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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3144/2022

ATA/1205/2022 du 30.11.2022 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3144/2022-PRISON ATA/1205/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 novembre 2022

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON



EN FAIT

1) Monsieur A______ est incarcéré à la prison de Champ-Dollon depuis le 16 février 2022, en détention avant jugement.

À son entrée, il a signé le règlement de la prison et en a reçu copie.

2) Selon informations données par la prison, entre le 13 août et le 13 septembre 2022, le détenu D. a partagé avec M. A______ la cellule 1______. Ce dernier a occupé seul cette cellule 1______ du 13 au 19 septembre 2022.

Les fouilles de cette cellule, avant celle qui fait l’objet de la présente procédure, du 19 septembre 2022, sont intervenues les 21 et 27 juillet 2022, 5 et 12 août 2022, ainsi que le 2 septembre 2022. Toutes se sont révélées négatives.

3) Lors de la fouille aléatoire du 19 septembre 2022, plusieurs lames de rasoir démontées et bricolées ont été trouvées dans la cellule 1______, dont certaines étaient attachées avec un lien de sac poubelle, du scotch et du papier, sur la tablette en bois au fond de cette pièce. La pelle de nettoyage était cassée.

M. A______, alors seul occupant de ladite cellule, a été fouillé et transféré en cellule forte sans contrainte.

Il a contesté les faits lors de son audition à 13h50 par un gardien-chef adjoint opérationnel (ci-après : GCA).

Le GCA a décidé de le sanctionner d’un jour de cellule forte pour confection d’objets prohibés.

La sanction a été exécutée du 19 septembre 2022 à 11h10 jusqu’au lendemain à la même heure.

4) M. A______ a adressé une « plainte » le 27 septembre 2022 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision. Il voulait partager ses craintes et [s]e faire justice. Il avait été placé en isolement pour un motif mensonger. Il avait été le premier surpris car les « objets prohibés » ne lui appartenaient pas. Il avait donc demandé une analyse ADN. Ces objets avaient été déposés dans sa cellule à son insu, certainement par des employés assurant la sécurité de l’établissement. Il déposait plainte pour mise en danger de son intégrité physique et morale et pour faire part de ses appréhensions quant à son futur dans la prison. Si des employés avaient mis les objets en question dans sa cellule pour le pénaliser, il pourrait aussi être la proie de rapports arbitraires, d’empoisonnement léger ou lourd de ses repas ou de trafic de médicaments. Il attendait des solutions pour que sa sécurité soit assurée jusqu’à son jugement et la fin de sa peine.

5) La prison a conclu, le 20 octobre 2022, au rejet du recours.

La version des faits de M. A______ quant à la présence d’objets prohibés dans sa cellule ne pouvait pas être soutenue. La sanction était justifiée et proportionnée.

6) Dans sa réplique du 6 novembre 2011, M. A______ a ajouté en substance que la direction de la prison, dans sa prise de position, agissait pour le compte du personnel, qu’elle protégeait, tout en sachant qu’il était innocent. Le personnel avait voulu se venger à la suite de sa pétition du 3 août 2022, qu’il avait transmise aux journalistes de la RTS. Il réitérait sa demande d’analyse d’ADN et demandait en outre une comparaison d’empreintes pour prouver son innocence.

Il a réitéré ces deux demandes dans un courrier reçu à la chambre administrative le 15 novembre 2022.

7) Les parties ont été informées à cette dernière date que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Selon l'art. 65 LPA, l'acte de recours contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (al. 1). Il contient également l'exposé des motifs ainsi que l'indication des moyens de preuve (al. 2).

Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, la jurisprudence fait preuve d'une certaine souplesse s'agissant de la manière par laquelle sont formulées les conclusions du recourant. Le fait qu'elles ne ressortent pas expressément de l'acte de recours n'est, en soi, pas un motif d'irrecevabilité, pour autant que l'autorité judiciaire et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/284/2020 du 10 mars 2020 consid. 2a et la référence citée).

b. En l'espèce, le recourant n'a pas pris de conclusions formelles en annulation de la sanction disciplinaire à laquelle il a été condamné. L'on comprend toutefois de son recours qu'il la conteste, car elle serait injustifiée, de sorte que le recours est également recevable de ce point de vue.

Ses explications tendant à ce que la chambre administrative prenne des mesures afin d’assurer sa sécurité au sein de la prison sont exorbitantes au litige et partant irrecevables.

3) Le recourant sollicite la prise d’empreintes et des comparaisons d’ADN sur les objets saisis dans sa cellule le 19 septembre 2022 pour prouver son innocence.

a. Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). Le droit d'être entendu ne comprend pas le droit à une audition orale (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_51/2018 du 17 janvier 2019 consid. 4.1 ; ATA/1173/2020 du 24 novembre 2020 consid. 3a).

b. Le dossier contient suffisamment d’éléments, dont les explications du recourant, pour trancher le litige, comme il sera exposé ci-après, sans qu’il ne doive être fait droit à ses demandes d’analyses scientifiques.

4) Est litigieuse la sanction d’un jour de cellule forte.

a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, op. cit., p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

b. Le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04) régit le statut des personnes incarcérées à la prison.

c. Les détenus doivent respecter les dispositions du RRIP, les instructions du directeur de l'office pénitentiaire et les ordres du directeur et du personnel pénitentiaire (art. 42 RRIP). Il est interdit aux détenus de détenir d’autres objets que ceux qui leur sont remis (art. 45 let. e RRIP).

d. Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, le directeur est compétent pour prononcer, notamment, la privation de travail (let. f) ainsi que le placement en cellule forte pour 10 jours au plus (let. g). Il peut déléguer la compétence de prononcer les sanctions pour le placement en cellule forte de 1 à 5 jours à d'autres membres du personnel gradé (ATA/1631/2017 du 19 décembre 2017 consid. 3).

e. De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/502/2018 du 22 mai 2018 et les références citées), sauf si des éléments permettent de s'en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l'organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports qu'ils établissent.

f. Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/735/2013 du 5 novembre 2013 consid. 11).

g. En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limite à l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1451/2017 du 31 octobre 2017 consid. 4c ; ATA/888/2015 du 19 septembre 2014 consid. 7b).

5) Le recourant fait valoir que sa mise en cellule forte serait infondée, n’ayant commis aucune faute.

Il ne saurait être suivi. Il ne remet en effet nullement en question le fait qu’il occupait la cellule dans laquelle les objets prohibés ont été découverts, lors de la fouille du 19 septembre 2022, seul depuis le 13 septembre 2022, moment où le détenu D. l’a quittée. Il ne remet de même pas en cause le fait que ladite cellule ait été fouillée en dernier lieu avant cela le 2 septembre 2022. Il ne soutient pas que le détenu D. aurait laissé à son insu les objets interdits dans la cellule avant de la quitter. Il donne pour toute explication à leur présence une vengeance du personnel à la suite d’une pétition qu’il aurait adressée au début du mois d’août 2022 à la RTS.

Ces accusations à l’encontre du personnel, outre qu’elles sont graves, ne trouvent aucune assise dans le dossier. Elles ne suffisent pas à remettre en cause le constat de l’agent intervenu le 19 septembre 2022, dans les circonstances d’occupation de la cellule en cause précitées, et tel que reporté dans le rapport d’incident, photos à l’appui.

C’est donc sans violer le droit ni abuser de son pouvoir d’appréciation que la prison a reproché au recourant la confection d’objets prohibés. Ce comportement ainsi opposable au recourant justifiait une sanction.

6) Reste à examiner si la sanction consistant en un jour de cellule forte était proportionnée.

Le placement en cellule forte est la sanction la plus sévère parmi le catalogue des sept sanctions mentionnées par l'art. 47 RRIP. (art. 47 al. 3 let. g RRIP). En l'occurrence, la durée de celle infligée au recourant est de 1/10ème du maximum réglementaire.

L'autorité intimée jouit d'un large pouvoir d'appréciation que la chambre de céans ne revoit qu'avec retenue.

La confection d’objets tranchants, comme en l’espèce de lames de rasoirs démontées et trafiquées, est indéniablement, en milieu carcéral, une source de danger pour les autres détenus et le personnel, vu leur caractère de potentielles armes blanches. Il s’agit de faits graves qu’il y a effectivement lieu de sanctionner sévèrement.

Aussi, nonobstant l’absence de sanctions antérieures, tant le choix de la sanction, que sa quotité, étaient aptes, nécessaires et proportionnées au sens étroit pour garantir la sécurité et la tranquillité de l'établissement et s'avèrent conformes au droit.

Au vu de ce qui précède, le recours, entièrement mal fondé, sera rejeté.

7) Vu la nature du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA et art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu son issue, il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 27 septembre 2022 par Monsieur A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 19 septembre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Lauber et Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Meyer

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :