé à l’ONU le 10 octobre 2022 de répondre à la demande du gouvernement B______ du 7 octobre 2022 et d’ordonner le déploiement immédiat d’une force armée spécialisée, en quantité suffisante, pour stopper, sur toute l’étendue du territoire, la crise humanitaire causée, entre autres, par l’insécurité résultant des actions criminelles des gangs armés et de leurs commanditaires (https://news.un.org/fr/ story/2022/10/1128677; Le Monde du 11 octobre 2022).

La détérioration constante de la situation ressort également des récents rapports d’ONG cités et documentés par le recourant.

Elle est par ailleurs reflétée dans une récente mise à jour des conseils aux voyageurs du département fédéral des affaires étrangères (ci-après : DFAE).

Selon ces recommandations, consultées en ligne le 8 mars 2023 à l’adresse https://www.eda.admin.ch/countries/haiti/fr/home/conseils-pour-les-voyages/ conseils-sur-place.html : « Il est déconseillé de se rendre à B______. La sécurité ne peut pas être garantie par les structures étatiques existantes. Les groupes criminels contrôlent une grande partie de la capitale D______ et de ses environs et leur zone d’influence s’étend de plus en plus à d’autres régions du pays. Le nombre d’enlèvements et de crimes violents est très élevé dans tout le pays, et en particulier à D______. On ne peut pas compter sur l’aide de la police. Le danger existe aussi bien pour les personnes B______ que pour les personnes de nationalité étrangère. Des affrontements armés entre gangs criminels et entre gangs et forces de sécurité ont lieu régulièrement. De même, des personnes non impliquées sont souvent victimes de ces affrontements. Les tensions politiques, sociales et économiques sont très élevées. Des manifestations et même des tensions mineures peuvent rapidement dégénérer de façon inopinée et donner lieu à des actes de violence. Des troubles violents, grèves, barrages routiers et des affrontements violents entre contestataires et forces de sécurité peuvent avoir lieu. Des dommages matériels et des pillages peuvent se produire, l’utilisation d’armes à feu est fréquente. L’évolution de la situation est incertaine. L’ambassade de Suisse à D______ est pratiquement dans l’incapacité de fournir des services ou une aide en cas d’urgence ».

Enfin, récemment, se fondant sur la détérioration de la situation locale, le Canada et les USA, soit de grands pays voisins dotés de moyens et comptant une population B______ immigrée importante, ont suspendu tous les renvois.

De leur côté, l’ONU ainsi que le Parlement européen ont également appelé récemment leurs membres à suspendre les renvois des ressortissants B______, les violations systématiques des droits en B______ ne permettant actuellement pas le retour sûr, digne et durable des B______ dans leur pays.

La chambre de céans ne peut ainsi que parvenir à la conclusion qu’il est vraisemblable en l’espèce que le recourant serait, en cas de renvoi en B______, exposé à un traitement prohibé par l'art. 3 CEDH ou l'art. 3 Conv. Torture.

En concluant que l’exécution du renvoi du recourant est possible, licite et peut être raisonnablement exigée, l’OCPM a commis un abus de son pouvoir d’appréciation et violé l’art. 83 LEI.

Les procédures pénales ouvertes contre le recourant, ressortant des pièces récemment versées, sans commentaire, à la procédure par l’OCPM, sont sans influence sur le caractère actuellement illicite du renvoi de ce dernier en B______, étant rappelé que le principe du renvoi est définitivement acquis.

Le recours sera admis, le jugement et la décision annulés et la cause renvoyée à l’OCPM afin qu’il demande au SEM l’octroi d’une admission provisoire en faveur du recourant.

7) Vu l'issue du recours, aucun émolument ne sera mis à la charge du recourant et une indemnité de CHF 1’500.-, tenant compte des mesures provisionnelles et du nombre des écritures, lui sera allouée, à la charge de l’État (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 7 septembre 2022 par M. A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 21 juillet 2022 ;

au fond :

l’admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 21 juillet 2022 ;

annule la décision du 11 février 2022 de l’office cantonal de la population et des migrations ;

retourne la cause à l’office cantonal de la population et des migrations afin qu’il demande au secrétariat d’État aux migrations l’octroi d’une admission provisoire en faveur de M. A______ ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à M. A______ une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, à la charge de l’État de Genève (OCPM) ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le TF du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au TF, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Laïla BATOU, avocate du recourant, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Krauskopf et McGregor, M. Mascotto, Mme Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.