Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/920/2024 du 09.12.2024 sur OMP/22337/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/2943/2023 ACPR/920/2024 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du lundi 9 décembre 2024 |
Entre
A______, représenté par Me Romain FELIX, avocat, SULMONI & FÉLIX, rue de Saint-Léger 2, 1205 Genève,
recourant,
contre l'ordonnance de refus de retrait de preuves rendue le 23 octobre 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 4 novembre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 23 octobre 2024, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a refusé de retirer du dossier les enregistrements sonores et vidéos des 21 janvier 2021, 25 octobre 2021, 24 octobre 2022 et 4 janvier 2023.
Il conclut, sous suite de frais et dépens non chiffrés, à l'annulation de cette ordonnance et au constat que les enregistrements litigieux sont manifestement inexploitables et, partant, doivent être immédiatement retirés du dossier.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 3 février 2023, B______ a fait appel à la police à la suite d'un conflit conjugal, puis s'est rendue au poste pour y déposer plainte contre son époux, A______, affirmant être victime de violences physiques, psychologiques et verbales depuis plusieurs années. Leur fils de quatre ans avait, lui aussi, reçu des gifles. A______ avait par ailleurs vidé le compte-épargne de ce dernier.
Sur les conseils d'une avocate de l'association C______ (aide aux victimes), elle avait effectué plusieurs enregistrements de ces épisodes. L'appartement était par ailleurs équipé de caméras de surveillance, installées notamment dans la chambre de leur fils, afin de pouvoir surveiller ce dernier. Elle n'avait pas fait appel à la police auparavant, par crainte que son époux mette certaines de ses menaces à exécution.
À l'appui de ses accusations, elle a produit un certificat médical concernant son fils, ainsi que des enregistrements audio, datés des 21 janvier et 25 octobre 2021, et vidéo, datés des 24 octobre 2022, 4 janvier et 3 février 2023, contenus dans son téléphone portable.
Des photographies, prises le jour-même au poste, ont par ailleurs été jointes au dossier.
b. Entendu par la police le même jour, A______ a reconnu avoir régulièrement tenu des propos injurieux et dévalorisants à l'égard de son épouse, avoir cassé la porte vitrée de la cuisine dans un accès de colère et avoir retiré l'intégralité des avoirs déposés sur le compte de son fils. Il a en revanche nié toute violence physique à leur égard.
Tant devant la police que devant le Ministère public, il a mis en cause la légalité des enregistrements, affirmant, entre autres, avoir ignoré que les caméras placées dans l'appartement avaient une fonction d'enregistrement.
Il a à son tour déposé plainte contre B______ pour lui avoir prodigué une fellation sans son consentement quelques mois auparavant.
c. Par courrier du 17 février 2023, B______ a sollicité le retrait du dossier pénal des enregistrements vidéo et audio des 21 janvier 2021, 25 octobre 2021 et 24 octobre 2022 annexés à sa plainte.
d. Lors d'une audience qui s'est tenue le 22 février 2023, A______ a déclaré déposer plainte complémentaire en liens avec ces enregistrements, effectués selon lui contre son gré.
e. Le 25 mars 2024, le Ministère public a ouvert une instruction contre B______, notamment pour avoir, aux dates susmentionnées, enregistré son époux sans son consentement, agissements susceptibles de tomber sur le coup des art. 179ter CP et 179quater CP.
f. Les parties ont été entendues à ce propos le 4 juillet 2024. B______, après avoir été prévenue de ces chefs, a affirmé que ces enregistrements étaient nécessaires à sa sécurité et à celle de son fils et que son époux était informé de leur existence. A______ a nié que tel ait été le cas.
À l'issue de l'audience, un délai a été imparti aux parties pour se déterminer sur la recevabilité et l'exploitabilité desdits enregistrements.
g. Par courrier du 2 septembre 2024, A______ a fait valoir que tant les enregistrements effectués par son épouse à l'aide de son téléphone portable que ceux de la caméra placée dans la chambre de l'enfant avaient été recueillis illicitement. Comme de telles mesures de surveillance n'auraient pas pu être mises en œuvre par les autorité pénales, faute d'en remplir les conditions, ils étaient manifestement inexploitables et, partant, devaient être immédiatement écartés du dossier.
h. Pour sa part, B______ a soutenu que les comportements dénoncés, que ce soit envers elle ou leur fils, étaient d'une gravité certaine, de sorte que les preuves versées au dossier devaient être considérées comme exploitables.
C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public a rappelé que, selon la jurisprudence, il incombait en principe au juge du fond de faire la distinction entre les moyens de preuve licites et ceux qui ne le seraient pas. Dans le cas présent, les infractions reprochées à A______ (lésions corporelles simples [art. 123 CP], voies de fait [art. 126 CP], dommages à la propriété [art. 144 CP], injure [art. 177 CP], menaces [art. 180 CP], violation du devoir d'assistance et d'éducation [art. 219 CP] et contravention à la loi sur les stupéfiants) étaient graves et il n'était pas manifeste que les enregistrements litigieux soient illicites, et encore moins inexploitables, la question du consentement de l'intéressé à ceux-ci étant posée. Les conditions d'un retranchement immédiat de ces pièces du dossier n'étaient dès lors pas réalisées.
D. a. Dans son recours, A______ fait valoir que le Ministère public n'avait discuté aucun des arguments circonstanciés qu'il avait présentés dans son courrier du 2 septembre 2024. Le Ministère public s'était en particulier fondé sur les seules déclarations de B______ pour retenir que lui-même était informé des enregistrements, alors qu'un examen individuel de la licéité de chacun d'entre eux aurait dû être effectué. Son droit d'être entendu avait été violé. Il a repris pour le surplus l'essentiel de la motivation développée dans sa prise de position susmentionnée.
b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP; ATF 143 IV 475 consid. 2.9; arrêt du Tribunal fédéral 1B_485/2021 du 26 novembre 2021 consid. 2.4.3).
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. 3.1. La garantie du droit d'être entendu impose à l'autorité de motiver ses décisions, afin que les parties puissent les comprendre et apprécier l'opportunité de les attaquer, et que les autorités de recours soient en mesure d'exercer leur contrôle (ATF 141 III 28 consid. 3.2.4; 136 I 229 consid. 5.2; 135 I 265 consid. 4.3). L'autorité n'a cependant pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut se limiter à ceux qui lui paraissent pertinents. La motivation peut être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 143 III 65 consid. 5.3 ; 142 I 135 consid. 2.1 ; 141 III 28 consid. 3.2.4 ; 139 IV 179 consid. 2.2 p. 183 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_226/2019 du 29 mars 2019 consid. 2.1). Il suffit que l'autorité mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 143 IV 40 consid. 3.4.3; 142 I 135 consid. 2.1; arrêts du Tribunal fédéral 6B_246/2017 du 28 décembre 2017 consid. 4.1 et 6B_726/2017 du 20 octobre 2017 consid. 4.1.1).
3.2. Une violation du droit d’être entendu peut être réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours qui jouit d'un plein pouvoir d'examen. Cela vaut également en présence d'un vice grave lorsqu’un renvoi à l’instance précédente constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure, incompatible avec l'intérêt de ladite partie à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1135/2021 du 9 mai 2022 consid. 1.1).
3.3. En l'espèce, le Ministère public n'a certes pas repris, dans sa décision, tous les arguments développés par le recourant dans sa prise de position, ni, a fortiori, ne les a discutés. Les motifs pour lesquels il a estimé injustifiée la demande de retrait immédiat des enregistrements du dossier sont toutefois exposés de manière suffisante pour permettre au recourant de les contester de manière détaillée, ce qu'il a au demeurant fait en reprenant dans ses écritures devant la Chambre de céans l'essentiel des moyens exposés précédemment.
Si tant est que l'on puisse reprocher au Ministère public une violation du droit être entendu, celle-ci n'est ainsi, dans tous les cas, pas grave au point de n'avoir pu être réparée dans le cadre du recours. À cela s'ajoute qu'un renvoi de la cause au Ministère public pour ce motif constituerait une vaine formalité, au vu de la discussion qui suit.
Ce grief sera, partant, rejeté.
4. Le recourant soutient que les enregistrements litigieux sont manifestement inexploitables et doivent, partant, être écartés du dossier.
4.1. Selon l'art. 141 al. 1 CPP, les preuves administrées en violation de l'art. 140 CPP – soit celles obtenues par contrainte, recours à la force, menaces, promesses, tromperie ou moyens susceptibles de restreindre les facultés intellectuelles ou le libre arbitre – ne sont en aucun cas exploitables.
Les preuves qui ont été administrées d'une manière illicite ou en violation de règles de validité par les autorités pénales ne sont pas exploitables, à moins que leur exploitation soit indispensable pour élucider des infractions graves (al. 2).
4.2. Au stade de l'instruction, la question de la légalité et de l'exploitabilité des moyens de preuve doit en principe être laissée à l'appréciation du juge du fond (art. 339 al. 2 let. d CPP), autorité dont il peut être attendu qu'elle soit en mesure de faire la distinction entre les moyens de preuve licites et ceux qui ne le seraient pas, puis de fonder son appréciation en conséquence (ATF 144 IV 127 consid. 1.3.1; 143 IV 387 consid. 4.4). Cette approche se justifie également au regard du principe "in dubio pro duriore", lequel interdit au ministère public, confronté à des preuves non claires, d'anticiper sur l'appréciation des preuves par le juge du fond (ATF 143 IV 241 consid. 2.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_127/2019 du 9 septembre 2019 consid. 4.1.2 non publié in ATF 145 IV 462).
Cette règle comporte toutefois des exceptions. Tel est le cas lorsque la loi prévoit expressément la restitution immédiate, respectivement la destruction immédiate, des preuves illicites (cf. notamment l'ancien art. 248 dans sa teneur en vigueur au 31 décembre 2023 [RO 2010 1881], art. 271 al. 3, 277 et 289 al. 6 CPP). Il en va de même quand, en vertu de la loi ou de circonstances spécifiques liées au cas d'espèce, le caractère illicite des moyens de preuve s'impose d'emblée (ATF 143 IV 475 consid. 2.7; arrêt du Tribunal fédéral 1B_91/2020 du 4 mars 2020 consid. 2.2; N. OBERHOLZER, Grundzüge des Strafprozessrechts, 4ème éd., Berne 2020, n. 1116 p. 345).
Un intérêt juridiquement protégé particulièrement important est cependant nécessaire pour conduire à un constat immédiat de ce caractère inexploitable (ATF 144 IV 127 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_859/2023 du 17 juillet 2024 consid. 1.3.2).
4.3. Dans le cas présent, les enregistrements versés au dossier effectués par B______, l'auraient été à l'insu du recourant. Ils sont par conséquent susceptibles de tomber sous le coup des art. 179ter CP et 179quater CP, qui répriment respectivement les enregistrements non autorisés de conversations et la violation du domaine secret ou du domaine privé au moyen d'un appareil de prise de vues.
Cela étant, sur plainte du recourant, B______ a été prévenue de ces chefs et a, entre autres, nié le caractère pénal de ses actes en soutenant que son époux était au courant desdits enregistrements et qu'elle avait agi au bénéfice de motifs justificatifs. Or, sauf à anticiper l'examen du juge du fond à l'issue de l'administration des preuves, il n'appartient pas à la Chambre de céans d'examiner ici, pour la première fois, si ces arguments sont fondés et si les infractions en question sont, ou non, réalisées.
Dans ces conditions, au vu des circonstances et des explications fournies de part et d'autre, l'on ne saurait considérer que le caractère illicite et, partant, manifestement inexploitable des preuves litigieuses, s'imposerait d'emblée.
Par ailleurs, le recourant ne fait valoir aucun intérêt juridiquement protégé particulier au constat immédiat du caractère inexploitable des enregistrements visés et ne prétend en particulier pas que soumettre la question de leur légalité au juge du fond lui occasionnerait un préjudice irréparable.
Le recours sera par conséquent rejeté, sans qu'il soit nécessaire de trancher la question de savoir si la gravité des infractions en cause aurait ou non permis à l'autorité de mettre en œuvre des mesures de surveillance (cf. 269ss CPP).
5. Justifiée, l'ordonnance querellée sera confirmée.
6. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés en totalité à CHF 1'000.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.
La greffière : Olivia SOBRINO |
| Le président : Christian COQUOZ |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/2943/2023 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 915.00 |
- demande sur récusation (let. b) | CHF | |
Total | CHF | 1'000.00 |