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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/283/2023

ATA/244/2023 du 13.03.2023 ( ANIM ) , ACCORDE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/283/2023-ANIM ATA/244/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 13 mars 2023

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

OFFICE FÉDÉRAL DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET DES AFFAIRES VÉTÉRINAIRES

contre

SERVICE CANTONAL DE LA CONSOMMATION ET DES AFFAIRES VÉTÉRINAIRES

A______

 



Attendu, en fait, que :

1) Le 11 décembre 2022, le service cantonal de la consommation et des affaires vétérinaires (ci-après : SCAV) a délivré à l'A______ (ci‑après : l'A______) une autorisation de pratiquer des expériences sur animaux.

La demande portait sur une expérience visant à cartographier la complexité moléculaire et cellulaire des malformations corticales, et ce sur 1’934 animaux ou fœtus. L'autorisation, qui était valide du 12 décembre 2022 au 12 janvier 2026, mentionnait comme charges et conditions : « Analgésie : Utilisation de buprénorphine 0.1 mg/kg SC à la place d'une analgésie dans l'eau de boisson. Merci de nous fournir un rapport après la chirurgie sous hypothermie des 10 premiers souriceaux pour validation de la poursuite de ces chirurgies ».

2) Par acte posté le 27 janvier 2023, l'office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (ci-après : OSAV) a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant à son annulation.

La législation sur la protection des animaux retenait que les traitements douloureux sur animaux devaient être limités à l'indispensable, et qu'ils étaient illicites si les douleurs, maux ou dommages étaient disproportionnés par rapport au bénéfice escompté en termes de connaissances. D'après les indications fournies dans la demande, l'A______ avait l'intention d'injecter un marqueur dans le cerveau de souriceaux au jour 0 et au jour 6 de leur naissance à des fins d'analyse connectomique, soit l'examen de l'ensemble des connexions dans le système nerveux. À cet effet, la tête de l'animal était fixée dans un appareil spécifique (cadre stéréotaxique), qui permettait d'appliquer la substance exactement à l'endroit voulu. La tête de l'animal était ainsi maintenue des deux côtés au moyen de tiges. Pour ce faire, la souris devait être anesthésiée, autrement dit ne pas être consciente et ne plus ressentir la douleur. En l'espèce, il était prévu de placer pour ce faire les souris sur de la glace (hypothermie).

Or cette méthode permettait certes de les immobiliser, mais il n'y avait aucune preuve scientifique que l'hypothermie entraînât une perte de conscience et supprimât la sensation de douleur. En outre, le réchauffement de l'animal après l'intervention provoquait probablement des douleurs. La renonciation à la méthode de l'inhalation de gaz isoflurane, sûre et moins accablante, avait certes été exposée en détail dans la demande, mais ne convainquait pas. En effet, ce choix était motivé par une surmortalité alléguée de 40 % chez les souriceaux avec la méthode de l'inhalation d'isoflurane, affirmation qui n'était pas prouvée.

L'utilisation de l'hypothermie comme méthode d'anesthésie dans l'expérience en cause était contraire au droit, puisque les animaux n'étaient pas soumis à la contrainte la plus faible possible.

3) Le 16 février 2023, l'A______ a adressé à la chambre administrative une requête de retrait partiel de l'effet suspensif, concluant au retrait dudit effet s'agissant des expériences sur animaux couvertes par l'autorisation et n'impliquant pas l'utilisation de l'hypothermie en tant que méthode d'anesthésie.

Il ressortait des motifs invoqués par l'OSAV que ce dernier – bien qu'ayant conclu à l'annulation pure et simple de l'autorisation – ne contestait pas l'ensemble des expériences visées par l'autorisation, mais uniquement celles impliquant l'hypothermie comme méthode d'anesthésie.

L'équipe en charge était constituée d'un professeur ordinaire, de neuf doctorants, de quatre post-doctorants et de quatre collaborateurs scientifiques. Le renouvellement de certains de ces postes dépendait des résultats de la recherche, étant précisé que le projet était principalement financé par le Conseil européen de la recherche (ci‑après : CER).

Les expériences référencées dans la demande sous ch. 1.1, 1.2, 1.3, 2.A, 2.C et 3.A, ainsi qu'une expérience non référencée d'analyse électrophysiologique, et l'expérience 2.B en tant qu'elle concernait les souriceaux âgés de sept jours et plus, n'impliquaient pas l'usage de l'hypothermie et devaient pouvoir commencer rapidement.

Le blocage de l'expérience causé par l'effet suspensif automatique du recours était dommageable à plusieurs égards. Le financement obtenu n'était pas garanti au‑delà du terme convenu, soit le 31 août 2025, ce qui exigeait de respecter le calendrier. Des personnes avaient été engagées spécifiquement pour cette recherche, avec des postes de durée déterminée ; certains de ces postes étaient financés par le fonds du CER et leur éventuel renouvellement dépendait de l'avancement du projet.

La mesure provisionnelle demandée était propre à sauvegarder ses intérêts tout en ne préjugeant nullement de la décision sur le fond, et en ne rendant en aucun cas impossible une admission du recours.

4) Le 22 février 2023, le SCAV a déclaré ne pas s'opposer à la demande de retrait partiel de l'effet suspensif au recours, dans la mesure où ce dernier portait exclusivement sur la partie de l'expérience impliquant l'hypothermie comme méthode d'anesthésie.

5) Le 28 février 2023, l'OSAV a conclu au rejet de la demande de retrait partiel de l'effet suspensif au recours.

Les expériences au cours desquelles une hypothermie devait être pratiquée comprenaient celles au cours desquelles des analyses connectomiques étaient effectuées. Or le connectome fournissait des cartes structurelles globales du cerveau permettant de mieux comprendre ses relations structurelles et fonctionnelles. Il était dès lors difficile de comprendre pourquoi il était désormais possible de se passer de l'analyse pour la phase 2.

En outre, une autorisation était valable pour des expériences ou des séries d'expériences pratiquées en vue d'apporter des réponses à un certain nombre de questions précises ou visant un but déterminé. Si plusieurs objectifs étaient poursuivis au moyen de méthodes différentes, plusieurs demandes devaient être déposées. Il fallait donc partir du principe que l'ensemble des expériences prévues dans le formulaire de demande était nécessaire pour répondre à la question de départ, sans quoi elles n'auraient pas été incluses ni autorisées, puisque les expériences sur animaux ne devaient pas outrepasser le cadre de leur caractère indispensable et devaient être planifiées avec le minimum d'animaux nécessaire.

Il était ainsi difficile de comprendre pourquoi il était désormais possible de renoncer aux expériences du groupe 2.B, ainsi que si et comment, en cas d'admission du recours, les éventuels résultats des expériences pour lesquels le retrait de l'effet suspensif était demandé seraient tout de même utiles pour répondre à la problématique définie dans la demande, étant rappelé que la demande soulignait l'importance de l'examen systématique et combinatoire et que, sans la réalisation du groupe 2.B qui concernait la connectomie, des éléments essentiels pour atteindre l'objectif formulé feraient défaut.

Ainsi, un intérêt public prépondérant s'opposait au retrait partiel de l'effet suspensif au recours.

6) Sur ce, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1) Les décisions sur mesures provisionnelles sont prises par la présidente ou le vice‑président de la chambre administrative ou, en cas d’empêchement de ceux-ci, par un autre juge (art. 21 al. 2 LPA et art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020).

2) La recevabilité du recours sera examinée dans l'arrêt final de la chambre de céans.

3) Aux termes de l’art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1) ; toutefois, lorsque aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 3).

4) L’autorité peut d’office ou sur requête ordonner des mesures provisionnelles, en exigeant au besoin des sûretés (art. 21 al. 1 LPA).

5) Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles – au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) – ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1112/2020 du 10 novembre 2020 consid. 5 ; ATA/1107/2020 du 3 novembre 2020 consid. 5).

Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II
253-420, 265).

6) L'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405).

7) Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

8) Pour effectuer la pesée des intérêts en présence qu’un tel examen implique, l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités).

9) En l'espèce, l'A______ demande le retrait partiel de l'effet suspensif au recours pour les expériences référencées dans la demande sous ch. 1.1, 1.2, 1.3, 2.A, 2.C et 3.A, ainsi qu'une expérience non référencée d'analyse électrophysiologique, et l'expérience 2.B en tant qu'elle concerne les souriceaux âgés de sept jours et plus, ceci au motif que le recours ne porte que sur la méthode d'anesthésie des souriceaux par hypothermie. L'autorité décisionnaire intimée ne s'oppose quant à elle pas à un tel retrait partiel.

En revanche, l'office recourant conclut au rejet de cette demande au motif que l'expérience forme un tout et que, en cas d'admission du recours, les expériences effectuées ne permettraient pas d'atteindre l'objectif de la recherche, si bien qu'elles conduiraient au sacrifice inutile d'animaux de laboratoire. C'est là perdre de vue que le recours ne porte effectivement que sur la méthode d'anesthésie des souriceaux par hypothermie, et surtout que l'admission du recours ne conduirait pas uniquement à l'annulation pure et simple de l'autorisation attaquée – même s'il s'agit de la conclusion principale du recours –, mais aussi au renvoi de la cause au SCAV pour assortir l'autorisation d'autres charges que celles adoptées dans la décision attaquée. En effet, l'office recourant ne soutient pas que l'expérience projetée est inenvisageable du point de vue de la protection des animaux, mais uniquement que les souriceaux devraient être anesthésiés par inhalation d'isoflurane, si bien que rien ne s'opposerait à ce que l'autorisation soit donnée à nouveau, cette fois sous cette condition ; et dans cette hypothèse, au cas où les affirmations contenues dans la demande relatives à la surmortalité animale par l'utilisation de cette méthode, rien n'empêcherait de présenter une demande de complément d'autorisation relativement au nombre d'animaux utilisés.

Il n'existe dès lors pas d'intérêt prépondérant s'opposant par principe au retrait partiel d'effet suspensif sollicité. On doit néanmoins considérer la difficulté de distinguer au sein même de l'expérience 2.B qui est l'enjeu principal sinon exclusif du recours, si bien que le retrait partiel sera appliqué aux autres phases de l'expérience entièrement non concernées par la méthode litigieuse, soit celles référencées dans la demande (ch. 25 s.) sous ch. 1.1, 1.2, 1.3, 2.A, 2.C et 3.A, ainsi que celle non référencée d'analyse électrophysiologique (ibid.). La présente décision ne prendra toutefois effet que le vendredi 17 mars 2023 à minuit, afin de permettre à l'office recourant, s'il s'y estime fondé, de saisir le Tribunal fédéral d'une demande d'effet suspensif au sens de l'art. 103 al. 3 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110).

10) Le sort des frais sera réservé jusqu'à droit jugé au fond.

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

retire partiellement l’effet suspensif au recours ;

dit que ce retrait partiel de l'effet suspensif prendra effet vendredi 17 mars 2023 à minuit et concernera les expériences référencées dans la demande sous ch. 1.1, 1.2, 1.3, 2.A, 2.C et 3.A, ainsi que celle, non référencée, d'analyse électrophysiologique ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique la présente décision à l'office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires, à l'office cantonal de la consommation et des affaires vétérinaires ainsi qu'à l'A______.

 

 

Le vice-présidente :

 

 

 

C. Mascotto

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :