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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/846/2022

ATA/579/2022 du 31.05.2022 ( FORMA ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/846/2022-FORMA ATA/579/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 31 mai 2022

2ème section

 

dans la cause

 

A______, agissant par ses parents Madame et
Monsieur B______

contre

DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA FORMATION ET DE LA JEUNESSE

 



EN FAIT

1) Par courriel du 7 mars 2022, Madame et Monsieur B______ se sont adressés à la direction générale de l'enseignement obligatoire (ci-après : DGEO) du département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : DIP).

Ils habitaient C______, en Haute-Savoie. À leur grande surprise, ils avaient appris par des amis parents que les inscriptions pour la rentrée scolaire 2022-2023 avaient déjà été effectuées. Ils savaient que les nouvelles inscriptions n'étaient pas automatiques, mais ils s'attendaient à recevoir une information par voie postale ou électronique, ce qui était une erreur de leur part. Ils étaient inquiets d'avoir « "raté" cet instant crucial ».

Leur fille A______, née le ______ 2018 était actuellement au jardin d'enfants « D______ » de l'école E______ à F______. Sa grande sœur G______, née le ______ 2011, était en 7P à l'école E______.

Ils souhaitaient dès lors que A______ puisse suivre sa grande sœur à l'école E______ à la rentrée.

2) Par décision du 11 mars 2022, le service organisation et planification de la DGEO a rejeté la demande d'inscription.

Celle-ci était tardive, car déposée après le délai au 31 janvier 2022, date limite publiée le 1er novembre 2021 dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) et figurant sur le site Internet officiel de l'État de Genève. Référence était faite à l'art. 23 al. 3 du règlement de l'enseignement primaire (REP - C 1 10.21).

3) Par acte posté le 16 mars 2022, les époux B______ ont interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant à ce que cette dernière soit « reconsidérée ».

Ils habitaient à proximité immédiate de la frontière, et M. B______ était policier municipal à F______.

Ils étaient conscients d'avoir déposé leur demande hors délai. Après discussion avec la direction du jardin d'enfants, il n'était pas possible que A______ y reste une année de plus. Elle se réjouissait de plus de pouvoir rejoindre sa grande sœur à l'« école des grands » ; les deux sœurs étaient très complices voire fusionnelles. Ils ne pouvaient s'imaginer devoir priver leur fille de faire sa rentrée dans une école qu'elle connaissait et fréquentait en partie depuis septembre 2021, du seul fait que ses parents n'aient pas été assez attentifs.

Ils joignaient à leur recours une attestation de la directrice du jardin d'enfants « D______ », du 15 mars 2022, selon laquelle il était primordial, pour son bien, que A______ soit scolarisée à l'école E______. Partir dans une école inconnue serait un retour en arrière pour son comportement, son ouverture et son épanouissement.

4) Le 4 avril 2022, le DIP a conclu au rejet du recours.

L'enfant avait un membre de sa fratrie déjà au sein de l'école publique genevoise, si bien qu'elle y était en soi admissible. La demande d'admission avait toutefois été déposée le 7 mars 2022 alors que la date limite telle que prévue par l'art. 23 al. 3 REP était fixée au 31 janvier 2022.

Les circonstances personnelles mises en avant ne permettaient pas de déroger à la réglementation en vigueur. Selon la jurisprudence, l'administration ne disposait d'aucune latitude pour déterminer si les conditions d'admission dans l'enseignement public genevois posées par l'art. 23 REP étaient remplies ou non.

5) Le 13 avril 2022, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 29 avril 2022 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

6) Aucune des parties ne s'est manifestée.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Selon l'art. 65 al. 1 LPA, l'acte de recours contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions de la personne recourante.

b. Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, il convient de ne pas se montrer trop strict sur la manière dont sont formulées les conclusions de la personne recourante. Le fait que ces dernières ne ressortent pas expressément de l'acte de recours n'est pas en soi un motif d'irrecevabilité, pourvu que le tribunal et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins de la personne recourante. Une requête en annulation d'une décision doit par exemple être déclarée recevable dans la mesure où la personne recourante a de manière suffisante manifesté son désaccord avec la décision, ainsi que sa volonté qu'elle ne développe pas d'effets juridiques (ATA/721/2020 du 4 août 2020 consid. 2b).

c. En l’espèce, si les recourants parlent à tort de reconsidération de la décision attaquée, on comprend de leur recours qu'ils en demandent l'annulation et l'inscription de leur fille cadette au sein de l'école publique genevoise pour la rentrée d'août 2022.

Leur recours est donc recevable.

3) Le litige porte sur le refus du DIP de scolariser l’enfant du couple dans l’enseignement primaire public genevois.

a. À teneur de l’art. 19 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit à un enseignement de base suffisant et gratuit est garanti. Au niveau cantonal, l’art. 24 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00) dispose que le droit à l’éducation, à la formation et à la formation continue est garanti (al. 1). Toute personne a droit à une formation initiale publique gratuite (al. 2).

L’art 62 Cst. prévoit pour sa part que l’instruction publique est du ressort des cantons (al. 1). Les cantons pourvoient à un enseignement de base suffisant ouvert à tous les enfants. Cet enseignement est obligatoire et placé sous la direction ou la surveillance des autorités publiques. Il est gratuit dans les écoles publiques (al. 2). Les cantons pourvoient à une formation spéciale suffisante pour les enfants et adolescents handicapés, au plus tard jusqu'à leur 20ème anniversaire (al. 3). Si les efforts de coordination n'aboutissent pas à une harmonisation de l'instruction publique concernant la scolarité obligatoire, l'âge de l'entrée à l'école, la durée et les objectifs des niveaux d'enseignement et le passage de l'un à l'autre, ainsi que la reconnaissance des diplômes, la Confédération légifère dans la mesure nécessaire (al. 4). La Confédération règle le début de l'année scolaire (al. 5). Les cantons sont associés à la préparation des actes de la Confédération qui affectent leurs compétences ; leur avis revêt un poids particulier (al. 6).

b. Selon son art. 1, la loi sur l’instruction publique du 17 septembre 2015 (LIP - C 1 10) régit l’instruction obligatoire, soit la scolarité et la formation obligatoires jusqu’à l’âge de la majorité pour l’enseignement public et privé (al. 1). Elle régit également l’intégration et l’instruction des enfants et des jeunes à besoins éducatifs particuliers ou handicapés de la naissance à l’âge de 20 ans révolus (al. 2). Elle s’applique aux degrés primaire et secondaire I (scolarité obligatoire) et aux degrés secondaire II et tertiaire ne relevant pas des hautes écoles (ci-après : degré tertiaire B) dans les établissements de l’instruction publique (al. 3).

L’instruction publique comprend le degré primaire, composé du cycle élémentaire et du cycle moyen (art. 4 al. 1 let. a LIP). Selon l’art. 60 LIP, le degré primaire dure huit ans et comprend deux cycles d’une durée de quatre ans chacun, à savoir le cycle élémentaire (années 1 à 4) et le cycle moyen (années 5 à 8).

c. L’art. 37 al. 1 LIP prévoit que tous les enfants et jeunes en âge de scolarité obligatoire et habitant le canton de Genève doivent recevoir, dans les écoles publiques ou privées, ou à domicile, une instruction conforme aux prescriptions de ladite loi, au programme général établi par le département conformément à l’accord intercantonal sur l'harmonisation de la scolarité obligatoire du 14 juin 2007 (HarmoS - C 1 06) et à la convention scolaire romande du 21 juin 2007 (CSR - C 1 07).

Le département, avec le concours des services concernés, veille à l’observation de l’obligation d’instruction, telle que définie à l’art. 1 LIP (art. 38 al. 1 LIP). Les parents sont tenus, sur demande du département, de justifier que leurs enfants, jusqu’à l’âge de la majorité, reçoivent l’instruction obligatoire fixée par la loi (art. 38 al. 2 LIP).

La scolarité est obligatoire pour les enfants dès l’âge de 4 ans révolus au 31 juillet (art. 55 al. 1 LIP). Tout enfant, dès l’âge de 4 ans révolus au 31 juillet, doit être inscrit à l’école dans les trois jours qui suivent son arrivée à Genève (art. 57 al 1 LIP).

d. L’art. 58 LIP prévoit que, sous réserve des al. 2 à 5, les élèves sont scolarisés dans l’établissement correspondant au secteur de recrutement du lieu de domicile ou à défaut du lieu de résidence des parents (al. 1). Si les élèves de ce secteur de recrutement sont en nombre insuffisant ou sont trop nombreux pour l’organisation rationnelle de l’enseignement, le département peut les affecter à une autre école. Cette affectation n’est pas sujette à recours (al. 2).

4) a. Au niveau réglementaire, l'art. 23 REP est applicable aux enfants domiciliés hors canton. Il prévoit que sont admis dans l'enseignement primaire public genevois :

- les élèves domiciliés en France voisine et déjà scolarisés dans l’enseignement public genevois, pour autant que l'un de leurs parents au moins soit assujetti à Genève à l'impôt sur le revenu de l'activité rémunérée qu'il exerce de manière permanente dans le canton (al. 1 let. a) ;

- les frères et sœurs ainsi que les demi-frères et les demi-sœurs des enfants scolarisés au sein d'établissements scolaires publics genevois (al. 1 let. b).

La demande d’admission au sens de l’al. 1 doit être déposée auprès de la DGEO dans le délai fixé chaque année par le département et publié sur le site Internet de ce dernier (al. 3), en l’espèce, le 31 janvier 2022 (https://www.ge.ch/inscrire-mon-enfant-ecole-primaire/enfant-domicilie-hors-du-canton, consulté le 23 mai 2022).

b. Selon la jurisprudence de la chambre de céans, l'art. 23 REP est fondé sur une base légale suffisante (ATA/487/2020 du 19 mai 2020 consid. 6 à 9).

5) a. Selon l'art. 16 al. 1 LPA, un délai fixé par la loi ne peut être prolongé ; les cas de force majeure sont réservés.

b. Tombent sous la notion de force majeure les événements extraordinaires et imprévisibles qui surviennent en dehors de la sphère d'activité de l'intéressé et qui s'imposent à lui de façon irrésistible (ATA/470/2022 du 3 mai 2022 consid. 2b ; ATA/138/2021 du 9 février 2021 consid. 3a et b ; ATA/160/2019 du 19 février 2019 consid. 2b). Les conditions pour admettre un empêchement sont très strictes. Ce dernier doit être imprévisible et sa survenance ne doit pas être imputable à faute à l'administré (arrêts du Tribunal fédéral 8C_743/2019 du 20 décembre 2019 consid. 4.3 ; 2P.259/2006 du 18 avril 2007 consid. 3.2 ; ATA/486/2022 du 10 mai 2022 consid. 3c). L'empêchement doit être de nature telle que le respect des délais aurait exigé la prise de dispositions que l'on ne peut raisonnablement attendre de la part d'un homme d'affaires avisé (ATA/470/2022 précité consid. 2b ; ATA/138/2021 précité consid. 3a et b).

c. Le délai imparti par l’autorité peut être prolongé pour des motifs fondés si la partie en fait la demande avant son expiration (art. 16 al. 2 LPA). La restitution pour inobservation d’un délai imparti par l’autorité peut être accordée si la requérante ou le requérant ou son mandataire a été empêché sans sa faute d’agir dans le délai fixé. La demande motivée doit être présentée dans les dix jours à compter de celui où l’empêchement a cessé (art. 16 al. 3 LPA).

6) En l'espèce, la demande d'inscription a été formulée le 7 mars 2022, alors que la date-limite pour l'inscription des enfants domiciliés hors canton était fixée au 31 janvier 2022, ainsi que cela résultait tant du site Internet de l'État de Genève que de la publication faite dans la FAO. La date du 31 janvier de l'année de la rentrée scolaire visée n'était par ailleurs pas une nouveauté, étant la même que lors des années précédentes.

Le délai prévu par l'art. 23 al. 3 REP s'apparente davantage à un délai légal qu'à un délai fixé par l'autorité, quand bien même la disposition précitée délègue au DIP le choix de la date-limite. Quoi qu'il en soit, la restitution d'un délai, qu'elle soit fondée sur l'al. 1 ou l'al. 3 de l'art. 16 LPA suppose l'absence de faute de l'administré. Or, comme les recourants l'ont du reste reconnu d'emblée, le non-respect du délai précité est dû à une inattention de leur part. Une restitution de délai n'entre dès lors pas en ligne de compte, les recourants n'invoquant du reste aucun argument susceptible d'amener à un constat différent.

Il s'ensuit que la décision attaquée est conforme au droit, si bien que le recours sera rejeté.

7) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge solidaire des époux B______ (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 mars 2022 par A______, agissant par ses parents Madame et Monsieur B______, contre la décision du département de l'instruction publique du 11 mars 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge solidaire de Madame et Monsieur B______ un émolument de CHF 400.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Madame et Monsieur B______ ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse.

Siégeant : M. Mascotto, président, M. Verniory, Mme Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :