Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/967/2024 du 27.12.2024 sur OTMC/3745/2024 ( TMC ) , REFUS
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/18405/2024 ACPR/967/2024 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du vendredi 27 décembre 2024 |
Entre
A______, actuellement détenu à la prison de B______, représenté par Me C______, avocat,
recourant,
contre l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire rendue le 5 décembre 2024 par le Tribunal des mesures de contrainte,
et
LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève,
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimés.
EN FAIT :
A. Par acte expédié le 19 décembre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 5 précédent, notifiée le 9 décembre 2024, par laquelle le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) a prolongé sa détention provisoire jusqu'au 8 février 2025.
Le recourant conclut à l'annulation de l'ordonnance précitée et à sa libération immédiate, assortie des mesures de substitution qu'il énumère.
B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :
a. A______, ressortissant gambien né en 1985, est titulaire d'un permis de séjour. Arrivé en Suisse en 2008, à l'âge de 23 ans, il est marié depuis 2016 à une ressortissante suisse. Il n'a pas d'enfants. Il dit acheter des véhicules d'occasion, qu'il envoie en Gambie, par containers, pour les vendre. Son épouse subvient pour l'essentiel à ses besoins. Ses parents sont décédés et ses frères et sœurs vivent en Gambie.
À teneur de l'extrait du casier judiciaire suisse, il a été condamné, en 2016, pour entrée et séjour illégaux.
b. A______ a été arrêté le 8 août 2024 et placé en détention provisoire, régulièrement prolongée depuis, en dernier lieu au 8 décembre 2024.
c. Dans un premier temps, il a été prévenu d'infraction aux art. 19 al. 1 let. c et d et
al. 2 et 19a ch. 1 de la Loi fédérale sur les stupéfiants (LStup). Il était soupçonné d'avoir, à Genève, depuis une date que l'enquête devrait déterminer et jusqu'à son interpellation le 8 août 2024, de concert avec D______, participé à un important trafic de stupéfiants, principalement de cocaïne, notamment en détenant et en conditionnant, dans un appartement sis no. ______ rue 1______, à tout le moins 60,2 grammes bruts de cocaïne, 15 pilules d'ecstasy, 10 grammes bruts de MDMA, drogue destinée à la vente. A______ détenait sur lui, au moment de son interpellation, CHF 1'161.75, EUR 903.42, GBP 50.00, un [téléphone portable] E______/2______ [marque, modèle] et un E______/3______. Il lui était également reproché de consommer régulièrement de la cocaïne, de l'ecstasy et de la marijuana.
d. Au moment de son arrestation, A______ a contesté vendre de la drogue. Il consommait de la cocaïne, de l'ecstasy et de la marijuana, de manière festive. D______ était un ami, il ne savait pas "si c'était un trafiquant". Il s'était rendu le 8 août 2024 pour la première fois dans l'appartement à F______ [GE], pour accompagner D______. Il ne connaissait ni G______ ni H______ [clients du précité], et ignorait pourquoi ils étaient venus dans cet appartement. Hormis la drogue qu'il avait lâchée à la vue de la police, tout le reste ne le concernait pas. Les valeurs retrouvées sur lui provenaient de ses économies personnelles : sa femme lui en avait remis une partie et l'autre résultait de la vente d'un véhicule en Afrique.
e. Par arrêt du 29 août 2024 (ACPR/640/2024), la Chambre de céans a rejeté le recours formé par A______ contre sa mise en détention provisoire. Contrairement à ce qu'alléguait le précité, ses explications n'étaient pas de nature à amoindrir les soupçons qui pesaient sur lui, à ce stade de la procédure. L'instruction – soit la confrontation des prévenus et l'analyse des téléphones portables du prévenu –, permettrait soit de confirmer, voire alourdir, les charges, soit de valider la version du recourant et, donc, de diminuer l'intensité des soupçons. Le risque de collusion étant réalisé, il n'était pas nécessaire d'examiner si s'y ajoutait un risque de fuite.
f. Le recours formé par A______ contre cet arrêt a été rejeté par le Tribunal fédéral (7B_1003/2024 du 14 octobre 2024). Au regard des éléments au dossier, il existait des soupçons suffisants et un risque de collusion. Le principe de la présomption d'innocence n'avait ainsi pas été violé.
g. Dans un second temps et après poursuite de l'instruction, A______ a été prévenu, le 18 novembre 2024, à titre complémentaire, d'infraction à la LStup pour avoir vendu de grandes quantité de cocaïne, de marijuana et de MDMA, à un grand nombre de personnes, entre 2020 et août 2024. La prévention mentionne les noms ou pseudonymes de douze personnes.
h. À teneur du rapport de renseignements établi le 31 octobre 2024 par la police judiciaire, sur la base de l'analyse des conversations téléphoniques entre A______ et ses acheteurs, ces derniers contactaient le premier dans le seul but de lui acheter de la drogue.
i. Interrogé par le Ministère public sur ces éléments nouveaux, A______ a expliqué qu'il s'agissait d'amis avec lesquels il faisait "des fêtes". Ils consommaient ensemble et l'un d'entre eux s'occupait d'aller chercher la drogue. Il lui arrivait aussi, dans ces circonstances, d'amener des stupéfiants pour le groupe. Ses amis l'appelaient "pour faire des trucs". Depuis qu'il était en prison, il se rendait compte des erreurs commises, les regrettait et n'avait pas l'intention de les répéter. Il n'avait toutefois rien à voir avec les faits reprochés à D______.
C. Dans l'ordonnance querellée, le TMC a retenu que les charges s'étaient alourdies, A______ étant, depuis l'extension d'instruction du 18 novembre 2024, soupçonné d'être impliqué dans un trafic de stupéfiants portant, depuis 2020 à tout le moins, sur plusieurs types de drogues. Le prévenu minimisait les faits, en expliquant que les conversations mises en exergue par la police avaient trait à des soirées entre amis. Il ressortait toutefois du rapport de police que les différents interlocuteurs du prévenu le contactaient uniquement pour se procurer des stupéfiants. L'instruction se poursuivait. La police avait été priée d'extraire les conversations et de les remettre au Ministère public. Le Procureur devrait confronter le prévenu au contenu de ces conversations téléphoniques, faire identifier les acheteurs et les faire entendre et, le cas échéant, clore l'instruction.
La présence du prévenu en Suisse depuis de nombreuses années et son mariage avec une ressortissante suisse ne suffisaient pas à annihiler le risque de fuite, au vu des faits dont il était soupçonné, qu'il contestait en majeure partie. Le risque de collusion demeurait tangible à l'égard des personnes impliquées dans le trafic de stupéfiants qui venait d'être mis à jour, ainsi que des acheteurs identifiés par l'analyse du téléphone. Il convenait d'éviter que le prévenu n'entre en contact avec ceux-ci.
Les mesures proposées n'étaient pas suffisantes à pallier les risques retenus.
D. a. Dans son recours, A______ conteste tous risques de fuite et de collusion, qu'il estime pouvoir être palliés par les mesures proposées (obligation de déférer à toute convocation, interdiction de quitter le territoire suisse, obligation de résider au domicile conjugal, de suivre les règles du Service de probation et d'insertion et de se soumettre à des contrôles visant à attester sa présence dans le pays, et interdiction de contact avec les personnes impliquées dans la procédure). En Suisse depuis quinze ans, il y disposait de tout son cercle social. Il n'avait presque plus aucune famille en Gambie, ses parents étant décédés. Son épouse, ressortissante helvétique, représentait "tout" pour lui, de sorte qu'il n'avait aucune raison de quitter la Suisse. Le risque qu'il doive purger une peine supérieure à la détention provisoire déjà accomplie était minime, au vu des charges retenues, ce qui annihilait toute velléité de fuite éventuelle.
Le TMC retenait un risque de collusion avec des personnes impliquées dans le trafic qui venait d'être mis à jour, mais, ses téléphones ayant été séquestrés, il ne pourrait contacter qui que ce soit. Il ne pourrait pas non plus entrer en contact avec D______, ce dernier étant détenu pour une durée "vraisemblablement conséquente". Il n'avait jamais entendu parler de H______ et G______ avant l'ouverture de la procédure ni ne les avait rencontrés avant ; seul D______ avait été leur dealer. Les autres acheteurs identifiés par l'analyse de ses téléphones étaient ses amis, qui consommaient avec lui, et chacun fournissait le groupe à tour de rôle. Les sommes d'argent retrouvées en sa possession lui avaient été remises par son épouse, ce que cette dernière avait confirmé par écrit.
Les mesures de substitution proposées étaient ainsi à même de pallier les risques retenus. Sa détention violait le principe de la proportionnalité.
b. Le Ministère public conclut au rejet du recours et se réfère à la motivation contenue dans la décision querellée.
c. Le TMC maintient les termes de son ordonnance.
d. Le recourant a informé ne pas souhaiter répliquer.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222 et 393 al. 1 let. c CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. Le recourant ne conteste pas les charges retenues. Il n'y a donc pas à s'y attarder, mais à renvoyer, en tant que de besoin, à la motivation adoptée par le premier juge (art. 82 al. 4 CPP; ACPR/747/2020 du 22 octobre 2020 consid. 2 et les références), étant précisé que dans son précédent arrêt – confirmé par le Tribunal fédéral – la Chambre de céans avait déjà retenu l'existence de charges suffisantes, qui se sont alourdies depuis.
3. Le recourant conteste le risque de collusion.
3.1. Conformément à l'art. 221 al. 1 let. b CPP, la détention provisoire ne peut être ordonnée que lorsque le prévenu est fortement soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit et qu'il y a sérieusement lieu de craindre qu'il compromette la recherche de la vérité en exerçant une influence sur des personnes ou en altérant des moyens de preuve. Pour retenir l'existence d'un risque de collusion, l'autorité doit démontrer que les circonstances particulières du cas d'espèce font apparaître un danger concret et sérieux de manœuvres propres à entraver la manifestation de la vérité, en indiquant, au moins dans les grandes lignes et sous réserve des opérations à conserver secrètes, quels actes d'instruction doivent être encore effectués et en quoi la libération du prévenu en compromettrait l'accomplissement. Dans cet examen, entrent en ligne de compte les caractéristiques personnelles du détenu, son rôle dans l'infraction ainsi que ses relations avec les personnes qui l'accusent. Entrent aussi en considération la nature et l'importance des déclarations, respectivement des moyens de preuve susceptibles d'être menacés, la gravité des infractions en cause et le stade de la procédure. Plus l'instruction se trouve à un stade avancé et les faits sont établis avec précision, plus les exigences relatives à la preuve de l'existence d'un risque de collusion sont élevées (ATF 137 IV 122 consid. 4.2; 132 I 21 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_577/2020 du 2 décembre 2020 consid. 3.1).
3.2. En l'espèce, le recourant, pour lequel un risque de collusion avait déjà été retenu en début d'instruction, vient d'être prévenu, à titre complémentaire, de vente de stupéfiants à douze personnes, sur la base de ses conversations téléphoniques avec ces dernières. L'instruction doit désormais porter sur la confrontation du recourant au contenu de ces conversations et, après identification des interlocuteurs, sur l'audition de ces derniers. Le risque est dès lors très important que, s'il était libéré, le recourant n'entre en contact avec ces personnes pour leur livrer sa version des faits et, par-là, les influencer. Qu'il ne dispose plus de ses téléphones – saisis – ne l'empêcherait pas d'entrer en contact avec elles par un autre moyen. Il allègue en effet que ses interlocuteurs seraient des "amis" avec lesquels il faisait "la fête", de sorte que, à suivre ses explications, il pourrait les revoir en se rendant dans ces lieux de fête, ou les contacter par personnes interposées.
Que le recourant déclare ne pas connaître H______ et G______ ne joue aucun rôle ici, car le risque de collusion porte désormais (aussi) sur les douze acheteurs de stupéfiants nouvellement mis à jour par l'instruction. L'explication du recourant sur l'origine des valeurs trouvées en sa possession – qu'il avait déjà livrée en début de procédure – n'est pas à même de réduire les risques retenus, ni, si tel était le propos, de réduire les charges.
C'est donc à bon droit que le TMC a retenu un risque de collusion trop important, à ce stade de l'instruction, pour être pallié par une interdiction de contact, laquelle ne reposerait que sur la volonté du recourant. Or, l'enjeu est tel, pour le prévenu, qu'on ne saurait se contenter d'une simple promesse.
4. Le risque de collusion étant réalisé, l'autorité de recours peut se dispenser d'examiner si un autre risque – alternatif – l'est également (arrêt du Tribunal fédéral 7B_188/2024 du 12 mars 2024 consid. 6.3.1).
5. Le recourant invoque une violation du principe de la proportionnalité, mais, compte tenu de la gravité des charges retenues, la détention provisoire ordonnée respecte ce principe (art. 197 al. 1 et 212 al. 3 CPP).
6. Le recours s'avère ainsi infondé et doit être rejeté.
7. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03). En effet, l'autorité de recours est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).
8. Le recourant plaide au bénéfice d'une défense d'office.
8.1. Selon la jurisprudence, le mandat de défense d'office conféré à l'avocat du prévenu pour la procédure principale ne s'étend pas aux procédures de recours contre les décisions prises par la direction de la procédure en matière de détention avant jugement, dans la mesure où l'exigence des chances de succès de telles démarches peut être opposée au détenu dans ce cadre, même si cette question ne peut être examinée qu'avec une certaine retenue. La désignation d'un conseil d'office pour la procédure pénale principale n'est pas un blanc-seing pour introduire des recours aux frais de l'État, notamment contre des décisions de détention provisoire (arrêt du Tribunal fédéral 1B_516/2020 du 3 novembre 2020 consid. 5.1).
8.2. En l'occurrence, quand bien même le recourant succombe, on peut admettre que l'exercice du présent recours ne procède pas d'un abus.
L'indemnité du défenseur d'office sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 900.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant (soit, pour lui, son défenseur), au Ministère public et au Tribunal des mesures de contrainte.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON et Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.
La greffière : Séverine CONSTANS |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
P/18405/2024 | ÉTAT DE FRAIS |
| ACPR/ |
COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
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- frais postaux | CHF | 10.00 |
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Émoluments généraux (art. 4) | | |
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- délivrance de copies (let. a) | CHF |
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- délivrance de copies (let. b) | CHF |
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- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
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Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
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- décision sur recours (let. c) | CHF | 900.00 |
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| Total | CHF | 985.00 | |||