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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2101/2020

ATA/961/2021 du 21.09.2021 sur JTAPI/818/2020 ( ICCIFD ) , ADMIS

Descripteurs : ASSISTANCE JUDICIAIRE;AVANCE DE FRAIS
Normes : LPA.86; RFPA.13.al2
Résumé : Le dépôt d'une demande d'assistance juridique a pour conséquence la dispense d'avancer l'émolument demandé jusqu'à droit jugé sur ladite demande. Il appartient non pas aux recourants, mais à la juridiction saisie d’un recours de vérifier si la demande d'assistance juridique est pendante et de suspendre la demande d'avance de frais, en impartissant le cas échéant un nouveau délai en cas de refus définitif de l'assistance juridique.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2101/2020-ICCIFD ATA/961/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 21 septembre 2021

dans la cause

 

Madame A______ et Monsieur B______

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 28 septembre 2020 (JTAPI/818/2020)


EN FAIT

1) Par décisions sur réclamation du 11 juin 2020, l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a rejeté la réclamation formée par Madame A______ et Monsieur B______ relative à l'année fiscale 2018.

2) Par acte du 10 juillet 2020, Mme A______ et M. B______ ont recouru contre ces décisions auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI). Ils interjetaient recours afin de pouvoir « rouvrir le dossier fiscal 2018 et effectuer une imposition selon les revenus réellement obtenus ». Par ailleurs, ils faisaient valoir qu’ils étaient tombés dans le dénuement au sens de l’art. 37 de la loi relative à la perception et aux garanties des impôts des personnes physiques et des personnes morales du 26 juin 2008 (LPGIP - D 3 18).

3) Par pli recommandé du 15 juillet 2020, le TAPI a accusé réception de leur recours et leur a imparti un délai échéant le 14 août 2020 pour procéder au paiement d’une avance de frais de CHF 700.-, sous peine d’irrecevabilité de leur recours. La lettre ajoutait que « si vous sollicitez l'assistance juridique, il vous faudra nous faire parvenir copie de votre demande avant l'échéance [termes soulignés en gras] du délai de paiement de l'avance de frais. Dans cette hypothèse, celle-ci n'aura provisoirement pas à être versée ; son paiement sera à nouveau requis en cas de refus de l'assistance juridique ».

Selon le système du suivi des envois (« Track & Trace ») de la Poste, ce pli recommandé a été distribué à Mme A______ et M. B______ le 22 juillet 2020.

4) Le 11 août 2020, M. B______ a déposé une requête d'assistance juridique auprès du service compétent, sans préciser l'objet de sa demande. Il n'a pas informé le TAPI du dépôt de cette requête.

5) Le lendemain, soit le 12 août 2020, la présidence du Tribunal civil a rejeté la requête précitée, au motif que le disponible mensuel du ménage du requérant dépassait son minimum vital élargi, et qu'il était donc à même d'assumer les charges liées à la procédure.

Selon le suivi des envois de la Poste, ce pli recommandé a été envoyé le 13 août 2020 ; Mme A______ et M. B______ ont été avisés pour retrait le 14 août 2020 à 9h46, et le pli a été retiré au guichet le 17 août 2020.

6) Les services financiers du Pouvoir judiciaire ont enregistré le paiement de l’avance de frais à la date déterminante du 24 août 2020.

7) Par pli du 14 septembre 2020, l’AFC-GE a invité le TAPI à lui retourner le dossier comme objet de sa compétence, étant donné que les contribuables n’avaient pas interjeté recours, mais déposé une demande de remise d’impôt. Subsidiairement, si leur acte devait être considéré comme une requête de révision, un délai devait lui être accordé afin qu’elle transmette ses observations.

8) Par jugement du 28 septembre 2020, le TAPI a déclaré le recours irrecevable.

La demande de paiement de l’avance de frais avait été correctement acheminée, par courrier recommandé du 15 juillet 2020, et avait été reçue le 22 juillet 2020. Mme A______ et M. B______ disposaient d’un délai échéant le 14 août 2020 pour procéder au paiement de l’avance de frais, mais n’avaient versé le montant sollicité que le 22 août suivant, soit hors du délai qui leur avait été imparti. Rien ne permettait de retenir qu'ils avaient été victimes d’un empêchement non fautif de s’acquitter en temps utile du montant réclamé.

À supposer que l’acte du 10 juillet 2020 constituât, au vu de sa teneur, non un recours, mais une demande de remise d’impôt, les contribuables étaient invités à adresser leur requête à l’AFC-GE, car une telle procédure relevait de la compétence de cette dernière.

9) Par acte posté le 9 octobre 2020, Mme A______ et M. B______ ont interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, sans prendre de conclusions formelles mais en demandant à la chambre administrative de « comprendre [leur] situation et [d']étudier [leur] recours ».

Leur recours avait été déclaré irrecevable car ils avaient payé l'avance de frais le 24 août au lieu du 14 août 2020. Leur empêchement était qu'ils avaient déposé une demande d'assistance juridique vu leur situation difficile. Après le refus de cette demande, ils avaient procédé tout de suite au paiement.

10) Le 2 novembre 2020, sur demande du juge délégué, les recourants ont communiqué la décision de la présidence du Tribunal civil du 12 août 2020.

11) Le 18 novembre 2020, l'AFC-GE s'en est rapportée à justice quant à la recevabilité et au fond du recours, ce dernier portant sur la question du paiement de l'avance de frais demandée par le TAPI.

12) Le 13 janvier 2021, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 29 janvier 2021 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

13) Le 26 janvier 2021, Mme A______ et M. B______ ont persisté dans les termes de leur recours.

14) Le 29 janvier 2021, l'AFC-GE a indiqué ne pas avoir de requête ni d'observations complémentaires à formuler.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est de ces deux points de vue recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) L’exigence de la motivation au sens de l’art. 65 al. 2 LPA a pour but de permettre à la juridiction administrative de déterminer l’objet du litige qui lui est soumis et de donner l’occasion à la partie intimée de répondre aux griefs formulés à son encontre. Elle signifie que le recourant doit expliquer en quoi et pourquoi il s’en prend à la décision litigieuse. L’exigence de la motivation est considérée comme remplie lorsque les motifs du recours, sans énoncer les conclusions formelles, permettent de comprendre aisément ce que le recourant désire (ATA/688/2021 du 29 juin 2021 consid. 2).

En l’espèce, les recourants n'ont pas pris de conclusions formelles mais ils indiquent qu'ils souhaitent que leur recours soit pris en considération, en expliquant les raisons de leur paiement tardif de l'avance de frais devant le TAPI. On peut donc comprendre qu'ils demandent l'annulation du jugement attaqué.

Le recours est par conséquent recevable.

3) Le litige porte sur la conformité au droit du jugement du TAPI du 28 septembre 2020 déclarant irrecevable le recours du 10 juillet 2020.

4) a. L'exigence de l'avance de frais et les conséquences juridiques en cas de non-paiement de celle-ci relèvent du droit de procédure cantonal. Les cantons sont libres, dans le respect des garanties constitutionnelles, d'organiser cette matière à leur guise (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1022/2012 du 25 mars 2013 consid. 5.1 ; ATA/1262/2017 du 5 septembre 2017 consid. 2a et les références citées).

b. En vertu de l'art. 86 LPA, la juridiction invite le recourant à faire une avance ou à fournir des sûretés destinées à couvrir les frais de procédure et les émoluments présumables ; elle fixe à cet effet un délai suffisant (al. 1). Si l'avance n'est pas faite dans le délai imparti, la juridiction déclare le recours irrecevable (al. 2).

Selon l'art. 13 al. 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la partie ayant sollicité l'assistance juridique est provisoirement dispensée d'avancer ces émoluments jusqu'à droit jugé sur sa demande d'assistance – étant rappelé qu'à Genève, l'octroi de l'assistance juridique en matière administrative est confié au président du Tribunal civil (art. 10 al. 2 LPA).

À rigueur de texte, l'art. 86 LPA ne laisse aucune place à des circonstances extraordinaires qui justifieraient que l'avance de frais n'intervienne pas dans le délai imparti. La référence au « délai suffisant » de l'al. 1 de cette disposition laisse une certaine marge d'appréciation à l'autorité judiciaire saisie (ATA/184/2019 du 26 février 2019 consid. 3c ; ATA/916/2015 du 8 septembre 2015 consid 2c ; ATA/881/2010 du 14 décembre 2010 consid. 4a).

c. Selon la jurisprudence constante, il convient d'appliquer par analogie la notion de cas de force majeure de l'art. 16 al. 1 LPA afin d'examiner si l'intéressé a été empêché sans sa faute de verser l'avance de frais dans le délai fixé (ATA/158/2020 du 11 février 2020 ; ATA/38/2020 du 14 janvier 2020 ; ATA/636/2017 du 6 juin 2017 consid. 4b et les références citées).

d. De jurisprudence tout aussi constante, la sanction de l’irrecevabilité du recours pour défaut de paiement à temps de l’avance de frais ne procède pas d’un excès de formalisme ou d’un déni de justice, pour autant que les parties aient été averties de façon appropriée du montant à verser, du délai imparti pour le versement et des conséquences de l’inobservations de ce délai (ATF 133 V 402 consid. 3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_54/2020 du 4 février 2020 consid. 8.2).

e. Selon l'art. 16 al. 2 LPA, le délai imparti par l’autorité peut être prolongé pour des motifs fondés si la partie en fait la demande avant son expiration.

5) En l'espèce, les recourants ont été avertis de façon appropriée du montant à verser, du délai imparti et des conséquences de l'inobservation du délai, ce qu'ils ne contestent d'ailleurs pas.

Ils invoquent cependant le fait qu'ils ont déposé une demande d'assistance juridique et qu'ils auraient immédiatement versé l'avance de frais après avoir pris connaissance du refus de leur demande.

Il est exact que les recourants ont déposé une demande d'assistance juridique le 11 août 2020. Celle-ci a toutefois été rejetée le lendemain, décision qui a été reçue utilement par le recourant le 17 août 2020. En payant l'avance de frais le 24 août 2020, les recourants n'ont donc pas procédé immédiatement comme ils le prétendent. Ils n'ont pas non plus demandé le report du délai de paiement de l'avance de frais avant son échéance. Ces faits ne sont toutefois pas décisifs, dès lors que le dépôt de la demande d'assistance juridique avait pour conséquence la dispense d'avancer l'émolument demandé jusqu'à droit jugé sur ladite demande. Bien que le système genevois confie, en matière administrative, la décision sur l'octroi de l'assistance juridique à une autorité tierce, le justiciable doit être traité comme s'il n'avait affaire qu'à une seule institution. Il appartenait dès lors au TAPI de vérifier si une demande d'assistance juridique était en cours, lequel aurait alors dû suspendre la demande d'avance de frais, en impartissant le cas échéant un nouveau délai en cas de refus définitif de l'assistance juridique.

Le recours sera dès lors partiellement admis, et la cause renvoyée au TAPI pour examen des autres conditions de recevabilité et, le cas échéant, du fond du litige. Dans la mesure où le jugement attaqué est un prononcé d'irrecevabilité, il n'est en effet pas possible de donner suite à la demande des recourants d'examiner leur dossier au fond.

6) Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge des recourants (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée, les recourants n'y ayant pas conclu et n'ayant pas indiqué avoir exposé de frais pour leur défense (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 9 octobre 2020 par Madame A______ et Monsieur B______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 28 septembre 2020 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 28 septembre 2020 ;

renvoie la cause au Tribunal administratif de première instance pour instruction complémentaire et jugement au sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Madame A______ et Monsieur B______, à l'administration fiscale cantonale, à l'administration fédérale des contributions, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu'au service de l'assistance juridique, pour information.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, M. Verniory, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Chenaux, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

I. Semuhire

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :