Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/3668/2022

ATA/96/2023 du 31.01.2023 ( PROF ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3668/2022-PROF ATA/96/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 31 janvier 2023

 

dans la cause

 

Madame A______ recourante

contre

COMMISSION DU BARREAU intimée



EN FAIT

A.           Madame A______, née le ______1962, est titulaire du brevet d’avocat.

B.            Par décision du 27 octobre 2022, dans les causes CB/1______/2022, CB/2______/2022 et CB/3______/2022, le bureau de la Commission du barreau (ci-après : CBA) a interdit temporairement à Mme A______ de pratiquer la profession d’avocate, à compter du jour-même, dit que cette interdiction était exécutoire nonobstant recours, que la CBA en serait informée, que la mesure prise serait soumise à la séance plénière du 14 novembre 2022 et imparti à Mme A______ un délai au 7 novembre 2022 pour lui soumettre d’éventuelles observations visant à « rapporter » la mesure d’interdiction.

 

Par courrier du 30 juin 2022, le président du Tribunal pénal (ci-après : TPEN) avait dénoncé Mme A______ à la CBA pour divers faits susceptibles de constituer des violations des règles professionnelles en raison d’un potentiel problème de santé.

 

Lors d’une audience qui s’était tenue le 19 janvier 2022, la présidente du Tribunal de police (ci-après : TP) avait constaté que, nommée d’office à la défense d’un prévenu, Mme A______ s’était montrée inadéquate et brouillon, ne maîtrisant ni la procédure ni le dossier. Il lui avait notamment été difficile de déterminer si elle entendait représenter son client absent, ne comprenant pas les conséquences procédurales liées à une telle absence, de telle sorte que la présidente avait dû lui rappeler les différents cas de figure. Elle avait ensuite perdu ses moyens en début de plaidoirie, fouillant désespérément dans ses documents, de sorte que la présidente avait dû suspendre l’audience pour lui laisser reprendre ses esprits. À son issue, l’avocate lui avait demandé des explications sur un arrêt du Tribunal fédéral, qu’elle disait ne pas avoir bien compris, alors même qu’elle s’y était référée lors de sa plaidoirie. Bien qu’à l’évidence très stressée, Mme A______ était demeurée polie et courtoise.

 

À l’occasion d’une autre audience devant le TP le 3 mars 2022, elle s’était montrée inadéquate, ne terminant pas ses phrases, faisant des mimiques étranges, de sorte que les participants en avaient été gênés. Elle avait conclu à titre préjudiciel à ce que le TP explicite au prévenu les faits reprochés selon l’ordonnance pénale valant acte d’accusation.

 

Toujours devant le TP, le 15 mars 2022, elle s’était montrée brouillon, répétant parfois les questions de la présidente. À l’issue de l’audience, elle était restée dans la salle, s’était approchée de la greffière et de la présidente, et lancée dans un monologue selon lequel elle n’avait plus confiance en la justice qui ne faisait rien alors qu’elle était depuis des années victime d’une usurpation d’identité.

 

Dans le cadre d’une procédure jugée devant le Tribunal correctionnel les 14 et 15 juin 2022, son attitude et ses interventions avaient été problématiques, alors qu’elle assurait la défense d’office d’un des quatre prévenus. Elle avait notamment demandé le retrait de la procédure de toutes les pièces qui comportaient l’alias de son client ou le casier judiciaire autrichien de celui-ci qu’elle ne comprenait pas. Elle était revenue à plusieurs reprises, en des termes inintelligibles, sur cette problématique d’alias en produisant, en cours d’audience, le Guide pratique du Conseil de l’Europe en lien avec le traitement automatisé des données personnelles. Elle avait plaidé le traité de droit civil de Monsieur B______ pour expliquer qu’elle ne comprenait rien aux faits reprochés à son client, alors que le brigandage en cause avait été filmé et que l’acte d’accusation était complet et précis. Elle s’était offusquée de ne pas pouvoir poser des questions à son client, alors que ce n’était pas son tour. Elle avait voulu poser des questions aux autres prévenus et les confronter, alors que leur audition venait d’être effectuée. Elle avait semblé ne pas comprendre les enjeux (« moi j’y comprends rien, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise »). Elle n’avait cessé de poser des questions saugrenues sur des faits filmés et reconnus par son client. Un autre prévenu lui avait demandé d’arrêter de compliquer les choses, dès lors que les faits étaient reconnus, son client lui-même lui ayant demandé de se taire à plusieurs reprises. Elle n’était pas prête pour l’audience et s’était perdue dans ses notes. Elle n’avait pas été en mesure de poser des questions intelligibles, était totalement confuse et avait posé à plusieurs reprises les mêmes questions. Elle ne s’était pas présentée à la reprise des débats après une pause. Il avait fallu lui téléphoner pour qu’elle revienne. Elle avait perturbé le déroulement de l’audience et la sérénité des débats en interrompant la présidente, les prévenus et en parlant à ses consœurs. Elle avait interrompu les intervenants et refusé de se taire malgré les demandes de la présidente qui avait dû la menacer de l’exclure de la salle. Elle avait alors répondu qu’elle n’était pas payée pour obéir. Elle avait plaidé contre le dossier, notamment l’acquittement pour des faits que son client avait reconnus. La présidente avait dû intervenir durant la plaidoirie pour qu’elle plaide les intérêts de son client et non ceux des autres prévenus ou pour qu’elle reprenne sa plaidoirie après de longs « blancs ». La présidente avait dû dicter ses conclusions pour qu’elles soient, plus ou moins, intelligibles. Elle avait laissé son téléphone sonner durant la motivation orale.

 

Le Ministère public (ci-après : MP) avait, le 19 octobre 2022, informé la CBA de faits nouveaux tels que rapportés par trois procureurs.

 

Le 8 septembre 2022, alors que Mme A______ figurait sur la liste des avocats de permanence de la première heure, elle avait été nommée d’office. Lors d’une audience subséquente du 15 septembre 2022 au MP, le prévenu, placé en détention, avait d’emblée indiqué qu’il ne souhaitait pas être défendu par celle-ci, dans la mesure où il n’avait pas confiance en elle au vu de ce qui s’était passé la veille lors de la visite à la prison. Sans l’accabler, il avait expliqué qu’il avait été particulièrement choqué par les propos qu’elle avait tenus. Elle ne lui avait pas expliqué ce qu’il encourait ni ne lui avait donné les indications nécessaires pour qu’il puisse se défendre correctement. Lors de l’audience, le procureur avait constaté qu’elle tenait des propos incompréhensibles, voire incohérents, répétant en boucle le principe de la confiance du Code civil et citant B______ avec lequel elle disait avoir travaillé.

 

Dans le cadre d’une autre procédure où elle avait représenté un prévenu lors de la première audience au Vieil Hôtel de police, le procureur de permanence avait dû la remettre à l’ordre, car elle faisait état de ses procédures personnelles en tant que prévenue et d’une usurpation d’identité dont elle aurait été victime, en lieu et place de défendre les intérêts de son client. Elle avait transmis à la procureure en charge du dossier, le 4 juillet 2022, par e-fax, une capture d’écran du site de l’État de Genève portant sur les plans des Hôpitaux universitaires de Genève en 1907 (ci-après : HUG). Elle avait indiqué « je connais bien les HUG ». Si son client y avait séjourné pendant quelques jours, la procureure n’avait pas compris le but de cet envoi. Toujours par la même voie, le même jour, elle avait joint des pièces dont certaines étaient nommées de manière farfelue. Après une audience le 4 juillet 2022, elle avait remis à la procureure ses notes personnelles prises lors de son entretien avec son client à la prison. Durant la procédure, elle avait pris très à cœur de démontrer la réelle identité de son client, ce qui faisait écho à l’usurpation d’identité dont elle s’estimait victime. La procureure avait établi une note au dossier à cette occasion. Lors de cette audience encore, après signature du procès-verbal, elle avait indiqué qu’elle savait que cette procureure était en charge de la procédure « Mancy » et lui avait conseillé des lectures. Quelques heures plus tard, elle avait adressé un e-fax à l’adresse générique du MP, avec une mention en entête « hors dossier », dans lequel figuraient les titres de trois ouvrages recommandés. À la fin d’une audience le 5 juillet 2022, après signature du procès-verbal et le départ de son client, elle avait refusé, malgré les demandes de la procureure, de quitter son bureau, essayant de lui parler de procédures pénales qui la concernaient personnellement. Elle avait insisté en s’accrochant au chambranle de la porte. La procureure avait réussi, avec l’aide de sa greffière, à la conduire devant l’ascenseur, où elle avait encore dû lui dire qu’elle allait appeler la sécurité afin qu’elle accepte de laisser ses portes se fermer.

 

Ces comportements et propos en audience, tels qu’ainsi rapportés par plusieurs magistrats, paraissaient prima facie établis, avec un degré de vraisemblance suffisant, nonobstant ses dénégations. Les comportements dénoncés étaient d’une grande gravité, à l’égard des autorités, de l’administration de la justice, mais aussi des clients faisant l’objet de procédures pénales et donc particulièrement dépendants de leur conseil pour faire valoir leurs moyens de défense. Ces violations étaient d’autant plus graves qu’elles n’étaient pas limitées à une audience isolée, mais s’étaient répétées dans plusieurs procédures distinctes. Au vu du temps écoulé entre chacune des audiences en cause, il y avait tout lieu de redouter que ces manquements et dérives puissent se reproduire dans d’autres procédures pendantes ou à venir.

La CBA avait pu constater par elle-même, tant lors des audiences de comparution personnelle que dans les déterminations écrites de Mme A______, que celle-ci ne cessait de mélanger l’objet des trois procédures pendantes devant la CBA avec sa problématique d’alias et son litige avec sa belle-sœur. Cette confusion des sujets était d’autant plus dangereuse et inacceptable lorsqu’elle se produisait en audience, dans des procédures judiciaires, au préjudice des intérêts de justiciables dont l’avocate était censée assurer la défense. Il était manifeste qu’elle n’avait en l’état ni la distance ni la sérénité nécessaires pour lui permettre d’assurer sa mission et ses devoirs d’avocate.

Un suppléant lui serait nommé par décision séparée. Il en serait de même s’agissant d’ordonner une expertise psychiatrique, ce après que Mme A______ se serait prononcée sur le projet de mission et le choix de l’expert.

C.           La procédure devant la CBA avant la prise de cette décision s’est déroulée comme suit :

a. Après la première dénonciation de la présidence du TPEN du 30 juin 2022, la CBA a informé Mme A______, le 5 juillet 2022, de l’ouverture d’une procédure disciplinaire à son encontre et l’a convoquée à une audience de comparution personnelle devant son bureau, fixée au 19 juillet 2022. Par courriel du 12 juillet 2022, Mme A______ s’est brièvement déterminée sur les faits dénoncés par le TPEN, contestant avoir commis quelque faute professionnelle que ce soit durant les quatre audiences en question. Elle a demandé à la CBA de se saisir d’un problème personnel, à résoudre à titre préalable, à savoir l’utilisation abusive que ferait l’ex-épouse de son frère de son nom de famille. Elle a complété sa détermination par quatre courriels des 13 et 14 juillet 2022 en indiquant notamment « Comprenne qui pourra, je n’ai pas le moindre doute au sujet de mon identité. La présidente de la Cour de justice civile pourra, je l’espère, confirmer la justesse de mon raisonnement à ce sujet » et en fournissant d’autres détails sur cette problématique d’alias.

b. Lors de son audition le 19 juillet 2022 par le bureau de la CBA, elle a derechef soulevé cette même problématique et a demandé à la CBA de faire injonction à sa belle-sœur de ne plus utiliser le nom de « L. A______ ». S’agissant des faits dénoncés, elle a contesté avoir commis quelconque faute professionnelle. Elle avait donné toute satisfaction à ses clients et défendu avec succès leurs intérêts. Elle a concédé que son téléphone avait sonné durant une audience et qu’elle était arrivée en retard à la reprise d’une autre, après avoir été appelée par le greffe. Elle a admis être affectée par une situation de stress, due à une surcharge de travail, qu’elle estimait toutefois sans préjudice pour l’exercice de sa profession. Elle a ajouté « je veux bien une expertise psychiatrique si je manque de discernement, je m’excuse de mon indiscipline ». Par courriels du même jour puis du 21 juillet 2022, elle est revenue principalement sur la problématique d’alias en produisant des pièces sans relation avec les faits dénoncés par le TPEN. Elle contestait à nouveau toute faute professionnelle lors des quatre audiences visées par la dénonciation.

c. Par courrier du 22 juillet 2022, la CBA l’a informée, qu’indépendamment de la procédure disciplinaire, une procédure séparée était ouverte (CB/2______/2022) en vue de l’examen de la réalisation de ses conditions d’inscription au registre cantonal sous l’angle de l’art. 8 de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA - RS 935.61).

d. Par courrier du 12 août 2022, accompagné de 17 pièces, un conseil s’est constitué à la défense de ses intérêts dans les procédures CB/1______/2022 et CB/2______/2022. Mme A______ contestait le bien-fondé des reproches formulés par le TPEN. Elle avait au contraire donné toute satisfaction à ses clients. Elle demandait instamment à la CBA de renoncer à toute mesure provisoire à son encontre et de classer la procédure disciplinaire au fond sans aucune sanction.

Lors de l’audience du 19 janvier 2022, elle s’était trouvée dans la situation délicate d’une avocate dont le prévenu refusait ses services. Elle avait rencontré des difficultés objectives au plan des faits et de l’application du droit, dans la problématique spécifique de la jurisprudence relative à l’art. 115 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20). Elle avait agi le mieux possible et de manière consciencieuse.

L’audience du 3 mars 2022 s’était tenue dans le cadre d’une procédure longue et difficile qui avait duré 6 ans. Le comportement qui lui avait été attribué de manière blessante manquait de précision factuelle. Elle avait obtenu l’acquittement du prévenu et s’était vu accorder une indemnité d’assistance judiciaire pour environ 55 heures de travail. La reconnaissance exprimée par son mandant démontrait qu’elle exerçait sa profession avec des convictions de vérité et d’humanité rarement constatées.

Lors de l’audience du 15 mars 2022, elle avait obtenu une réduction de la condamnation de son mandant s’agissant du délai d’épreuve et de l’amende prononcée à titre de sanction immédiate. Elle avait agi de manière pertinente et obtenu un bon résultat. Elle contestait catégoriquement avoir évoqué un complot à son encontre dans l’apparté hors procédure qu’elle avait eu après l’audience avec la présidente et la greffière. Son client, dans une déclaration jointe en annexe, se souvenait même avoir entendu la présidente déclarer que si tous les avocats travaillaient comme la sienne, elle aurait moins de travail.

Dans le cadre de l’audience s’étant tenue les 14 et 15 juin 2022, elle avait mis en doute notamment un casier judiciaire autrichien attribué à son client. Il n’y avait aucune déraison à prendre des conclusions susceptibles d’atténuer les antécédents de son client ni à faire référence aux principes généraux du droit en matière de preuve et de précision des faits. En contestant que la vidéo puisse être admise comme preuve à charge, elle avait développé une argumentation très classique et déjà avancée devant le MP. Elle avait effectivement contesté la vidéo, soit un reflet dans une vitre, qui ne démontrait aucune action quelconque de son client, sans toutefois réussir à ébranler une présidente bien installée dans ses certitudes. Elle avait tenté en vain, mais sans insister de manière disproportionnée, d’obtenir que la présidente confronte les prévenus de manière simultanée sur certaines questions de fait. La présidente n’avait pas compris l’enjeu de certaines de ses déclarations. Dans le but que soit écartée la notion de bande, elle avait posé des questions qui avaient contrarié la présidente, bien décidée à retenir cette circonstance. Elle avait insisté auprès de son client à propos des lunettes cassées du plaignant pour écarter un geste de violence en relation avec l’accusation de brigandage. Ses questions avaient pour but de démontrer que son client était sorti de voiture sans aucun plan ni intention de commettre une infraction. Son client lui avait certes demandé de cesser ces questions. Il avait toutefois attesté dans un écrit du 14 juillet 2022 qu’il jurait ne pas avoir cassé les lunettes « c’est pas Me A______ qui a fait des problèmes et qui ment ». Il était évident que cette audience s’était déroulée de manière chaotique et confuse et que la présidente n’était pas parvenue à obtenir calme et sérénité. Ses interventions n’étaient nullement la cause de cette situation mais bien le comportement d’un autre prévenu, ce qui ressortait du procès-verbal. Son retard de 5 minutes à la reprise d’audience et l’omission d’éteindre son téléphone portable, incident qui n’avait duré que quelques secondes, étaient regrettables et elle s’en excusait. Il était toutefois peu pertinent dans le contexte de la dénonciation du 30 juin 2022. Dans ce dossier, son client avait été condamné à une peine privative de liberté de 16 mois et à une expulsion pendant 5 ans, alors que le MP requérait une peine de 30 mois.

Faisant référence à un jugement du TP du 8 juillet 2022, elle avait obtenu l’acquittement de sa cliente au terme d’une procédure ayant duré plusieurs années. Avant l’audience devant le TP, sa cliente avait déjà bénéficié d’une ordonnance de classement pour d’autres faits graves.

Dans son travail d’assistance et de représentation des justiciables, elle obtenait donc de manière régulière de bons résultats et ses clients étaient très satisfaits de ses services, preuve en étant d’ailleurs qu’aucune plainte de l’un d’eux n’avait été formulée à son encontre. Une interdiction d’exercer, fût-elle provisoire, porterait manifestement une atteinte grave aux intérêts des personnes qu’elle assistait.

Elle peinait à comprendre pourquoi la CBA avait décidé d’instruire deux dossiers séparés concernant une instruction disciplinaire (CB/1______/2022) et des mesures provisoires urgentes (CB/2______/2022). La dénonciation du président du TPEN du 30 juin 2022 portait en réalité sur un prétendu soupçon de maladie mentale.

Le procès-verbal du 19 juillet 2022 reproduisait des échanges très tendus avec le président de la CBA. Il ne mentionnait aucune des interventions de Monsieur C______ qui s’était notamment inquiété de l’évidente nécessité qu’elle soit assistée d’un avocat. La validité de ce procès-verbal était mise en cause, dans la mesure où elle y avait comparu sans l’assistance d’un avocat et n’avait ni relu ni signé ce document.

Son conseil lui avait recommandé de ne pas invoquer à l’avenir son affaire personnelle dans des procédures dans lesquelles elle assistait et représentait des tiers s’agissant de l’usage de son nom de famille par sa belle-sœur, ce qu’elle avait accepté.

Elle contestait catégoriquement être atteinte dans sa santé mentale, mais vivait une situation de stress due à sa charge de travail, sans préjudice toutefois pour ses obligations professionnelles. La dénonciation du TPEN et l’audience du 19 juillet 2022 avaient accentué son stress, l’incitant à consulter une psychiatre le 9 août 2022. Elle avait un rendez-vous avec le Docteur D______ le 29 août 2022 en vue d’une expertise psychiatrique.

e. Le 19 août 2022, la CBA s’est adressée au conseil de Mme A______ pour l’inviter à produire un rapport médical circonstancié, établi par sa thérapeute, attestant de sa capacité de travail, de son aptitude mentale et psychique à exercer la profession d’avocat. Elle était aussi invitée à verser à la procédure le rapport d’expertise psychiatrique une fois établi.

f. Le 31 août 2022, Mme A______, par son conseil, a contesté la compétence de la CBA pour prononcer des mesures urgentes fondées sur les art. 43 et 44 de la loi sur la profession d’avocat du 26 avril 2002 (LPAv - E 6 10), en l’absence de faute professionnelle, ainsi que pour examiner les conditions d’inscription au registre cantonal sous l’angle de l’art. 8 al. 1 let. a LLCA, dans la mesure où elle avait l’exercice des droits civils. Sa thérapeute refusait de délivrer un certificat médical alors qu’une expertise indépendante était en cours.

g. Lors d’une seconde audience le 20 septembre 2022, dans la cause CB/2______/2022, Mme A______ a à nouveau contesté la compétence de la CBA pour examiner les conditions de son inscription au registre cantonal. Elle n’avait aucun doute sur sa santé mentale, ne produirait ni certificat médical de sa thérapeute ni expertise par le Dr D______. Cette démarche n’était ni utile ni opportune. Elle avait cessé les consultations avec ces deux médecins. Son état de stress était dû aux procédures en cours devant la CBA. Elle envisageait donc de consulter un psychologue.

h. Mme A______ ne s’est pas conformée à l’injonction de la CBA du 27 septembre 2022 de produire un certificat attestant de son aptitude à exercer la profession d’avocat dans le délai fixé au 17 octobre 2022, pour les raisons invoquées via son conseil dans un courrier du 17 octobre 2022.

i. Par courrier du 14 octobre 2022, les trois magistrates du TPEN à la base de la dénonciation du 30 juin 2022 l’ont confirmée et y ont ajouté quelques précisions. Ce complément a été adressé au conseil de Mme A______ le 20 octobre 2022.

j. Dans un courrier daté du 19 octobre 2022 mais reçu le 24 octobre suivant, le MP a informé la CBA de faits nouveaux rapportés par trois procureurs, tels que mentionnés dans la décision querellée. Cette dénonciation a donné lieu à l’ouverture du dossier n° CB/3______/2022 et a été communiquée au conseil de Mme A______ par courriel le jour même de sa réception.

k. Mme A______ y a réagi par un courrier et neuf courriels adressés à la CBA le 25 octobre 2022. Elle s’y est principalement plainte de ce que la CBA ne s’était jamais préoccupée de sa problématique d’alias. Elle a partiellement contesté les faits rapportés par les trois procureurs, de même que la compétence des autorités genevoises, au motif que sa problématique d’alias relevait du droit fédéral et donc de la compétence exclusive du MP de la Confédération.

l. Le 7 novembre 2022, Mme A______ a adressé à la CBA un courrier à l’en-tête de son étude.

Les organes de l’État devaient appliquer la loi et le principe de la bonne foi et il leur était interdit de se comporter de manière arbitraire. L’interdiction temporaire de pratiquer la profession d’avocat à compter du 27 octobre 2022 avait été prise 2 jours après l’envoi de son courriel du 25 octobre précédent. Mme A______ y abordait ensuite, de manière confuse, les reproches des procureurs, la manière dont la CBA avait mené la procédure et la procédure d’alias la concernant.

Elle a conclu à ce que « la décision du 27 octobre 2022 soit rapportée, ainsi qu’à l’audition des procureurs E______, F______ et G______ (art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst - RS 101). Je n’ai en effet pas pu exercer mon droit d’être entendue en lien avec la dénonciation du procureur E______ ».

m. Le 9 novembre 2022, le conseil de Mme A______ a fait savoir à la CBA qu’il n’avait pas d’observations à formuler à l’attention de son plenum, dans la mesure où sa cliente l’avait déjà fait le 7 novembre 2022.

D.                a. Mme A______ a, par l’intermédiaire de son conseil, formé recours contre la décision de la CBA du 27 octobre 2022 par acte expédié le 7 novembre 2022 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), concluant préalablement à la restitution de l’effet suspensif et au fond à l’annulation de ladite décision.

 

Les faits relatés dans cette décision étaient en partie inexacts et lacunaires. Elle avait exposé dans son écriture du 12 août 2022 à la CBA, accompagnée d’un bordereau de 17 pièces, les raisons pour lesquelles aucune violation des règles professionnelles ne pouvait lui être reprochée. Cette écriture commentait sur la base des procès-verbaux, des jugements et des attestations de prévenus, les raisons pour lesquelles aucune violation des règles professionnelles ne pouvait lui être reprochée. Elle y critiquait aussi le fait que la CBA avait décidé d’instruire l’affaire en deux dossiers séparés. Elle avait accepté la recommandation de son conseil de ne plus évoquer à l’avenir son affaire personnelle dans les procédures où elle assistait et représentait des tiers. La CBA avait par deux fois violé son droit d’être entendue, sous prétexte d’une prétendue urgence. Elle avait ainsi été entendue sans avocat le 19 juillet 2022, malgré sa demande insistante, et ce dernier n’avait pas été invité à se déterminer après réception du courrier du MP du 19 octobre 2022 faisant état de nouveaux griefs à son encontre.

 

Une interdiction professionnelle dictée par des raisons de santé était de la compétence exclusive de l’autorité de protection de l’adulte. Ainsi, la CBA n’était pas compétente pour décréter une interdiction temporaire fondée sur la mauvaise santé psychique uniquement. Une telle interdiction, qui n’intervenait que pour des manquements particulièrement graves, impliquait que l’avocat n’ait « momentanément plus les dispositions psychologiques nécessaires pour gérer une étude d’avocat indépendant ». Or, elle contestait catégoriquement avoir manqué au soin et à la diligence lui incombant dans les cas évoqués par la CBA. Il n’y avait pas eu l’ombre d’une mise en danger de ses clients et elle était resté courtoise dans ses échanges avec les magistrats.

 

Il était admis qu’elle connaissait une situation de stress à la suite d’un drame familial et de procédures judiciaires consécutives. D’aucune manière une incapacité de travail n’était établie pour des raisons de santé.

 

Il n’y avait aucune urgence à lui interdire de travailler comme avocate. Elle avait d’elle-même réduit son activité. Aucune mise en danger des intérêts de ses clients ne pouvait être concrètement invoquée. À l’inverse, une interdiction de pratiquer mettait en jeu tout son avenir professionnel. Il existait donc un préjudice grave et irrémédiable, au plan personnel comme économique, en cas de maintien de la décision de la CBA.

b. La CBA a informé la chambre administrative, le 16 novembre 2022, qu’elle avait, à sa séance plénière du 14 novembre 2022, décidé de ne pas rapporter l’interdiction temporaire d’exercer prononcée par son bureau. Les motifs invoqués à l’appui de sa décision étaient toujours valables, notamment au vu des dernières déterminations de Mme A______ à la CBA du 7 novembre 2022 précitées.

Pour ces mêmes motifs, la CBA s’opposait à la restitution de l’effet suspensif.

c. Le 21 novembre 2022, la chambre administrative a renvoyé au conseil de Mme A______ une carte de compliment et des pièces que cette dernière avait déposées au guichet le 17 novembre 2022, dans la mesure où elles semblaient n’avoir aucun lien avec la procédure en cours.

d. Le conseil de Mme A______ a informé la chambre administrative, le 1er décembre 2022, qu’il cessait d’occuper.

e. Mme A______ a adressé un courrier à la chambre de céans dans le délai imparti au 2 décembre 2022 pour éventuellement répliquer sur sa demande de restitution de l’effet suspensif.

Elle y listait le contenu des pièces déposées le 17 novembre 2022 au greffe, de même que le 12 juillet 2022 en annexe à un courriel adressé à la CBA pour conclure que « Les documents que j’ai déposés à votre attention établissent tous que les pouvoirs exécutif et judiciaire usurpent les données d’état civil au sens de l’art. 39 al. 1 CC (registre informatisé) et cela ressort des deux rapports de police annexés, le rapport du 20 août 2021 faisant usage des données de mon passeport biométrique [ ] ». Les explications données par la chambre administrative pour lui retourner sa carte de compliment et les documents déposés le 17 novembre 2022 n’étaient pas du tout convaincantes, puisque lesdits documents avaient un lien avec la procédure P/13647/2020 qui avait, entre-temps, fait l’objet de quatre recours pendants devant le Tribunal fédéral. Elle poursuivait longuement sur la problématique d’usurpation d’identité. Les trois affaires devant la CBA concernaient des « manœuvres » en lien avec cette procédure.

La chambre administrative devait statuer d’office sur la question de sa compétence, raison pour laquelle elle avait arbitrairement renvoyé à son conseil les documents déposés le 17 novembre 2022. L’avance de frais devait lui être restituée car il n’avait pas été répondu à sa demande de délai pour s’en acquitter. Dans le cas contraire, elle concluait à l’incompétence de la chambre administrative qui devait rendre une décision motivée sur ce point avec voie et délai de recours.

Les constatations de fait qui figuraient dans toutes les décisions de la CBA confondaient les bases légales (art. 8 et 12 LLCA), tout comme le procureur confondait les parties plaignantes avec la prévenue. « Les faits et les conclusions arbitraires (art. 5 al. 1 Cst. et art. 9 cum art. 190 Cst.) ».

La chambre administrative devait faire remarquer au président de la CBA qu’il ne lui avait toujours pas notifié une décision dûment motivée en lien avec ses courriers des 25 octobre et 7 novembre 2022. Faute de réception d’un tel courrier en lien avec chacune de ses conclusions, « avant toute décision de la Chambre administrative, faute de quoi j’exercerai un recours immédiat au tribunal fédéral. Il s’agit en effet d’exigence de droit constitutionnel fédéral ».

f. La chambre administrative a, par décision du 2 décembre 2022, rejeté la demande de restitution de l’effet suspensif

g. La CBA a persisté le 8 décembre 2022 dans les termes de sa décision.

h. Mme A______ n’a pas fait usage de son droit à la réplique dans le délai qui lui a été imparti à cet effet.

i. Les parties ont été informées, le 16 janvier 2022, que la cause était gardée à juger.

j. La teneur des pièces figurant à la procédure sera pour le surplus reprise ci-dessous dans la mesure nécessaire au traitement du recours.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile, soit dans le délai de 10 jours s’agissant d’une décision incidente, devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             La recourante réclame la restitution de l’avance de frais de CHF 800.-, dans la mesure où il n’aurait pas été favorablement répondu à sa demande de délai pour s’en acquitter.

2.1 Selon l’art. 86 LPA, la juridiction invite le recourant à faire une avance ou à fournir des sûretés destinées à couvrir les frais de procédure et les émoluments présumables. Elle fixe à cet effet un délai suffisant (al. 1). Si l'avance n'est pas faite dans le délai imparti, la juridiction déclare le recours irrecevable (al. 2).

2.2 La recourante s’est en l’espèce acquittée du montant de l’avance de frais requise. Il n’y a pas matière à la restituer, étant relevé qu’elle trouve son fondement à l’art. 86 al. 1 LPA. Son sort sera tranché en fonction de l’issue du litige (art. 87 al. 1 LPA).

3.             L’objet de la procédure est uniquement la décision du bureau de la CBA du 27 octobre 2022 prononçant une interdiction temporaire de pratiquer la profession d’avocat, laquelle a été confirmée le 24 novembre 2022 en séance plénière, après réception des déterminations de la recourante du 7 novembre 2022.

3.1 Selon l'art. 57 let. c in initio LPA, les décisions incidentes peuvent faire l'objet d'un recours si elles risquent de causer un préjudice irréparable ou si cela conduirait immédiatement à une solution qui éviterait une procédure probatoire longue et coûteuse.

L'art. 57 let. c LPA a la même teneur que l'art. 93 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Le préjudice irréparable visé par l’art. 93 al. 1 let. a et b LTF suppose que le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c). Un préjudice est irréparable lorsqu'il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2). Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l'économie de la procédure peut constituer un tel préjudice (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c).

La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que l'art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/1622/2017 du 19 décembre 2017 consid. 4c).

3.2 Aux termes de l'art. 60 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée. Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 138 II 162 consid. 2.1.2 ; ATA/1272/2017 du 12 septembre 2017 consid. 2b).

Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l'annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 ; 137 I 23 consid. 1.3). L'existence d'un intérêt actuel s'apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2 ; 136 II 101 consid. 1.1) ; si l'intérêt s'éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1) ou déclaré irrecevable (ATF 123 II 285 consid. 4).

3.3 En l’espèce, il est manifeste qu’une interdiction temporaire de pratiquer la profession d’avocat est de nature à causer un dommage irréparable à la recourante qui se voit ainsi privée de générer le revenu en découlant.

L’existence d’un préjudice irréparable est avérée sous cet angle, étant en revanche relevé que les intérêts des clients de la recourante sont sauvegardés par la mise en place d’une suppléance, comme mentionné dans la décision attaquée.

Se pose la question de l’intérêt actuel de la recourante à voir trancher le litige, dans la mesure où la décision attaquée avait un caractère provisoire avant que la plénière de la CBA ne décide, le 14 novembre 2022, de ne pas rapporter l’interdiction temporaire d’exercer attaquée. La CBA a informé la chambre de céans de cette prise de position par courrier du 16 novembre 2022, sans y joindre de procès-verbal entérinant cette décision ou une telle décision. Dans la mesure où la chambre de céans ignore partant si la voie du recours a été ouverte à la recourante contre ce qui a été décidé le 14 novembre 2022, la question de la recevabilité du recours souffrira de demeurer indécise.

4.             La recourante se plaint d’une violation de son droit d’être entendue sous deux aspects, à savoir en lien avec son audition le 19 juillet 2022 par l’autorité intimée, en l’absence d’un avocat, puis avec la prise de la décision querellée avant que son conseil n’ait pu s’exprimer sur la seconde dénonciation, émanant du MP.

4.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1).

Le droit d'être entendu impose également à l'autorité judiciaire de motiver ses décisions, afin que le justiciable puisse les comprendre et exercer son droit de recours à bon escient. Pour satisfaire à cette exigence, il suffit que le juge discute les griefs qui sont pertinents pour l'issue du litige (ATF 142 II 154 consid. 4.2). Il suffit, selon la jurisprudence, que l'autorité mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que la personne concernée puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 138 I 232 consid. 5.1 ; 138 IV 81 consid. 2.2). La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (arrêts du Tribunal fédéral 2C_126/2015 du 20 février 2015 consid. 4.1 ; 1B_295/2014 du 23 septembre 2014 consid. 2.2).

4.2 Selon l’art. 44 LPAv, lorsqu’il y a urgence, le bureau de la CBA peut sur-le-champ interdire temporairement à un avocat ou un avocat stagiaire de pratiquer (al. 1). En pareil cas, la commission est informée de la mesure prise et convoquée à bref délai. Après avoir donné à l’intéressé l’occasion d’être entendu, elle peut, le cas échéant, rapporter l’interdiction (al. 2).

Les décisions de la commission sont motivées et notifiées par pli recommandé à l’intéressé (art. 46 al. 1 LPAv). Aucune sanction ne peut être prononcée sans que l’avocat en cause, qui peut se faire assister par un autre avocat, ait été entendu ou dûment convoqué (al. 2).

4.3 En l’espèce, la décision querellée est une interdiction temporaire de pratiquer reposant sur l’art. 44 LPAv.

Avant son prononcé, le président de la CBA a procédé à l’audition de la recourante, le 19 juillet 2022, en l’absence d’un conseil. Un avocat ne s’est constitué pour la recourante qu’ultérieurement, soit le 12 août 2022. Il n’apparaît pas, à la lecture du procès-verbal, que la recourante, avocate, ait refusé de s’exprimer en l’absence d’un avocat. Celle-ci savait de plus depuis la réception de la convocation du 5 juillet 2022 qu’une audience se tiendrait deux semaines plus tard.

Au demeurant, il ne ressort pas de la LPAv qu’elle exige qu’un avocat soit assisté dans un tel cas. De plus, selon l’art. 44 al. 1 LPAv, le président pouvait prononcer l’interdiction en cause sur le champ, soit avant même l’audition de la recourante.

Celle-ci a ensuite pu présenter ses observations sur le fond sur les reproches émanant de la présidence du TPEN, par son conseil le 12 août 2022, lors d’une audience le 20 septembre 2022 puis dans le délai imparti au 7 novembre 2022, avant que la CBA en séance plénière ne confirme, le 14 novembre 2022, la mesure en cause. Son conseil a indiqué le 9 novembre 2022 renoncer à s’exprimer, alors qu’il avait, tout comme la recourante, connaissance par courrier du 24 octobre 2022 de la dénonciation de trois procureurs du 19 octobre 2022. La recourante l’avait en effet fait de son côté par écrit du 7 novembre 2022.

Son droit d’être entendue a partant été respecté, tant s’agissant des modalités de son audition du 19 juillet 2022 que d’avoir pu se positionner, le 7 novembre 2022, sur les faits dénoncés le 19 octobre 2022 par trois procureurs. Il sera encore rappelé que le bureau de la CBA a statué sur mesures provisionnelles le 27 octobre 2022 et que l’instruction de la cause se poursuit, de sorte que la recourante aura encore l’occasion d’exposer son point de vue devant cette autorité de surveillance.

Ce grief sera écarté.

5.             La recourante conteste la validité du procès-verbal du 19 juillet 2022 faute de comporter sa signature.

5.1 Selon l’art. 49 LPAv, la LPA s’applique à la présente loi, dans la mesure où cette dernière n’y déroge pas.

5.2 L’art. 20 al. 3 LPA prévoit que les mesures probatoires effectuées dans le cadre d’une procédure contentieuse font l’objet de procès-verbaux signés par la personne chargée d’instruire, le cas échéant par le greffier et, après lecture de leurs dires, par toutes les personnes dont les déclarations ont été recueillies. Les dispositions spéciales de la LPA relatives aux témoignages sont réservées.

Après chaque déposition, le témoin est invité à signer le procès-verbal (art. 45 al. 3 LPA).

5.3 Ledit procès-verbal du 19 juillet 2022, tel que versé à la procédure par la CBA, ne comporte aucune signature, ni de son président, ni des deux membres siégeant, ni de la juriste et de la greffière, ni de la recourante. Tel est également le cas du procès-verbal du 20 septembre 2022, dont la recourante ne remet pas en cause la validité. Elle ne conteste pas la teneur des propos mis dans sa bouche dans chacun de ces procès-verbaux.

Or, la disposition topique de la LPA ne porte que sur la phase contentieuse, de sorte qu'aucune conclusion ne peut être inférée de l’absence de signatures en l'espèce.

Ce grief sera partant écarté.

6.             La recourante conteste l’interdiction temporaire de pratiquer dans la mesure où les dénonciations du TPEN et du MP ne seraient pas fondées. Elle considère défendre au mieux les intérêts de ses clients, nonobstant une situation de stress qu’elle explique par diverses raisons.

6.1 La CBA exerce une fonction d'autorité de surveillance des avocats par la LLCA, ainsi que les compétences attribuées par la LPAv. En matière disciplinaire, c'est l'art. 43 LPAv qui stipule que la CBA statue sur tout manquement aux devoirs professionnels et prononce selon la gravité du cas des sanctions énoncées à l'art. 17 LLCA. La CBA peut également prononcer des injonctions propres à imposer à l'avocat le respect des règles professionnelles.

Selon l'art. 17 al. 1 LLCA, en cas de violation de la LLCA, l'autorité de surveillance peut prononcer des mesures disciplinaires, soit l'avertissement (let. a), le blâme (let. b), une amende de CHF 20'000.- au plus (let. c), l'interdiction temporaire de pratiquer pour une durée maximale de deux ans (let. d) ou l'interdiction définitive de pratiquer (let. e). L'amende peut être cumulée avec une interdiction de pratiquer (art. 17 al. 2 LLCA). Si nécessaire, l'autorité de surveillance peut retirer provisoirement l'autorisation de pratiquer (art. 17 al. 3 LLCA).

Selon la jurisprudence, l'autorité de surveillance des avocats ne peut retirer provisoirement l'autorisation de pratiquer que pour motifs graves, c'est-à-dire, lorsqu'il paraît vraisemblable que la procédure disciplinaire en cours va aboutir à une interdiction de pratiquer et qu'au vu de l'intérêt public en jeu, une telle mesure se justifie déjà pendant la procédure disciplinaire (FF 1999 VI p. 5374). Dans le cas d’espèce, au vu des antécédents disciplinaires du recourant et des neuf procédures disciplinaires alors pendantes devant la CBA, il y avait urgence à ordonner la suspension provisoire du recourant. Le caractère urgent de la mesure découlait alors de l'art. 52 al. 2 de l’aLPAv, remplacé par l'art. 44 al. 1 LPAv, dont la teneur est identique, bien qu'il ne parle plus de suspension provisoire, mais d'interdiction temporaire. Comme l'art. 17 al. 3 LLCA, le droit cantonal permet donc à l'autorité de surveillance de prendre immédiatement une mesure efficace de protection de l'intérêt public, lorsque l'intérêt privé de l'avocat à pouvoir continuer à pratiquer sa profession n'apparaît pas prépondérant (arrêt du Tribunal fédéral 2A.418/2022 du 4 décembre 2002).

6.2 L'avocat autorisé à pratiquer doit respecter les règles professionnelles énoncées à l'art. 12 LLCA. Ces règles professionnelles sont des normes destinées à réglementer, dans l'intérêt public, la profession d'avocat, afin d'assurer son exercice correct et de préserver la confiance du public à l'égard des avocats (ATF 135 III 145 consid. 6.1).

6.3 Aux termes de l’art. 12 let. a LLCA, l’avocat exerce sa profession avec soin et diligence. Cette disposition constitue une clause générale, visant le soin et la diligence de l’avocat dans l’exercice de son activité professionnelle. L'obligation de diligence imposée à l'art. 12 let. a LLCA est directement déduite de l'art. 398 al.  2 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220). Elle interdit à l'avocat d'entreprendre des actes qui pourraient nuire aux intérêts de son client (Walter FELLMANN, Kommentar zum Anwaltsgesetz, 2011, n. 25 ad art. 12 LLCA) et lui impose un devoir de fidélité et de loyauté (ATF 135 II 145 consid. 9.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_358/2014 du 12 décembre 2014 consid. 3.1 et les références citées).

6.4 Toute violation du devoir de diligence contractuel n’implique pas l’existence d’un manquement de nature disciplinaire au sens de l’art. 12 let. a LLCA. Cette disposition suppose l'existence d'un manquement significatif aux devoirs de la profession. L’avocat ne risque une sanction disciplinaire que lorsqu’il viole de manière intentionnelle ou gravement négligente son devoir de diligence. Un mauvais conseil ou une erreur de procédure, s’ils peuvent entraîner une responsabilité contractuelle de l’avocat, n’ont pas de conséquences disciplinaires (ATF 144 II 473 consid. 4).

6.5 La formulation très large de l’art. 12 let. a LLCA constitue également une clause générale qui demande à être interprétée et qui permet de la sorte aux tribunaux de dessiner les devoirs professionnels de l’avocat d’une façon assez libre et étendue, l’énumération exhaustive des devoirs professionnels dans la loi étant impossible. De fait, la jurisprudence donne à cette clause générale un sens qui va bien au-delà de la lettre du texte légal. En effet, le soin et la diligence visés par l’art. 12 let. a LLCA constituent des devoirs qui n’ont pas les clients pour seuls bénéficiaires. Ces devoirs s’étendent à tous les actes professionnels de l’avocat qui, en tant qu’auxiliaire de la justice, doit assurer la dignité de la profession, qui est une condition nécessaire au bon fonctionnement de la justice (arrêt du Tribunal fédéral 2C_167/2020 du 13 mai 2020 consid. 3.4 et les références citées).

6.6 Ainsi, en exigeant de l’avocat qu’il se comporte correctement dans l’exercice de sa profession, l'art. 12 let. a LLCA ne se limite pas aux rapports entre le client et l’avocat, mais vise également le comportement de ce dernier face aux autorités en général, y compris les autorités judiciaires (ATF 130 I 270 consid. 3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_150/2008 du 10 juillet 2008 consid. 7.1 ; 2A.545/2003 du 4 mai 2004 consid. 3 ; Message concernant la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 28 avril 1999, FF 1999 5331, p. 5368) dans le but d’assurer le respect de celles-ci, ainsi que la confiance placée dans l’avocat (arrêt du Tribunal fédéral 4P.36/2004 du 7 mai 2004 consid. 5). L'avocat assume une tâche essentielle à l'administration de la justice en garantissant le respect des droits des justiciables et joue ainsi un rôle important dans le bon fonctionnement des institutions judiciaires au sens large. Dans ce cadre, il doit se montrer digne de confiance dans les relations avec les autorités judiciaires ou administratives et s'abstenir de tout acte susceptible de remettre en question cette confiance (ATF 144 II 473 consid. 4.3 et les références citées).

6.7 La LLCA définit de manière exhaustive les règles professionnelles auxquelles les avocats sont soumis. Les règles déontologiques conservent toutefois une portée juridique en permettant de préciser ou d'interpréter les règles professionnelles, dans la mesure où elles expriment une opinion largement répandue au plan national (ATF 136 III 296 consid. 2.1 ; 131 I 223 consid. 3.4). Dans le but d'unifier les règles déontologiques sur tout le territoire de la Confédération, la Fédération Suisse des Avocats (ci-après : FSA) a précisément édicté le Code suisse de déontologie (ci-après : le CSD ; consultable sur http://www.sav-fsa.ch, entré en vigueur le 1er juillet 2005 et modifié le 22 juin 2012).

6.8 À teneur de l'art. 1 CSD, l'avocat exerce sa profession avec soin et diligence et dans le respect de l'ordre juridique. Il s'abstient de toute activité susceptible de mettre en cause la confiance mise en lui.

6.9 L'autorité de surveillance doit faire preuve d'une certaine réserve dans son appréciation du comportement de l'avocat (arrêt du Tribunal fédéral 2C_103/2016 du 30 août 2016 consid. 3.2.3). L'art. 12 let. a LLCA est une disposition subsidiaire. Pour que le comportement d'un avocat justifie une sanction au sens de cette disposition, la violation du devoir de prudence doit atteindre une certaine gravité qui, au-delà des sanctions relevant du droit des mandats, nécessite, dans l'intérêt public, l'intervention proportionnée de l'État (arrêt du Tribunal fédéral 2C_933/2018 du 25 mars 2019 consid. 5.1).

6.10 La chambre administrative examine librement si le comportement incriminé contrevient à l'art. 12 let. a et i LLCA (art. 67 LPA ; arrêt du Tribunal fédéral 2P.318/2006 du 27 juillet 2007 consid. 12.1 ; ATA/258/2021 du 2 mars 2021 consid. 7 ; ATA/1014/2020 du 13 octobre 2020 ; ATA/1405/2017 du 17 octobre 2017 ; ATA/820/2014 du 28 octobre 2014).

6.11 En l’espèce, la CBA a été saisie de dénonciations émanant tant de magistrats du TPEN que du MP, pour des comportements problématiques imputés à la recourante aussi bien en cours d’audiences qu’en dehors de celles-ci. Au TPEN, il s’est agi de soucis déplorés par trois magistrates différentes, lors des audiences les 19 janvier, 3 mars, 15 mars, 14 et 15 juin 2022. Au MP, deux procureures ont dénoncé des incidents intervenus les 4-5 juillet 2022, puis 8 septembre 2022. Vu le caractère répété de comportements problématiques et similaires ainsi rapportés, sur près de neuf mois, par cinq magistrats différents, siégeant dans deux juridictions différentes, les épisodes rapportés doivent être tenus pour vraisemblables.

Ainsi, c’est à juste titre que la CBA a considéré à ce stade de la procédure, nonobstant les dénégations de la recourante, que le fait de ne pas maîtriser ses dossiers ni la procédure, de se montrer brouillon tant lors de l’interrogatoire de prévenus que de sa plaidoirie, d’avoir des « blancs » à ces occasions, de devoir fouiller dans ses documents pour pouvoir reprendre le fil de son propos, de plaider un acquittement pour des faits reconnus par son client, de poser des questions aux magistrats démontrant qu’elle ne maîtrisait ni son dossier ni le droit applicable, de prendre en aparté une juge et sa greffière à l’issue d’une audience pour se lancer dans un monologue en lien avec la problématique de l’usage de son nom de famille par sa belle-sœur, d’obliger ces deux personnes à la conduire hors du cabinet alors qu’elle s’accrochait au chambranle de la porte, puis de faire en sorte qu’elle arrête de bloquer les portes de l’ascenseur et quitte enfin les lieux, d’aborder tant en audience que par des écrits cette même problématique d’usage d’alias, sans lien direct avec les dossiers de ses clients, sont autant de comportements qui ne sont pas compatibles avec l’exercice de la profession d’avocat.

Même s’il n’est pas rare qu’un prévenu, qui plus est détenu, n’entende pas se faire représenter par l’avocat de la première heure, il est problématique qu’un tel détenu ait indiqué en audience au MP ne pas faire confiance à la recourante dans la mesure où il avait été choqué par ses propos et où elle ne lui avait pas indiqué les éléments lui permettant de se défendre efficacement.

Si le fait d’arriver en retard de quelques minutes à une audience, ce qui a obligé la greffière à la contacter, ou de laisser sonner son téléphone pendant la motivation donnée oralement par une présidente de tribunal, ce que la recourante admet, pourraient être considérés, pris isolément, comme des incidents anecdotiques et devant simplement donner lieu à une remontrance du magistrat y confronté, qui a la charge de la police de l’audience, lesdits incidents s’inscrivent en l’occurrence dans le contexte d’une audience qui s’est avérée problématique, notamment du fait du comportement de la recourante, mais surtout dans le contexte global de non adéquation de son comportement avec la mission qu’elle accomplit.

Il est ainsi vraisemblable, à teneur des pièces actuellement versées à la procédure, y compris les procès-verbaux d’auditions de la recourante devant la CBA et les divers écrits et pièces, prolixes et sans aucun lien avec les reproches formulés, que la recourante n’a visiblement pas défendu avec soin et diligence les intérêts de ses clients en audience, respectivement a adopté des attitudes et propos inconvenants, voire incohérents, mélangeant de surcroît la défense dans ses mandats avec ses propres soucis en lien avec une usurpation d’identité.

S’y ajoutent le contenu de ses écrits, en particulier des 7 novembre 2022 précité et 2 décembre 2022 destinés à la chambre administrative, dans lesquels elle semble davantage faire le grief à diverses autorités de ne pas avoir traité comme elle l’estime légitime cette problématique d’usurpation d’identité qu’elle dit avoir portée au Tribunal fédéral par quatre recours. Ses derniers écrits s’avèrent confus et n’apparaissent pas compatibles avec une défense soigneuse et diligente telle que requise d’un avocat plaidant devant les tribunaux, ce qui, outre la représentation et l’assistance du client en audience, requiert sa capacité à produire des écritures compréhensibles et à l’argumentaire cohérent.

C’est donc à raison que la CBA a retenu qu’il existait une urgence à prononcer une interdiction temporaire de pratiquer à l’encontre de la recourante, laquelle reconnaît par ailleurs se trouver dans un état de « stress ». La CBA n’a donc pas violé la loi ni abusé de son pouvoir d’appréciation en considérant qu’une interdiction de pratiquer temporaire se justifiait le temps que soit instruit le fond du dossier.

Le recours, mal fondé, sera rejeté.

7.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'200.-, tenant compte de la décision sur mesures provisionnelles, sera mis à la charge de la recourante et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette, en tant qu'il est recevable, le recours interjeté le 7 novembre 2022 par Madame A______ contre la décision de la commission du barreau du 27 octobre 2022 ;

met un émolument de CHF 1'200.- à la charge de Madame A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Madame A______ ainsi qu'à la commission du barreau.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mmes Lauber et McGregor, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. Balzli

 

 

le présidente siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :