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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2009/2022

ATA/124/2023 du 07.02.2023 ( AIDSO ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2009/2022-AIDSO ATA/124/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 7 février 2023

1ère section

 

dans la cause

 

Madame A______

contre


SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES



EN FAIT

1) Madame A______, née le ______ 1969, a été bénéficiaire de l’aide de l’Hospice général (ci-après : l’hospice) entre le 1er juillet 2019 et le 31 juillet 2021, pour un montant de CHF 64'115.15. Elle est également au bénéfice d’une demi-rente AI depuis le 1er janvier 2016.

Le 31 octobre 2020, elle a déposé une demande de prestations fédérales complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité (ci-après : PCF) et de prestations cantonales complémentaires à ladite assurance (ci-après : PCC) auprès du service des prestations complémentaires (ci-après : SPC).

2) Par décision du 27 juillet 2021, le SPC lui a accordé tant les PCF que les PCC à partir du 1er juillet 2019.

Elle avait droit, rétroactivement, mensuellement, à des prestations de :

-                 CHF 1'437.- pour les PCF et CHF 536.- pour les PCC, du 1er juillet au 31 décembre 2019,

-                 CHF 1'439.- pour les PCF et CHF 536.- pour les PCC, du 1er janvier au 31 décembre 2020,

-                 CHF 1'443.- pour les PCF et CHF 540.- pour les PCC, du 1er janvier au 30 juin 2021,

-                 CHF 1'443.- pour les PCF et CHF 540.- pour les PCC, du 1er juillet au 30 juin 2021.

À compter du 1er août 2021, les PCF ont été fixées à CHF 2'049.- et les PCC à CHF 540.- par mois.

3) Le 13 juillet 2021, Mme A______ a formé une demande d’allocation régime, sur la base d’un certificat médical de la Dresse B______, selon laquelle sa patiente souffrait d’un surpoids et de troubles digestifs fonctionnels et que son état nécessitait un régime riche en fibres, à l’origine de frais supplémentaires.

Par courrier du 11 octobre 2021, le SPC a informé Mme A______ que son dossier était transmis pour avis à son expert, le Dr C______, son médecin traitant étant invité à remplir le formulaire joint.

4) Le 29 octobre 2021, le Dr C______ a retenu que le régime ne correspondait pas aux critères définis par les directives en matière de prestations complémentaires, l’allocation étant par conséquent refusée.

5) Par décision du 18 janvier 2022, le SPC a refusé la demande d’allocation-régime, la situation de Mme A______ ne remplissant pas les conditions de la législation en vigueur, à savoir que le régime alimentaire soit indispensable au maintien de la vie et entraine des dépenses supplémentaires par rapport à l’alimentation courante.

6) Par courrier du 9 février 2022, Mme A______ a formé opposition à l’encontre de cette décision. L’hospice lui avait accordé l’allocation régime, ce qu’elle documentait (à hauteur de CHF 175.- mensuels), son médecin avait fourni deux certificats médicaux, en février et juillet 2021, et le régime qu’elle suivait entrainait des dépenses supplémentaires.

7) Par décisions sur opposition du 4 mars 2022, l’une s’agissant des prestations complémentaires, l’autre des prestations d’aide sociale, le SPC a rejeté l’opposition formée à l’encontre de la décision du 18 janvier 2022.

Ce service n’était pas lié par la pratique de l’hospice en ce qui concernait l’allocation régime et avait rendu sa décision en se fondant sur l’avis de son expert, la législation applicable et la jurisprudence du Tribunal fédéral. Par ailleurs, les aliments riches en fibres qui devaient composer son régime, selon certificat médical, faisaient partie de l’alimentation courante qui se trouvait dans les commerces de détail. Ce type de régime pouvait donc être suivi sans augmentation du coût alimentaire.

8) Par acte du 31 mars 2022, Mme A______ a interjeté recours devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre des assurances) contre la décision sur opposition. Elle a conclu à son annulation et à ce qu’il soit ordonné au SPC de prendre en charge tous les frais supplémentaires liés à son régime alimentaire particulier.

Les aliments spécifiques devaient être achetés dans des commerces spéciaux et diététiques et engendraient des frais supplémentaires. Seul ce régime alimentaire lui permettait d’avoir un transit normal et donc un état de santé acceptable. Il s’agissait pour elle d’une question de survie.

Le Dr C______ avait seulement coché une case sans expliquer son point de vue, ce qui n’était pas propre à prouver que son régime alimentaire ne correspondait pas aux critères de la loi. Elle demandait donc une expertise neutre.

9) Dans sa réponse du 27 avril 2022, le SPC a conclu au rejet du recours et à ce que la chambre des assurances se déclare incompétente rationae materiae et transmette le recours à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative).

10) Par arrêt du 19 avril 2022, la chambre des assurances s’est déclarée incompétente à raison de la matière pour connaitre du recours et a transmis le dossier de la cause à la chambre administrative.

11) Par réponse du 13 juillet 2022, le SPC a conclu au rejet du recours.

Les arguments soulevés par la recourante n’étaient pas susceptibles de le conduire à une appréciation différente du cas. Selon le site des Hôpitaux universitaires de Genève, les fibres se trouvaient notamment dans les aliments qu’il listait et qui pouvaient aisément être trouvés dans le commerce de détail.

12) La recourante n’a pas fait usage de son droit à la réplique dans le délai accordé à cet effet.

13) Par courrier du 25 août 2022, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile et transmis à la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 52 de la loi sur l’insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 - LIASI - J 4 04) ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur l’octroi d’une allocation régime en faveur de la recourante.

3) Selon l'art. 12 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), quiconque est dans une situation de détresse et n'est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d'être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine (ATF 135 I 119 consid. 5 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_56/2012 du 11 décembre 2012 consid. 1.1).

L’aide sociale est soumise au principe de subsidiarité, rappelé par l’art. 12 Cst. (ATA/343/2014 du 13 mai 2014 ; ATA/452/2012 du 30 juillet 2012 ; Félix WOLFFERS, Fondement du droit de l’aide sociale, 1995, p. 77).

4) a. Dans le canton de Genève, l'art. 12 Cst. a trouvé une concrétisation dans la LIASI, dont le but est de prévenir l’exclusion sociale et d’aider les personnes qui en souffrent à se réinsérer dans un environnement social et professionnel (art. 1 al. 1 LIASI), ainsi que de soutenir les efforts des bénéficiaires de la loi à se réinsérer sur le marché du travail et dans la vie sociale en général. Elle a également pour objectif de garantir à ceux qui se trouvent dans la détresse matérielle et morale des conditions d’existence conformes à la dignité humaine (art. 1 al. 2 LIASI). Ses prestations sont fournies sous forme d’accompagnement social, de prestations financières et d’insertion professionnelle (art. 2 LIASI).

b. Les prestations d’aide financière sont subsidiaires à toute autre source de revenu (art. 9 al. 1 LIASI). Le bénéficiaire doit faire valoir sans délai ses droits auxquels l’aide financière est subsidiaire et doit mettre tout en œuvre pour améliorer sa situation sociale et financière (art. 9 al. 2 LIASI).

c. L'hospice est l'organe d'exécution de la LIASI (art. 3 al. 1 LIASI).

Le SPC gère et verse les prestations d'aide sociale pour les personnes au bénéfice d'une rente de l'assurance-invalidité, au sens de la loi fédérale sur l'assurance-invalidité du 19 juin 1959 (art. 3 al. 2 let. b LIASI ; art. 22 du règlement d'exécution de la loi sur l'insertion et l'aide sociale individuelle du 25 juillet 2007 - RIASI - J 4 04.01).

5) a. La personne majeure qui n’est pas en mesure de subvenir à son entretien ou à celui des membres de la famille dont il a la charge, a droit à des prestations d’aide financière (art. 8 al. 1 LIASI).

b. Ont droit aux prestations d'aide financière les personnes dont le revenu mensuel déterminant n'atteint pas le montant destiné à la couverture des besoins de base et dont la fortune ne dépasse pas les limites fixées par règlement du Conseil d'État (art. 21 al. 1 LIASI).

Selon l’art. 21 al. 2 LIASI, font partie des besoins de base : le forfait pour l’entretien fixé par le Conseil d’État (let. a), le loyer ainsi que les charges (let. b), la prime d’assurance maladie obligatoire des soins, mais au maximum le montant correspondant à la prime moyenne cantonale fixée par le département fédéral de l'intérieur, sous réserve des exceptions temporaires prévues par règlement du Conseil d'État pour les nouvelles personnes présentant une demande d'aide sociale et dont la prime d'assurance-maladie obligatoire dépasse la prime moyenne cantonale (let. c) et les prestations circonstancielles destinées à prendre en charge d'autres frais, définies par règlement du Conseil d'État (let. d).

Le Conseil d'État définit par règlement les suppléments d'intégration pris en compte, en dérogation à l'art. 25 al. 1, let. a LIASI, dans le calcul du droit aux prestations d'aide financière. Il en fixe les montants et les conditions d'octroi (art. 21 al. 3 LIASI).

c. Selon l’art. 25 LIASI, peuvent être accordées aux personnes qui, en application des art. 21 à 24 LIASI, ont droit à des prestations d'aide financière, les suppléments d'intégration à titre de prestations à caractère incitatif (let. a) et les autres prestations circonstancielles (let. b). Le Conseil d'État définit par règlement ces prestations et fixe leurs conditions d'octroi.

6) Le RIASI précise ces différentes notions.

a. L’art. 2 RIASI définit le forfait mensuel pour entretien de l’art. 21 al. 2 let. a LIASI.

La prestation mensuelle de base s'élève, pour une personne, à CHF 977.-. Ce montant est multiplié par 1,53 s’il s’agit de deux personnes (al. 1 let. a). L’al. 2 liste les besoins que couvre la prestation de base, soit notamment, l’alimentation (let. a), l’habillement (let. b), la consommation d’énergie, sans les charges locatives (let. c), les frais de santé (tels que médicaments achetés sans ordonnance), sans franchise ni quote-part (let. f), la communication (let. h).

b. L’art. 5 RIASI traite des prestations circonstancielles de l’art. 21 al. 2 let. d LIASI, destinées à prendre en charge les frais indispensables et dûment établis, pour autant que ces frais concernent des prestations de tiers reçues durant une période d’aide financière au sens de l’art. 28 LIASI (let. a) et que la facture du prestataire ou le décompte de l’assureur relatif à ces frais soit présentée au remboursement dans le délai de trois mois à compter de la date à laquelle ils sont établis (let. b).

L’allocation de régime commandée par une affection médicale est l’une desdites prestations. Elle est traitée par l’al. 2 — dans une teneur modifiée et précisée le 10 février 2021, entrée en vigueur le 1er août 2021 —, lequel mentionne qu’une allocation de CHF 175.- par mois au maximum est accordée en cas de régime alimentaire particulier prescrit médicalement et générant des frais supplémentaires. Les régimes alimentaires pauvres en lactose, riches en protéines et en énergie, sans gluten et les régimes riches en fibres sont pris en compte.

Selon l’al. 3, les régimes tels que ceux liés au diabète, aux maladies cardiovasculaires et à l’obésité, qui nécessitent une alimentation particulière basée sur des aliments courants, n’entrainent pas de surcoût alimentaire et ne sont pas pris en compte pour l’octroi d’une allocation pour frais de régime.

7) La recourante conclut à l’octroi de la prestation circonstancielle relative aux frais liés au régime riche en fibres, en lien avec le surpoids et les troubles digestifs fonctionnels dont elle est atteinte.

Elle a produit des certificats médicaux de son médecin traitant, qui attestent du fait qu’elle souffre d’un surpoids et de troubles digestifs fonctionnels, et de ce fait, nécessite un régime riche en fibres.

Au regard de ce certificat, ce régime alimentaire particulier lui est prescrit par son médecin non pas seulement en raison de son surpoids, mais également de ses troubles digestifs fonctionnels. De ce fait, il entre dans la liste restrictive de l’art. 5 al. 2 RIASI.

Les conditions précitées sont donc réalisées.

Le grief est fondé et le recours sera partiellement admis. La cause sera renvoyée à l’intimé pour complément d’instruction.

Il appartiendra à la recourante de démontrer par pièces que ce régime alimentaire lui génère effectivement des frais supplémentaires et à hauteur de quel montant, en vertu de son devoir de collaboration.

8) En matière d'assistance sociale, aucun émolument ne sera perçu, la procédure étant gratuite pour la recourante (art. 87 al. 1 LPA et 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée, dès lors qu'elle n'est pas représentée par un mandataire professionnel (art. 87 al.  2 LIASI).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 30 mars 2022 par Madame A______ contre la décision du service des prestations complémentaires du 4 mars 2022 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule la décision sur opposition du service des prestations complémentaires du 4 mars 2022 ;

renvoie la cause au service des prestations complémentaires pour instruction et nouvelle décision au sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Madame A______ ainsi qu'au service des prestations complémentaires.

Siégeant : Mme Lauber, présidente, M. Mascotto, Mme Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

V. Lauber

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :