Décisions | Chambre civile
ACJC/840/2025 du 17.06.2025 sur JTPI/9215/2024 ( OO ) , JUGE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/14422/2021 ACJC/840/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MARDI 17 JUIN 2025 |
Entre
Madame A______, domiciliée ______, appelante d'un jugement rendu par la 4ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 25 juillet 2024, représentée par Me Marie BERGER, avocate, BRS Berger Recordon & de Saugy, boulevard des Philosophes 9, case postale, 1211 Genève 4,
et
Madame B______, domiciliée ______, intimée, représentée par
Me Jean-François DUCREST, avocat, Ducrest Heggli Avocats LLC, rue Kitty-Ponse 4, case postale 3247, 1211 Genève 3.
A. Par jugement JTPI/9215/2024 du 25 juillet 2024, reçu le 31 juillet 2024 par A______, le Tribunal de première instance, statuant par voie de procédure ordinaire, a condamné la précitée à permettre à B______, ainsi qu'à toute personne expressément invitée par celle-ci, d'accéder librement au bien-fonds, parcelle 1______, Commune no. 2______/C______ [GE] (chiffre 1 du dispositif), arrêté les frais judiciaires à 20'700 fr., partiellement compensés avec les avances versées par les parties et mis à la charge de A______, condamné la précitée à payer 2'200 fr. à B______, en remboursement de l'avance versée par cette dernière, et 17'800 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, à titre de solde des frais judiciaires (ch. 2), condamné A______ à payer à B______ 15'000 fr. TTC à titre de dépens (ch. 3) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).
B. a. Par acte déposé le 16 septembre 2024 au greffe de la Cour de justice, A______ a formé appel de ce jugement, concluant, principalement, à l'annulation de celui-ci, cela fait au déboutement de B______ de toutes ses conclusions et, subsidiairement, au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision dans le sens des considérants, le tout sous suite de frais de première instance et d'appel.
b. Dans sa réponse du 12 novembre 2024, B______ a conclu, principalement, à l'irrecevabilité de l'appel formé par A______ et, subsidiairement, à la confirmation du jugement entrepris avec suite de frais.
c. Dans sa réplique, A______ a formulé un nouvel allégué et produit deux nouvelles pièces, soit deux extraits de la Feuille d'avis officielle (FAO) datant des ______ et ______ 2024.
d. Dans sa duplique, B______ a conclu à l'irrecevabilité de ce nouvel allégué et de ces nouvelles pièces.
e. Le 10 février 2025, A______ s'est déterminée sur la duplique et a produit un avis de droit du professeur D______, daté du même jour. Elle a formulé deux nouveaux allégués s'y rapportant.
f. B______ a conclu à l'irrecevabilité de cette nouvelle pièce et des allégués y relatifs dans le cadre de déterminations spontanées.
g. Les parties ont encore déposé des écritures spontanées, persistant dans leurs conclusions respectives.
h. La cause a été gardée à juger le 18 mars 2025, ce dont les parties ont été avisées le même jour.
C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :
a. B______ est la veuve de E______, décédé en 1997.
Leur fils, F______, a épousé A______. Le couple a eu quatre filles.
F______ est décédé le ______ 2021.
b. En 1957, feu G______, père de feu E______, a légué à l'Etat de Genève la parcelle 1______ de la Commune de C______, d'une surface de 177'614 m2 (ci-après : le H______), comprenant un bien de 1'126 m2 (bâtiment 3______ de la parcelle; ci-après : le I______) et de nombreuses dépendances, dont un pavillon habitable de 647 m2 (bâtiment 4______ la parcelle; ci-après : le J______).
c. S'agissant de longue date de la résidence de la famille [de] E______, le H______ a été grevé en faveur de certains des membres de la famille de servitudes d'usufruit accordées à titre viager par l'Etat de Genève et inscrites au Registre foncier aux dates et pour les bénéficiaires suivants :
le 17 juillet 1958 en faveur de feu E______;
le 25 février 1986 en faveur de B______ et de feu F______; et
le 29 juillet 2003 en faveur de A______.
d. Une convention datée du 25 février 1986 entre l'Etat de Genève, d'une part, et feu E______, B______ et feu F______, d'autre part, précise au sujet des droits d'usufruit accordés que "sans préjudice des droits de l'Etat de Genève, les usufruitiers sont libres de fixer, s'il y a lieu, les rapports internes qui découlent de leur usufruit respectif".
Une mention similaire figure dans le document étendant la servitude à A______.
e. Officiellement domiciliée au H______ depuis 1963, B______ a habité dans le I______ avec son époux jusqu'au décès de celui-ci en 1997.
Elle s'est ensuite installée dans le J______, précédemment occupé par sa belle-mère, laissant l'usage du I______ à son fils et sa famille.
Depuis 2015, B______ a quitté le [bien] H______, tout en y conservant son domicile officiel, et s'est installée dans un appartement à Genève, puis dans une propriété à K______ [GE].
Elle envisage de procéder à des travaux de rénovation dans le J______, qui n'ont pas été entrepris à ce jour.
f. A______ est domiciliée [au bien] H______ et y occupe le I______ depuis son mariage avec feu F______ en 1999. Elle y réside actuellement avec trois de ses filles.
g. Les usufruitiers successifs ou simultanés du H______ (actuellement B______ et A______) n'ont jamais conclu entre eux de convention écrite réglant leurs rapports internes de co-usufruitiers, ni eu de réels débats à ce sujet.
h. Ils se sont répartis l'usage et la jouissance du H______.
A tout le moins jusqu'en 2015, B______ utilisait le J______, ne se rendant au I______ qu'occasionnellement et sur invitation.
A______, feu F______ et leurs filles habitaient au I______ et jouissaient du reste du [bien] H______, se chargeant de sa gestion et de son entretien. La situation est inchangée à ce jour pour A______ et trois de ses filles.
Du temps où B______ vivait sur le H______, A______, feu F______ et leurs filles ne se rendaient au J______ que sur invitation de B______.
i. Les frais d'entretien du H______ à charge des usufruitiers, de l'ordre de 3'250'000 fr. par an, personnel domestique non inclus, sont payés à raison de 535'000 fr. annuels par une fondation ad hoc et par l'hoirie de feu F______ pour le solde.
j. A tout le moins depuis le décès de son époux, B______ ne contribue pas aux charges d'entretien du H______ et n'a pas été requise en ce sens par feu son fils ou, suite à son décès, la veuve de celui-ci.
k. Après son départ du H______, B______ ne s'y est rendue qu'à de rares occasions, y dépêchant depuis lors ses employés pour relever son courrier.
l. En mars et avril 2021, B______ a requis à deux reprises A______ de pouvoir accéder au H______ avec ses mandataires pour faire inventorier, en vue de leur enlèvement, certains biens se trouvant au I______, dont elle allègue être propriétaire.
m. Ses requêtes demeurant sans réponse, B______ a averti A______ le 7 mai 2021 que ses mandataires se présenteraient au H______ dans le but précité le 19 mai 2021 à 09h00.
n. Le jour en question et à l'heure annoncée, les mandataires de B______ se sont présentés à l'entrée du I______. A______, soit pour elle ses employés et mandataires instruits à cette fin, leur a répondu qu'ils n'étaient pas autorisés à y pénétrer.
o. Par demande intitulée "action en revendication d'une servitude" du 22 juillet 2021, déclarée non conciliée le 29 septembre 2021 et introduite devant le Tribunal le 18 octobre 2021, B______ a conclu, après avoir complété ses conclusions par réplique du 4 juillet 2022, à ce qu'il soit ordonné à A______ de lui laisser, ainsi qu'à toute personne expressément invitée par ses soins, libre accès au H______ et à ce que cette injonction soit assortie de la menace de la peine d'amende prévue par l'art. 292 CPC ainsi qu'à une amende d'ordre de 1'000 fr. par jour en cas d'insoumission, sous suite de frais.
p. Par réponse du 31 mars 2022 et duplique du 30 septembre 2022, encore suivies de plusieurs écritures spontanées, A______ a conclu au rejet de la demande, sous suite de frais.
En substance, elle a fait valoir que B______ avait volontairement renoncé à l'exercice de son droit d'usufruit, lequel s'était éteint conformément à l'art. 748 CC. Dans un argumentaire subsidiaire, elle a fait valoir que les parties étaient convenues de limiter le droit d'usufruit de B______ à la seule jouissance du J______, à l'exclusion de toutes les autres composantes du [bien] H______, en particulier du I______.
q. Lors des audiences de débats des 15 février, 10 mai, 20 et 27 septembre 2023 et 31 janvier 2024, le Tribunal a procédé à l'interrogatoire des parties et à l'audition de plusieurs témoins.
q.a B______ a déclaré : "Il était tout-à-fait normal que mon fils habite le I______ après le décès de son père. La question ne s'est jamais posée qu'il habite éventuellement dans un autre lieu" et : "Mon fils allait se marier, il était plus normal qu'il occupe le I______ avec sa famille. Je me suis installée définitivement à ce moment-là dans le J______".
Tout en sollicitant un "accès libre" tant au J______ qu'au I______, elle a relevé, sur présentation de photographies prises dans le J______ par sa partie adverse, que le fait qu'on soit entré dans le J______ sans son consentement "constitu[ait] un viol", en ajoutant : "Imaginez que je fasse la même chose dans le I______".
Elle utilisait le J______; son fils et sa famille [les autres immeubles du bien]. Elle n'échangeait jamais sur le H______, ni avec son fils, ni avec sa belle-fille ou ses petites-filles. Elle ne s'était jamais rendue au I______ entre 1997 et 2015. Après la mort de son fils, elle s'était vu signifier une interdiction formelle d'accéder au H______; son courrier et ses médicaments lui étaient remis par-dessus la grille.
q.b A______ a déclaré que la tradition familiale voulait que feu son époux reprenne une grande partie du H______, pour des motifs de continuité dynastique, et que cette reprise s'entendait avec les charges liées à cet usage. Le partage du H______ avait été entendu entre feu F______ et sa mère, à savoir que ce dernier et sa famille occupaient la majorité du H______ et B______ s'accommodait du J______.
L'interdiction d'accès faisait suite aux procédures initiées par B______ et non pas suite au décès de F______. Elle n'avait reçu des demandes d'accès qu'après le décès de ce dernier et uniquement de la part de l'ancien conseil de B______. Elle n'y avait pas donné suite, au vu de la répartition qui avait été convenue et du départ de la précitée qui avait abandonné le J______ depuis 2015.
q.c Les quatre filles de A______, le responsable de la sécurité et l'intendant du H______ ont tous confirmé que B______ bénéficiait exclusivement du J______ et n'allait au I______ que sur invitation. Il en allait de même de A______, feu son époux et sa famille, qui habitaient au I______ et ne se rendaient pas au J______ sans invitation.
r. Les parties ont persisté dans leurs conclusions lors de l'audience de plaidoiries finales du 5 juin 2024, à l'issue de laquelle le Tribunal a gardé la cause à juger.
D. Dans le jugement entrepris, le Tribunal a retenu que l'action de B______ en revendication de son droit d'usufruit sur le H______ était fondée. Rien n'indiquait qu'elle aurait, par actes concluants, renoncé à son droit d'usufruit, comme le soutenait sa partie adverse. Elle n'avait pas contribué à la gestion et l'entretien financier du H______, car elle n'avait pas été requise de le faire et avait quitté le J______ pour différentes raisons (mésentente avec A______, vétusté du J______, motifs de santé et de mobilité), sans toutefois modifier son domicile. Cela démontrait sa volonté de ne pas renoncer au bénéfice de sa servitude. En tout état, seul le propriétaire, soit l'Etat de Genève, était en droit d'exiger la radiation de la servitude inscrite en sa faveur. Or une telle volonté du propriétaire n'avait jamais été alléguée. A titre subsidiaire, le Tribunal a relevé que B______ n'avait pas non plus renoncé, par actes concluants, à l'exercice de son droit d'usufruit sur tout le H______ à l'exclusion du J______. Les éventuels accords qu'elle aurait passés avec feu son fils ne concernaient pas A______, qui ne s'était installée au H______ qu'en 1999, à la suite de son mariage, et n'en était devenue usufruitière qu'en 2003. De plus, le Tribunal ne discernait pas de motif raisonnable qui justifierait que B______ ait renoncé volontairement à son usufruit sur tout le reste du H______, présentant une valeur économique et de prestige substantielle, qui plus est en faveur de A______, alors que les parties ne s'appréciaient pas.
1. 1.1 Le jugement querellé est une décision finale de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC), rendue dans une affaire patrimoniale, dont la valeur litigieuse au dernier état des conclusions était supérieure à 10'000 fr. au vu de la valeur manifeste de la parcelle de plus de dix-sept hectares concernée par le droit d'usufruit litigieux (art. 308 al. 2 CPC). La voie de l'appel est ainsi ouverte.
1.2 Interjeté dans le délai et les formes prescrits par la loi (art. 130, 131, 142 al. 1 et 3, 143 al. 1, 145 al. 1 let. b et 311 CPC), l'appel est recevable.
1.3 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC), en appliquant la maxime des débats et le principe de disposition (art. 55 al. 1 et 58 al. 1 CPC). Elle applique le droit d'office (art. 57 CPC).
Elle contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 141 III 569 consid. 3.3; ATF 138 III 374 consid. 4.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_902/2020 du 25 janvier 2021 consid. 3.3).
1.4 Le jugement entrepris ayant été communiqué aux parties avant le 1er janvier 2025, la présente procédure d'appel demeure régie par l'ancien droit de procédure (art. 404 al. 1 et 405 al. 1 CPC), sous réserve des dispositions d'application immédiate énumérées à l'art. 407f CPC.
2. 2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en compte que s'ils sont invoqués ou produits sans retard et s'ils ne pouvaient être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise.
La diligence requise suppose que, dans la procédure de première instance, chaque partie expose l'état de fait de manière soigneuse et complète, et qu'elle amène tous les éléments propres à établir les faits jugés importants (arrêt du Tribunal fédéral 4A_334/2012 du 16 octobre 2012 consid. 3.1).
Les faits notoires n'ont ni à être allégués, ni à être prouvés. Ils sont soustraits aux restrictions, respectivement aux interdictions, des nova prévues par la loi (arrêts du Tribunal fédéral 5A_719/2018 du 12 avril 2019 consid. 3.2.1; 5A_610/2016 du 3 mai 2017 consid. 3.1). Pour être notoire, un fait ne doit pas être constamment présent à l'esprit; il suffit qu'il puisse être contrôlé par des publications accessibles à chacun (ATF 143 IV 380 consid. 1.1.1; 135 III 88 consid. 4.1; 134 III 224 consid. 5.2). Constitue notamment un fait notoire un extrait de la Feuille d'avis officielle (ACJC/805/2023 du 19 juin 2023 consid. 2.1; ACJC/44/2023 du 16 janvier 2023 consid. 2.1; ACJC/1845/2020 du 22 décembre 2020 consid. 2.2).
L'art. 317 al. 1 CPC concerne uniquement les faits, de sorte que l'argumentation juridique n'est pas visée par cette disposition (arrêt du Tribunal fédéral 4A_486/2017 du 23 mars 2018 consid. 3.2.1 et 3.2.2). Aussi, la production d'avis de droit, d'extraits doctrinaux ou de jurisprudence échappe-t-elle en principe à l'interdiction des nova, en tant que ces éléments visent à consolider l'argumentation juridique du recourant, mais elle doit être faite dans le délai de recours ou d'appel (arrêts du Tribunal fédéral 5A_847/2021 du 10 janvier 2023 consid. 2.3; 4A_303/2018 du 17 octobre 2018 consid. 3.2). En appel, les parties doivent présenter de manière complète les griefs contre la décision attaquée dans le délai d'appel, respectivement dans la réponse à l'appel; un éventuel deuxième échange d'écritures ou l'exercice du droit de réplique n'est pas destiné à compléter une motivation insuffisante, ni à introduire des arguments nouveaux après l'expiration du délai d'appel (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4; arrêts du Tribunal fédéral 4A_417/2022 consid. 3.1; 4A_412/2021 du 21 avril 2022 consid. 3.2).
2.2 En l'espèce et au vu des principes qui précèdent, les extraits de la FAO produits par l'appelante et l'allégué y relatif sont, sur le principe, recevables, puisqu'il s'agit de faits notoires admissibles en tout temps. Ils ne sont toutefois pas pertinents pour l'issue du litige.
En revanche, l'avis de droit du 10 février 2025 a été produit par l'appelante à l'appui de ses déterminations du même jour, en réponse à la duplique de l'intimée, soit largement après l'échéance du délai d'appel. Cet avis de droit, qui vise à compléter l'argumentation juridique de l'appelante, est donc irrecevable en application de la jurisprudence exposée ci-dessus. Il en va de même des allégués qui s'y rattachent.
3. L'appelante reproche à l'instance précédente d'avoir procédé à une constatation inexacte des faits sur plusieurs points. L'état de fait présenté ci-dessus a été rectifié et complété dans la mesure utile, sur la base des actes et des pièces de la présente procédure, de sorte que le grief de l'appelante en lien avec la constatation des faits ne sera pas traité plus avant.
4. L'intimée conclut à l'irrecevabilité de l'appel, au motif que l'appelante n'aurait pas contesté chacun des pans de la double motivation que contiendrait le jugement entrepris.
4.1 Une jurisprudence constante veut que, si une décision comporte une double motivation (i.e deux motivations indépendantes, alternatives ou subsidiaires), il incombe au recourant, sous peine d'irrecevabilité, de démontrer que chacune d'elles est contraire au droit (en application de l'art. 42 LTF : ATF 138 III 728 consid. 3.4; arrêt du Tribunal fédéral 4D_9/2021 du 19 août 2021 consid. 3.3.1). A défaut, le recours se réduit à une contestation sur la motivation, sans possibilité de modifier le dispositif de la décision querellée (arrêt du Tribunal fédéral 4A_133/2017 consid.2.2). Cette jurisprudence trouve également application sous l'empire du CPC (art. 311 CPC; arrêts du Tribunal fédéral 4A_614/2018 du 8 octobre 2019 consid. 3.2; 4A_525/2014 du 5 mai 2014 consid. 2 à 4). On ne peut parler de double motivation que si chacun de ses pans suffit à sceller le sort de la cause (arrêt du Tribunal fédéral 4D_9/2021 du 19 août 2021 consid. 3.3.1). C'est le cas par exemple lorsque le premier juge retient qu'aucun accord (un contrat de conseil ayant pour objet une plateforme informatique) n'a été conclu entre les parties (motivation principale) et qu'il ajoute que, même si l'on admettait l'existence d'un accord, le demandeur n'aurait de toute façon pas démontré la valeur des prestations pour lesquelles il entendait être rémunéré (motivation subsidiaire; arrêt du Tribunal fédéral 4A_614/2018 du 8 octobre 2019 consid. 3.2 et l'arrêt cité).
L'appelant doit démontrer le caractère erroné de la motivation (ou des motivations alternatives) de la décision attaquée par une argumentation suffisamment explicite pour que l'instance d'appel puisse la comprendre, ce qui suppose une désignation précise des passages de la décision qu'il attaque et des pièces du dossier sur lesquelles repose sa critique (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1; 141 III 569 consid. 2.3.3). Même si l'instance d'appel applique le droit d'office (art. 57 CPC), le procès se présente différemment en seconde instance. L'appelant doit tenter de démontrer que sa thèse l'emporte sur celle de la décision attaquée. Il ne saurait se borner à reprendre des allégués de fait ou des arguments de droit présentés en première instance, mais il doit s'efforcer d'établir que, sur les faits constatés ou sur les conclusions juridiques qui en ont été tirées, la décision attaquée est entachée d'erreurs. Il ne peut le faire qu'en reprenant la démarche du premier juge ou en mettant le doigt sur les failles de son raisonnement. Si la motivation de l'appel est identique aux moyens qui avaient déjà été présentés en première instance, si elle ne contient que des critiques toutes générales de la décision attaquée, ou encore si elle ne fait que renvoyer aux moyens soulevés en première instance, elle ne satisfait pas aux exigences de l'art. 311 al. 1 CPC et l'instance d'appel ne peut entrer en matière (arrêts du Tribunal fédéral 4D_9/2021 du 19 août 2021 consid. 3.3.1; 4A_290/2014 du 1er septembre 2014 consid. 3.1; 4A_397/2016 du 30 novembre 2016 consid. 3.1).
4.2 En l'espèce, contrairement à ce que soutient l'intimée, le jugement entrepris ne contient pas de double motivation dont chacun des pans suffirait à sceller le sort de la cause. Ainsi, le Tribunal a donné droit aux conclusions de l'intimée (i.e. la demanderesse en première instance), après avoir analysé les deux objections soulevées par l'appelante (i.e. la défenderesse en première instance), à savoir l'extinction du droit d'usufruit de l'intimée par abandon de son exercice, d'une part, et la limitation du droit d'usufruit de l'intimée à une partie du [bien] H______ (le J______), d'autre part. Il a rejeté ces deux arguments. Or, le fait que l'appelante ait renoncé à critiquer le jugement entrepris en tant qu'il a rejeté sa première objection, ainsi que le soutient l'intimée, ne suffit pas à vider l'appel de son sens, ni ne fait obstacle à une modification du dispositif querellé. L'appel est donc recevable sur le principe.
En outre, il ne saurait être reproché à l'appelante, qui avait le rôle de défenderesse en première instance et qui avait conclu au déboutement de l'intimée, de ne pas avoir pris une conclusion subsidiaire acceptant partiellement la demande comme le soutient l'intimée, puisque le Tribunal peut allouer moins qu'il n'est requis (cf. infra consid. 5). Le premier juge est d'ailleurs entré en matière sur cet "argumentaire subsidiaire" de la défenderesse, qu'il a examiné avant de le rejeter.
En revanche, c'est à juste titre que l'intimée soutient que l'appelante n'a pas formulé de grief (suffisamment) motivé relatif à l'extinction du droit d'usufruit de l'intimée sur le H______ par abandon de son exercice, si tant est qu'elle ait formulé un tel grief. Elle semble, en effet, avoir d'emblée renoncé à critiquer le jugement attaqué sur ce point, considérant que l'admission de son grief relatif à la limitation du droit d'usufruit de l'intimée au seul J______, conformément au règlement interne adopté par les co-usufruitiers, suffirait à lui donner gain de cause. L'intimée en a, pour sa part, déduit que l'appelante avait admis qu'aucune extinction du droit d'usufruit ne pouvait être retenue en raison de l'abandon de son exercice, ce que l'intéressée a toutefois contesté dans ses écritures postérieures à l'appel. En tout état, dès lors que le simple renvoi aux moyens soulevés en première instance ne satisfait pas aux exigences de motivation de l'appel, il n'y a pas lieu d'examiner ce grief plus avant.
5. L'intimée fait valoir que le Tribunal ne pouvait pas trancher la question des rapports internes entre les parties, respectivement établir un règlement interne relatif à l'exercice de leur droit d'usufruit, en raison de la maxime de disposition.
5.1 A teneur de l'art. 58 CPC, le tribunal ne peut accorder à une partie ni plus ni autre chose que ce qui est demandé, ni moins que ce qui est reconnu par la partie adverse.
Ainsi, dans le champ d'application du principe de disposition, le pouvoir de disposer de l'objet du litige appartient aux parties : elles peuvent déterminer si, quand, dans quelle mesure et combien de temps elles entendent faire valoir en justice une prétention procédurale, en tant que demandeur, respectivement la reconnaître, en tant que défendeur (ATF 134 III 151 consid. 3.2, in JdT 2010 I 124 et SJ 2008 I 271; 111 II 358 consid. 1, in JdT 1986 I 492; 110 II 113 consid. 4, in JdT 1986 I 103; arrêt du Tribunal fédéral 4A_307/2011 du 16 décembre 2011 consid. 2.4). La question de savoir si le tribunal a accordé plus ou autre chose que ce qu'une partie au procès a demandé se détermine en premier lieu selon les conclusions formulées. L'on ne se reporte à la motivation que si les conclusions ne sont pas claires et nécessitent une interprétation (arrêt du Tribunal fédéral 4A_397/2016 du novembre 2016 consid. 2.1).
Dans certains cas, le juge peut par ailleurs être amené à statuer sur la base de conclusions implicites, pour autant que les faits qui les justifient aient été allégués et les moyens de preuve offerts régulièrement et en temps utile; ces conclusions sont implicites, dans le sens que, sans être formellement exprimées, elles sont virtuellement contenues dans celles qui le sont et peuvent en être tirées par déduction (HOHL, Procédure civile I, 2ème éd. 2016, n. 1200-1202; arrêt du Tribunal fédéral 4A_428/2018 du 29 août 2019 consid. 4.2.1).
Si la procédure est soumise au principe de disposition, le tribunal peut, même sans conclusions subsidiaires, allouer moins qu'il n'est requis, si les conditions pour admettre entièrement les conclusions ne sont pas réunies (ATF 111 II 156 consid. 4, in JdT 1986 I 28; 115 II 6 consid. 7, in JdT 1992 I 261), ou se limiter à un constat alors qu'il a été conclu à une condamnation (arrêt du Tribunal fédéral 4P_296/2004 du 5 août 2005 consid. 4). Ainsi, la conclusion tendant à ce qu'un passage illimité à pied et en véhicule soit toléré et subsidiairement, octroyé, contient également la conclusion subsidiaire tendant à ce qu'un passage à pied et en véhicule moins étendu, limité à certains égards, soit toléré et subsidiairement, octroyé. Cas échéant, une telle conclusion contient même la conclusion tendant à ce que l'existence d'une obligation de tolérer, ou d'octroyer, soit constatée. Toutefois, les motifs qui pourraient conduire à l'admission des conclusions moindres doivent être allégués et prouvés, ou être incontestés (ATF 109 II 120 consid. 2b, in JdT 1984 I 41 et SJ 1984 240; arrêts du Tribunal fédéral 5A_221/2017 du 22 janvier 2018 consid. 3.3; 5A_449/2014 du 2 octobre 2014 consid. 6.2.1 et 6.2.2; 5A_348/2012 du 15 août 2012 consid. 6.2).
5.2 En l'espèce, l'intimée a conclu – dans son action en revendication d'une servitude et dans sa réplique – à ce qu'il soit ordonné à l'appelante de lui laisser libre accès au H______. De son côté, l'appelante a conclu au déboutement de l'intimée. Dans la motivation de sa réponse, elle a admis, à titre subsidiaire, que le droit d'usufruit de l'intimée ne pouvait s'exercer que sur sa quote-part, soit sur le J______, à l'exclusion des autres composantes du [bien] H______, dont le I______, en se fondant sur les rapports internes réglés entre les parties. Au vu des principes exposés supra, le juge peut admettre moins qu'il n'est requis, si les conditions pour admettre entièrement les conclusions ne sont pas réunies, sans violer la maxime de disposition, de sorte que la limitation de l'exercice du droit d'usufruit sur une seule partie du H______ paraît admissible au regard de cette maxime.
Par ailleurs, le fait que, pour trancher cette question, le juge est tenu d'examiner les rapports internes entre les parties n'implique pas qu'une conclusion constatatoire – par nature subsidiaire – soit prise à cet égard. Contrairement à ce que soutient l'intimée, il ne s'agit pas, en l'espèce, d'établir un règlement d'utilisation et d'administration des servitudes d'usufruit à caractère général, mais de déterminer, notamment dans le cadre de l'établissement des faits, s'il en existe un qui lierait les parties et, le cas échéant, prendre en considération son contenu. Au vu de ce qui précède, le Tribunal était fondé à examiner la question des rapports internes pour trancher le litige qui lui était soumis, sans violer la maxime de disposition.
6. L'appelante reproche au Tribunal de ne pas avoir constaté que les parties, en leur qualité de co-usufruitières, étaient liées par un règlement interne limitant l'exercice du droit d'usufruit de l'intimée au J______, à l'exclusion des autres composantes du [bien] H______. Cela aurait dû conduire le premier juge à rejeter la demande de l'intimée.
6.1 Un usufruit peut être établi sur des immeubles. Celui-ci confère à l'usufruitier, sauf disposition contraire, un droit de jouissance complet sur la chose (art. 745 al. 1 et 2 CC).
6.1.1 Les art. 730 ss CC ont pour objet les servitudes foncières, mais ils constituent en fait une partie générale pour toutes les servitudes; ils s'appliquent donc mutatis mutandis aux servitudes personnelles (Argul, in CR CC II, 2ème éd. 2016, n. 1 ad art. 730 CC).
Pour déterminer le contenu d'une servitude, il faut se reporter en priorité à l'inscription au Registre foncier, en tant qu'elle désigne clairement les droits et obligations dérivant de la servitude (art. 738 al. 1 CC). Si l'inscription n'est pas claire, il faut remonter au fondement de l'acquisition, c'est-à-dire au contrat constitutif de la servitude. Si le titre d'acquisition n'est pas concluant, le contenu de la servitude peut être déterminé par la manière dont la servitude a été exercée pendant longtemps, paisiblement et de bonne foi (art. 738 al. 2 CC; ATF 137 III 145 consid. 3.1; 132 III 651 consid. 8; 131 III 345 consid. 1.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_458/2019 du 30 janvier 2020 consid. 3.3.).
L'acte constitutif doit être interprété selon la réelle et commune intention des parties (art. 18 CO), respectivement selon les règles de la bonne foi lorsque cette volonté ne peut être établie. Toutefois, à l'égard de tiers qui n'étaient pas parties au contrat constitutif, ces règles d'interprétation sont limitées par la foi publique du Registre foncier qui comprend non seulement le grand livre mais aussi les pièces justificatives dans la mesure où elles précisent la portée de l'inscription (ATF 139 III 404 consid. 7.1; 137 III 145 consid. 3.2.1; 130 III 554, in JdT 2004 I 245; arrêt du Tribunal fédéral 5A_470/2021 du 20 janvier 2022 consid. 3.1.2).
Toute servitude doit être interprétée restrictivement et ne doit limiter les droits du propriétaire du fonds servant que dans la mesure nécessaire à son exercice normal (ATF 113 II 506 consid. 8b; 109 II 412 consid. 3 et les références citées; arrêts du Tribunal fédéral 5A_691/2019 du 16 avril 2020 consid. 3.3; 5A_872/2011 du 13 février 2012 consid. 3.2).
6.1.2 Selon l'art. 737 CC, le bénéficiaire d'une servitude peut prendre toutes les mesures nécessaires pour la conserver et en user (al. 1). L'ayant-droit est toutefois tenu d'exercer son droit de la manière la moins dommageable (al. 2). Le propriétaire grevé ne peut en aucune façon empêcher ou rendre plus incommode l'exercice de la servitude (al. 3). L'art. 737 CC fournit deux actions imprescriptibles : une action en revendication de la servitude quand le titulaire du droit est complétement empêché d'exercer son droit et une action confessoire quand il est gêné dans l'exercice de son droit (Argul, in CR CC, 2ème éd. 2016, n. 5-7 ad art. 737 CC).
6.1.3 Une servitude personnelle telle qu'un usufruit peut être constituée en faveur d'une seule personne ou en faveur de plusieurs personnes déterminées.
Dans l'hypothèse où plusieurs personnes bénéficient ensemble d'un usufruit, il convient de leur appliquer par analogie les règles sur la copropriété (art. 646 à 651 CC) lorsqu'elles n'ont pas entre elles un lien juridique faisant naître une propriété commune selon l'art. 652 CC (communauté héréditaire, société simple), ou les règles sur la propriété commune (art. 652 à 654 CC) lorsque les titulaires sont liés entre eux par un tel rapport de communauté. La doctrine romande parle, par analogie avec la propriété, de co-usufruit dans le premier cas et d'usufruit commun dans le second (ATF 133 III 311 consid. 4.2.2; Steinauer, Les droits réels, Tome III, 2021, n. 3606; Farine Fabbro, L'usufruit immobilier, thèse Fribourg 2000, p. 9 ss). L'art. 740a al. 1 CC prévoit d'ailleurs que, lorsque plusieurs ayants droit participent par une servitude de même rang et de même contenu à une installation commune, les règles de la copropriété sont, sauf convention contraire, applicables par analogie.
6.1.4 Lorsque plusieurs personnes ont, chacune pour sa quote-part, la propriété d'une chose, qui n'est pas matériellement divisée, elles en sont copropriétaires (art. 646 al. 1 CC).
Aux termes de l'art. 648 al. 1 2ème phr. CC, chaque copropriétaire jouit de la chose et en use dans la mesure compatible avec le droit des autres. Ce droit d'usage et de jouissance est déterminé par la quote-part (art. 646 al. 3 CC; Steinauer, Les droits réels, Tome I, 6ème éd. 2019, n. 1744).
Selon l'art. 647 al. 1 CC, les copropriétaires peuvent convenir d'un règlement d'utilisation et d'administration dérogeant aux dispositions légales. Par ce règlement, ou par une décision décidant de modifier celui-ci, les copropriétaires peuvent prévoir le rattachement d'un droit d'usage particulier ("ausschliessliches Benützungsrecht") ou droit préférentiel ("Vorrecht"), à certaines quotes-parts, droit qui permet aux copropriétaires concernés d'administrer, d'utiliser et de jouir exclusivement d'espaces déterminés du bâtiment ou des surfaces détenus en copropriété (arrêts du Tribunal fédéral 5A_11/2015 du 13 mai 2015 consid. 2.4.2; 5A_44/2011 du 27 juillet 2011 consid. 5.1.1; STEINAUER, Les droits réels, Tome I, op. cit., n. 1786; Brunner/Wichtermann, in Basler Kommentar, ZGB II, 4ème éd., 2011, n° 14 ad art. 647 CC). En vertu de 647 al. 1bis CC, une suppression ou une modification d'un tel droit d'usage particulier requiert l'approbation du ou des copropriétaires directement concerné.
Le règlement d'utilisation et d'administration établi par les copropriétaires constitue un contrat, qui présente des caractéristiques propres aux contrats de sociétés. Lorsqu'il attribue des droits préférentiels, il détermine ainsi les relations réciproques des copropriétaires entre eux pour la durée de la copropriété. S'il n'est pas soumis à une forme particulière, il doit toutefois revêtir la forme écrite si les copropriétaires souhaitent le mentionner au Registre foncier (ATF 94 II 17 consid. 3; arrêts du Tribunal fédéral 5A_11/2015 consid. 2.4.3; 5A_380/2013 du 19 mars 2014 consid. 3.1 et les références citées). Les possibilités sont gouvernées par l'autonomie de la volonté et ne sont limitées que par les normes impératives de l'ordre juridique (art. 19 al. 2 et 20 CO et 27 CC). Toutefois, une modification fondamentale des modalités d'utilisation exige l'unanimité et ne peut pas être imposée par une décision majoritaire (Perruchoud, in CR CC I, 2ème éd. 2016, n. 15 ad art. 648 CC).
Les copropriétaires peuvent s'imposer entre eux des restrictions réglementaires. Celles-ci pourront se trouver dans le document à l'origine de la copropriété, dans un règlement ou encore dans une pratique acceptée et reconnue par tous les partenaires (Perruchoud, op.cit., n. 16 ad art. 648 CC). Ainsi, une pratique constante et incontestée peut devenir contraignante et constituer une source réglementaire imposée à tout partenaire, y compris dans son opposabilité de l'art. 649a CC (Perruchoud, op. cit., n. 19 ad art. 647 CC). Selon cette disposition, l'acquisition d'une part de copropriété impose au nouveau venu la reconnaissance de l'ordre préétabli, indépendamment du fait qu'il en ait eu connaissance ou non (Perruchoud, op. cit., n. 1 et 5 ad art. 649a CC).
6.1.5 Selon l'art. 18 al. 1 CO, pour apprécier la forme et les clauses d'un contrat, il y a lieu de rechercher la réelle et commune intention des parties, sans s'arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention.
Le juge doit rechercher, dans un premier temps, la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective), le cas échéant empiriquement, sur la base d'indices; si elle aboutit, cette démarche conduit à une constatation de fait (ATF 132 III 268 consid. 2.3.2; 129 III 664 consid. 3.1). S'il ne parvient pas à déterminer cette volonté, ou s'il constate qu'une partie n'a pas compris la volonté manifestée par l'autre, le juge doit découvrir quel sens les parties pouvaient ou devaient donner, de bonne foi, à leurs manifestations de volonté réciproques (principe de la confiance); il s'agit d'une question de droit (ATF 132 III 268 loc. cit.; 129 III 702 consid. 2.4). Cette interprétation objective s'effectue non seulement d'après le texte et le contexte des déclarations, mais également sur le vu des circonstances qui les ont précédées et accompagnées, à l'exclusion des événements postérieurs (ATF 135 III 295 consid. 5.2; 132 III 626 consid. 3.1 in fine; arrêts du Tribunal fédéral 4A_116/2014 du 17 juillet 2014 consid. 5.1; 4A_219/2012 du 30 juillet 2012 consid. 2.5).
6.2 En l'espèce, il n'est pas contesté que le H______ est en sa totalité grevé au bénéfice de l'intimée et de l'appelante, pour leurs vies durant, de servitudes d'usufruit respectivement constituées et inscrites au Registre foncier le 25 février 1986 et le 29 juillet 2003 par l'Etat de Genève, propriétaire. Les parties, qui doivent être considérées comme des co-usufruitières au vu de l'absence de lien juridique faisant naître une propriété commune, ont ainsi fondamentalement le droit, notamment, d'accéder au H______ librement et en tout temps, en toutes ses parties et composantes, que ce soit seule ou accompagnée par des tiers, ainsi que d'y inviter ou en autoriser l'accès à qui bon leur semble.
De plus, il est expressément prévu par convention du 25 février 1986 que les usufruitiers sont libres de fixer, le cas échéant, entre eux les rapports internes découlant de leur droit d'usufruit.
6.2.1 L'intimée soutient que le contenu et l'étendue de son droit d'usufruit n'auraient pas pu être modifiés par un accord interne passé par actes concluants en vertu de l'art. 738 CC, lequel empêcherait tout "rétrécissement" de la servitude.
L'art. 738 CC définit les moyens d'interprétation servant à déterminer le contenu et l'étendue d'une servitude, ce qui vise avant tout les rapports entre le propriétaire grevé et les bénéficiaires de la servitude. Les bénéficiaires de la servitude restent libres de fixer entre eux leurs rapports internes et de délimiter, le cas échéant, l'exercice de la servitude en octroyant, par exemple, des droits d'usage exclusif. In casu, la convention du 25 février 1986 prévoit expressément que, sans préjudice des droits de l'Etat de Genève (propriétaire du bien-fonds grevé), les usufruitiers sont habilités à fixer entre eux les rapports internes découlant de leur droit d'usufruit.
C'est ainsi à tort que l'intimée tente de soutenir que l'art. 738 CC empêcherait tout règlement interne relatif à l'exercice de la servitude entre les co-usufruitiers, y compris un "rétrécissement" de son exercice. Au contraire, cela est expressément prévu et réglementé, avec pour seule condition que les droits du propriétaire grevé n'en soient pas lésés.
6.2.2 Dans la mesure où l'intimée entend – par son action en revendication de la servitude – pouvoir exercer pleinement son droit d'usufruit, il s'agit de déterminer le contenu de cet usufruit, en particulier si celui-ci, qui selon l'inscription au Registre foncier porte sur l'entier du H______, s'est vu restreint par un accord interne entre les co-usufruitiers, comme le soutient l'appelante.
En vertu des principes relatifs à la copropriété exposés ci-dessus, les copropriétaires peuvent convenir sans conditions de forme d'un règlement fixant leurs rapports et prévoyant notamment des droits d'usage préférentiel.
Le Tribunal a considéré que, faute de convention écrite et aucun accord oral à ce sujet n'ayant été allégué, seul un accord conclu de manière tacite, par actes concluants, était envisageable. Ce point n'est pas contesté en appel, l'appelante faisant référence "au comportement consensuel des parties pendant près de 25 ans". Le Tribunal a retenu que, s'il était établi que l'intimée avait quitté le I______ pour s'installer dans le J______ après le décès de son époux en 1997, elle s'était par la suite cantonnée au J______, car l'accès au I______ lui avait été interdit, et qu'elle n'avait pas manifesté par son comportement la volonté de renoncer à l'exercice de son usufruit sur tout le H______. Ce raisonnement ne convainc pas.
En effet, il ressort de l'interrogatoire des parties et des témoignages recueillis que l'intimée a quitté définitivement le I______ de son plein gré en 1997 et s'est retirée dans le J______, occupé auparavant par sa belle-mère, pour laisser l'usage exclusif du I______ à son fils et sa famille. L'intimée l'a clairement reconnu lors de son audition au Tribunal, en déclarant non seulement qu'elle s'était installée "définitivement" dans le J______, mais également : "Il était tout-à-fait normal que mon fils habite le I______ après le décès de son père. La question ne s'est jamais posée qu'il habite éventuellement dans un autre lieu". Elle a ainsi confirmé qu'il était dans les traditions de la famille que l'usage du I______ soit laissé à la génération suivante, ce qui n'a suscité aucun débat entre les co-usufruitiers, puisque pour eux cela découlait de l'évidence.
Il est également établi par l'interrogatoire des parties et les témoignages recueillis que l'intimée est – dans les faits – toujours restée au J______, respectant le fait que le I______ était exclusivement réservé à la famille de feu son fils. Ce n'est qu'en 2021 qu'elle a soudainement revendiqué l'exercice de son droit d'usufruit sur le reste du H______, sous la forme restreinte d'un accès au I______ pour inventorier certains biens s'y trouvant, et non pas y loger ou jouir plus amplement du H______.
Le premier juge a retenu que l'intimée ne s'était quasiment plus jamais rendue au I______ suite à son installation au J______, au motif que son accès lui aurait été interdit par son fils ou sa belle-fille. Or il n'a pas été démontré que l'intimée aurait requis d'accéder au I______ depuis son installation au J______ jusqu'aux faits ayant conduit à la présente procédure, soit en 2021. Cela tend à démontrer son accord avec l'usage selon lequel chacun des co-usufruitiers disposait de ses propres quartiers privés. L'intimée a d'ailleurs déclaré en audience que le fait que l'on ait pénétré dans le J______ sans son consentement constituait à ses yeux un "viol", ajoutant de surcroît : "Imaginez que je fasse la même chose dans le I______". Par ces propos, entre autres, l'intimée a confirmé que l'accord convenu tacitement attribuait à chacun des co-usufruitiers l'usage exclusif d'une partie du H______. De plus, selon l'intention réelle et commune des parties, ce n'était que sur invitation que les uns se rendaient chez les autres, respectant ainsi le droit d'usage exclusif dont bénéficiait chacun des co-usufruitiers. Les témoins entendus à la procédure l'ont corroboré. Ainsi, contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal, aucune "interdiction" d'accès n'a été signifiée à l'intimée, chacun des co-usufruitiers ayant de son propre chef respecté l'usage convenu. Ce n'est qu'à compter de 2021 que l'appelante reconnaît avoir interdit l'accès du H______ à l'intimée, suite aux procédures initiées par celle-ci. L'intimée soutient pour sa part que cette interdiction remonterait au décès de son fils, survenu la même année. Il y a ainsi lieu de constater que de 1997 à 2021, il n'a jamais été question d'une interdiction.
L'accord des parties sur les modalités de la jouissance de leur co-usufruit s'étend d'ailleurs à d'autres aspects, notamment aux frais d'entretien du [bien] H______, supportés par feu l'époux de l'appelante, puis par elle-même dès son veuvage. C'est ainsi que le jugement entrepris retient qu'il n'a jamais été requis de l'intimée d'y contribuer. En outre, il n'est pas contesté que l'appelante et feu son époux s'occupaient de manière générale de la gestion du H______, telles que les décisions relatives à ses travaux d'entretien, sous réserve du J______. De la même manière, l'intimée a évoqué son souhait de procéder à des travaux dans le J______, sans qu'il ne soit à aucun moment sous-entendu que ceux-ci aient fait l'objet de discussions avec l'appelante ou aient été soumis à son accord. Cela corrobore la convention des parties, selon laquelle chacun des co-usufruitiers gérait de manière exclusive la partie du H______ dont il jouissait.
Malgré leur mésentente notoire, les parties ont exercé leur droit d'usufruit de manière pacifique de 1997 à 2021 – soit pendant près de vingt-cinq ans – selon l'usage convenu. Cette pratique respectée par tous les co-usufruitiers pendant plus de deux décennies équivaut à une règle d'utilisation et d'administration au sens évoqué ci-avant. C'est ainsi à bon droit que l'appelante soutient l'existence d'un règlement interne relatif aux modalités d'exercice du co-usufruit attribuant l'usage exclusif du J______ à l'intimée et le reste du [bien] H______, y compris le I______, à l'appelante et sa famille. En vertu de l'art. 649a CC, applicable par analogie, ce règlement s'impose à tout acquéreur d'un droit réel sur l'objet de l'usufruit. Il est ainsi opposable à l'appelante – qui peut également s'en prévaloir vis-à-vis de l'intimée –, même si l'appelante n'était pas encore usufruitière du temps où il a été mis en place. Au demeurant, cette dernière connaissait cette pratique et l'a respectée depuis qu'elle habite le I______.
Contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal, qui ne discernait pas de motif raisonnable justifiant que l'intimée ait accepté de limiter l'exercice de son usufruit, cette modalité d'exercice de l'usufruit s'explique par la tradition familiale et peut également être mise en perspective tant avec la situation financière globale des parties qu'avec les charges importantes que représente l'entretien du H______ et qui sont supportées exclusivement par l'appelante.
Il ne saurait non plus être retenu que, par le biais du règlement interne, l'appelante tenterait d'obtenir de manière détournée l'extinction de l'usufruit, comme le soutient l'intimée. Cette dernière n'a en effet pas renoncé à son usufruit, le règlement interne n'étant pas immuable et pouvant être modifié en tout temps, moyennant le consentement de tous les co-usufruitiers.
Finalement, il importe peu de connaître les raisons ayant poussé l'intimée à quitter le J______ en 2015, celle-ci demeurant titulaire de son droit d'usufruit sur cette composante du [bien] H______. En revanche, en application du règlement d'utilisation et d'administration liant les parties, l'intimée ne saurait prétendre à un exercice de son droit d'usufruit sur les autres composantes du H______, en particulier le I______, son droit d'usufruit étant limité, en l'état de la convention interne des parties, au seul J______, soit le bâtiment 4______ la parcelle 1______ de la Commune de C______.
En conséquence, le chiffre 1 du dispositif du jugement attaqué sera annulé et il sera statué à nouveau, en ce sens que l'appelante sera condamnée à permettre à l'intimée, ainsi qu'à toute personne expressément invitée par celle-ci, d'accéder librement au J______.
7. 7.1 Les frais judiciaires et dépens sont mis à la charge de la partie qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Lorsqu'aucune des parties n'obtient entièrement gain de cause, les frais sont répartis selon le sort de la cause (art. 106 al. 2 CPC).
Si l'instance d'appel statue à nouveau, elle se prononce sur les frais de la première instance (art. 318 al. 3 CPC).
7.1.1 Il ne sera pas revenu sur le montant des frais judiciaires de première instance (20'700 fr.) que les parties ne critiquent pas devant la Cour.
S'agissant de leur répartition et au vu de l'issue du litige en appel, l'appelante obtenant en grande partie gain de cause, ces frais seront repartis à raison de trois quarts à charge de l'intimée, soit 15'525 fr., et un quart à charge de l'appelante, soit 5'175 fr., étant précisé que les parties avaient versé des avances à hauteur de 2'200 fr. pour l'intimée et 700 fr. pour l'appelante.
En conséquence, l'intimée versera 13'325 fr. (15'525 fr. - 2'200 fr.) et l'appelante 4'475 fr. (5'175 fr. - 700 fr.) à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, à titre de solde des frais judiciaires de première instance.
7.1.2 Concernant les dépens de première instance, arrêtés pour les deux parties à 15'000 fr., ce montant n'ayant pas été contesté, l'intimée sera condamnée à s'acquitter de trois quarts des dépens de l'appelante, soit 11'250 fr., tandis que cette dernière lui devra le quart restant, soit 3'750 fr., pour les mêmes motifs que ceux exposés ci-dessus. Après compensation, l'intimée sera ainsi condamnée à verser 7'500 fr. à l'appelante à titre de dépens de première instance.
7.1.3 Les chiffres 2 à 4 du dispositif du jugement attaqué seront dès lors annulés et il sera statué à nouveau dans le sens de ce qui précède.
7.2.1 Eu égard à l'activité déployée par la Cour, les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 20'000 fr. et compensés avec l'avance du même montant fournie par l'appelante (art. 104 al. 1, 105 al. 1 CPC et 111 al. 1 aCPC; art. 17 et 35 RTFMC).
Pour les mêmes motifs que ceux précédemment mentionnés, ces frais seront mis à la charge de l'intimée à raison de trois quarts, et à charge de l'appelante à raison d'un quart (art. 106 al. 2 CPC). En conséquence, l'intimée versera 15'000 fr. à l'appelante en remboursement de l'avance fournie.
7.2.2 Les dépens d'appel seront arrêtés à 10'000 fr., débours et TVA inclus (art. 84, 85 et 90 RTFMC; art. 20 al. 1, 23 al. 1, 25 et 26 LaCC) pour les deux parties, de sorte que l'intimée sera condamnée à payer de 5'000 fr. à l'appelante, dans la mesure où l'intimée doit 7'500 fr. à l'appelante (trois quarts de 10'000 fr.) et que celle-ci lui doit pour sa part 2'500 fr. (un quart de 10'000 fr.).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable l'appel interjeté le 16 septembre 2024 par A______ contre le jugement JTPI/9215/2024 rendu le 25 juillet 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/14422/2021.
Au fond :
Annule le jugement entrepris et, statuant à nouveau :
Condamne A______ à permettre à B______, ainsi qu'à toute personne expressément invitée par celle-ci, d'accéder librement au bâtiment 4______ (dénommé le J______) de la parcelle 1______ de la Commune de C______.
Arrête les frais judiciaires de première instance à 20'700 fr., les met à la charge de B______ à hauteur de 15'525 fr. et de A______ à hauteur de 5'175 fr., et les compense partiellement avec l'avance versée, acquise à l'Etat de Genève.
Condamne B______ à verser 13'325 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.
Condamne A______ à verser 4'475 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.
Condamne B______ à verser 7'500 fr. à A______ à titre de dépens de première instance.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires d'appel à 20'000 fr., les met à la charge de B______ à hauteur de 15'000 fr. et de A______ à hauteur de 5'000 fr. et les compense avec l'avance versée, acquise à l'Etat de Genève.
Condamne B______ à verser 15'000 fr. à A______ à titre de remboursement des frais judiciaires d'appel.
Condamne B______ à verser 5'000 fr. à A______ à titre de dépens d'appel.
Siégeant :
Madame Nathalie RAPP, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur
Jean REYMOND, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.
La présidente : Nathalie RAPP |
| La greffière : Sandra CARRIER |
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.