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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4255/2022

ATA/222/2023 du 07.03.2023 ( LAVI ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 27.04.2023, rendu le 27.09.2023, REJETE, 1C_195/2023
Descripteurs : ACTION EN CONSTATATION;OBJET DU LITIGE;VICTIME;CONTRAINTE SEXUELLE;LÉSION CORPORELLE SIMPLE;DOMMAGE;LUCRUM CESSANS;TORT MORAL
Normes : LPA.65; LPA.69.al1; LAVI.2.letd; LAVI.19; CO.46.al1; LAVI.22.al1; LAVI.47; LAVI.49; LAVI.23
Résumé : Recours contre une décision de l'instance d'indemnisation LAVI refusant l'octroi d'une indemnité pour gain manqué et allouant une indemnité pour tort moral de CHF 2'000.- à la recourante à la suite d'une agression commise dans l'entrée de l'immeuble dans lequel elle exerçait la prostitution, pour laquelle l'auteur a été condamné pour contrainte sexuelle et lésions corporelles simples. Refus d'allocation d'une indemnité pour gain manqué fondée, ni l'incapacité de travail, ni le lien de causalité d'une éventuelle incapacité avec l'agression n'étant établis. Indemnité pour tort moral allouée trop basse au regard de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce. Fixation de l'indemnité à CHF 3'000.-. Recours partiellement admis.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4255/2022-LAVI ATA/222/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 7 mars 2023

2ème section

 

dans la cause

 

Madame A______ recourante
représentée par Me Olivier Peter, avocat

contre

INSTANCE D'INDEMNISATION LAVI intimée



EN FAIT

1) Le 12 février 2020, aux environs de 7h50, Monsieur B______ a pénétré dans l'immeuble du C______ , en emboîtant le pas à un tiers à qui l'on venait d'ouvrir la porte verrouillée, en sachant que des prostituées recevaient leurs clients à cette adresse. Il a vu Madame A______ assise sur une chaise. Après avoir attendu quelques minutes dans les étages, il est redescendu dans le hall, s'est approché de cette dernière, qui lui tournait le dos, et l'a saisie par surprise, en plaçant son avant-bras droit et sa main gauche autour de son cou. Mme A______ s'est débattue et est tombée au sol en arrière, sous l'effet de la pression exercée sur sa gorge. Alors qu'elle était couchée sur le dos, M. B______ l'a maintenue au sol, en continuant à appuyer de tout son poids le haut de son corps contre le sien et en appuyant son avant-bras droit contre sa gorge, l'empêchant ainsi de bouger. Ne pouvant plus respirer, Mme A______ s'est vu suffoquer et mourir. Avec une main, il a caressé le sexe de cette dernière par-dessus ses vêtements et n'a relâché son étreinte qu'après qu'elle lui eut proposé un rapport sexuel gratuit à l'étage.

2) a. Le jour même, Mme A______ s'est présentée aux urgences ambulatoires des Hôpitaux Universitaires de Genève (ci-après : HUG). Selon le constat médical fait à cette occasion, l'examen médical avait mis en évidence une tuméfaction de l'hypothénar à gauche avec ecchymose, accompagnée de douleurs à la palpation de la zone, un érythème au sein droit, un érythème infra- et rétro-auriculaire, une limitation de l'ouverture buccale à deux travers de doigts ainsi qu'une douleur à la palpation des articulations temporo-mandibulaires des deux côtés. La patiente se disait choquée et pleurait à l'idée que cela aurait pu finir encore plus mal.

b. Les 15 et 25 février ainsi que 2, 9 et 15 mars 2020, elle a fait l'objet d'un suivi psychothérapeutique par Madame D______ , psychologue.

c. Les 24 avril, 23 juillet et 17 août 2020, Mme A______ a été suivie en médecine générale par la Docteure E______ de la société espagnole de médecine digitale F______ . Elle a été diagnostiquée d'un trouble anxieux adaptatif pour lequel elle a été traitée avec du Lexatin.

d. Les 19 août, 27 octobre, 19 novembre et 4 décembre 2020, Mme A______ a bénéficié de conseils téléphoniques et d'une consultation vidéo de psychologie par la société espagnole G______ .

e. Depuis le 4 novembre 2020, Mme A______ a été suivie à l'Hôpital universitaire H______ à Madrid par le Docteur I______ , psychiatre, le suivi se poursuivant en juin 2022. Elle souffrait d'un état de stress post-traumatique. Elle était traitée par de la Duloxetine et du Lorazepam.

3) Par jugement du 17 mars 2021, rendu en procédure simplifiée, le Tribunal correctionnel a notamment, pour ces faits, déclaré M. B______ coupable de contrainte sexuelle et lésions corporelles simples et l'a condamné à une peine privative de liberté de trente-six mois, sous déduction de trois cents jours de détention avant jugement et avec sursis partiel à hauteur de vingt-quatre mois et délai d'épreuve de cinq ans, à une amende de CHF 600.- ainsi qu'au paiement à Mme A______ de CHF 14'204.50 à titre de réparation du dommage matériel et CHF 8'000.- à titre de réparation du tort moral. Il a par ailleurs ordonné son expulsion pour une durée de cinq ans.

4) a. Le 15 juillet 2021, Mme A______ a sollicité auprès de l'instance d'indemnisation LAVI (ci-après : instance LAVI) le versement de CHF 14'204.50 à titre d'indemnisation du dommage matériel et de CHF 8'000.- à titre de réparation du tort moral.

b. Le 12 juillet 2022, sur demande de l'instance LAVI, Mme A______ a versé à la procédure la copie de ses conclusions civiles dans le cadre de la procédure pénale.

Selon ces dernières, le dommage corporel s'élevait à CHF 1'204.50, correspondant au montant facturé par les HUG pour le constat du 12 février 2020. Compte tenu de la violence de l'agression et des séquelles importantes et définitives, un montant pour tort moral de CHF 8'000.- devait être alloué. Avant son agression, elle exerçait une activité de prostituée à 50 %. Entre le 12 février et la mi-mars 2020, elle avait continué à travailler pour payer son loyer, mais le traumatisme l'avait empêchée de travailler autant qu'auparavant. En 2019, elle avait perçu un revenu brut de CHF 31'000.-, soit CHF 2'600.- par mois. À la suite à l'agression, elle était en incapacité de travail depuis le 15 mars 2020. Dans le contexte de la crise sanitaire liée au Covid-19, la prostitution avait été permise du 6 juin au 2 novembre 2020, soit durant cinq mois. Sa perte de gain s'élevait à CHF 13'000.- (5 x CHF 2'600.-).

Un courrier du 14 septembre 2020 à l'assistance juridique était notamment annexé à ses conclusions civiles.

5) Par décision du 10 novembre 2022, l'instance LAVI a reçu la requête, l'a partiellement admise, a alloué à Mme A______ la somme de CHF 2'000.- à titre de réparation du tort moral et l'a rejetée pour le surplus.

La demande avait été déposée dans les délais légaux et était recevable. La requérante était une victime au sens de la législation sur l'aide aux victimes d'infractions.

Mme A______ avait produit plusieurs attestations médicales faisant notamment état de plusieurs troubles psychiques et de symptômes d'un état de stress post-traumatique. Ces attestations ne soutenaient toutefois pas qu'elle était incapable de travailler en raison de ses atteintes psychiques. Elle avait travaillé du 12 février au 15 mars 2020, démontrant sa capacité à travailler malgré ses atteintes. En l'absence d'incapacité de travail totale ou partielle attestée par certificat médical, aucune indemnité à titre de perte de gain ne pouvait être allouée.

L'assistance médicale faisait partie de l'aide immédiate relevant de la compétence des centres de consultation LAVI. La requête de prise en charge de ses frais médicaux de consultation médicale aux urgences des HUG était rejetée.

L'agression avait causé à la requérante des séquelles physiques de peu de gravité. Au niveau psychologique, elle avait souffert d'un état de stress post-traumatique, sans toutefois tenir de discours dépressif, d'un trouble adaptatif avec anxiété, de troubles du sommeil, de troubles alimentaires et d'hypervigilance. À la suite des faits, elle était angoissée et rencontrait des difficultés à verbaliser ce qu'elle avait vécu. Elle évitait de sortir seule et était apeurée lorsqu'elle croisait un groupe d'hommes dans la rue. En juillet 2022, son état de santé psychique s'était globalement amélioré, mais elle continuait à présenter des épisodes anxio-dépressifs et des comportements d'évitement persistants, ce qui justifiait le maintien de son traitement médicamenteux et psychothérapeutique. Son suivi psychothérapeutique avait duré plus de deux ans. Une somme de CHF 2'000.- était de nature à tenir compte de manière équitable et proportionnée du traumatisme subi.

6) Par acte du 14 décembre 2022, Mme A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant au constat d'une violation du droit à une indemnisation adéquate pour les femmes victimes de violence, à l'annulation de la décision attaquée, à l'octroi d'un montant de CHF 22'000.- à titre d'indemnité et à l'octroi d'une indemnité supplémentaire de CHF 2'700.- plus taxe sur la valeur ajoutée (ci-après : TVA) pour le dépens en lien avec la rédaction du recours.

Le reproche d'absence de certificat médical attestant de l'incapacité de travailler relevait d’un formalisme excessif. Ni la législation sur l'aide aux victimes d'infraction, ni le droit privé ne posaient une telle condition formelle pour admettre une incapacité de gain. Exerçant comme indépendante et ne disposant pas d'une assurance perte de gain, elle n'avait aucune raison d'exiger de ses médecins un document faisant expressément état d'une incapacité de travail. L'instance LAVI n'avait d'ailleurs jamais réclamé un tel document. Elle avait apporté des éléments suffisants et crédibles sur l'impact de l'agression sur son activité professionnelle. Les pièces produites démontraient qu'elle avait développé des comportements d'évitement persistants, ce qui confirmait ses difficultés à se retrouver seule avec des hommes inconnus et établissait une entrave majeure à l'exercice de son activité professionnelle. L'aggravation de son état de santé au fil des mois ressortait des pièces produites et était parfaitement compatible avec la sympotmatologie pouvant être constatée dans des situations similaires. Il fallait également tenir compte de sa situation de grande précarité ainsi que de l'absence de tout filet social, l'empêchant d'interrompre d'un jour à l'autre son activité, sous peine de ne pas avoir de quoi se nourrir et se loger. Le niveau d'exigence posé par l'instance LAVI pour admettre une perte de gain d'une prostituée victime d'une agression impliquait de soumettre l'octroi de l'indemnité à des conditions quasiment inatteignables et aboutissait à une pratique discriminatoire à l'égard des personnes exerçant la prostitution, qui multipliaient déjà souvent les facteurs de vulnérabilité. Un montant de CHF 13'000.- devait lui être accordé à titre de perte de gain.

S'agissant des frais médicaux, elle avait contacté le centre de consultation LAVI, afin de voir si ce dommage pourrait être pris en charge par celui-ci. Le cas échéant, les conclusions seraient adaptées.

Les directives fédérales appliquées pour la fixation du tort moral n'avaient aucune portée juridique, dans la mesure où la matière relevait exclusivement de la compétence des cantons. Le principe de la fixation de fourchettes était incompatible avec le droit supérieur, qui imposait de tenir compte des conséquences de chaque agression. Ces directives avaient pour effet de perpétuer une pratique incompatible avec le droit supérieur et aboutissaient à une discrimination structurelle à l'égard des femmes victimes de violences, et notamment les prostituées. Les directives ne pouvaient être appliquées. Le montant de CHF 2'000.- n'était ni juste ni approprié au sens des obligations internationales de la Suisse en matière de protection des femmes victimes de violence et aboutissait à une violation de ses droits fondamentaux. Il correspondait à 25 % du dommage reconnu par le Tribunal correctionnel et non contesté par M. B______, sans qu'un raisonnement arbitraire ou illicite dudit tribunal soit démontré, à 2,8 % du montant maximal prévu par la législation sur l'aide aux victimes d'infraction et à 30 % du salaire mensuel médian de 2021, correspondant donc à moins d'une semaine et demi de salaire. La somme octroyée était purement symbolique et ne présentait pour la victime qu'un réconfort négligeable en pratique.

7) Le 3 janvier 2023, l'instance LAVI s'est référée aux considérants de la décision entreprise.

8) Après que Mme A______ a renoncé à répliquer le 26 janvier 2023, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) a. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 19 de la loi d'application d la LAVI du 11 février 2011 - LaLAVI - J 4 10 ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

b. Les conclusions en constatation d'une violation du droit à une indemnisation adéquate pour les femmes victimes de violence sont irrecevables, dans la mesure où les conclusions constatatoires sont subsidiaires aux conclusions condamnatoires, que la recourante a au demeurant également prises (ATA/1058/2021 du 12 octobre 2021 consid. 1b ; ATA/355/2020 du 16 avril 2020 consid. 3).

2) a. L'acte de recours contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (art. 65 al. 1 LPA). L'acte de recours contient également l'exposé des motifs ainsi que l'indication des moyens de preuve (art. 65 al. 2 1ère phr. LPA). La juridiction administrative applique le droit d'office et ne peut aller au-delà des conclusions des parties, sans pour autant être liée par les motifs invoqués (art. 69 al. 1 LPA).

b. L'objet du litige est principalement défini par l'objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'il invoque. L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/499/2021 du 11 mai 2021 consid. 2a). La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée, c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer. L'objet d'une procédure administrative ne peut donc pas s'étendre ou qualitativement se modifier au fil des instances, mais peut tout au plus se réduire dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés. Ainsi, si un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions traitées dans la procédure antérieure (ATA/499/2021 du 11 mai 2021 consid. 2a).

c. En l'espèce, la recourante conteste la décision de l'autorité intimée en tant qu'elle refuse l'allocation d'une indemnité pour perte de gain et octroie une indemnité pour tort moral de CHF 2'000.-. S'agissant de la prise en charge des frais médicaux, la décision attaquée retient que la compétence revient au centre de consultation LAVI, qui a d'ailleurs déjà pris en charge les frais de Mme J______ , psychologue. La recourante a indiqué dans son recours avoir en conséquence déposé une demande auprès dudit centre de consultation et qu'elle adapterait le cas échéant ses conclusions dans la présente procédure de recours, ce qu'elle n'a ensuite pas fait.

Le litige porte donc exclusivement sur la conformité au droit du refus de l'autorité intimée d'allouer à la recourante une indemnité pour perte de gain et de la fixation à CHF 2'000.- de l'indemnité pour tort moral accordée.

3) À titre préalable, la recourante reprochant à l'autorité intimée de s'être écartée du jugement du Tribunal correctionnel pour le prononcé de l'indemnisation due, il sera relevé que, conformément à la jurisprudence, l'instance LAVI est en principe liée par les faits établis au pénal, mais non par les considérations de droit ayant conduit au prononcé civil. Elle peut donc, en se fondant sur l'état de fait arrêté au pénal, déterminer le montant de l'indemnité allouée à la victime sur la base de considérations juridiques propres. L’autorité LAVI doit se livrer à un examen autonome de la cause (ATF 129 II 312 consid. 2.8 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_34/2014 du 16 mai 2014 consid. 2.3 ; 1C_182/2007 du 28 novembre 2007 consid. 6 ; ATA/1232/2021 du 16 novembre 2021 consid. 5c). Il sera au surplus relevé qu'en l'espèce, le Tribunal correctionnel a rendu son jugement, portant également sur les conclusions civiles, en procédure simplifiée.

4) La recourante conteste le refus d'octroi de toute indemnité pour perte de gain.

a. Toute personne qui a subi, du fait d'une infraction, une atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou sexuelle (victime) a droit au soutien prévu par la loi (art. 1 al. 1 de la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions du 23 mars 2007, loi sur l’aide aux victimes - LAVI - RS 312.5). La victime a notamment droit à une indemnité pour le dommage qu’elle a subi du fait de l’atteinte (art. 2 let. d et 19 al. 1 LAVI). Le dommage est fixé selon les art. 45 et 46 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220 ; art. 19 al. 2 1ère phr. LAVI). En cas de lésions corporelles, la partie qui en est victime a droit au remboursement des frais et aux dommages-intérêts qui résultent de son incapacité de travail totale ou partielle, ainsi que de l'atteinte portée à son avenir économique (art. 46 al. 1 CO).

b. La notion de dommage au sens de la LAVI correspond de manière générale à celle du droit de la responsabilité civile (ATF 133 II 361 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_407/2016 du 1er juin 2017 consid. 2.1.1). Cependant, la nouvelle LAVI prévoit l'exclusion de certains postes du dommage, soit d'une part, des postes du dommage dont l'indemnisation irait au-delà des objectifs de l'aide aux victimes et d'autre part, des postes du dommage qui sont pris en considération par la loi d'une autre manière (FF 2005 6735 ; ATA/495/2020 du 19 mai.2020 consid. 7a).

Lorsqu'une des conditions des art. 41 ss CO fait défaut, à l'exception de la faute, une indemnisation LAVI n'entre pas en considération (ATF 133 II 361 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_334/2017 du 27 juin 2018 consid. 3.1).

En droit de la responsabilité civile, le préjudice causé par les lésions corporelles s'entend au sens économique. Est donc déterminante la diminution de la capacité de gain. Le dommage consécutif à l'invalidité doit, autant que possible, être établi de manière concrète. Le juge partira du taux d'invalidité médicale (ou théorique) et recherchera ses effets sur la capacité de gain ou l'avenir économique du lésé ; cette démarche l'amènera à estimer le gain que le lésé aurait obtenu dans son activité professionnelle s'il n'avait pas subi l'accident (ATF 131 III 360 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_152/2020 du 8 septembre 2020 consid. 3.1.2). Lors de l'appréciation de ce préjudice, celui-ci doit être rendu suffisamment vraisemblable au regard de toutes les circonstances concrètes entrant en jeu (arrêts du Tribunal fédéral 1C_407/2016 du 1er juin 2017 consid. 2.1.1 ; 4A_699/2012 du 27 mai 2013 consid. 5.2).

Parmi les conditions inhérentes à la responsabilité civile, se trouve l'exigence d'un rapport de causalité entre l'acte illicite et le dommage. En matière d'aide aux victimes, l'exigence de causalité découle non seulement de la notion générale de dommage, mais également des termes de l'art. 1 al. 1 LAVI, qui met au bénéfice de la loi quiconque subit une atteinte « du fait d'une infraction » (arrêts du Tribunal fédéral 1C_152/2020 du 8 septembre 2020 consid. 3.3.1 ; 1C_334/2017 du 27 juin 2018 consid. 3.1). Alors que la causalité naturelle présuppose que l'infraction soit une condition nécessaire (conditio sine qua non) du dommage, l'acte incriminé doit en outre, en vertu de la théorie de la causalité adéquate, être propre, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit (ATF 143 III 242 consid. 3.7 ; 139 V 176 consid. 8.4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_152/2020 précité consid. 3.3.1). La jurisprudence a précisé que, pour qu'une cause soit adéquate, il n'est pas nécessaire que le résultat se produise régulièrement ou fréquemment ; une telle conséquence doit demeurer dans le champ raisonnable des possibilités objectivement prévisibles (ATF 139 V 176 consid. 8.4.2 et les arrêts cités). La causalité adéquate peut être interrompue par un événement extraordinaire ou exceptionnel auquel on ne pouvait s'attendre, force naturelle, fait du lésé ou d'un tiers, et qui revêt une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus immédiate du dommage et relègue à l'arrière-plan les autres facteurs ayant contribué à le provoquer (ATF 143 III 242 consid. 3.7 et les références citées).

c. En l'espèce, la recourante demande l'allocation d'une indemnité pour perte de grain de CHF 13'000.-, correspondant à cinq mois de salaire à CHF 2'600.-, pour la période du 6 juin au 2 novembre 2022. Elle reproche à l'instance LAVI d'avoir refusé de reconnaître une incapacité de travail à la suite de son agression.

Le dossier démontre que, après son agression, la recourante a consulté des psychologues et psychiatres, en particulier avant et pendant la période pour laquelle elle allègue une perte de gain. Elle a ainsi notamment fait l'objet d'un suivi par une psychologue les 15 et 25 février ainsi que 2, 9 et 15 mars 2020, puis de consultations de médecine générale par le Dre E______ les 24 avril, 23 juillet et 17 août 2020 et finalement de conseils téléphoniques et de consultations par vidéo par G______ les 19 août, 27 octobre, 19 novembre et 4 décembre 2020.

Cependant, aucun des professionnels consultés ne s'est prononcé sur la capacité de travail de la recourante. S'agissant de Mme J______ , psychologue, seule une facture figure au dossier, tandis que les rapports des autres professionnels consultés décrivent des troubles et traumatismes liés à l'agression, mais sans se déterminer sur la capacité de travail.

Or, sans minimiser le traumatisme subi, la recourante a continué à travailler jusqu'à mi-mars 2020, ce qui démontre une capacité de travail. Par ailleurs, si elle a indiqué avoir été en incapacité de travail dès la mi-mars 2020 dans ses conclusions civiles, son interruption d'activité n'est pas en raison d'une incapacité de travail, mais de l'annonce du semi-confinement le 13 mars 2020, à la suite de laquelle elle a décidé de se rendre sur le champ à Madrid auprès de son fils. Elle ne pouvait de toute manière pas travailler à Genève, conformément au courrier du 14 septembre 2020 à l'assistance juridique. Par ailleurs, il ressort du même courrier qu'en septembre 2020, soit au milieu de la période pour laquelle elle allègue un gain manqué, la recourante se trouvait toujours à Madrid, n'étant revenue à Genève que deux nuits en juillet 2020 pour l'audience pénale de confrontation, et qu'un retour concret à Genève n'était pas planifié dans l'immédiat, vu qu'elle affirmait entendre rentrer définitivement à Genève dès qu'elle serait en mesure d'être relogée. Il apparaît d'ailleurs qu'en juin 2022, elle vivait encore à Madrid, puisqu'elle y était toujours suivie par le Dr I______ .

Ainsi, à teneur du dossier, l'incapacité de travail n'est pas démontrée. La recourante n'a de plus pas produit de nouvelle attestation médicale devant la chambre administrative, notamment une attestation portant spécifiquement sur sa capacité de travail durant les mois pour lesquels elle allègue un gain manqué. Même à retenir une telle incapacité, le lien de causalité entre celle-ci et l'agression n'est pas non plus établi, l'impossibilité de la recourante d'exercer son activité dans la prostitution à Genève ne trouvant pas sa cause dans les conséquences de son agression, mais dans son emménagement chez son fils à Madrid.

Par conséquent, l'autorité intimée était fondée à rejeter la requête d'allocation d'une indemnité à titre de gain manqué de CHF 13'000.-.

5) La recourante affirme que l'indemnité pour tort moral de CHF 2'000.- serait insuffisante.

a. Selon l'art. 22 al. 1 LAVI, la victime et ses proches ont droit à une réparation morale lorsque la gravité de l'atteinte le justifie ; les art. 47 et 49 CO s'appliquent par analogie. Celui qui subit une atteinte illicite à sa personnalité a droit à une somme d’argent à titre de réparation morale, pour autant que la gravité de l’atteinte le justifie et que l’auteur ne lui ait pas donné satisfaction autrement (art. 49 al. 1 CO). Le juge peut, en tenant compte de circonstances particulières, allouer à la victime de lésions corporelles ou, en cas de mort d’homme, à la famille une indemnité équitable à titre de réparation morale (art. 47 CO).

La réparation morale constitue un droit (FF 2005 6742). Le système d'indemnisation instauré par la LAVI et financé par la collectivité publique n'en demeure pas moins subsidiaire par rapport aux autres possibilités d'obtenir réparation que la victime possède déjà (art. 4 LAVI ; ATF 131 II 121 consid. 2 ; 123 II 425 consid. 4b/bb). Les prestations versées par des tiers à titre de réparation morale doivent être déduites du montant alloué par l’instance LAVI (art. 23 al. 3 LAVI). La victime doit ainsi rendre vraisemblable qu’elle ne peut rien recevoir de tiers ou qu’elle ne peut en recevoir que des montants insuffisants (ATF 125 II 169 consid. 2cc).

b. En vertu de l’art. 23 LAVI, le montant de la réparation morale est fixé en fonction de la gravité de l’atteinte (al. 1). Il ne peut excéder CHF 70'000.- lorsque l’ayant droit est la victime (let. a) et CHF 35'000.- lorsque l’ayant droit est un proche (let. b ; al. 2).

Le législateur n'a pas voulu assurer à la victime une réparation pleine, entière et inconditionnelle du dommage qu'elle a subi (ATF 131 II 121 consid. 2.2 ; 129 II 312 consid. 2.3 ; 125 II 169 consid. 2b/aa). Ce caractère incomplet est particulièrement marqué en ce qui concerne la réparation du tort moral, qui se rapproche d'une allocation ex aequo et bono (arrêt du Tribunal fédéral 1C_48/2011 du 15 juin 2011 consid. 3 ; ATA/1291/2022 du 20 décembre 2022 consid. 6c et les références citées).

L’ampleur de la réparation dépend avant tout de la gravité de l’atteinte – ou plus exactement de la gravité de la souffrance ayant résulté de cette atteinte, car celle-ci, quoique grave, peut n’avoir que des répercussions psychiques modestes, suivant les circonstances – et de la possibilité d’adoucir la douleur morale de manière sensible, par le versement d’une somme d’argent (ATF 137 III 303 consid. 2.2.2 ; 129 IV 22 consid. 7.2 ; 115 II 158 consid. 2 et les références citées). Sa détermination relève du pouvoir d’appréciation du juge (ATF 137 III 303 consid. 2.2.2 ; 116 II 299 consid. 5a). Il est nécessaire de préciser l'ensemble des circonstances et de s'attacher surtout aux souffrances ayant résulté de l'atteinte. Les souffrances psychologiques résultant de l'agression, tel le sentiment d'insécurité ou la perte de confiance en soi, ne doivent pas être négligées (ATA/1291/2022 précité consid. 7c).

La détermination de l'indemnité relève du pouvoir d’appréciation du juge. En raison de sa nature, elle échappe à toute fixation selon des critères mathématiques (ATF 117 II 60 consid. 4a/aa et les références citées). L’indemnité pour tort moral est destinée à réparer un dommage qui, par sa nature même, ne peut que difficilement être réduit à une simple somme d’argent. C’est pourquoi son évaluation chiffrée ne saurait excéder certaines limites. Néanmoins, l’indemnité allouée doit être équitable. Le juge en proportionnera donc le montant à la gravité de l’atteinte subie et il évitera que la somme accordée n’apparaisse dérisoire à la victime. S’il s’inspire de certains précédents, il veillera à les adapter aux circonstances actuelles (ATF 129 IV 22 consid. 7.2 ; 125 III 269 consid. 2a ; 118 II 410 consid. 2a).

c. En matière de réparation du tort moral, une comparaison avec d'autres causes ne doit intervenir qu'avec circonspection, puisque le tort moral ressenti dépend de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce. Cela étant, une comparaison peut se révéler, suivant les occurrences, un élément utile d'orientation (ATF 138 III 337 consid. 6.3.3 ; 130 III 699 consid. 5.1).

La chambre administrative se fonde sur la jurisprudence rendue en la matière, et, vu le renvoi opéré par l’art. 22 al. 1 LAVI, sur la jurisprudence rendue en matière d’indemnisation du tort moral sur la base de l’art. 49 CO (SJ 2003 II p. 7) ou, le cas échéant, l’art. 47 CO, étant précisé que, au sens de cette disposition, des souffrances psychiques équivalent à des lésions corporelles (arrêt du Tribunal fédéral 6B_246/2012 du 10 juillet 2012 consid. 3.1.1). Le système d’indemnisation du tort moral prévu par la LAVI répond à l’idée d’une prestation d’assistance et non pas à celle d’une responsabilité de l’État ; la jurisprudence a ainsi rappelé que l’utilisation des critères du droit privé est en principe justifiée, mais que l’instance LAVI peut au besoin s’en écarter (ATF 129 II 312 consid 2.3 ; 128 II 49 consid. 4.1 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_244/2015 du 7 août 2015 consid. 4.1) ou même refuser le versement d’une réparation morale. Une réduction du montant de l’indemnité LAVI par rapport à celle octroyée selon le droit privé peut en particulier résulter du fait que la première ne peut pas tenir compte des circonstances propres à l’auteur de l’infraction (ATF 132 II 117 consid. 2.2.4 et 2.4.3).

La LAVI prévoit un plafonnement des indemnisations pour tort moral, laissant une large liberté d'appréciation au juge pour déterminer une somme équitable dans les limites de ce cadre (ATF 117 II 60 ; 116 II 299 consid. 5.a). Il implique que les montants alloués en vertu de la LAVI sont clairement inférieurs à ceux alloués selon le droit privé. Sans avoir voulu instaurer une réduction systématique et proportionnelle des montants alloués en vertu du droit privé, le législateur a fixé les plafonds environ aux deux tiers des montants de base généralement attribués en droit de la responsabilité civile (arrêt du Tribunal fédéral 1C_583/2016 du 11 avril 2017 consid. 4.3 et les références citées).

d. Selon le Conseil fédéral, pour les infractions commises dès le 1er janvier 2009, les montants alloués sont calculés selon une échelle dégressive indépendante des montants accordés habituellement en droit civil, même si ceux-ci peuvent servir à déterminer quels types d'atteintes donnent lieu à l'octroi des montants les plus élevés. La fourchette des montants à disposition est plus étroite qu'en droit civil, les montants les plus élevés devant être réservés aux cas les plus graves (FF 2005 6683 p. 6745).

Le Conseil fédéral a proposé un ordre de grandeur qui, pour la victime, prévoit les montants suivants : montants proches du plafond pour les cas les plus graves, qui coïncident en règle générale avec une invalidité à 100 %, CHF 55'000.- à 70'000.- en cas de mobilité et/ou fonctions intellectuelles et sociales très fortement réduites (par exemple tétraplégie), CHF 40'000.- à 55'000.- en cas de mobilité et/ou fonctions intellectuelles et sociales fortement réduites (par exemple paraplégie, cécité ou surdité totale), CHF 20'000.- à 40'000.- en cas de mobilité réduite, perte d’une fonction ou d’un organe importants (par exemple hémiplégie, perte d’un bras ou d’une jambe, atteinte très grave et douloureuse à la colonne vertébrale, perte des organes génitaux ou de la capacité de reproduction, grave défiguration) et moins de CHF 20'000.- en cas d'atteintes de gravité moindre (par exemple perte du nez, d’un doigt, de l’odorat ou du goût). Des listes semblables pour les atteintes à l’intégrité psychique ou à l’intégrité sexuelle pouvaient être établies (FF 2005 6683 p. 6745).

e. Ces montants ont été repris dans les directives de l'office fédéral de la justice (ci-après : OFJ), à savoir le Guide relatif à la fixation du montant de la réparation morale à titre d'aide aux victimes d'infractions à l'intention des autorités cantonales en charge de l'octroi de la réparation morale à titre de LAVI, rédigé en octobre 2008 (ci-après : le guide). Ce guide a été entièrement remanié et s'intitule désormais « Guide relatif à la fixation du montant de la réparation morale selon la LAVI » du 3 octobre 2019.

Pour les victimes ayant subi une atteinte grave à l'intégrité physique, le guide prévoit les fourchettes suivantes : CHF 50'000.- à CHF 70'000.- en cas d'atteintes corporelles gravissimes entraînant une incapacité de travail permanente (tétraplégie, lésions cérébrales gravissimes, perte des deux yeux), CHF 20'000.- à CHF 50'000.- en cas d'atteintes corporelles graves avec séquelles permanentes et traumatisme psychique sévère dus à des actes d’une violence exceptionnelle (cicatrices aliénantes, traumatisme crânien sévère, perte d’un œil, d’un bras ou d’une jambe, lésions critiques et douloureuses de la colonne vertébrale, perte de l’ouïe), CHF 10'000.- à CHF 20'000.- en cas d'atteintes corporelles avec séquelles durables (perte de la rate, d’un doigt, de l’odorat ou du goût), CHF 5'000.- à CHF 10'000.- en cas d'atteintes corporelles à la guérison plus lente et plus complexe avec séquelles tardives (éventuelles opérations, longues réhabilitations, dégradation de la vue, paralysie intestinale, sensibilité accrue aux infections), jusqu’à CHF 5'000.- en cas d'atteintes corporelles non négligeables, en voie de guérison ou d'atteintes de peu de gravité avec circonstances aggravantes (fractures, commotions cérébrales ; guide, p. 10).

Pour les victimes d’atteinte à l’intégrité sexuelle, le guide prévoit l'échelle suivante pour la fixation de l'indemnité : de CHF 20'000.- à CHF 70'000.- en cas d'atteinte exceptionnellement grave (agressions répétées et particulièrement cruelles, actes sexuels à la fréquence ou à l’intensité particulières avec un enfant sur une longue période), de CHF 8'000.- à CHF 20'000.- en cas d’atteinte très grave (viol, contrainte sexuelle grave, actes d'ordre sexuel graves commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance, acte sexuel grave ou répété avec un enfant), jusqu'à CHF 8'000.- en cas d’atteinte grave (tentative de viol, [tentative de] contrainte sexuelle, harcèlement sexuel à la fréquence ou à l’intensité particulières, acte sexuel avec un enfant ; guide, p. 12 s.).

Les fourchettes concernant les victimes ayant subi une atteinte grave à l'intégrité psychique ne s’appliquent que lorsque seule l’intégrité psychique est gravement atteinte, avec tout au plus des atteintes de bien moindre importance à l'intégrité physique ou sexuelle. En revanche, lorsque l'atteinte grave à l'intégrité psychique va de pair avec une atteinte à l'intégrité physique ou sexuelle, elle est une conséquence ou une circonstance aggravante de cette dernière, auquel cas la prétention et le montant de la réparation seront déterminés par les fourchettes applicables à la première atteinte. On procède alors comme pour l'application du principe de l'aggravation des peines (guide, p. 14). Les fourchettes pour atteinte grave à l'intégrité psychique prévues par les guide sont les suivantes : CHF 15'000.- à CHF 40'000.- en cas d'atteinte à l’intégrité psychique très sévère suite à une violence à l’impact exceptionnel qui a laissé des séquelles psychiques permanentes, de grandes difficultés à affronter le quotidien, une aptitude au travail durablement limitée sinon anéantie (par exemple maltraitance sévère pendant plusieurs années durant l’enfance ayant causé une atteinte grave à l’intégrité psychique, par exemple avec une aptitude au travail durablement limitée), CHF 5'000.- à CHF 25'000.- en cas d' atteinte à l’intégrité psychique sévère en raison de circonstances dramatiques avec de lourdes séquelles (traitement psychothérapeutique reconnu ou incapacité de travail prolongée, par exemple vol à main armée particulièrement brutal sans séquelles corporelles ou séquestration ayant causé une atteinte durable à l’intégrité psychique) et jusqu’à CHF 5'000.- en cas d'atteinte à l’intégrité psychique non négligeable même si temporaire avec circonstances aggravantes déterminées par l’acte, par exemple utilisation d'armes ou d'autres objets dangereux, commission en groupe, acte commis dans un cadre protégé, récidive : longue période et fréquence (par exemple vol à main armée, menaces de mort appuyées et répétées ; guide, p. 15).

L’autorité prend en compte les conséquences directes de l'acte, le déroulement de l'acte et les circonstances et la situation de la victime (guide, p. 11, 13 et 16).

Ces directives ne sauraient certes lier les autorités d'application. Toutefois, dans la mesure où elles concrétisent une réduction des indemnités LAVI par rapport aux sommes allouées selon les art. 47 et 49 CO, elles correspondent en principe à la volonté du législateur et constituent une référence permettant d'assurer une certaine égalité de traitement, tant que le Conseil fédéral n'impose pas de tarif en application de l'art. 45 al. 3 LAVI (arrêt du Tribunal fédéral 1C_583/2016 du 11 avril 2017 consid. 4.3). Dans un souci d'application uniforme et équitable de la loi, il peut être tenu compte des recommandations qui y sont mentionnées (ATA/661/2022 du 23 juin 2022 consid. 4b).

f. D'après la doctrine, certains tribunaux cantonaux ont, parfois, alloué les sommes suivantes dans des cas pouvant être intéressants dans le cadre de la présente cause :

- CHF 500.- (indemnité civile : CHF 500.-) : l'auteur retient la victime, la frappe au visage et cherche à la contraindre sexuellement. Lésions corporelles simples et tentative de contrainte sexuelle. Contusion et hématome à la tempe et au bras ;

- CHF 500.- : mû par une pulsion sexuelle, l’auteur aborde la victime, qui ne se doutait de rien, et lui montre son membre découvert. Exhibitionnisme. Trouble de stress post-traumatique, plusieurs mois de traitement thérapeutique ;

- CHF 700.- : victime abordée par un inconnu. Malgré sa demande instante, il ne la laisse pas tranquille, la saisit à plusieurs reprises aux fesses et la retient. Comportement agressif. Contrainte, harcèlement sexuel. Troubles du sommeil, états anxieux, diminution du sentiment de sécurité ;

- CHF 800.- (indemnité civile : CHF 1'000.-) : victime surprise par l’auteur qui la regarde en se masturbant alors qu’elle étend son linge. Lorsqu’elle veut s’enfuir, il lui barre le passage, la repousse violemment et la gifle. Contrainte sexuelle, harcèlement sexuel, lésions corporelles simples. Contusions au visage et sur le cou, hématomes et saignements de nez. Symptômes de trouble de stress post-traumatique, séances de psychothérapie régulières ;

- CHF 1'000.- : inconnu s’introduit par-dessus la balustrade du balcon dans l’appartement de la victime. Lorsqu’elle veut s’échapper, l’auteur lui saisit les bras par derrière et les maintient contre sa poitrine. Tentative de contrainte (sexuelle). Hématomes sur les bras, légère rougeur au cou, troubles du sommeil et angoisses ;

- CHF 1'500.- (indemnité civile : CHF 2'000.-) : lors d’un trajet nocturne en train, le premier auteur s’assied à côté de la victime et la caresse à plusieurs reprises sur les cuisses bien qu’elle repousse à chaque fois sa main. À sa descente du train, elle est suivie et abordée par le premier auteur. Elle lui dit de la laisser tranquille. Il la saisit, l’enlace et cherche à l’embrasser, mais la victime parvient à se libérer. Survient alors le second auteur qui l’enlace par derrière. La victime veut crier mais l’un d’entre eux lui tient la bouche fermée et l’autre lui arrache son sac puis tous les deux prennent la fuite. Brigandage, contrainte, harcèlement sexuel ;

- CHF 1'500.- (indemnité civile : CHF 2'000.-) : l’auteur s’introduit dans l’appartement de la victime, l’insulte et la terrorise en s’emparant d’un couteau de cuisine. Il se livre à des attouchements dans la zone vaginale et la frappe tandis qu’elle cherche à se défendre. Harcèlement sexuel, voies de fait. Douleurs au bras et à l’épaule en cas de pression. Prolongation de la situation pénible pour la victime en raison d’appels et de SMS subséquents de l’auteur ;

- CHF 2'000.- (indemnité civile : CHF 3'000.-) : victime âgée de 24 ans embrassée par des inconnus tandis que l’auteur lui introduit son doigt dans le vagin. Contrainte sexuelle. Intentions suicidaires et traitement hospitalier pendant trois mois. Prédisposition constitutionnelle (troubles psychiques graves) ;

- CHF 2'000.- (indemnité civile : CHF 3'000.-) : en tant que prostituée, la victime refuse un rapport non protégé. Tentative de viol, car la victime parvient à s’enfuir. Diverses contusions, éraflures et griffures. État anxieux accru, n’est plus en mesure d’exercer la prostitution ;

- CHF 2'000.- : contrainte sexuelle, tentative de viol de nuit, sur le chemin du retour de la victime. Celle-ci a pu s’enfuir. Traumatisme, psychothérapie ;

- CHF 2'000.- : l’auteur suit la victime de nuit jusqu’à l’entrée de son domicile. Tentative de viol, lésions corporelles simples. Enflure et hématomes sur le nez, le front et la tempe. Troubles psychiques ;

- CHF 2'000.- : l’auteur suit la victime de nuit jusqu’à l’entrée de son domicile. Tentative de viol, lésions corporelles simples. Enflure et hématomes sur le nez, le front et la tempe. Troubles psychiques ;

- CHF 2'500.- (indemnité civile : CHF 3'500.-) : actes répétés de contrainte sexuelle par un voisin (attouchements des seins, tentatives de fellation, pénétration des parties intimes avec les doigts, coups). Commotion cérébrale légère, douleurs, hématomes, troubles du sommeil, états anxieux, vie intime avec le partenaire problématique. Une nuit en hôpital, trois semaines de psychothérapie ;

- CHF 4'000.- (indemnité civile : CHF 8'000.-) : tentative de viol dans le propre logement de la victime et résistance opposée par celle-ci. Trouble de stress post-traumatique, psychothérapie pendant onze mois ;

- CHF 5'000.- (indemnité civile : CHF 5'000.-) : la victime, prostituée, convient d’un rapport oral et sexuel protégé. Malgré la résistance de la victime, le client la pénètre sans préservatif. Viol. Troubles du sommeil, retour d’images, peur d’exercer dans la rue. (Meret BAUMANN/Blanca ANABITARTE/Sandra MÜLLER GMÜNDER, La pratique en matière de réparation morale à titre d’aide aux victimes – Fixation des montants de la réparation morale selon la LAVI révisée, in Jusletter 8 juin 2015, p. 3 s, p. 9 ss et p. 30 s.).

g. En l'espèce, la recourante reproche à l'autorité intimée de s'être référée au guide et affirme que le montant alloué ne constituerait qu'un réconfort négligeable en pratique.

La référence au guide est conforme à la jurisprudence susmentionnée, ledit guide étant conforme à la volonté du législateur et permettant d'assurer une certaine égalité de traitement, et ceci même si ledit guide ne lie pas l'autorité intimée, ni d'ailleurs la chambre administrative. Celui-ci et la jurisprudence en la matière sont d'ailleurs en constante évolution. Il convient dès lors d'examiner le cas d'espèce.

L'autorité intimée a pris en compte le déroulement de l'acte, ses circonstances et la situation personnelle de la recourante : elle avait été victime d'une agression physique et sexuelle alors qu'elle exerçait son métier de prostituée ; l'auteur l'avait saisie par le cou, s'était mis à l'étrangler, l'avait maintenue à terre et avait profité de son immobilisation pour caresser son sexe, la recourante se voyant suffoquer et mourir. L’autorité intimée a également examiné les conséquences directes de l'acte : les séquelles physiques étaient de peu de gravité, mais au niveau psychologique, la recourante avait souffert d'un état de stress post-traumatique, sans discours dépressif, d'un trouble adaptatif avec anxiété, de troubles du sommeil, de troubles alimentaires et d'hypervigilance ; elle était angoissée et rencontrait des difficultés à verbaliser ce qu'elle avait vécu ; elle évitait de sortir seule et était apeurée lorsqu'elle croisait un groupe d'hommes dans la rue ; son état de santé psychique s'était amélioré selon l'attestation, mais elle continuait à présenter des épisodes
anxio-dépressifs et des comportements d'évitement persistants et continuait à être traitée au niveau médicamenteux et psychothérapeutique ; le suivi psychothérapeutique avait duré plus de deux ans.

En prenant en compte ces différents éléments, l'autorité intimée a correctement analysé l'ensemble des circonstances concrètes telles qu'elles ressortent du dossier. La recourante ne le conteste d'ailleurs pas, mais affirme que le montant d'indemnité fixé en fonction de ces circonstances est trop bas, ce que démontrerait le fait qu'il correspond au quart de ce qu'a retenu le Tribunal correctionnel, 2,8 % du montant maximal prévu par la LAVI et 30 % d'un salaire mensuel médian.

L'indemnité de CHF 8'000.- accordée par le jugement du Tribunal correctionnel, fixée en procédure simplifiée, apparaît élevée au regard des indemnités accordées sur le plan civil dans les affaires décrites précédemment et ne lie pas l'instance LAVI, de sorte que l'autorité intimée était fondée à accorder une indemnité inférieure à la pratique des deux tiers.

Néanmoins, au vu de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce, en particulier de l'agression subie par la recourante, qui a cru qu'elle allait mourir, des conséquences psychiques durables qui en ont découlé, lesquelles nécessitaient encore un suivi et un traitement médicamenteux en juin 2022, et de l'impact inévitable de celle-ci dans l'exercice de son activité professionnelle, notamment au niveau du sentiment de sécurité, l'autorité intimée ne pouvait se limiter à une indemnité correspondant au quart de l'indemnité allouée par le jugement pénal. Compte tenu de l'ensemble des circonstances et au regard de la pratique des instances LAVI dans les cas susmentionnés, il se justifie d'allouer à la recourante une indemnité de CHF 3'000.-.

Dans ces circonstances, le recours sera partiellement admis dans la mesure de sa recevabilité, la décision de l'autorité intimée sera annulée en tant qu'elle fixe l'indemnité pour tort moral à CHF 2'000.- et ladite indemnité sera fixée CHF 3'000.-.

6) Vu l'issue et la nature du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 30 al. 1 LAVI et 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à la recourante, à la charge de l'État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

admet partiellement, dans la mesure où il est recevable, le recours interjeté le 14 décembre 2022 par Madame A______ contre la décision de l'instance d'indemnisation LAVI du 10 novembre 2022 ;

annule la décision de l'instance d'indemnisation LAVI du 10 novembre 2022 en tant qu'elle fixe l'indemnité pour tort moral à CHF 2'000.- ;

fixe l'indemnité pour tort moral à CHF 3'000.- ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue à Madame A______ une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l'État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Olivier Peter, avocat de la recourante, à l'instance d'indemnisation LAVI ainsi qu’à l’office fédéral de la justice.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :