Décisions | Chambre civile
ACJC/1578/2024 du 10.12.2024 sur OTPI/557/2024 ( SDF ) , MODIFIE
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/14811/2024 ACJC/1578/2024 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MARDI 10 DECEMBRE 2024 |
Entre
Monsieur A______, domicilié ______ [GE], appelant d'un jugement rendu par la 15ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 9 septembre 2024, représenté par Me Xavier RIEDER, avocat, SPIRA + ASSOCIEES, rue De-Candolle 28, 1205 Genève,
et
Madame B______, domiciliée ______ [GE], intimée, représentée par Me Laura SANTONINO, avocate, SWDS Avocats, rue du Conseil-Général 4, case postale 412, 1211 Genève 4.
A. a. B______, née le ______ 1987, et A______, né le ______ 1986, tous deux ressortissants ukrainiens, se sont mariés le ______ 2015 à C______ (Ukraine), où leur fils D______ est né le ______ 2018.
Les époux ont quitté l'Ukraine avec l'enfant en avril 2022 pour s'installer à Genève, où ils ont emménagé dans un appartement de 3 pièces sis rue 1______ no. ______ à E______ [GE]. Ils sont titulaires d'un permis S et bénéficient des prestations financières de l'Hospice général.
b. Le 27 mai 2024, une dispute a éclaté entre les époux au domicile conjugal. Selon les explications de B______, contestées par A______, celui-ci l'aurait empoignée par les épaules et l'aurait violemment plaquée contre un mur. Il ressort d'un constat médical effectué le lendemain que l'épouse présentait des ecchymoses au niveau des bras et des douleurs à la palpation au niveau de la vertèbre T1 et de l'omoplate droite.
Le 28 mai 2024, B______ a quitté le domicile conjugal avec D______ et sollicité l'intervention du Service de protection des mineurs (SPMi). Elle a accusé son époux de violences physiques et psychiques sur sa personne, d'avoir maltraité leur fils (par ex. en lui donnant des coups ou en l'attachant à une chaise à l'aide d'une ceinture) et d'avoir possiblement commis des actes d'ordre sexuel sur celui-ci. Compte tenu de la gravité de ces accusations, le SPMi a signalé la situation à la Brigade des mœurs et au Centre LAVI.
Suite à leur départ du domicile conjugal, l'épouse et l'enfant ont été logés à l'hôtel F______. Depuis la mi-juin 2024, ils sont hébergés dans un foyer géré par l'association [d'aide aux victimes de violence] G______.
Le 30 mai 2024, B______ a déposé une plainte pénale contre A______ pour les faits susmentionnés. D______ a été entendu par la police le 10 juin 2024, conformément au protocole d'audition des enfants victimes d'infractions graves (EVIG), mais n'a pas été en mesure de s'exprimer. Lors de son audition par la police du 26 juillet 2024, l'époux a contesté toutes les accusations portées contre lui. Le Ministère public a ouvert une procédure pénale qui est en cours d'instruction.
c. Le 28 juin 2024, B______ a formé une requête de mesures protectrices de l'union conjugale, concluant à ce que le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) lui attribue l'autorité parentale et la garde exclusives sur D______, dise que les relations personnelles père-fils s'exerceraient par le biais de H______, sous réserve des recommandations du Service d'évaluation et d'accompagnement de la séparation parentale (SEASP), et fixe l'entretien convenable de l'enfant à 1'002 fr. par mois. Elle a également conclu à ce que le Tribunal fasse interdiction à A______ (i) de s'approcher à moins de 100 mètres d'elle-même et de D______, (ii) de s'approcher à moins de 300 mètres de l'école fréquentée par celui-ci et (iii) de prendre contact avec leur fils par téléphone, par écrit, par voie électronique ou par tout autre biais, le tout sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP.
S'agissant de la garde, des relations personnelles et des mesures d'éloignement, elle a formulé les mêmes conclusions sur mesures provisionnelles.
d. Par ordonnance du 28 juin 2024, le Tribunal, statuant à titre superprovisionnel, a fait interdiction à A______ de s'approcher à moins de 100 mètres de son épouse, sous la menace de la peine prévue par l'art. 292 CP.
e. Le 25 juillet 2024, le Tribunal a ordonné l'établissement d'un rapport d'évaluation sociale par le SEASP.
f. Lors de l'audience du Tribunal du 22 août 2024, B______ a persisté dans ses conclusions. Elle a déclaré être favorable à une reprise des relations père-fils par le biais de H______ afin de garantir la présence d'un thérapeute lors des visites. D______ s'était ouvert des violences paternelles subies auprès d'un pédiatre et d'une assistante sociale à l'occasion d'une consultation aux Hôpitaux universitaires J______ (HUG) le 8 août 2024. En raison des vacances d'été, aucun rapport n'avait encore été établi suite à cette consultation.
Sur mesures provisionnelles, A______ a conclu à l'instauration d'une garde alternée et au rejet des mesures d'éloignement sollicitées par son épouse. Subsidiairement, dans l'hypothèse où la garde de l'enfant était confiée à sa mère et qu'un droit de visite médiatisé était ordonné, il demandait à ce que les visites soient organisées au Point Rencontre plutôt qu'auprès de H______. Il a contesté tout acte de violence physique ou sexuelle envers D______. Il reconnaissait toutefois qu'à une reprise, le 22 mai 2024, il avait "perdu ses nerfs" avec son fils qui se comportait mal. Excédé, il lui avait donné une fessée avec un linge de cuisine, mais il s'agissait d'un incident isolé et il regrettait son geste. La dispute du 27 mai 2024 avait été initiée par son épouse, qui avait essayé de lui arracher l'alliance qu'il portait autour du cou; il l'avait alors prise par les bras et l'avait repoussée jusqu'au mur.
La cause a été gardée à juger sur mesures provisionnelles à l'issue de l'audience.
B. Par ordonnance OTPI/557/2024 du 9 septembre 2024, reçue le lendemain par A______, le Tribunal, statuant sur mesures provisionnelles, a autorisé les époux vivre séparés (ch. 1 du dispositif), attribué à B______ la garde de D______ (ch. 2), réservé à A______ un droit de visite devant s'exercer à raison d'une heure à quinzaine au Point Rencontre dans le cadre de la prestation "1 pour 1" (ch. 3), instauré une curatelle d'organisation et de surveillance des relations personnelles, charge au curateur de mettre en œuvre le droit de visite prévu au chiffre 3 du dispositif, et transmis l'ordonnance au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant afin qu'il procède à la désignation d'un curateur (ch. 4), fait interdiction à A______ de s'approcher à moins de 100 mètres de D______, en dehors du droit de visite prévu au chiffre 3 du dispositif (ch. 5), fait interdiction à A______ de pénétrer dans un périmètre de 300 mètres autour de l'école de D______ sise rue 1______ no. ______, [code postal] E______ (ch. 6), fait interdiction à A______ de prendre contact par téléphone, par écrit, par voie électronique ou par tout autre biais avec D______, en dehors du droit de visite prévu au chiffre 3 du dispositif (ch. 7), fait interdiction à A______ de s'approcher à moins de 100 mètres de B______ (ch. 8), prononcé les interdictions sous chiffres 5 à 8 du dispositif sous la menace de la peine prévue à l'article 292 CP (ch. 9), réservé la décision finale du Tribunal quant au sort des frais judiciaires (ch. 10), dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 11) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 12).
Le Tribunal a retenu qu'au vu du jeune âge de D______ et du fait que l'épouse s'en était occupée de manière prépondérante depuis sa naissance, il était dans l'intérêt de l'enfant de rester sous la garde de sa mère, dans la continuité des derniers mois, dans l'attente de la reddition du rapport du SEASP. Une reprise des relations père-fils ne pouvait s'envisager que de manière surveillée dans l'intervalle, eu égard au jeune âge de l'enfant, à l'absence de contact avec le père depuis plusieurs semaines et à la fessée que celui-ci reconnaissait avoir donnée à son fils. La présence continue d'un intervenant en modalité "1 pour 1" au Point Rencontre était suffisante pour garantir le bon déroulement des visites, étant relevé que les allégations de violences physiques et sexuelles que le père aurait fait subir à son fils n'étaient étayées par aucune pièce, tout comme d'éventuelles conséquences psychologiques sur l'enfant. En dehors de ce droit de visite surveillé, il se justifiait de prononcer les mesures d'éloignement requises par la mère, compte tenu de la fessée que le père reconnaissait avoir donnée à l'enfant et dans l'attente d'une évaluation plus poussée du SEASP. L'interdiction faite à l'époux de s'approcher à moins de 100 mètres de l'épouse devait également être maintenue, l'altercation du 27 mai 2024 étant avérée, même si les circonstances et responsabilités respectives demeuraient encore floues.
C. a. Par acte déposé le 20 septembre 2024 devant la Cour de justice, A______ a fait appel de cette ordonnance, concluant à l'annulation des chiffres 3 et 5 à 9 de son dispositif et, cela fait, à l'octroi d'un droit de visite sur D______ devant s'exercer à raison d'une heure et demie par semaine au Point Rencontre, dans le cadre de la prestation "1 pour 1", ainsi qu'à la condamnation de son épouse aux dépens. Subsidiairement, il a conclu à l'annulation de l'ordonnance attaquée et au renvoi de la cause au Tribunal afin qu'il statue dans le sens des considérants.
A______ a allégué des faits nouveaux et produit des pièces nouvelles. En particulier, il a allégué que le domicile conjugal - qu'il occupait seul depuis le 28 mai 2024 - se situait à 85 mètres de l'entrée de l'école I______ fréquentée par D______, respectivement à 50 mètres du préau où l'enfant se rendait quotidiennement (all. 3). Il s'était inscrit à l'Université J______ en qualité de participant au programme K______ pour l'année 2024-2025 (all. 9). Il s'agissait d'une formation à temps plein, nécessaire à son intégration à Genève et à ses perspectives d'y trouver un emploi (all. 10). Son épouse suivait quant à elle un programme inter-facultaire auprès de l'Université J______ en tant qu'auditrice libre (all. 4).
b. Par arrêt du 10 octobre 2024, la Cour a admis la requête formée par A______ tendant à suspendre le caractère exécutoire attaché au chiffre 6 du dispositif de l'ordonnance attaquée, l'a rejetée pour le surplus et dit qu'il serait statué sur les frais avec l'arrêt rendu sur le fond.
c. Dans sa réponse du 11 octobre 2024, B______ a conclu, sous suite de frais et dépens, à l'annulation des chiffres 5, 6 et 8 du dispositif de l'ordonnance attaquée et, cela fait, à ce qu'il soit fait interdiction à A______ (i) de s'approcher à moins de 50 mètres de D______ en dehors du droit de visite prévu, (ii) de pénétrer dans un périmètre de 50 mètres autour de l'école fréquentée par l'enfant et (iii) de s'approcher à moins de 20 mètres d'elle-même à l'intérieur du périmètre de l'Université J______, respectivement à moins de 100 mètres en dehors du périmètre de l'Université J______. Elle a conclu à la confirmation de l'ordonnance attaquée pour le surplus.
Elle a admis les allégués nouveaux 3, 4, 9 et 10 de son époux. Elle a allégué des faits nouveaux et produit une pièce nouvelle, dont il ressort qu'en août 2024, D______ a été reçu par la Dre L______, médecin ______ [titre] du Groupe de protection de l'enfant (GPE) au sein des HUG, pour une consultation ambulatoire. Le rapport de consultation établi par cette praticienne le 2 septembre 2024 fait état, notamment, les éléments suivants :
"EXAMEN PHYSIQUE :D______ est un petit garçon faisant son âge. Au début de la consultation, il dessine un petit garçon et une chaise, il écrit "apap imatapé" et "imaléséopar". Je le questionne en lui demandant si je lis bien "papa il m'a tapé et il m'a laissé au parc", ce qu'il me confirme et indique ne pas vouloir parler et qu'il a dessiné.
DISCUSSION :
Selon les propos rapportés par la mère de D______, ce jour en consultation, D______ aurait subi de la maltraitance physique et psychique de la part de son père. Il aurait également possiblement été confronté à des actes sexuels, pouvant être considérés comme un abus sexuel au vu de son jeune âge. Dans ce contexte, D______ a eu une audition EVIG, mais ne s'est pas exprimé selon sa mère. Il est actuellement protégé, avec des mesures d'éloignement en place et absence de contact avec son père.
D______ montre des conséquences de cette violence notamment dans son comportement. En effet, il présente des peurs, des cauchemars, une énurésie et une faible estime de soi, ainsi qu'une auto et hétéro-agressivité. Dans ce contexte, il nous semble indispensable qu'il bénéficie d'un suivi pédopsychiatrique."
d. Aucune réplique spontanée n'ayant été déposée, la cause a été gardée à juger le 1er novembre 2024, ce dont les parties ont été avisées le jour même.
1. 1.1 L'appel est recevable pour avoir été interjeté auprès de l'autorité compétente (art. 120 al. 1 let. a LOJ), dans le délai utile de dix jours (art. 271 et 314 al. 1 CPC) et selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 311 CPC) à l'encontre d'une décision sur mesures provisionnelles (art. 308 al. 1 let. b CPC; ATF 137 III 475 consid. 4.1) rendue dans une affaire non pécuniaire dans son ensemble, puisque portant notamment sur les droits parentaux (cf. notamment arrêt du Tribunal fédéral 5A_983/2019 du 13 novembre 2020 consid. 1).
1.2 Dans sa réponse, l'intimée a pris des conclusions tendant à la modification de l'ordonnance attaquée.
1.2.1 Selon l'art. 314 al. 2 CPC, l'appel joint est irrecevable lorsque la décision a été rendue en procédure sommaire.
Les questions relatives aux enfants mineurs étant soumises aux maximes d'office et inquisitoire illimitée (art. 296 al. 1 et 3 CPC; ATF 147 III 301 consid. 2.2), la Cour n'est cependant pas liée par les conclusions des parties, ni par l'interdiction de la reformatio in pejus (ATF 129 III 417 consid. 2.1.1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_841/2018; 5A_843/2018 du 12 février 2020 consid. 5.2).
Une réduction (ou une restriction) des conclusions ne constitue pas une conclusion nouvelle au sens de l'art. 317 al. 2 CPC. Elle est donc admissible en tout temps, soit jusqu'aux délibérations (arrêt du Tribunal fédéral 5A_456/2016 du 28 octobre 2016 consid. 4.2.1 et les références citées).
1.2.2 En l'occurrence, les conclusions de l'intimée tendent à réduire le périmètre des mesures d'éloignement sollicitées dans sa requête du 28 juin 2024 et ordonnées par le Tribunal. Ce faisant, l'intimée renonce partiellement à ses prétentions de première instance, ce qui équivaut à un désistement partiel au sens de l'art. 241 CPC. Une réduction (restriction) des conclusions étant admissible en tout temps, ses conclusions d'appel sont ainsi recevables. En tout état, vu la maxime d'office applicable, la Cour n'est pas liée par les conclusions des parties pour toutes les questions relatives au mineur D______.
1.3 Dans le cadre d'un appel, la Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). Les mesures provisionnelles étant soumises à la procédure sommaire (art. 248 let. d CPC), sa cognition est toutefois limitée à la simple vraisemblance des faits et à un examen sommaire du droit, l'exigence de célérité étant privilégiée par rapport à celle de sécurité (ATF 127 III 474 consid. 2b/bb, JdT 2002 I 352; arrêt du Tribunal fédéral 5A_12/2013 du 8 mars 2013 consid. 2.2).
1.4 Dans les causes de droit de la famille concernant des enfants mineurs, les parties peuvent présenter des nova même si les conditions de l'art. 317 CPC ne sont pas réunies, dans la mesure où ils servent à rendre une décision conforme à l'intérêt de l'enfant (ATF 144 III 349 consid. 4.2.1).
Les allégués nouveaux et les pièces nouvelles dont les parties se prévalent devant la Cour sont dès lors recevables.
2. L'appelant reproche au Tribunal d'avoir violé les art. 4, 28b et 176 CC, en lui imposant des mesures d'éloignement et en restreignant considérablement son droit de visite à l'égard de son fils, alors même que la thèse de l'intimée, selon laquelle il serait un père et un époux très violent, au comportement sexuellement déviant, n'avait pas été rendue vraisemblable.
2.1.1 La question de savoir si des mesures provisionnelles peuvent être ordonnées dans le cadre d'une procédure de mesures protectrices de l'union conjugale, qui constituent déjà elles-mêmes des mesures provisionnelles (cf. ATF 137 III 475 consid. 4.1), est controversée en doctrine et n'a pas été tranchée par le Tribunal fédéral (cf. arrêt du Tribunal fédéral 5A_590/2019 cité consid. 3.4), qui s'est limité à relever que de telles mesures ne devraient, si tant est que l'on considère qu'elles soient admissibles, être prononcées qu'avec retenue et en cas d'urgence (arrêt du Tribunal fédéral 5A_549/2016 du 18 octobre 2016 consid. 4.2).
La Cour de céans reconnaît la possibilité de prononcer valablement de telles mesures, notamment lorsque la procédure de mesures protectrices de l'union conjugale risque de se prolonger (ACJC/1230/2024 du 8 octobre 2024 consid. 3.1; ACJC/178/2023 du 24 janvier 2023 consid. 4.1.1; ACJC/1454/2021 du 9 novembre 2021 consid. 3.1 et les références citées).
Elles ne peuvent toutefois être ordonnées que pour autant que les conditions posées par l'art. 261 CPC soient réunies (ACJC/256/2021 du 2 mars 2021 consid. 5.1; ACJC/1684/2019 du 12 novembre 2019 consid. 4.1; ACJC/763/2019 du 14 mai 2019 consid. 1.3; ACJC/1452/2018 du 19 octobre 2018 consid. 3.1).
2.1.2 Selon l'art. 261 al. 1 CPC, le tribunal ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable, d'une part, qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être (let. a) et, d'autre part, que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (let. b).
L'octroi de mesures provisionnelles suppose d'une façon générale la vraisemblance du droit invoqué. Le requérant doit ainsi rendre plausible que le droit matériel invoqué existe et que le procès a des chances de succès (arrêt du Tribunal fédéral 5P.422/2005 du 9 janvier 2006 consid. 3.2, SJ 2006 I p. 371; BOHNET, CR CPC, 2ème éd. 2019, n. 7 ad art. 261 CPC). En outre, la vraisemblance requise doit porter sur un préjudice difficilement réparable, qui peut être patrimonial ou matériel (BOHNET, op. cit., n. 11 ad art. 261 CPC). La condition du préjudice difficilement réparable vise à protéger le requérant du dommage qu'il pourrait subir s'il devait attendre jusqu'à ce qu'une décision soit rendue au fond (ATF 116 Ia 446 consid. 2, JdT 1992 I p. 122). Elle suppose l'urgence, laquelle s'apprécie au regard des circonstances concrètes du cas (BOHNET, op. cit., n. 12 ad art. 261 CPC).
2.1.3 Lorsque les époux ont des enfants mineurs, le juge ordonne les mesures nécessaires d'après les dispositions sur les effets de la filiation (art. 176 al. 3 CC). Le père ou la mère qui ne détient pas l'autorité parentale ou la garde ainsi que l'enfant mineur ont réciproquement le droit d'entretenir les relations personnelles indiquées par les circonstances (art. 273 al. 1 CC).
Le droit aux relations personnelles est considéré à la fois comme un droit et un devoir des parents, mais aussi comme un droit de la personnalité de l'enfant, qui doit servir en premier lieu l'intérêt de celui-ci; dans chaque cas, la décision doit donc être prise de manière à répondre le mieux possible à ses besoins, l'intérêt des parents étant relégué à l'arrière-plan (ATF 142 III 617 consid. 3.2.3; 141 III 328 consid. 5.4). Si les relations personnelles compromettent le développement de l'enfant, le droit d'entretenir ces relations peut être retiré ou refusé en tant qu'ultima ratio (art. 274 al. 2 CC; arrêt du Tribunal fédéral 5A_699/2021 du 21 décembre 2021 consid. 6.1 et la jurisprudence citée).
L'établissement d'un droit de visite surveillé nécessite des indices concrets de mise en danger du bien de l'enfant. Il ne suffit pas que celui-ci risque abstraitement de subir une mauvaise influence pour qu'un droit de visite surveillé soit instauré; il convient dès lors de faire preuve d'une certaine retenue lors du choix de cette mesure (ATF 122 III 404 consid. 3c; arrêt du Tribunal fédéral 5A_874/2021 du 13 mai 2022 consid. 4.1.1). Le droit de visite surveillé tend à mettre efficacement l'enfant hors de danger, à désamorcer des situations de crise, à réduire les craintes et à contribuer à l'amélioration des relations avec l'enfant et entre les parents. Il constitue en principe une solution provisoire et ne peut donc être ordonné que pour une durée limitée (arrêt du Tribunal fédéral 5A_874/2021 précité loc. cit.).
Lors d'une interruption prolongée des contacts entre l'enfant et le parent titulaire du droit de visite, il peut être indiqué d'ordonner un droit de visite initialement (et donc temporairement) limité, si cela permet de garantir un rapprochement prudent
(arrêt du Tribunal fédéral 5A_875/2017 du 6 novembre 2018 consid 3.3).
La fixation du droit aux relations personnelles relève de l'appréciation du juge du fait, qui jouit pour cela d'un large pouvoir et applique les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC; ATF 142 III 617 consid. 3.2.5).
2.1.4 Au besoin, le juge prend, à la requête d'un époux, les mesures prévues par la loi. La disposition relative à la protection de la personnalité en cas de violence, de menaces ou de harcèlement est applicable par analogie (art. 172 al. 3 CC).
En cas de violence, de menaces ou de harcèlement, le demandeur peut requérir le juge d'interdire à l'auteur de l'atteinte, en particulier : de l'approcher ou d'accéder à un périmètre déterminé autour de son logement; de prendre contact avec lui, notamment par téléphone, par écrit ou par voie électronique, ou de lui causer d'autres dérangements (art. 28b ch. 1 et 3 CC).
On entend par violence, l'atteinte directe à l'intégrité physique, psychique, sexuelle ou sociale d'une personne. Cette atteinte doit présenter un certain degré d'intensité, tout comportement socialement incorrect n'étant pas constitutif d'une atteinte à la personnalité. La violence psychique peut se manifester notamment par de la violence verbale, des bris d'objets, des menaces de suicide ou des pressions d'ordre économique. Les menaces se rapportent à des situations où des atteintes illicites à la personnalité sont à prévoir. Dans ce cas également, il doit s'agir d'une menace sérieuse qui fasse craindre à la victime pour son intégrité physique, psychique, sexuelle ou sociale. Lorsqu'il prend des mesures pour protéger la victime, le juge doit respecter le principe fondamental de la proportionnalité. Il doit ainsi prendre la mesure qui est suffisamment efficace pour la victime et la moins incisive pour l'auteur de l'atteinte (arrêt du Tribunal fédéral 5A_377/2009 du 3 septembre 2009 consid. 5.3.1 et 5.3.2; PEYROT, CR CC I, 2ème éd. 2024, n. 12 ad art. 28b CC).
2.2 En l'espèce, l'appelant ne conteste pas la nécessité de régler, à titre provisionnel, la question des relations personnelles qu'il entretient avec son fils. A cet égard, les parties conviennent que le Tribunal ne pourra pas statuer sur la requête de mesures protectrices à bref délai, dans la mesure où le SEASP a été chargé d'établir un rapport d'évaluation sociale et que ce rapport ne sera probablement pas rendu avant plusieurs semaines.
L'appelant fait grief au premier juge d'avoir restreint son droit aux relations personnelles de façon disproportionnée. Cela étant, il ne critique pas l'ordonnance entreprise en tant que celle-ci prévoit que les visites seront organisées - à tout le moins dans un premier temps - au Point Rencontre, en présence continue d'un intervenant (prestation "1 pour 1"). Comme l'a retenu le Tribunal, ces modalités sont adéquates compte tenu du jeune âge de D______, de l'absence de tout contact entre l'enfant et son père pendant plusieurs mois et de l'attitude inappropriée que l'appelant admet avoir adoptée envers son fils peu avant la séparation parentale. Il ressort par ailleurs du rapport de consultation du 2 septembre 2024 que l'enfant a exprimé certaines craintes vis-à-vis de son père, évoquant le fait que celui-ci l'avait "tapé" et "laissé au parc". Selon la spécialiste ayant rédigé ce rapport, D______ manifestait "des conséquences de [la] violence [subie]" au travers de son comportement (pleurs, cauchemars, énurésie, faible estime de soi, auto et hétéro-agressivité) et il était indispensable qu'il bénéficie d'un suivi pédopsychiatrique.
Au vu de ces éléments, c'est à bon droit que le premier juge a retenu qu'il était nécessaire - pour préserver le bien de l'enfant - d'instaurer un droit de visite médiatisé, initialement limité à une heure tous les quinze jours, dans l'attente de connaître les résultats de l'enquête sociale menée par le SEASP. Les déclarations des père et mère étant diamétralement opposées et la réalité des violences alléguées par la mère ne pouvant être exclue à ce stade, ce n'est qu'une fois l'enquête sociale menée à son terme qu'un élargissement des visites paternelles pourra être envisagé. Dans l'intervalle, les relations personnelles entre l'appelant et D______ pourront reprendre progressivement, au sein d'une structure bénéficiant de l'encadrement adapté pour assurer la sécurité et le bon développement de D______. Pour les mêmes motifs, il se justifie de maintenir les mesures d'éloignement ordonnées par le Tribunal jusqu'à la reddition du rapport SEASP. Compte tenu de la proximité entre l'école fréquentée par l'enfant et le domicile du père, il convient toutefois d'en limiter l'étendue, en ce sens qu'il sera fait interdiction à l'appelant de s'approcher à moins de 50 mètres de D______ et de pénétrer dans un périmètre de 50 mètres autour de l'école I______ lorsque l'enfant s'y trouve. Ces interdictions seront prononcées sous la menace de la peine de l'art. 292 CP, l'ordonnance attaquée ne faisant l'objet d'aucune critique motivée sur ce point.
En revanche, il n'y a pas lieu de maintenir la mesure d'éloignement ordonnée vis-à-vis de l'intimée. D'une part, les circonstances entourant la dispute conjugale du
27 mai 2024 demeurent floues, le constat médical du 28 mai 2024 faisant état de contusions (ecchymoses, douleurs localisées) compatibles tant avec la version des faits de l'épouse qu'avec celle de l'époux. D'autre part, rien n'indique que l'appelant se serait montré violent, agressif et/ou menaçant envers l'intimée postérieurement à cette dispute, ce que l'intéressée ne soutient d'ailleurs pas. Il suit de là que le risque d'une atteinte à l'intégrité de l'intimée n'a pas été rendu suffisamment vraisemblable.
Les chiffres 5 à 9 du dispositif de l'ordonnance attaquée seront annulés et il sera statué à nouveau dans le sens de ce qui précède.
3. 3.1 Les frais - qui comprennent les frais judiciaires et les dépens - sont mis à la charge de la partie succombante (art. 95 et 106 CPC). Le tribunal peut s'écarter des règles générales et répartir les frais selon sa libre appréciation, notamment lorsque le litige relève du droit de la famille (art. 107 al. 1 let. c CPC).
Lorsque l'autorité d'appel statue à nouveau, elle se prononce sur les frais de première instance (art. 318 al. 3 CPC).
3.2 L'annulation partielle de l'ordonnance attaquée ne commande pas de revoir la décision du Tribunal de statuer sur les frais dans la décision finale. Cette décision est conforme à la loi (art. 104 al. 3 CPC) et n'a fait l'objet d'aucun grief motivé devant la Cour, de sorte qu'elle sera confirmée.
Les frais judiciaires d'appel, comprenant l'émolument de décision sur effet suspensif, seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 105 al. 1 CPC; art. 31 et 37 RTFMC) et mis à la charge des parties à raison d'une moitié chacune, vu l'issue et la nature litige (art. 106 al. 2 et 107 al. 1 let. c CPC). Les parties plaidant au bénéfice de l'assistance judiciaire, ces frais seront provisoirement supportés par l'Etat de Genève (art. 122 al. 1 let. b), sous réserve de remboursement aux conditions de l'art. 123 CPC.
Compte tenu de la nature familiale du litige, il ne sera pas alloué de dépens d'appel.
* * * * *
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable l'appel interjeté le 20 septembre 2024 par A______ contre les chiffres 3 et 5 à 9 du dispositif de l'ordonnance OTPI/557/2024 rendue le 9 septembre 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/14811/2024.
Au fond :
Annule les chiffres 5 à 9 du dispositif de l'ordonnance attaquée et, statuant à nouveau sur ces points :
Fait interdiction à A______ de s'approcher à moins de 50 mètres de son fils D______, en dehors du droit de visite fixé au Point Rencontre.
Fait interdiction à A______ de pénétrer dans un périmètre de 50 mètres autour de l'école sise rue 1______ no. ______, [code postal] E______, lorsque D______ s'y trouve.
Fait interdiction à A______ de prendre contact par téléphone, par écrit, par voie électronique ou par tout autre biais avec D______, en dehors du droit de visite fixé au Point Rencontre.
Prononce les interdictions précitées sous la menace de la peine de l'article 292 CP qui prévoit que "celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents, sera puni de l'amende".
Confirme l'ordonnance attaquée pour le surplus.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires d'appel à 1'000 fr., les met à la charge de chacune des parties par moitié et les laisse provisoirement à la charge de l'Etat de Genève.
Dit que chaque partie supporte ses propres dépens d'appel.
Siégeant :
Madame Nathalie RAPP, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.
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Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile, dans les limites des art. 93 et 98 LTF.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.