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Décisions | Chambre civile

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C/7098/2022

ACJC/1590/2024 du 10.12.2024 sur JTPI/1788/2024 ( OO ) , RENVOYE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/7098/2022 ACJC/1590/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 10 DÉCEMBRE 2024

 

Entre

Monsieur A______, domicilié c/o M. B______, ______ (GE), appelant et intimé sur appel joint d'un jugement rendu par la 12ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 5 février 2024, représenté par Me Vincent SOLARI, avocat, Poncet Turrettini, rue de Hesse 8, case postale, 1211 Genève 4,

et

Madame C______, domiciliée ______, Vietnam, intimée et appelante sur appel joint, représentée par Me Camille LA SPADA-ODIER, avocate, Odier Halpérin & Associés Sàrl, boulevard des Philosophes 15, case postale 427, 1211 Genève 4.

 

 

 

 

 

 

EN FAIT

A.           Par jugement JTPI/1788/2024 du 5 février 2024, reçu le 7 février 2024 par les parties, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal), statuant par voie de procédure ordinaire, a dissous par le divorce le mariage contracté par A______ et C______ le ______ 2010 (chiffre 1 du dispositif), condamné A______ à verser à C______, par mois et d'avance, une contribution d'entretien de 1'000 fr. jusqu'au 31 décembre 2024 (ch. 2), déclaré irrecevables les conclusions des parties relatives à la vente du domicile conjugal, à la répartition du produit de la vente, à l'octroi d'un droit d'habitation, à la prise en charge des frais générés par ce bien immobilier, ainsi qu'à la jouissance et l'attribution du mobilier et des œuvres d'art le garnissant (ch. 3), arrêté les frais judiciaires à 3'000 fr., les a intégralement compensés avec l'avance effectuée par A______ à hauteur du même montant et laissés à la charge de ce dernier (ch. 4), dit qu'il n'était pas alloué de dépens, la provisio ad litem restant acquise à C______ (ch. 5), et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 6).

B.            a. Par acte déposé le 8 mars 2024 au greffe de la Cour de justice, A______ appelle de ce jugement, dont il sollicite l'annulation des chiffres 3 – en tant qu'il a déclaré irrecevables ses conclusions relatives à la vente du domicile conjugal et à la répartition du produit de la vente –, 5 et 6 du dispositif.

Cela fait, il conclut à ce que la Cour ordonne la vente de l'appartement sis [rue] 1______ no. ______, Vietnam, dont les parties sont copropriétaires pour moitié chacune, ordonne l'attribution en sa faveur du prix net de la vente de l'appartement précité, lui attribue la totalité du mobilier et des œuvres d'art le garnissant, confirme le jugement entrepris pour le surplus, déboute C______ de toutes autres ou contraires conclusions et mette les frais d'appel à la charge des parties, par moitié chacune, sans dépens.

b. Dans sa réponse du 7 mai 2024, C______ conclut au rejet de l'appel et à la confirmation des chiffres 1, 2, 4 et 5 du dispositif du jugement entrepris.

Elle forme un appel joint, concluant à l'annulation du chiffre 3 – en tant qu'il a déclaré irrecevables ses conclusions relatives au domicile conjugal – et 6 du dispositif du jugement, à ce que la Cour lui octroie un droit d'habitation d'une durée de quatre ans sur le bien immobilier sis [rue] 1______ no. ______, Vietnam, lui accorde la jouissances des biens mobiliers et des œuvres d'art le garnissant et condamne A______ à s'acquitter de tous les frais liés à cet immeuble, soit les frais de copropriété, les charges courantes (eau, gaz, électricité), le salaire des employés de maison, les frais d'entretien et les primes d'assurance du bâtiment pendant toute la durée du droit d'habitation, avec suite de frais et dépens.

c. Dans sa réponse à l'appel joint, A______ conclut au déboutement de C______ de toutes ses conclusions et à ce que les frais d'appel soit mis à la charge des parties par moitié chacune, sans dépens.

Il a répliqué sur appel principal, persistant dans ses conclusions.

d. C______ a renoncé à répliquer sur appel joint et à dupliquer sur appel principal.

e. Par avis du 19 août 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. A______, né le ______ 1962 à Genève, et C______, née le ______ 1977 à E______ (Vietnam), tous deux originaires de F______ (BE), se sont mariés le ______ 2010 à G______ (GE) sous le régime suisse de la séparation de biens.

b. Deux enfants sont issues de cette union : H______, née le ______ 2002, et I______, née le ______ 2005, toutes deux majeures.

c. Les époux vivent séparés à tout le moins depuis le mois de mars 2020, moment auquel A______ a quitté le Vietnam. Il s'est alors installé à Barcelone puis à Genève, ville dans laquelle il réside depuis le 1er novembre 2020.

C______ est quant à elle demeurée – dans en premier temps en compagnie de sa fille cadette – au domicile conjugal, soit un spacieux appartement sis rue 1______ no. ______, Vietnam, dont les parties sont copropriétaires.

I______ ne vit plus avec sa mère et étudie désormais à J______ (Espagne).

d. Le 8 avril 2022, A______ a saisi le Tribunal d'une demande unilatérale de divorce.

En dernier lieu et s'agissant des points encore litigieux en appel, il a conclu à ce que le Tribunal ordonne la vente du domicile conjugal, lui en attribue le prix net de vente ainsi que la totalité du mobilier et des œuvres d'art le garnissant et déboute C______ de toute ses conclusions.

e. C______ a notamment conclu, en dernier lieu et s'agissant des points encore litigieux en appel, à ce que le Tribunal lui octroie un droit d'habitation sur le domicile conjugal jusqu'à ce que son époux atteigne l'âge légal de la retraite, lui accorde la jouissance du mobilier et des œuvres d'art le garnissant pendant toute la durée de ce droit et condamne A______ à s'acquitter de tous les frais liés à cet immeuble, soit les frais de copropriété, les charges courantes (eau, gaz, électricité), le salaire des employés de maison, les frais d'entretien et les primes d'assurance du bâtiment pendant toute la durée du droit d'habitation.

Elle a également conclu à ce que le Tribunal ordonne, à l'échéance du droit d'habitation, la vente du domicile conjugal, lui attribue la moitié du prix net de vente ainsi que la totalité du mobilier et des œuvres d'art garnissant ce bien et déboute A______ de toutes autres ou contraires conclusions.

f. Par ordonnance n° OTPI/27/2023 du 12 janvier 2023, le Tribunal de céans a condamné A______ au versement d'une provisio ad litem de 15'000 fr.

D.           Dans le jugement querellé, le Tribunal a notamment retenu qu'il était compétent à raison du lieu pour connaître de la demande de divorce ainsi que de ses effets accessoires au vu du domicile genevois de A______ et de sa nationalité suisse. Une réserve devait toutefois être émise s'agissant des conclusions des parties en lien avec le domicile conjugal, ainsi qu'avec le mobilier et les œuvres d'art le garnissant. En effet, ces biens ainsi que le domicile de C______ étant situés au Vietnam, la LDIP ne prévoyait aucun for en Suisse. La jurisprudence selon laquelle le juge pouvait tenir compte de la valeur comptable de biens sis à l'étranger aux fins de déterminer le bénéfice de chacun des époux n'était pas applicable en l'espèce, car non seulement les parties étaient soumises au régime de la séparation de biens dont la fin n'entraînait pas de liquidation proprement dite, mais également parce que leurs conclusions relatives au sort du domicile conjugal divergeaient. Ainsi et faute de compétence du Tribunal, les conclusions des parties en lien avec le logement de famille ainsi qu'avec le mobilier et les œuvres d'art le garnissant étaient irrecevables.

Concernant le droit d'habitation, il était au surplus relevé que même si le Tribunal était compétent pour se saisir de cette question, il n'y aurait pas fait droit, les conditions de l'art. 121 al. 1 et 3 CC n'étant à l'évidence pas remplies. Les deux filles majeures du couple n'habitaient plus dans le domicile conjugal et aucun élément du dossier ne justifiait d'accéder à la requête de C______.

La contribution d'entretien en faveur de C______ était fixée à 1'000 fr. en tenant compte de ses charges mensuelles incompressibles arrêtées à 949 fr. Ce montant comprenait notamment un loyer estimé à 450 fr. correspondant au loyer d'un appartement pour une personne seule situé au cœur de la ville de D______.

Les frais judiciaires ont été laissés intégralement à la charge de A______, compte tenu de la nature du litige et de la disparité entre les situations financières des parties. Pour les mêmes motifs, il n'a pas été alloué de dépens, étant rappelé que C______ avait bénéficié d'une provisio ad litem de 15'000 fr., qui lui restait acquise compte tenu des circonstances.

 

 

 

EN DROIT

1.             1.1 Le jugement querellé est une décision finale de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC), rendue dans une affaire patrimoniale, dont la valeur litigieuse au dernier état des conclusions était supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC). La voie de l'appel est ainsi ouverte.

1.2 Interjeté dans le délai utile de trente jours (art. 142 al. 1, 143 al. 1 et 311 al. 1 CPC), selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 311 CPC) et auprès de l'autorité compétente (art. 120 al. 1 let. a LOJ), l'appel est recevable.

Il en va de même de l'appel joint, formé dans la réponse à l'appel principal (art. 312 al. 2 et 313 al. 1 CPC), et des écritures subséquentes des parties (art. 316 al. 2 CPC).

Par souci de clarté, A______ sera désigné ci-après comme l'appelant et C______ comme l'intimée.

1.3 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen en fait et en droit (art. 310 CPC), dans les limites posées par la maxime des débats et le principe de disposition applicables au présent litige (art. 55 al. 1, 58 al. 1 et 277 al. 1 CPC; arrêt du Tribunal fédéral 5A_673/2011 du 11 avril 2012 consid. 3 s'agissant du droit d'habitation).

2.             L'appelant reproche au Tribunal d'avoir nié sa compétence en lien avec la vente du domicile conjugal sis au Vietnam, la répartition de son prix de vente et l'attribution du mobilier et des œuvres d'art le garnissant, en violation de l'art. 6 LDIP.

L'intimée reproche quant à elle au premier juge de s'être déclaré incompétent pour traiter du droit d'habitation portant sur l'appartement précité, en violation de l'art. 63 LDIP.

2.1.1 Selon l'art. 59 let. b LDIP, sont compétents pour connaître d'une action en divorce les tribunaux suisses du domicile de l'époux demandeur, si celui-ci réside en Suisse depuis une année ou est suisse.

A teneur des art. 51 let. b et 63 al. 1 LDIP, le juge compétent pour connaître du divorce l'est aussi pour connaître de la liquidation du régime matrimonial et des effets accessoires.

Conformément au principe de l'unité du jugement de divorce consacré à l'art. 283 CPC, l'autorité de première instance, ou de recours, qui prononce le divorce, de même que l'autorité de recours appelée à régler certains effets accessoires alors que le principe du divorce n'est plus litigieux, ne peuvent pas mettre fin à la procédure sans avoir réglé tous les effets accessoires du divorce. Cette règle, dont l'objectif est d'assurer un règlement uniforme et cohérent de toutes les questions relatives au divorce, s'applique aussi aux créances entre conjoints qui ne résultent pas du régime matrimonial, pourvu qu'elles soient en rapport avec l'union conjugale et avec l'obligation d'assistance mutuelle qui en résulte (arrêts du Tribunal fédéral 5A_182/2018 du 25 juin 2018 consid. 3.2 et les références citées; 5A_633/2015 du 18 février 2016 consid. 4.1.2). Elle s'étend ainsi également aux époux soumis au régime de la séparation de biens, lequel ne prévoit pas de biens matrimoniaux et de liquidation des biens (art. 247 CC; arrêt du Tribunal fédéral 5A_182/2018 précité consid. 3.2 et les références citées). Les époux ont alors, à cette occasion, la faculté de régler leurs dettes réciproques ainsi que le sort de leurs biens en copropriété en vertu des règles ordinaires (art. 650 et 651 CC), auxquelles s'ajoute le mode de partage prévu par l'art. 251 CC.

La LDIP ne limite pas la compétence du juge du divorce, chargé de la liquidation du régime matrimonial, aux seuls biens sis en Suisse; au contraire, le principe de l'universalité de la liquidation veut que l'ensemble des biens des époux, meubles ou immeubles, soient inclus dans la liquidation où qu'ils se trouvent dans le monde (Dutoit, Droit international privé suisse, 2005, n. 5 ad art. 51 LDIP; Courvoisier, Commentaire bâlois, 2007, n. 15 ad art. 51 LDIP).

Le législateur a renoncé à étendre aux régimes matrimoniaux la réserve de compétence, instaurée en matière successorale par l'art. 86 al. 2 LDIP, qui abandonne à l'Etat du lieu de situation des immeubles la juridiction en cette matière s'il revendique une compétence exclusive (arrêt du Tribunal fédéral 5A_248/2010 du 11 juillet 2010, consid. 4.1; Message du Conseil fédéral concernant une loi fédérale sur le droit international privé du 10 novembre 1982, FF 1983 255, p. 339). Il s'agissait d'éviter de limiter la compétence du juge du divorce pour régler la situation financière des époux (Message du Conseil fédéral, FF 1983 255, p. 339).

Il s'ensuit que le juge suisse chargé de liquider le régime matrimonial à la suite d'un divorce est compétent pour statuer même sur des immeubles sis à l'étranger et faisant l'objet d'une compétence exclusive de l'Etat du lieu de situation (Dutoit, op. cit., p. 5 ad art. 51 p. 176, 177; Bucher, Droit international privé suisse, 1992, n. 447 p. 162; Bertholet, Les régimes matrimoniaux en droit international privé suisse, in Les régimes matrimoniaux en droit comparé et en droit international privé, 2006 p. 38).

Le risque que cette compétence étendue conduise l'Etat de situation de l'immeuble à refuser de reconnaître ou d'exécuter une décision suisse de nature réelle affectant un immeuble sis sur son territoire (Dutoit, op. cit., n. 5 ad art. 51 LDIP; Bucher, op. cit., n. 447 p. 162) a toutefois conduit la Cour à distinguer la liquidation du régime matrimonial proprement dite, qui est une opération purement comptable destinée à déterminer le bénéfice de chacun des époux, des opérations de partage et d'attribution des biens immobiliers, qui ont un caractère réel et peuvent ne pas être reconnues par les autorités judiciaires du lieu de situation de l'immeuble (ACJC/1361/2024 du 31 octobre 2024 consid. 3.1.1; ACJC/1067/2023 du 22 août 2023 consid. 9.1.1; ACJC/392/2018 du 13 mars 2018 consid. 2.1.1; ACJC/1220/2017 du 26 septembre 2017 consid. 9; ACJC/453/2013 du 12 avril 2013 consid. 6.1), déclarant les autorités genevoises compétentes dans le premier cas et incompétentes dans le second.

2.1.2 L'art. 6 LDIP stipule qu'en matière patrimoniale, le tribunal devant lequel le défendeur procède au fond sans faire de réserve est compétent, à moins qu'il ne décline sa compétence dans la mesure où l'art. 5 al. 3 LDIP le lui permet. Selon cette dernière disposition, le tribunal élu ne peut décliner sa compétence si une partie est domiciliée, a sa résidence habituelle ou un établissement dans le canton où il siège (let. a), ou si, en vertu de la LDIP, le droit suisse est applicable au litige (let. b).

L'acceptation tacite implique que le défendeur soit entré en matière, c'est-à-dire qu'il ait procédé à un acte de défense qui tend directement au rejet de l'action au fond (Dutoit/Bonomi, Droit international privé suisse, commentaire, 6ème éd., 2022, n. 3 ad art. 6 LDIP). L'acceptation tacite de l'art. 6 LDIP peut viser soit une action pour laquelle il n'existerait aucun for en Suisse, soit une action pour laquelle il y aurait bien une compétence générale en Suisse, mais pas de compétence locale en faveur du tribunal appelé à statuer (Dutoit/Bonomi, op. cit., n. 5 ad art. 6 LDIP).

La notion de matière patrimoniale, au sens de la LDIP, vise notamment des prétentions de nature pécuniaire du droit des obligations, du droit de la famille et des droits réels. De manière générale, il convient de se demander si le droit litigieux a une valeur pécuniaire pour les parties, à titre d'actif ou de passif. Il faut que l'auteur de l'action poursuive, en définitive, un but économique (Bucher, in Commentaire romand, LDIP-CL, 2011, n. 7 ad art. 5 LDIP).

L'élection de for est sans effet lorsqu'elle entre en conflit avec une disposition de la LDIP qui retient, même en matière patrimoniale, une compétence impérative (Bucher, op. cit., n. 8 ad art. 5 LDIP).

2.2. En l'espèce, le bien immobilier litigieux, dont les parties sont copropriétaires, est situé au Vietnam.

Faute de convention internationale liant ce pays et la Suisse en matière de droits réels, la compétence des tribunaux suisses s'examine sous l'angle de la LDIP uniquement.

En l'occurrence, l'appelant est domicilié à Genève depuis le 1er novembre 2020, de sorte que les tribunaux genevois sont compétents pour statuer sur le divorce des parties et ses effets accessoires. Bien qu'il n'y ait pas de liquidation de régime proprement dite s'agissant de la séparation de biens, les époux ont, à l'occasion de la dissolution de ce régime, la faculté de régler le sort de leurs biens en copropriété.

S'agissant plus particulièrement des biens immobiliers sis à l'étranger, la LDIP ne limite pas la compétence du juge suisse du divorce. Cela comporte toutefois le risque que l'Etat du lieu de situation de l'immeuble ne reconnaisse ni n'exécute une décision de nature réelle affectant un immeuble sis sur son territoire. C'est la raison pour laquelle la Cour distingue généralement la liquidation du régime matrimonial proprement dite - qui est une opération purement comptable destinée à déterminer le bénéfice de chacun des époux - des opérations de partage et d'attribution des biens immobiliers - qui ont un caractère réel -, admettant la compétence des juridictions genevoises pour la première et niant celle-ci pour les secondes.

En l'espèce, l'appelant sollicite notamment la vente de l'appartement au Vietnam, ce qui constitue une opération à caractère réel, pour laquelle les juridictions suisses sont incompétentes selon la jurisprudence développée par la Cour de céans en lien avec les art. 51 let. b, 59 et 63 al. 1 LDIP.

L'appelant se prévaut toutefois de l'art. 6 LDIP, soutenant que les tribunaux genevois seraient compétents au motif que l'intimée aurait procédé au fond sans émettre de réserve, compétence qui ne pouvait être niée par le Tribunal dès lors qu'il est domicilié à Genève (cf. art. 5 al. 3 let. a LDIP).

Son grief est fondé. En effet et quoiqu'en dise l'intimée dans la procédure d'appel, celle-ci a non seulement procédé au fond sans émettre de réserve, mais a également pris des conclusions propres tendant à la vente de l'appartement litigieux, la répartition de son prix de vente et l'attribution du mobilier et des œuvres d'art le garnissant.

Son argument selon lequel elle n'avait d'autre choix que de prendre des conclusions sur les objets précités au cas où le Tribunal se déclarerait compétent pour statuer sur celles de l'appelant ne convainc pas. En effet, elle aurait aisément pu soulever l'exception d'incompétence et se prononcer malgré tout, à titre subsidiaire, sur les conclusions litigieuses si telle était son intention, ce qu'elle n'a pas fait. Elle a au contraire procédé au fond sans émettre de réserve, admettant ainsi la compétence du Tribunal pour statuer sur ces points.

Pour le surplus, il est manifeste qu'il s'agit d'une affaire patrimoniale, comme le soutient l'appelant, puisqu'il sollicite l'attribution du prix de vente de l'appartement litigieux et celle du mobilier et des œuvres d'art le garnissant, ce qui présente une valeur pécuniaire. L'aspect patrimonial des conclusions litigieuses n'est du reste pas contesté par l'intimée.

La LDIP – seule applicable in casu en l'absence de convention internationale liant la Suisse et le Vietnam sur la matière qui nous occupe – ne prévoit enfin pas de compétence impérative en faveur du tribunal étranger du lieu de situation de l'immeuble. L'intimée se prévaut en vain de l'art. 97 LDIP, lequel prévoit un for impératif uniquement s'agissant d'immeubles situés en Suisse.

L'élection de for tacite en faveur des tribunaux genevois est par conséquent valable.

L'appelant étant domicilié à Genève, le Tribunal ne pouvait nier sa compétence selon l'art. 5 al. 3 let. a LDIP.

Le chiffre 3 du jugement entrepris sera dès lors annulé et la cause renvoyée au premier juge pour qu'il statue sur les conclusions de l'appelant tendant à la vente de l'appartement, au partage du prix de vente et à l'attribution du mobilier et des œuvres d'art le garnissant, conformément à l'art. 318 al. 1 let. c ch. 1 CPC et au principe du double degré de juridiction (art. 75 al. 2 LTF; Jeandin, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 8 ad introduction aux art. 308-334 CPC).

A toute fin utile, il sera néanmoins rappelé que quand bien même la LDIP offre une compétence aux juridictions suisses pour statuer sur les conclusions précitées, il existe un risque que le Vietnam refuse de reconnaitre et d'exécuter un jugement étranger statuant sur un bien immobilier situé sur son territoire, de sorte que la présente procédure – qui se poursuit en Suisse uniquement en raison du choix des parties – pourrait s'avérer vaine.

S'agissant du droit d'habitation, la question de la compétence peut souffrir de rester indécise dès lors que la prétention de l'intimée est en tout état infondée (cf. infra consid. 3).

3.             L'intimée fait grief au Tribunal d'avoir retenu qu'elle n'était pas légitimée à se voir octroyer un droit d'habitation sur l'appartement sis au Vietnam et dont les parties sont copropriétaires.

3.1 Aux termes de l'article 121 al. 3 CC, lorsque la présence d'enfants ou d'autres motifs importants le justifient, le juge peut attribuer à l'un des époux un droit d'habitation de durée limitée sur le logement de la famille qui appartient à l'autre conjoint, pour autant qu'on puisse raisonnablement l'imposer à ce dernier, et moyennant une indemnité ou une déduction équitable de la contribution d'entretien.

L'octroi d'un droit d'habitation est également admissible lorsque les deux époux sont copropriétaires du logement de la famille (Barrelet, in Commentaire pratique – Droit matrimonial: Fond et procédure, 2016, n. 8 ad art. 121 CC; Scyboz, in Commentaire romand Cide civil I, 2010, n. 20 ad art. 121 CC).

Le principe et la durée du droit d'habitation relèvent du pouvoir d'appréciation du juge (art. 4 CC), qui doit statuer en tenant compte de toutes les circonstances de l'espèce, notamment en pesant les intérêts divergents des conjoints et en prenant - prioritairement - en considération le bien des enfants (arrêts du Tribunal fédéral 5A_978/2020 du 5 avril 2022 consid. 5.1; 5A_489/2019 du 24 août 2020 consid. 11.1).

Dans les critères d'attribution, l'intérêt des enfants est prioritaire (Barrelet, in Commentaire pratique – Droit matrimonial: Fond et procédure, 2016, n. 8 ad art. 121 CC). Selon le Tribunal fédéral, seul l'intérêt des enfants mineurs au moment du jugement de divorce doit être pris en compte (arrêt du Tribunal fédéral 5A_76/2009 du 4 mai 2009 consid. 7.1). Selon Barrelet et Scyboz, cette solution paraît trop restrictive et peu adaptée à la situation de beaucoup de jeunes adultes contraints de vivre chez leurs parents, le temps de mener à bien leurs études. Il semble raisonnable, selon eux, de tenir compte dans cette évaluation de leur intérêt, au même titre que les enfants mineurs de la fratrie (Barrelet, op. cit., ibidem; Scyboz, in Commentaire romand, Code civil I, 2010, n. 12 ad art. 121 CC).

L'un des conjoints peut aussi se prévaloir d’un intérêt propre comme un motif lié à sa santé, sa situation financière ou sociale. Des raisons médicales, professionnelles, voire affectives peuvent également entrer en considération (Fornage, in Commentaire romand, Code civil I, 2023, n. 7a ad art. 121 CC; Barrelet, op. cit., n. 9 cum 25 ad art. 121 CC).

3.2.1 En l'espèce, l'intimée fait valoir qu'elle vit seule avec sa fille cadette dans l'appartement litigieux depuis la séparation et que bien que celle-ci ait débuté ses études à l'étranger, elle dépend encore entièrement de ses parents. Il serait donc primordial qu'elle puisse demeurer dans le logement familial où elle a grandi, en compagnie de sa mère.

Cette motivation ne justifie toutefois pas l'octroi d'un droit d'habitation au regard des exigences légales et jurisprudentielles rappelées ci-dessus. La fille cadette des parties est en effet majeure et étudie en Europe, de sorte qu'elle ne revient dans l'appartement litigieux – dans lequel l'intimée vit désormais seule – que ponctuellement, à l'occasion de vacances. Il ne se justifie dès lors pas d'octroyer à l'intimée un droit d'habitation dans l'intérêt de sa fille cadette, puisque l'appartement concerné ne constitue plus son lieu de vie et que la jeune femme ne dispose ainsi pas d'un éventuel intérêt – reconnu par la doctrine - à y demeurer pour mener à bien ses études.

L'intimée se prévaut en vain de l'arrêt du Tribunal fédéral 5A_835/2015 du 21 mars 2016, portant sur un droit d'habitation octroyé par les autorités cantonales jusqu'en 2023, soit jusqu'à ce que le cadet de la fratrie ait atteint l'âge de 25 ans, pour permettre aux enfants des parties de terminer leurs études dans le même environnement, alors même qu'ils étaient à l'étranger. La situation était en effet toute autre que celle qui nous occupe, puisque les enfants étaient sur le point de rentrer en Suisse, sans que la poursuite d'études à l'étranger par la suite ne soit certaine. En l'espèce, l'enfant cadette des parties – seule concernée dans le cadre de l'octroi d'un droit d'habitation – étudie actuellement en Europe, sans qu'il ne soit allégué que cette situation serait temporaire ni que I______ envisagerait de poursuivre ses études au Vietnam, étant en tout état précisé que quand bien même tel serait le cas, un droit d'habitation ne serait pas obligatoirement octroyé pour ce motif.

L'intimée n'expose pas plus avant pour quelle raison il serait "primordial" que I______ puisse demeurer dans le logement familial où elle a grandi. L'intérêt de l'enfant ne saurait ainsi justifier l'octroi d'un droit d'habitation.

3.2.2 L'intimée fait ensuite valoir qu'elle vit dans l'appartement litigieux depuis son acquisition par les parties et qu'il participe au maintien du niveau de vie dont elle bénéficiait durant le mariage, sa contribution d'entretien ne lui permettant pas d'assumer le loyer d'un logement de même standing.

Le maintien du train de vie mené durant le mariage s'effectue toutefois au moyen de la contribution d'entretien, qui a en l'espèce été fixé à 1'000 fr. par le Tribunal. Ce point du jugement ne fait l'objet ni de l'appel principal, ni de l'appel joint, de sorte qu'il est entré en force. Dans ces conditions, l'intimée ne saurait prétendre à l'octroi d'un droit d'habitation au motif que la contribution d'entretien - qu'elle n'a pas jugé utile d'attaquer -, ne lui permettrait pas de maintenir son train de vie.

3.2.3 L'intimée soutient enfin que la "disproportion toute particulière entre les situations financières des parties" justifierait de lui octroyer un droit d'habitation. Invoquant ce motif de manière toute générale, elle n'expose pas pour quelle raison cela constituerait un motif important au sens de l'art. 121 CC et n'avance ainsi aucun intérêt propre à obtenir un droit d'habitation qui serait supérieur à celui de l'appelant à pouvoir disposer de son bien en copropriété, notamment par la vente de celui-ci.

3.2.4 En définitive, c'est à bon droit que le Tribunal a retenu que les conditions de l'art. 121 al. 1 et 3 CC n'étaient pas remplies. Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.

4.             L'appelant reproche enfin au Tribunal d'avoir dispensé l'intimée du remboursement de la provisio ad litem de 15'000 fr. Il sollicite que ce montant soit imputé sur tout éventuel montant qui pourrait être alloué à l'intimée au terme de la présente procédure, à l'exception de la contribution d'entretien.

4.1 La provisio ad litem est une simple avance, qui doit en principe être restituée. Il appartient au juge, dans le jugement de divorce, de statuer sur la question de l'éventuelle restitution de cette avance dans le cadre de la répartition des frais et des dépens (arrêts du Tribunal fédéral 5A_590/2019 du 13 février 2020 consid. 3.3; 5A_777/2014 du 4 mars 2015 consid. 6.2 et 6.3).

4.2 Dans la mesure où la cause est renvoyée au Tribunal pour statuer sur le bien immobilier des parties ainsi que sur le mobilier et les œuvres d'art le garnissant, il lui appartiendra, à l'issue de la procédure, de réexaminer si les circonstances justifient qu'il soit fait exception au principe de la restitution de la provisio ad litem, dans le cadre de la fixation des frais judiciaires et dépens qu'il sera en tout état amené à revoir (cf. infra consid. 5.1).

Le chiffre 5 du dispositif du jugement entrepris sera par conséquent annulé.

5.             5.1 Lorsque l'instance d'appel statue à nouveau, elle se prononce sur les frais de la première instance (art. 318 al. 3 CPC).

La cause étant renvoyée au Tribunal, les frais judiciaires et dépens de première instance seront réservés et devront être fixés par le Tribunal dans le jugement final à prononcer après le présent arrêt de renvoi (art. 104 al. 1 CPC).

5.2 Les frais judiciaires d'appel et d'appel joint seront arrêtés à 2'500 fr. (art. 30 et 35 RTFMC).

Compte tenu de la nature familiale du litige (art. 107 al. 1 let. c CPC) et des conclusions de l'appelant tendant à la répartition des frais par moitié bien qu'il ait obtenu gain de cause sur la question de la compétence et du droit d'habitation, les frais seront mis à la charge des parties à hauteur d'une moitié chacune. La part de ces frais incombant à l'intimée, qui plaide au bénéfice de l'assistance juridique, sera provisoirement laissée à la charge de l'Etat de Genève, qui pourra en réclamer le remboursement ultérieur aux conditions fixées par la loi (art. 122 et 123 CPC; art. 19 RAJ).

La part de l'appelant (1'250 fr.) sera compensée à due concurrence avec l'avance de 1'500 fr. qu'il a versée, le solde en 250 fr. lui étant restitué (art. 122 al. 1
let. c CPC).

Compte tenu de la nature du litige, chaque partie supportera ses propres dépens d'appel et d'appel joint (art. 107 al. 1 let. c CPC), étant précisé que l'appelant, qui obtient gain de cause, n'en sollicite en tout état pas l'octroi.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 8 mars 2024 par A______ contre les chiffres 3, 5 et 6 du dispositif du jugement JTPI/1788/2024 rendu le 5 février 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/7098/2022.

Déclare recevable l'appel joint interjeté le 7 mai 2024 par C______ contre les chiffres 3 et 6 du dispositif de ce même jugement.

Au fond :

Annule les chiffres 3 - en tant qu'il déclare irrecevables les conclusions de A______ relatives à la vente du domicile conjugal, à la répartition du produit de la vente, ainsi qu'à l'attribution du mobilier et des œuvres d'art le garnissant -, 5 et 6 du dispositif du jugement entrepris.

Renvoie la cause au Tribunal pour qu'il statue dans le sens des considérants.

Confirme le jugement entrepris pour le surplus.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 2'500 fr., les met à la charge des parties à raison de la moitié chacune et les compense à hauteur de 1'250 fr. avec l'avance de frais de 1'500 fr. versée par A______.

Dit que la part de ces frais incombant à C______ est laissée provisoirement à la charge de l'Etat de Genève.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ le solde de son avance, soit 250 fr.


 

Dit que chaque partie supporte ses propres dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.