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Décisions | Chambre pénale de recours

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PM/972/2025

ACPR/836/2025 du 13.10.2025 sur JTPM/574/2025 ( TPM ) , ADMIS

Recours TF déposé le 21.10.2025, 7B_1103/2025
Descripteurs : LIBÉRATION CONDITIONNELLE;DROIT D'ÊTRE ENTENDU
Normes : CP.86.al2

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PM/972/2025 ACPR/836/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 13 octobre 2025

 

Entre

A______, actuellement détenue à la prison de Champ-Dollon, chemin de Champ-Dollon 22, 1241 Puplinge, agissant en personne,

recourante,

 

contre l'ordonnance du Tribunal d'application des peines et des mesures rendue le 30 septembre 2025,

et

LE TRIBUNAL D'APPLICATION DES PEINES ET DES MESURES, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève - case postale 3715, 1211 Genève 3,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 2 octobre 2025 au Tribunal d'application des peines et des mesures (ci-après: TAPEM), qui l'a fait suivre à la Chambre de céans, A______ recourt contre l'ordonnance du 30 septembre 2025, notifiée le jour même, par laquelle cette autorité a ordonné sa libération conditionnelle avec effet au jour de son renvoi effectif de Suisse, mais au plus tôt le 4 octobre 2025 et lui a imposé, au titre de règles de conduite, de collaborer avec les autorités compétentes en vue de son renvoi effectif au Pérou, de quitter le territoire suisse et de ne plus y revenir tant qu'elle n'y serait pas expressément autorisée.

La recourante conclut à l'annulation de cette ordonnance pour vice de forme et à la mise des "dépens" à la charge de l'État. Elle sollicite un avocat d'office.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______, née le ______ 1987, originaire du Pérou, fait l'objet d'une décision de renvoi de Suisse prononcée par l'Office cantonal de la population et des migrations (ci-après: OCPM) le 28 mai 2020. Elle est au bénéfice d'une curatelle de portée générale, instituée par jugement du Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant du 24 mars 2021.

b. Elle se trouve actuellement en exécution de peine pour :

- une amende d'un montant de CHF 500.-, convertie en peine privative de liberté de substitution de 5 jours;

- une peine pécuniaire de 180 jours-amende à CHF 30.-, sous déduction de 4 jours de détention avant jugement et de 5 jours payés, soit un total de CHF 5'130.-, convertie en peine privative de liberté de substitution, pour fausse alerte, injure, dénonciation calomnieuse et séjour illégal au sens de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration (LEI), selon ordonnance pénale du Ministère public du 10 mars 2023 (procédure P/1______/2020).

c. A______ est incarcérée à la prison de Champ-Dollon depuis le 10 juin 2025, suite à un mandat d'arrêt émis par le Service de la réinsertion et du suivi pénal (ci-après: SRSP).

Les deux tiers de la peine qu'elle exécute actuellement sont intervenus le 4 octobre 2025, tandis que la fin de la peine est fixée au 3 décembre 2025.

d. Selon le courriel de l'OCPM du 13 juin 2025, la décision de refus de renouvellement d'autorisation de séjour de l'intéressée et de renvoi de Suisse était exécutoire. Elle ne serait ainsi pas autorisée à demeurer sur notre territoire à sa sortie de prison. Étant démunie de document de voyage valable, la Brigade de migration et retour (BMR) serait en charge d'entreprendre les démarches nécessaires conduisant à son renvoi au Pérou (audition, obtention d'un laissez-passer et réservation d'un vol). Compte tenu de la durée inhérente à ces démarches, il serait utile qu'en cas d'octroi d'une libération conditionnelle, celle-ci fût subordonnée à son renvoi.

e. Dans le formulaire qu'elle a rempli le 20 juin 2025 en vue de l'examen de la libération conditionnelle, A______ a mentionné être dans un partenariat enregistré et mère d'un enfant de 8 ans. À sa libération, elle envisageait de rester sur le territoire suisse, à Genève, où elle résidait officiellement. Elle ne pouvait pas travailler et pouvait bénéficier d'une rente de l'assurance invalidité. À sa sortie de prison, elle dénoncerait le SRSP auprès de la Cour de justice de l'Union européenne.

f. Le 16 juillet 2025, A______ a demandé sa libération auprès du Tribunal des mesures de contrainte (ci-après: TMC) [après que le Ministère public eut, le 11 juillet 2025 déclaré irrecevable la demande qu'elle avait déposée auprès de lui le 11 juillet 2025]. Elle a notamment expliqué, dans un écrit prolixe et confus, qu'elle avait purgé en 2024 sa condamnation, se référant à la procédure P/1______/2020 et à l'annulation "des écrous" par arrêt de la Chambre de céans du 4 décembre 2024.

Ce courrier, portant le tampon du Tribunal pénal et une date de réception au 22 juillet 2025, a été versé dans la présente procédure à une date indéterminée.

g. Selon le préavis – favorable – de la direction de la prison de Champ-Dollon du 23 juillet 2025, le comportement de A______ en détention était correct. Elle ne faisait l'objet d'aucune sanction disciplinaire et se montrait preneuse des activités. Ses antécédents judiciaires s'inscrivaient en récidive spéciale notamment en matière de LEI et elle faisait l'objet d'une procédure pénale en cours. Elle ne semblait pas avoir mené de réelle réflexion sur son parcours de vie, notamment délictuel et carcéral, afin de se prémunir de récidiver. Elle ne semblait pas avoir élaboré de projet de réinsertion socio-professionnelle concret et en adéquation avec sa situation administrative. Elle avait reçu plusieurs fois la visite d'un ami.

Elle disposait de CHF 73.20 sur son compte libre, CHF 81.60 sur son compte réservé et CHF 61.20 sur son compte bloqué.

h. Dans son préavis – favorable – du 18 septembre 2025, le SRSP constate que A______ adoptait un comportement correct en détention et ne faisait l'objet d'aucune sanction disciplinaire. Bien qu'elle eût été condamnée à cinq reprises, qu'une enquête pénale fût en cours et qu'elle ne présentât pas de projet de réinsertion socio-professionnelle concret et en adéquation avec sa situation administrative, elle n'avait toutefois jamais bénéficié de libération conditionnelle, ce qui justifiait que lui fût accordé un tel allègement. Le pronostic pénal n'apparaissait en l'état pas défavorable en ce qui concernait le risque de récidive. La libération conditionnelle devrait intervenir le jour de son renvoi effectif de Suisse, mais au plus tôt le 4 octobre 2025, assortie d'un délai d'épreuve de 1 an.

i. Par requête du 24 septembre 2025, le Ministère public a fait siens le préavis et les conclusions du SRSP.

j. Il ressort de l'extrait du casier judiciaire de A______, dans sa teneur au 12 septembre 2025, qu'elle a été condamnée à quatre autres reprises, pour des infractions à la LEI, injure, violence ou menace contre les autorités ou les fonctionnaires, opposition aux actes de l'autorité et lésions corporelles simples. Une enquête pénale est en cours depuis le 10 juin 2025, auprès du Tribunal de police, pour infraction à la LEI. Elle n'a jamais obtenu de libération conditionnelle.

C. Dans l'ordonnance querellée, le TAPEM a retenu que A______ s'était bien comportée en détention. Ses antécédents étaient mauvais. Elle n'avait cependant encore jamais bénéficié d'une libération conditionnelle. Elle souhaitait rester en Suisse, mais une décision de refus de renouvellement de son autorisation de séjour et de renvoi de Suisse était exécutoire. Son renvoi était envisageable à condition qu'elle collaborât aux démarches administratives et de départ de Suisse. Le pronostic n'était ainsi pas clairement défavorable en ce qui concernait le risque de récidive, à condition toutefois que la libération conditionnelle fût assortie d'une règle de conduite visant à ce que la citée quittât effectivement le territoire suisse et soit renvoyée dans son pays d'origine. Il fondait ainsi l'espoir que l'intéressée saurait à l'avenir se comporter de manière conforme à l'ordre juridique suisse et qu'elle saurait bien comprendre qu'une libération conditionnelle lui était accordée uniquement parce qu'elle n'en avait jamais bénéficié jusque-là.

D. a. Dans son recours, A______, s'adressant au TAPEM, expose que l'ordonnance "pénale" devait être annulée pour vice de forme car elle n'était pas entrée en force et qu'il n'y avait pas d'effet suspensif. Le Ministère public ne pouvait "évoquer" aucune infraction à son encontre. Il n'y avait donc pas lieu d'ouvrir une procédure sans audience, ni "avoir été auditionné par vous". Il y avait "non-lieu".

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours au sens de l'art. 393 CPP est la voie de droit ouverte contre les prononcés rendus en matière de libération conditionnelle par le TAPEM (art. 42 al. 1 let. b LaCP cum ATF 141 IV 187 consid. 1.1), dont le jugement constitue une "autre décision ultérieure" indépendante au sens de l'art. 363 al. 3 CPP (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1136/2015 du 18 juillet 2016 consid. 4.3 et 6B_158/2013 du 25 avril 2013 consid. 2.1; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 30 ad art. 363).

1.2. La procédure devant la Chambre de céans est régie par le CPP, applicable au titre de droit cantonal supplétif (art. 42 al. 3 LaCP).

1.3. En l'espèce, le recours a été déposé selon la forme – bien que très limite sous l'angle de la motivation – et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et émane de la condamnée, qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification de la décision querellée en tant que la libération conditionnelle – qui lui est favorable – a été soumise à la condition d'un renvoi de Suisse et à une règle de conduite (art. 104 al. 1 let. a, 111 et 382 al. 1 CPP).

Le recours sera donc déclaré recevable dans cette mesure (cf. ACPR/159/2024 du 29 février 2024).

1.4. Nonobstant la curatelle de portée générale dont elle fait l'objet, la recourante semble conserver une capacité de discernement suffisante, ce que la Chambre de céans a retenu à plusieurs reprises (cf. ACPR/670/2025 du 21 août 2025 consid. 4.2.; ACPR/695/2025 du 1er septembre 2025 consid. 2.3.) pour comprendre les tenants et aboutissants de la procédure de libération conditionnelle, dès lors qu'elle a été en mesure de remplir le formulaire ad hoc et d'expliquer pour quelles raisons, selon elle, l'ordonnance du TAPEM devait être annulée.

2.             À bien la comprendre, la recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue dans la mesure où le TAPEM n'a pas procédé à son audition avant de rendre l'ordonnance querellée.

2.1. Le droit d'être entendu, garanti par l'art. 3 al. 2 let. c CPP et 29 al. 2 Cst., comprend notamment le droit pour le justiciable de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d'obtenir l'administration des preuves pertinentes et valablement offertes, de participer à l'administration des preuves essentielles et de se déterminer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 II 218 consid. 2.3; 140 I 285 consid. 6.3.1).

2.2. La violation du droit d'être entendu doit entraîner l'annulation de la décision, indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 135 I 187 consid. 2.2; 122 II 464 consid. 4a). Une violation du droit d'être entendu, pour autant qu'elle ne soit pas particulièrement grave, peut être considérée comme réparée lorsque la partie concernée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours disposant d'un pouvoir d'examen complet quant aux faits et au droit. Par ailleurs, même si la violation du droit d'être entendu est grave, une réparation du vice procédural devant l'autorité de recours est également envisageable si le renvoi à l'autorité inférieure constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure, ce qui serait incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1; ATF 137 I 195 consid 2.3.2 = SJ 2011 I 347 ; 136 V 117 consid. 4.2.2.2; 133 I 201 consid. 2.2).

2.3. Aux termes de l'art. 86 CP, l'autorité compétente libère conditionnellement le détenu qui a subi les deux tiers de sa peine, mais au moins trois mois de détention, si son comportement durant l'exécution de la peine ne s'y oppose pas et s'il n'y a pas lieu de craindre qu'il ne commette de nouveaux crimes ou de nouveaux délits (al. 1). L’autorité compétente examine d’office si le détenu peut être libéré conditionnellement. Elle demande un rapport à la direction de l’établissement. Le détenu doit être entendu (al. 2).

2.4. En l'espèce, le TAPEM n'a, considérant la teneur de sa décision qui n'est pas favorable à la recourante s'agissant de l'octroi d'une libération conditionnelle, certes, mais moyennant son renvoi au Pérou et une règle de conduite l'obligeant à collaborer dans ce but, à tort pas convoqué d'audience ni imparti à la recourante un délai pour solliciter la tenue d'une audience, respectivement transmettre ses éventuelles observations écrites. Il a donc rendu sa décision sans l'avoir au préalable entendue, en violation de l'art. 86 al. 2 CP.

La demande de "libération" déposée par la recourante le 16 juillet 2025 auprès du TMC, après que le Ministère public lui eut répondu le 11 juillet précédent que sa demande du 3 juillet 2025 était irrecevable, ne saurait être considérée par le TAPEM comme des observations déposées spécifiquement en lien avec une procédure de libération conditionnelle. En effet, le 16 juillet 2025, la recourante ne pouvait pas avoir connaissance des préavis de la prison du 23 juillet 2025 et du SRSP du 18 septembre 2025, ni de la requête du Ministère public du 24 septembre 2025 adressée au TAPEM.

La violation du droit d'être entendu qui en découle est trop importante pour être réparée devant l'instance de recours, qui ne tient pas d'audience et procède par écrit (art. 397 al. 1 CPP; ACPR/724/2023 du 20 septembre 2023 consid. 2.4; ATF 134 I 140 consid. 5.3 et les références citées; arrêt du Tribunal fédéral 6B_883/2020 du 15 avril 2021 consid. 2.2);

Si une garantie procédurale n'a pas été respectée, il convient, autant que possible, de remettre la personne lésée dans la situation qui aurait été la sienne si l'exigence en cause n'avait pas été méconnue. Lorsqu'il s'agit d'une violation du droit d'être entendu, comme en l'espèce, la réparation consiste à renvoyer le dossier à l'autorité intimée pour qu'elle rende une nouvelle décision après avoir donné à la personne intéressée l'occasion de s'exprimer (arrêt du Tribunal fédéral 1B_85/2010 du 19 avril 2010 consid. 4.2);

3.             Au vu de ces considérations, le recours sera admis, la décision entreprise annulée et le dossier renvoyé au TAPEM pour qu'il rende, à bref délai, une nouvelle décision après avoir entendu la recourante, conformément à l'art. 86 al. 2 CP, et s'être déterminé sur sa demande tendant à la désignation d'un défenseur d'office.

4.             Au regard de la nature procédurale du vice examiné et dans la mesure où la Chambre de céans n'a pas traité la cause sur le fond, ne préjugeant ainsi pas de l'issue de celle-ci, il pouvait être procédé au renvoi sans ordonner préalablement un échange d'écritures (ATF 133 IV 293 consid. 3.4.2 p. 296 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_662/2020 du 18 août 2020 consid. 2 et 6B_30/2020 du 6 avril 2020 consid. 2).

5.             Au vu de l'issue du recours, les frais de l'instance seront laissés à la charge de l’État.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule la décision du Tribunal d’application des peines et des mesures du 30 septembre 2025 et renvoie la cause à cette autorité pour qu'elle procède dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, au Tribunal d'application des peines et des mesures et au Ministère public.

Le communique, pour information, au Service de la réinsertion et du suivi pénal.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Valérie LAUBER et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).