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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4236/2005

ATA/345/2006 du 20.06.2006 ( HG ) , ADMIS

Descripteurs : DROIT FONDAMENTAL; QUALITÉ POUR RECOURIR; ÉGALITÉ DE TRAITEMENT; ASSISTANCE PUBLIQUE; DEMANDEUR D'ASILE ; RESSORTISSANT ÉTRANGER
Normes : Pacte I.11; Cst.12; Cst.36.al1; LAP.1; LAP.4
Résumé : Les obligations de l'Etat à l'égard des personnes démunies trouvent leur origine tant dans le droit international que dans le droit interne. L'utilisation de l'aide sociale pour poursuivre des buts de police des étrangers n'est admissible que si, comme toutes restrictions à un droit fondamental, elle repose sur une base légale, est d'intérêt public et proportionnée. En particulier, il convient de traiter tous les étrangers dont la situation est identique de la même manière qu'ils aient fait ou non l'objet d'une décision de refus d'entrer en matière.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4236/2005-HG ATA/345/2006

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 20 juin 2006

dans la cause

 

Monsieur T______
représenté par Me Pierre Bayenet, avocat

contre

HOSPICE GÉNÉRAL


 


1. Né le ______, Monsieur T______ (ci-après  : M. T______ ou le recourant) est un ressortissant du Bénin. Il a présenté le 12 février 2005 une demande d’asile auprès du centre d’enregistrement de Vallorbe, qui a été rejetée par décision de l’Office fédéral d’immigration (ci-après  : ODM) en date du 4 mars 2005. Le 14 du même mois, la commission suisse de recours en matière d’asile (ci-après  : la CRA) a rejeté le recours de M. T______, l’intéressé n’ayant pas rendu vraisemblable le moindre indice de persécution dans son pays d’origine.

2. Le canton de Genève ayant été désigné responsable de l’exécution de la décision de renvoi par l’ODM, M. T______ s’est fait identifier comme personne frappée d’une décision de non-entrée ou « NEM » n° 74 auprès des autorités cantonales compétentes. Il a alors été hébergé par l’Hospice général (ci-après : l’HG ou l’Hospice) au centre des Tattes, avant d’être transféré à l’ancien camp militaire de la Voie-des-Traz.

3. Le 24 juin 2005, M. T______ s’est adressé à l’HG. Il avait appris que le système d’aide fournie aux personnes frappées d’une décision de non-entrée en matière, avait été déclaré illégal par le Tribunal administratif du canton de Vaud. Le « problème » étant le même dans celui de Genève, il entendait recevoir une aide qui ne soit pas plus défavorable que celle octroyée à d’autres personnes.

4. Le 11 juillet 2005, l’HG a répondu à M. T______. L’Hospice agissait en exécution d’un arrêté pris le 28 juillet 2004 par le Conseil d’Etat du canton de Genève, relatif à l’aide d’urgence pour les personnes dont la demande d’asile avait fait l’objet d’une décision de non-entrée en matière passée en force. Il ne lui appartenait pas de s’en écarter.

5. Le 10 août 2005, M. T______ a réclamé contre la décision du 11 juillet 2005 auprès du président du conseil d’administration de l’HG. Il mettait en doute la légalité du système qui lui était appliqué, fondé sur un simple arrêté du Conseil d’Etat. En outre, le système ainsi instauré violait le principe de l’égalité de traitement. Si l’HG n’était pas compétent pour résoudre le problème, il était prié d’indiquer clairement quelle autorité l’était.

Le président du conseil d’administration de l’HG a accusé réception de la réclamation de M. T______, l’informant qu’une réponse lui parviendrait ultérieurement.

6. Sous pli expédié le 1er novembre 2005, le président du conseil d’administration à l’HG a fait notifier à M. T______ une décision rendue le 4 octobre de la même année.

L’octroi de prestations d’aide d’urgence relevait de la compétence des cantons, car les personnes frappées d’une décision de non-entrée en matière en force, étaient exclues du système de l’aide sociale du domaine de l’asile. Dans celui de Genève, l’arrêté relatif à l’aide d’urgence aux personnes dont la demande d’asile a fait l’objet d’une décision de non-entrée en matière passée en force du Conseil d’Etat du 28 juillet 2004 (ci-après : l’arrêté) avait été promulgué à cette fin par le Conseil d’Etat le 28 juillet 2004. A teneur de ce texte, l’aide d’urgence était fournie exclusivement en nature. Elle comportait l’hébergement, la nourriture et la mise à disposition de vêtements ainsi que d’articles d’hygiène de base. Quant aux soins de santé urgents, ils étaient dispensés soit par l’unité mobile de soins communautaires des Hôpitaux universitaires genevois (ci-après : UMSCO) ou par le centre d’accueil et d’urgence desdits hôpitaux.

Les personnes concernées étaient donc hébergées dans un lieu désigné à cette fin et recevaient des repas durant la semaine, ainsi que des bons alimentaires d’une valeur de CHF 15.- chacun pour les journées de samedi et de dimanche. Elles pouvaient également recevoir des vêtements et des articles d’hygiène de base. En revanche, les requérants d’asile avaient droit à des prestations en application de directives cantonales particulières. M. T______ réclamait une telle aide mais celle-ci ne correspondait pas au contenu de l’arrêté précité du Conseil d’Etat. La réclamation était donc rejetée.

7. Le 2 décembre 2005, M. T______ a recouru contre la décision précitée. Frappé d’une décision de non-entrée en matière, le recourant s’était présenté le 9 mai 2005 auprès de l’Office cantonal de la population pour y demander de l’aide. Il avait été alors enregistré en envoyé au centre des Tattes pour y être hébergé. A la fin du mois de mai, il avait été assigné au camp de la Voie-des-Traz, où il se trouvait encore au moment du dépôt de l’acte de recours. En raison de son statut, il ne lui était pas proposé d’activités d’intérêt général, contrairement aux requérants d’asile. Il était tenu de résider dans les bâtiments de la Voie-des-Traz, qui étaient fortement délabrés. Ces baraquements ne disposaient pas d’une isolation thermique ou phonique suffisante. Les toilettes étaient régulièrement bouchées. Au moment du dépôt de l’acte de recours, M. T______ recevait une carte par mois comportant un montant de CHF 30.- pour l’utilisation des transports publics genevois. La nourriture quotidienne se composait d’un petit-déjeuner, d’un sandwich et d’un repas à réchauffer. Le sandwich était insuffisant pour le repas de midi. Il ne s’était pas vu offrir d’habits adéquats et avait dû s’en procurer au moyen d’un bon qui lui avait été remis par le centre social protestant. Aucune activité n’était proposée aux habitants de la Voie-des-Traz et les visiteurs extérieurs étaient interdits. L’HG n’offrait aucune possibilité au recourant d’entrer en communication par téléphone ou par courrier avec sa famille restée au Bénin. Il n’avait pas non plus accès aux soins médicaux prévus par la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10), car il n’était pas affilié à une caisse d’assurance-maladie. Les conditions de vie au centre de la Voie-des-Traz étaient humiliantes et conduisaient à la dépression ou à l’alcoolisme. Enfin, les personnes concernées n’étaient pas informées de leurs droits.

8. A titre de mesures provisionnelles, M. T______ conclut à l’octroi de l’aide sociale prévue par la loi sur l’assistance publique (LAP - J 4 05). Au fond, il demande à ce que le tribunal constate que les conditions de vie au foyer de la Voie-des-Traz n’étaient pas conformes aux obligations internationales de la Suisse, à ce qu’il constate l’illégalité de l’arrêté et à ce qu’il soit mis au bénéfice de l’aide sociale prévue par la LAP. A titre subsidiaire, M. T______ demande à être mis au bénéfice de l’aide sociale prévue par l’arrêté du Conseil d’Etat du 28 juillet 2004 relatif à l’aide financière aux étrangers non titulaires d’une autorisation de séjour régulière.

9. Le 9 décembre 2005, l’HG a conclu, à titre principal, au rejet de la requête de mesures provisionnelles et, à titre subsidiaire, à l’application de l’arrêté relatif à l’aide financière aux étrangers non titulaires d’une autorisation de séjour régulière du 28 juillet 2004.

10. Le 14 décembre 2005, la requête de mesures provisionnelles a été rejetée en tant qu’elle était recevable, le transfert du recourant du centre de la Voie-des-Traz au foyer du Lagnon, créant une situation nouvelle.

11. Le 9 janvier 2006, l’HG conclut au rejet du recours et à la confirmation de sa propre décision.

12. Le 17 février 2006, les parties ont été entendues en audience de comparution personnelle.

a. M. T______ a exposé qu’il était logé au foyer du Lagnon, sur le territoire de la commune de Bernex : il s’agissait de bâtiments à deux étages, comportant des chambres prévues pour trois personnes. Au jour de l’audience, il partageait sa chambre avec un tiers. La cuisine était commune et prévue pour environ 10 chambres. Chacune d’elles étaient équipées de deux cuisinières. Il disposait de son propre frigo dans sa chambre. L’accès aux douches, aux w.c. ainsi qu’à l’ensemble des installations était possible en tout temps. Il en allait de même du réfectoire. M. T______ a décrit les repas reçus deux fois par jour : pour le matin, du thé, du pain, du fromage, du beurre, des yogourts et des fruits ainsi qu’un sandwich pour le repas de midi. Pour le repas du soir, les personnes hébergées dans le foyer recevaient des barquettes composées de riz ou de pâtes, à réchauffer. M. T______ a déposé trois rations quotidiennes. Il a acquiescé à la remarque du représentant de l’HG, selon lequel les personnes qui le souhaitaient pouvaient recevoir un supplément de nourriture.

A l’examen des repas déposés par le recourant, le tribunal a constaté que le petit-déjeuner était composé d’un morceau de pain, de fruits (banane ou orange selon les jours) d’un yogourt, de deux sachets de thé ainsi que de quatre portions de fromage à tartiner. Le repas de midi se composait d’un sandwich, le pain étant identique pour chaque jour. Des trois sandwichs déposés par le recourant, deux étaient au poulet et le troisième « un hamburger ». Le repas du soir se composait d’une barquette à trois compartiments comportant comme féculent du riz blanc ou du riz au curry ou encore de la purée de pommes de terre, accompagné à deux reprises de carottes et à une troisième de brocolis. Le troisième compartiment comportait de la viande.

Le tribunal a ordonné le dépôt de ces repas, qu’il a congelés.

S’agissant de l’hygiène personnelle et des soins, le recourant a exposé que les pensionnaires recevaient du savon, du dentifrice et du papier de toilette ainsi qu’une brosse à dents. S’agissant d’éventuels soins médicaux, ils pouvaient faire appel à l’UMSCO. Le recourant a encore expliqué qu’il souffrait de maux de ventre et qu’il avait consulté des médecins et reçu des médicaments. Il considérait toutefois qu’il n’y avait pas de dialogue avec ces praticiens et qu’il ne savait pas exactement de quoi il souffrait. Il recevait des antalgiques, mais il ne s’agissait pas là d’un véritable traitement.

Pour ce qui est des loisirs, il n’y avait pas de télévision au foyer, mais des livres et un baby-foot, dont les manches ne fonctionnaient plus. Il y avait eu également une table de ping-pong mais qui avait disparu. Les locaux n’étaient pas entretenus, personne n’assumant cette tâche. Il recevait encore un abonnement mensuel des TPG, ainsi que du papier et un stylo sur demande. Le chauffage fonctionnait convenablement.

b. L’HG n’a pas contesté la description du recourant, précisant que les cuisines étaient équipées également d’un four à micro-ondes. La literie et les serviettes de toilette étaient remises à l’intéressé à son arrivée. Les draps de lit étaient changés tous les 15 jours. Le foyer avait été équipé à deux reprises dune télévision, qui avait disparu. Deux baby-foot avaient été installés, l’un d’entre eux ayant été rendu hors d’usage dans la semaine qui avait suivi ; quant à la table de ping-pong, elle avait été détériorée en deux jours. Les résidents étaient informés de la nécessité de collaborer aux tâches de nettoyage et leurs noms étaient inscrits sur une liste dans ce but. Un système de « concierges » avait été mis en place pour l’entretien des locaux. Ces personnes ne recevaient pas de rémunération, mais pouvaient disposer, en fonction du taux d’occupation du bâtiment, d’une chambre individuelle.

c. Monsieur T______ a encore exposé qu’il travaillait toujours pour l’association « Genève roule ». Il était occupé dans un atelier de mécanique qui se trouvait à la gare de Cornavin et recevait une rémunération pour ce travail. Il avait collaboré avec l’ambassade du Bénin afin d’organiser son retour mais il n’avait pas de documents de voyage. Il était allé à trois reprises au bureau d’aide au départ et considérait ainsi avoir collaboré dans ce but, même s’il ne souhaitait pas retourner dans son pays où il n’était pas en sécurité.

d. Le représentant de l’HG a précisé que M. T______ bénéficiait d’une éducation que n’avaient pas tous les résidents : il était collaborant et ne créait pas de difficultés.

Les parties se sont encore exprimées sur leurs offres de preuve réciproques.

13. Le 13 avril 2006, le tribunal a procédé à des enquêtes :

a. Monsieur D______, pasteur, a exposé que l’Agora était une aumônerie qui fonctionnait de manière oecuménique auprès des requérants d’asile depuis plus de 20 ans. Elle offrait aux personnes concernées des moments d’écoute et un accompagnement au cours des différentes phases de leur séjour. L’Agora était présente notamment au foyer du Lagnon, sur invitation des autorités compétentes. De surcroît, l’Agora disposait de locaux à la Renfile où des cours étaient dispensés. Le foyer du Lagnon avait été ouvert dans d’anciennes chambres de l’hôpital de Loëx. Celles-ci comportaient auparavant deux lits, et maintenant trois dans celles que le témoin avait vues. Les occupants se plaignaient de la promiscuité. S’agissant de leurs repas, ils souhaitaient pouvoir disposer de coupons, comme pendant le week-end, pour préparer des plats à leurs goûts et gérer ainsi une partie de leur existence. Le témoin avait pu constater la présence d’un appareil de télévision dans une chambre. Il avait cru entendre des pensionnaires jouer au football de table. Il n’avait pas constaté directement la présence d’une bibliothèque et ne disposait pas d’une salle correctement équipée pour recevoir les personnes qui souhaitaient le voir. Les locaux étaient sales et il n’avait pas été possible de motiver les intéressés pour les nettoyer : ils étaient démobilisés et ne se levaient souvent pas de la journée. Il n’avait d’ailleurs pas constaté que des habitants du foyer du Lagnon venaient suivre des cours à la Renfile. Les activités sportives avaient plus de succès.

b. M. M______ a été entendu en qualité de témoin. Ressortissant d’Angola, il était hébergé au centre du Lagnon depuis la fin de l’année 2005, en provenance du foyer de la Voie-des-Traz. Il habitait dans une chambre prévue pour trois. Les occupants s’étaient pourvus eux-mêmes de petites tables pour leurs affaires. Ils disposaient d’une armoire pour leurs vêtements mais celle-ci se trouvait à l’extérieur de la chambre. Les douches et les w.c. se trouvaient sur l’étage. Les résidents s’occupaient du nettoyage de leur chambre, mais ne prêtaient pas attention à celui des locaux communs, car ils étaient démoralisés. La qualité de la nourriture était mauvaise ; il fallait réchauffer les repas qui donnaient parfois des troubles digestifs. Pour recevoir des fruits ou des yogourts supplémentaires, il fallait insister auprès des responsables. Cette alimentation ne correspondait pas aux habitudes des intéressés. Pour leurs loisirs, les résidents disposaient d’un baby-foot et jouaient au football avec des personnes de l’Agora. Il y avait une bibliothèque, en accès libre. Les soins par l’intermédiaire de l’UMSCO ou l’hôpital cantonal étaient corrects. Pour les vêtements, il recevait des bons afin de se rendre chez Caritas. Les résidents avaient droit également à un abonnement mensuel des transports publics genevois. Lorsqu’il était hébergé au Bois-des-Frères, le témoin participait à un programme de nettoyage des locaux communs et était rémunéré pour cela.

c. Le troisième témoin entendu a été M. V______, intendant du foyer du Lagnon où il passait toute la journée. Il était surtout en charge de tâches concrètes, comme l’intendance, les nettoyages, la lessive et la distribution du courrier. Le repas de midi était distribué par des personnes extérieures, en même temps que le petit déjeuner. Celui du soir l’était par un agent de sécurité privé. Le témoin pouvait distribuer du beurre, du fromage de la confiture, du pain ou des fruits, aux personnes qui s’étaient levées trop tard et qui n’avaient pas pu prendre leur petit déjeuner ou qui disaient avoir encore faim. Une bibliothèque en accès libre était à disposition, mais la demande n’était pas grande. Les jeux de société n’avaient pas non plus beaucoup de succès. Des deux footballs de table qui avaient été mis à disposition, l’un avait été abîmé rapidement et l’autre était encore utilisable, même s’il était en mauvais état. Une table de ping-pong avait subi le même sort en moins d’une semaine. Trois téléviseurs avaient été installés, mais deux avaient été emportés dans la journée même. Un quatrième était dans le bureau de l’intendant dans l’attente d’un système de fixation assez solide.

S’agissant des nettoyages, trois personnes par étage étaient désignées pour s’occuper des locaux communs, mais ce système ne fonctionnait pas du tout, faute de volonté des intéressés. Il arrivait fréquemment que les plaques électriques soient laissées allumées dans les cuisines et que cela provoque des alertes-incendies, comme la veille même de l’audition du témoin. Chacun des pensionnaires était en charge du nettoyage de sa propre chambre. Le témoin n’était pas en mesure d’organiser lui-même des activités culturelles ou sportives, mais il affichait toutes celles proposées par la commune de Bernex, par l’Agora ou encore par d’autres institutions.

Les demandes de soins médicaux passaient par l’HG et les personnes concernées étaient dirigées soit sur l’UMSCO, soir sur les HUG, en fonction de l’urgence.

L’Agora utilisait le réfectoire du troisième étage du bâtiment pour ses rencontres ; cette salle était équipée d’une grande table, de quelques chaises et d’une armoire.

Le témoin a encore exposé que le recourant ne participait pas aux travaux d’utilité communautaire et qu’il arrivait au foyer vers 9h00, en provenance de l’extérieur.

De manière générale, l’ambiance était bonne dans le foyer, sans aucune tension à l’égard de l’intendant, qui entretenait de très bonnes relations avec les résidents, connaissant certains d’entre eux depuis deux ou trois ans.

d. Le témoin suivant a été M. D______, cuisinier au service de l’HG depuis deux ans. Il s’occupait de la préparation des repas pour le foyer d’Anières, où des personnes venaient suivre des cours une fois par semaine ainsi que de ceux destinés au foyer du Lagnon. Il effectuait ces tâches avec un groupe stable d’une douzaine de requérantes d’asile africaines. Les repas étaient préparés trois fois par semaine ; ils comportaient une entrée, un plat principal et un dessert. Pour les personnes frappées d’une décision de non-entrée en matière, seul était toutefois livré le plat principal, composé d’un féculent, de viande et d’un légume. Le témoin disposait d’un budget de CHF 12.- par jour et par personne pour préparer le petit-déjeuner, le sandwich de midi et le repas du soir.

Le cuisinier et son équipe s’efforçaient de varier les repas, qu’il discutait avec les résidents du foyer du Lagnon. C’est ainsi qu’il avait introduit les pâtes et les pommes de terres à leur demande. Il n’avait jamais entendu de critiques quant à la qualité de la nourriture. Pour le repas de midi, il avait proposé aux requérants de remplacer le sandwich par une barquette comportant un féculent et une viande, ce qui avait rencontré l’accord des intéressés. Lorsqu’il rencontrait ceux-ci, en général le mardi ou le vendredi, voire lors de la livraison des repas, il ne ressentait aucune hostilité à son égard.

e.  Le dernier témoin entendu a été Mme A______, de nationalité togolaise. Elle participait aux ateliers de formation de l’HG depuis plus d’une année et à raison de trois jours par semaine. Elle savait que leur travail comportait notamment la préparation des repas pour le foyer du Lagnon où elle s’était déjà rendue elle-même à trois ou quatre reprises avec le témoin précédent, M. D______. Les repas étaient à base de riz et les légumes étaient changés chaque jour. A la place du riz, les cuisinières préparaient parfois des pommes de terre, des pâtes ou de la polenta. Les recettes utilisés comportaient de l’émincé de poulet au curry, du ragoût de bœuf avec de la sauce tomate ou de la sauce bolognaise, voire du ragoût de veau ou des cuisses de poulet. Le ragoût à la sauce tomate était préparé comme en Afrique. Les cuisinières participaient à tour de rôle aux achats. Elles prenaient comme repas de midi les aliments qui étaient préparés pour les résidents du Lagnon. S’agissant des sandwichs, le témoin avait déjà eu l’occasion d’en manger également.

f. Entendu à l’issue des enquêtes sur le point de savoir où il résidait, M. T______ a répondu qu’il n’était plus tous les jours au foyer du Lagnon et qu’il y passait rarement ses nuits. En revanche, il y mangeait.

g. Quant à l’HG, sa représentante a exposé ne pas souhaiter demander la suspension de la procédure, même si la question du droit à l’aide d’urgence concernant le recourant pouvait être posée, car ce dernier semblait ne plus résider de manière permanente dans le foyer.

h. Le recourant a indiqué qu’il maintenait sa requête d’audition d’un employé de l’Agora ainsi que celle visant à un transport sur place. Il n’avait plus d’autre requête à formuler quant à l’instruction du dossier.

14. Le 1er mai 2006, le recourant a encore déposé la copie d’une pétition de pensionnaires du foyer du Lagnon, datée du 30 mars 2006, demandant le retour au système de la distribution de bons au lieu de repas préparés et dénonçant la promiscuité dans les chambres, le manque de propreté ainsi que l’absence de suivi par un assistant social ou une autre personne ayant une formation psychologique. Enfin, les câbles de la télévision avaient été arrachés avant l’arrivée des intéressés et ces derniers souhaitaient que les locaux soient « remis en ordre ».

15. Le 6 juin 2006, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

1. Interjeté en temps utile, le recours est recevable (art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10). A teneur de l’article 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 (LOJ - E 2 05), le Tribunal administratif est l’autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative.

a. Selon l’alinéa 2 de la même disposition, le recours est ouvert contre la décision des autorités et juridictions administratives au sens notamment de l’article 5 lettre g LPA (ATA/21/2006 du 17 janvier 2006 et ATA/617/2005 du 29 septembre 2005) selon lequel sont réputés « autorités administratives » notamment les personnes, institutions et organismes investis du pouvoir de décision par le droit cantonal.

A teneur de l’article 169 de la Constitution de la République et canton de Genève du 24 mai 1947 (A 2 00), l’intimé est un « organisme chargé de l’assistance publique », sous la forme d’un établissement de droit public doté de la personnalité juridique au sens de l’article 2 de la loi sur l'Hospice général du 17 mars 2006 (J 4 07). Sa mission est notamment d’exécuter la législation cantonale sur l’aide sociale et les tâches d’assistance qui relèvent au canton en matière d’asile (art. 3 al. 2 et 3). L’HG est ainsi une autorité administrative au sens de l’article 5 lettre g LPA.

b. A teneur de l’article 7 de l’arrêté, les décisions rendues en application dudit texte devaient être écrites et motivées et comporter les voies de droit. Selon l’alinéa 2 de la même disposition et s’agissant de la mise en œuvre de l’article 12 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), elles pouvaient faire l’objet d’un recours au Tribunal administratif.

En l’espèce, le recourant a fait l’objet d’une première décision le 11 juillet 2005, qu’il a pu contester par-devant le président du conseil d’administration de l’HG, en application de l’article 5 de la loi sur l'assistance publique du 19 septembre 1980 (LAP - J 4 05), puis devant la juridiction de céans. L’intéressé bénéficie ainsi d’un recours à une autorité judiciaire.

2. Le droit d’être entendu est une garantie de nature formelle (Arrêt du Tribunal Fédéral 2P.256/2001 du 24 janvier 2002 consid. 2a et les arrêts cités ; ATA/172/2004 du 2 mars 2004). Sa portée est déterminée en premier lieu par le droit cantonal (art. 41ss LPA) et le droit administratif spécial (Arrêt du Tribunal Fédéral 1P.742/1999 du 15 février 2000 consid. 3a ; ATF 124 I 49 consid. 3a p. 51 et les arrêts cités ; Arrêt du Tribunal fédéral du 12 novembre 1998 publié in RDAF 1999 II 97 consid. 5a p. 103). Si la protection prévue par ces lois est insuffisante, ce sont les règles minimales déduites de la Cst. qui s’appliquent (Arrêts du Tribunal fédéral 2P.256/2001 du 24 janvier 2002 consid. 2b ; 1P.545/2000 du 14 décembre 2000 consid. 2a et les arrêts cités ; B. BOVAY, Procédure administrative, Berne 2000, p. 198).

Tel qu’il est garanti par l’article 29 alinéa 2 Cst., le droit d’être entendu comprend le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos  ; les parties peuvent également offrir des preuves, pour autant qu’elles soient pertinentes (Arrêt du Tribunal fédéral 2P.77/2003 du 9 juillet 2003 consid. 2.1 et les arrêts cités ; ATA/172/2004 du 2 mars 2004 et les arrêts cités  ; A. AUER, G. MALINVERNI et M. HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, 2ème éd., Berne 2006, vol. II, p. 606).

En l’espèce, le recourant a pu déposer des écritures, être entendu en audience de comparution personnelle et participer aux enquêtes au cours desquelles ont été entendus un pasteur en charge de l’aumônerie auprès des requérants d’asile, une personne se trouvant dans la même situation que le recourant, l’intendant du foyer où il se nourrit, à défaut d’y être hébergé, le cuisiner en charge de la préparation des repas ainsi qu’un membre de son équipe. Il sied encore de préciser que l’autorité intimée était représentée notamment par le responsable du foyer.

Le tribunal est ainsi renseigné de manière suffisante pour pouvoir statuer utilement. Il n’y a pas lieu de procéder à l’audition d’autres témoins, voire qu’il se transporte sur place, car les questions litigieuses ont été suffisamment éclairées.

3. Selon la jurisprudence, la qualité pour recourir contre une décision est subordonnée à l’existence d’un intérêt actuel (ATF 123 II 285 consid. 4
p. 286 ss. ; 118 Ia 46 consid. 3c p. 53; 111 Ib 58 consid. 2 p. 52 et les références citées; ATA/875/2004 du 9 novembre 2004, publié à la SJ 2005 I 349ss. ; ATA/87/2006 du 14 février 2006  ; ATA/270/2001 du 24 avril 2001 ; ATA/731/1999 du 5 décembre 2000; ATA/295/1997 du 6 mai 1997; ATA G. du 15 janvier 1997). Il est toutefois renoncé à faire d'un tel intérêt une condition de recevabilité du recours lorsque cette exigence ferait obstacle au contrôle de la constitutionnalité d'un acte qui peut se reproduire en tout temps et qui échapperait toujours à la censure (Arrêt du Tribunal fédéral 1P.70/2001 du 7 août 2001, consid. 2 ; ATF 124 I 231 consid. 1b p. 233 et les arrêts ; ATA/270/2001 du 24 avril 2001).

Le recourant paraît ne plus séjourner de manière permanente au foyer du Lagnon, car il n’y passerait plus toutes ses nuits. Il aurait toutefois recours à certaines ressources qui lui sont offertes, notamment sur le plan alimentaire. S’agissant de l’octroi de l’aide d’urgence au sens de l’article 12 Cst, le litige est susceptible de se reproduire en tout temps, c’est-à-dire dès que l’intéressé n’aura plus d’autre lieu où dormir, et ce exactement dans les mêmes termes. Il y a donc lieu de renoncer à l’exigence de l’intérêt actuel.

4. Les obligations de l’Etat à l’égard des personnes démunies trouvent leur origine tant dans le droit international que dans le droit interne.

a. La Suisse est notamment liée par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 (Pacte I – RS 0.103.1 ; ATA/21/2006 du 17 janvier 2006). L’article 11 de ce traité prévoit que les Etats parties reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence ; il prévoit aussi que les Etats prendront des mesures appropriées pour assurer la réalisation de ce droit (ATA/809/2005 du 29 novembre 2005 ; ATA/631/2005 du 27 septembre 2005 et les arrêts cités). Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les normes contenues dans le Pacte n’ont qu’un caractère programmatique et ne fondent aucune prétention individuelle (ATF 126 I 240 consid. 2b p. 242 et 122 I 101 consid. 2a p. 147 ; arrêt du Tribunal fédéral 2P.77/2000 du 30 novembre 2000 et les arrêts cités).

b. Aux termes de l’article 12 Cst, quiconque est dans une situation de détresse et n’est pas en mesure de subvenir à son entretien, a le droit d’être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine. Ce droit à des conditions minimales d’existence fondent une prétention des justiciables à des prestations positives de l’Etat, visant à la satisfaction de leurs besoins élémentaires en nourriture, habillement, logement et soins médicaux de base (ATF 131 I 166 consid. 3.1 p. 172 et 130 I 71 consid. 4.1 p. 74 ; ATA/217/2006 du 11 avril 2006 et les arrêts cités  ; G. MALINVERNI et M. HOTTELIER, La réglementation des décisions de non-entrée en matière dans le domaine du droit d’asile - Aspects constitutionnels, AJP/PJA 11/2004 p. 1348-1354  ; A. AUER, G. MALINVERNI et M. HOTTELIER, op. cit., vol. II, p. 680). Il n’est pas contesté que la disposition constitutionnelle précitée protège également le droit à des conditions minimales d’existence des personnes frappées d’une décision de non-entrée en matière (ATF 131 I 166 précité, eodem loco ; G. MALINVERNI et M. HOTTELIER, op. cit., p. 1353). Dans un arrêt rendu le 16 mai 2006 (2P.67/2006), le Tribunal fédéral a confirmé sa jurisprudence antérieure, selon laquelle l’article 12 Cst ne garantit que le droit à l’aide indispensable selon la dignité humaine, sans laquelle la personne serait réduite à une existence de mendiant : soit de la nourriture, de l’habillement, un toit et des soins médicaux de base.

c. Selon la recommandation n° R (2000) 3 du comité des ministres du conseil de l’Europe aux États membres sur le droit à la satisfaction des besoins élémentaires des personnes en situation d’extrême précarité, adoptée le 19 janvier 2000 (https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=334185&BackColorInternet=9999CC&BackColorIntranet=FFBB55&BackColorLogged=FFAC75 consulté le 2 juin 2006), les besoins humains matériels élémentaires à satisfaire sont, à tout le moins, la nourriture, l’habillement, l’hébergement et les soins médicaux de base. En vertu de l’annexe à la même recommandation, le droit à la satisfaction de ces besoins élémentaires devrait être justiciable, toute personne en situation d’extrême précarité devant pouvoir l’invoquer directement devant les autorités et le cas échéant devant les tribunaux.

En l’espèce, il est incontestable que le recourant dispose d’un droit justiciable, qu’il a pu faire valoir directement auprès de l’administration, puis devant les tribunaux. Reste à déterminer si le contenu de ce droit est conforme aux engagements internationaux de la Suisse et à son ordre juridique interne.

5. S’agissant d’un domaine où les cantons sont tenus de concrétiser les droits contenus dans l’article 12 Cst (G. MALINVERNI et M. HOTTELIER, eodem loco), il incombe en premier lieu au législateur, cantonal en l’espèce, d’adopter les règles propres à matérialiser le droit international et constitutionnel (A. AUER, G. MALINVERNI et M. HOTTELIER, op. cit., vol. II, p. 681). Pour les personnes frappées d’une décision de non-entrée en matière, le Conseil d’Etat du canton de Genève a pris un arrêté fondé directement sur la Constitution fédérale ainsi que sur le droit fédéral, mais non sur la LAP.

a. Selon l’article 36 alinéa premier Cst, toutes restrictions à un droit fondamental doivent être fondées sur une base légale, de nature formelle si elles sont graves.

En l’espèce, il est établi que le recourant a accès à un logement, qu’il est nourri, qu’il a droit à des vêtements ainsi qu’à des soins médicaux élémentaires. Il n’est pas contesté non plus qu’il ne reçoit pas d’aide en espèces, si ce n’est les bons de repas pendant les fins de semaines et les jours fériés, ni que l’aide en nature est restreinte par rapport à celle que reçoivent d’autres personnes, puisqu’il ne reçoit pas l’entrée et du dessert accompagnant le repas chaud destiné au dîner.

b. Selon la jurisprudence du tribunal de céans, toute suppression totale de l’aide, voire toute suppression après l’échéance d’un délai de 45 jours, s’agissant des personnes ayant recouru contre une décision négative de l’office cantonal de la population en matière d’autorisation de séjour, est nulle pour violation de l’article 12 Cst et parce qu’elle est dénuée de toute base légale (ATA/109/2003 du 4 mars 2003 et ATA/815/2001 du 24 décembre 2001).

c.      Statuant le 15 juin 2005 (cause n° PS.2004.0230 http://www.jurisprudence.vd.ch/scripts/nph-omniscgi.exe consulté le 2 juin 2006, reproduit partiellement in Asyl 4/05 p. 35-36) dans une affaire opposant un requérant d’asile de nationalité guinéenne frappé d’une décision de refus d’entrer en matière à l’autorité compétente vaudoise, le Tribunal administratif de ce canton a considéré que les personnes en demande d’asile qui avaient fait l’objet d’une décision de refus d’entrer en matière passée en force et d’une décision de renvoi exécutoire, dépendaient entièrement des prestations servies par les cantons en matière d’assistance depuis qu’était entrée en vigueur, le 1er avril 2004, la loi fédérale du 19 décembre 2003 sur le programme d’allégement budgétaire 2003. L’objectif affiché consistait à rendre moins attractive la poursuite du séjour en Suisse et par conséquent à favoriser de cette manière l’exécution des renvois. L’utilisation du levier que constituait le droit de l’aide sociale afin de poursuivre des buts qui lui étaient exogènes, comme de police des étrangers n’allait pas de soi. Une telle distinction constituait une entorse au principe de l’égalité de traitement, de telle sorte qu’elle supposait, selon l’article 36 Cst, l’existence d’une base légale d’un intérêt public et le respect du principe de la proportionnalité. Le règlement litigieux étant l’œuvre du Conseil d’Etat du canton de Vaud et non du pouvoir législatif, il requérait une base légale formelle en tant qu’il comportait une inégalité de traitement fondée sur un but externe au droit de l’aide sociale. Pour ce motif, le Tribunal administratif vaudois a admis le recours, l’autorité cantonale intimée étant invitée à statuer à nouveau sur les prestations octroyées afin qu’elles soient conformes à l’article 12 Cst et au droit cantonal.

d. Dans le canton de Genève, l’assistance publique est fournie sur la base de la loi du 19 septembre 1980 (LAP - J 4 05). Selon l’article 1er alinéa 2, l’aide publique est destinée à venir en aide aux personnes dépourvues des moyens nécessaires pour satisfaire leurs besoins vitaux et personnels indispensables. La nature, l’importance et la durée de l’intervention de l’assistance dépendent de la situation particulière de l’intéressé (art. 4 al. 1er LAP). Cette aide est accordée dans les limites de directives annuelles arrêtées par le département compétent sur la base de barèmes intercantonaux (art. 4 al. 2).

e. La lecture des travaux préparatoires de la LAP permet d’en tirer les enseignements suivants  :

- lors de la présentation au Grand-Conseil par le rapporteur de la commission compétente du projet de loi relatif à l’assistance publique (MGC 1980/I 1041), la notion de droit à l’assistance était encore controversée (eodem loco p. 1045). L’article premier du projet de loi dont le texte est resté inchangé après les débats parlementaires comporte la notion en son alinéa 5, de « frais d’assistance » considérés comme une avance dont le remboursement pouvait être réclamé. S’agissant des formes d’assistance, il résulte des explications fournies par le rapporteur au Grand-Conseil (eodem loco p. 1048) que celles-ci seraient fondées sur des directives « établies pour le calcul des secours d’assistance » en fonction des recommandations de la conférence suisse des institutions d’assistance publique. Il est encore question d’un « barème » dont l’adaptation serait assumée par le département compétent. La notion d’une aide en nature figure toutefois dans le projet (art. 4 al. 1er let. b) et cette forme d’aide a été reprise par le législateur sans plus de discussions. Lors de son adoption le 19 septembre 1980, l’article 4 alinéa premier lettre b LAP avait ainsi la teneur suivante :

« les autres formes d’assistance comprennent notamment :

b) l’attribution d’une aide matérielle en espèce ou en nature lorsque l’intéressé ne peut subvenir d’une manière suffisante ou à temps, par ses propres moyens, à son entretien ou à celui des membres de sa famille qui partagent son domicile ; »

Selon l’alinéa 3 de la même disposition, il appartenait au département compétent d’adapter périodiquement l’aide aux changements de conditions de l’intéressé et ce dans les limites des directives.

Le Grand-Conseil a modifié le 11 octobre 1996 (MGC 1996/VI 6158) la teneur de l’article 4 LAP. La notion d’aide en nature avait déjà disparu du projet de loi déposé par le Conseil d’Etat (MGC 1996/II 1345). L’exposé des motifs accompagnant le projet du pouvoir exécutif ne comporte pas d’explication quant à la disparition de cette notion. S’agissant de la nouvelle teneur de l’article 4, il est fait simplement référence aux directives d’assistance, arrêtées chaque année par le département compétent, qui doivent être « conformes aux barèmes intercantonaux ». Ni le rapport de la commission chargée d’étudier ce projet de loi, ni les débats parlementaires ne permettent de considérer que le législateur entendait réserver la faculté du département compétent ou de l’Hospice général de distribuer l’aide publique en nature. En effet, le seul souci exprimé des commissaires était de s’assurer que le montant de l’aide, fixé selon des directives d’assistance qui devaient tenir compte des pratiques d’autres cantons, ne soit pas diminué (MGC 1996/VI 6162-6163).

Sur la base d’une interprétation historique tant du texte original de la LAP, adopté par le Grand-Conseil en 1980, que des modifications adoptées en 1996, on ne saurait considérer que le législateur cantonal avait prévu la possibilité d’une distribution en nature de l’aide publique.

6. Le principe de la légalité est un principe de valeur constitutionnelle consacré à l'article 5 alinéa premier Cst (ATF 128 I 113 consid. 3b p. 121). Il se composait traditionnellement de deux éléments : le principe de la suprématie de la loi et le principe de l'exigence de la base légale (ATA/63/2004 du 20 janvier 2004).

a. Cette distinction a été abandonnée (Cf. A. AUER, G. MALINVERNI et M. HOTTELIER, op. cit., 2006, vol. I, pp. 622-633) au profit du principe de la primauté de la Constitution, relativisé par les engagements internationaux de la Suisse, qui l’emportent sur les règles de droit interne, et complété par celui de l’exigence d’une base légale.

b. Selon ce principe, l'ensemble de l'activité étatique repose sur la loi. La base légale doit revêtir une certaine « densité normative », c'est à dire qu'elle doit présenter des garanties suffisantes de clarté, de précision et de transparence. Cette exigence de précision de la norme découle de celle de la sécurité du droit et du principe de l'égalité de traitement. L'exigence de la densité normative est toutefois relative. L'on ne saurait exiger du législateur qu'il renonce totalement à avoir recours à des notions imprécises, qui comportent une part nécessaire d'interprétation. Cela tient d'abord à la nature générale et abstraite de toute règle de droit, et à la nécessité qui en découle de laisser aux organes chargés de l'appliquer une certaine marge de manoeuvre lors de sa concrétisation. Plusieurs critères doivent être pris en compte pour déterminer quel degré de précision l'on est en droit d'exiger d'une loi, en particulier le cercle de ses destinataires et la gravité des atteintes qu'elle autorise aux droits fondamentaux. Une atteinte grave exige en principe une base légale formelle, claire et précise, alors que des atteintes plus légères peuvent, par le biais d'une délégation législative, figurer dans des actes de niveau inférieur à la loi (ATF 131 II 13 consid. 6.5.1 p. 29 ; ATA/63/20004 précité ; A. AUER, G. MALINVERNI et M. HOTTELIER, op. cit., 2006, vol. I, pp. 622 et suivantes).

Les exigences découlant du principe de la légalité ont également été dégagées par la Cour européenne des droits de l'homme. Elle entend le terme « loi » dans son acception matérielle et non formelle, en y incluant également le droit non écrit. Pour être valable, la base légale doit avoir une certaine qualité. Elle doit en particulier remplir les conditions de l'accessibilité et de la prévisibilité. L'accessibilité implique que la loi soit en principe publiée ou portée d'une autre manière à la connaissance de ses destinataires. Quant à l'exigence de prévisibilité, elle signifie que « le droit interne applicable doit être formulé avec suffisamment de précision pour permettre aux personnes concernées en s'entourant, au besoin, de conseils éclairés de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d'un acte déterminé » (A. AUER, G. MALINVERNI et M. HOTTELIER, op. cit., 2006, vol. I, p. 628 et les ACEDH cités).

c. Dans une jurisprudence constante, le Tribunal fédéral a posé trois conditions de validité des clauses légales de délégation, qui s'imposent aux cantons comme des exigences minimales :

- Le droit cantonal ne doit pas exclure la délégation  ;

- Celle-ci doit être limitée à un objet précis  ;

- La loi déléguant la compétence doit contenir les principes de la réglementation si l’atteinte à la situation juridique des administrés est grave (ATF 128 I 113 consid. 3c p. 122 et 118 Ia 245 consid. 3b p. 247-248).

Cette condition matérielle s'apprécie différemment selon les situations. Elle est appliquée strictement en matière fiscale, où la loi doit elle même fixer le sujet, l'objet et la mesure de l'impôt, de même que pour les restrictions particulièrement graves aux libertés publiques, de manière plus générale lorsque l'ordonnance touche gravement la situation juridique des administrés. En d'autres mots, la précision de la norme de délégation doit être proportionnelle à la gravité de l'atteinte portée aux administrés (ATF 128 I 113 consid. 3c p. 122 ; P. MOOR, Droit administratif, 1994, vol. I, p. 251-253).

d. En matière d’administration de prestation, il appartient au législateur de définir les lignes fondamentales de la prestation publique à fournir (ATF 128 I 113 consid. 3b p. 121) ; dans un arrêt rendu le 15 novembre 2004 (Asyl 1/05 p. 24 et note sous arrêt de K. AMSTUTZ), le Tribunal administratif bernois a considéré que toute réduction des prestations à l’aide minimale fournie en application de l’article 12 Cst devait reposer sur une base légale formelle. Le respect du principe de la légalité suppose le respect de ceux de l’égalité de traitement et de l’objectivité des critères d’attribution. (A. AUER, G. MALINVERNI et M. HOTTELIER, op. cit., 2006, vol. I, p. 634). Selon la doctrine (eodem loco, p. 635), le juge doit exercer son contrôle avec retenue.

En d’autres termes, il convient de traiter tous les étrangers dont la situation est identique de la même manière au regard de l’article 12 Cst. Si le législateur entend introduire des traitements dissemblables, ils doivent respecter tant le noyau dur de ce droit individuel que le principe de l’égalité, reposer sur des différences objectives et être fondés sur une base légale formelle.

7. Le 23 octobre 2002, le Conseil d’Etat avait pris un arrêté relatif à l’aide financière aux étrangers non titulaires d’une autorisation de séjour régulière, en exécution de l’article 12 Cst et « vu les arrêts du Tribunal administratif des 7 novembre 2000, 19 décembre 2000 et 4 décembre 2001 ». Il a été reconduit pour la dernière fois le 28 juillet 2004 (Feuille d’Avis Officielle du 30 juillet 2004 p. 4/5).

Les personnes visées par cet arrêté sont celles qui résident sur le territoire du canton sans autorisation de séjour (art. 1 al. 1er de l’arrêté). En application de l’alinéa 2 de ce même article, sont exclues de l’aide financière toutes celles dont la demande d’asile a été définitivement rejetée et qui se sont soustraites à l’exécution du renvoi signifié par les autorités compétentes.

L’article 3 de cet arrêté comporte un barème général pour l’entretien, l’argent de poche et les vêtements, de même que des postes particuliers pour des frais de transport et le logement. Il prévoit enfin que la cotisation d’assurance maladie de base est prise en charge par l’HG, de même que d’éventuelles franchises et participations aux frais médicaux.

a. Les étrangers qui ne sont pas titulaires d’une autorisation de séjour régulière, sans avoir été frappé pour autant d’une décision de refus d’entrer en matière comme le recourant, bénéficient ainsi d’une aide en espèces qui couvre leur entretien, l’argent de poche et les vêtements ainsi que le logement. Quant aux frais de transport, ils sont couverts par le biais de la remise de la carte correspondante selon les tarifs des transports publics genevois et ils ont accès aux soins médicaux pris en charge au titre de la LAMal.

De telles prestations sont plus étendues que celles que reçoit le recourant sans que sa situation ne soit différente au regard du droit à l’assistance publique. Cette entorse importante au principe de l’égalité de traitement en matière de droit à des conditions minimales d’existence, doit satisfaire aux conditions de l’article 36 Cst, selon lequel, en cas de restriction grave à un droit fondamental, celle-ci doit être prévue par une loi. Comme l’a retenu le Tribunal administratif vaudois, la situation sociale des personnes frappées d’une décision de non-entrée en matière en force n’est pas différente de celle des personnes dont la demande d’asile a été refusée, mais qui relèvent néanmoins du droit de l’asile. Une différence de traitement qui ne relève pas de la situation sociale objective des personnes concernées doit dès lors procéder du législateur, à qui il appartient de dire quels sont les étrangers à qui il suffit de procurer une aide d’urgence en nature par opposition à ceux qui reçoivent une aide en espèces.

b. Dans ces arrêts précités des 24 décembre 2001 et 4 mars 2003, le tribunal de céans a considéré que les versions antérieures de l’arrêté relatif à l’aide financière aux étrangers non titulaires d’une autorisation de séjour régulière du 28 juillet 2004 étaient contraires au droit supérieur, car elles limitaient dans le temps l’aide fournie à la personne assistée. En revanche, il n’a pas eu à se prononcer sur l’ampleur de l’aide fournie en application de l’article 3 dudit arrêté. Celui-ci comporte les sommes nécessaires pour se nourrir, se loger et se vêtir de même que les prestations nécessaires pour se soigner. Son contenu est donc conforme aux exigences de l’art. 12 Cst.

En l’espèce, le recourant conclut – à titre subsidiaire - au bénéfice de l’aide sociale au sens de l’article 3 de l’arrêté relatif à l’aide financière aux étrangers non titulaires d’une autorisation de séjour régulière du 28 juillet 2004. Il convient de faire droit à ce chef de ses conclusions, la distribution de l’aide sociale en nature ne disposant pas d’une base légale suffisante à l’heure actuelle en droit genevois. Il appartiendra au Grand-Conseil de modifier la LAP si le législateur entend rendre le système de l’aide en nature conforme au principe de la légalité.

10. Le recours doit être admis au sens des considérants : l’intéressé a droit à la même aide financière que les étrangers non titulaires d’une autorisation de séjour, pour autant qu’il remplisse l’ensemble des conditions légales, ce que l’intimé devra établir avant de rendre une nouvelle décision, celle du 4 octobre 2005 de même que celle du 11 juillet 2005 étant annulées. Son auteur, qui y a conclu, a droit à une indemnité de procédure dont le montant doit être arrêté à CHF 2'500.-, à la charge de l’intimé (art. 87 al. 2 LPA.. L’autorité intimée sera condamnée aux frais de la procédure arrêtés à CHF 1'500.-,

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 décembre 2005 par Monsieur T______ contre la décision de l'Hospice général du 4 octobre 2005 ;

au fond :

l’admet ;

annule les décisions du 4 octobre 2005 et du 11 juillet 2005 ;

renvoie le dossier à l’Hospice général pour nouvelle décision au sens des considérants ;

met à la charge de l’Hospice général un émolument d’un montant de CHF 1'500.- ;

dit que l’Hospice général versera au recourant une indemnité de procédure d’un montant de CHF 2'500.-;

communique le présent arrêt à Me Pierre Bayenet, avocat du recourant ainsi qu'à l'Hospice général .

Siégeants : Mme. Bovy, présidente, M. Paychère, président, Mme Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj.:

 

 

M. Tonossi

 

la vice-présidente :

 

 

L. Bovy

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :