Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/869/2024 du 21.11.2024 sur OMP/19394/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/12213/2023 ACPR/869/2024 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 21 novembre 2024 |
Entre
A______, représenté par Me B______, avocat,
recourant,
contre l'ordonnance d'indemnisation rendue le 17 septembre 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 30 septembre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 17 précédent, envoyée par pli simple, par laquelle le Ministère public lui a alloué une indemnité de CHF 2'369.40 pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (ch. 1 du dispositif), mais a refusé de l'indemniser pour préjudice économique (ch. 2).
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de ladite ordonnance et à l'octroi d'indemnités à hauteur de CHF 7'494.95 pour l'exercice raisonnable de ses droits de procédure, CHF 3'877.20 avec 5% d'intérêts dès le 18 octobre 2023 pour le dommage économique subi, CHF 1'130.55 pour ses frais de défense dans le cadre du recours déposé le 5 août 2024 contre l'ordonnance de non-entrée en matière du 25 juillet 2024, ainsi que CHF 1'095.- pour ses frais de défense dans le cadre du présent recours.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 5 juin 2023, C______ a déposé plainte contre le Dr A______ pour lésions corporelles par négligence (art. 125 CP).
En substance, il lui reprochait d'avoir, en passant le cathéter lors d'une coronarographie, le 7 mars 2023, déchiré son aorte ascendante et de n'avoir pas pris de mesure particulière visant à empêcher la propagation de la dissection, opérée le lendemain en urgence.
b. Le 18 octobre 2023, A______ a été entendu en qualité de prévenu par la police durant deux heures (de 17h37 à 19h36), accompagné de son avocat.
c. Le Dr D______, cardiologue ayant procédé, le 8 mars 2023, à l'opération en urgence sur C______, a été entendu par la police, le 18 décembre 2023.
d. Le Ministère public a demandé un complément de renseignements à C______, en vain.
e. Le 25 juillet 2024, le Ministère public a rendu une ordonnance de non-entrée en matière.
e.a. Le 5 août 2024, A______ a recouru contre cette décision en tant qu'elle ne l'indemnisait pas pour ses frais de défense et son dommage économique.
Il a produit une note d'honoraires détaillée d'un montant total de CHF 7'494.95, TVA comprise, correspondant à 16h50 d'activité pour la période du 1er août 2023 au 29 septembre 2024.
S'agissant de la perte de gain, il était, à l'époque, médecin indépendant. Il réclamait ainsi une indemnité de CHF 3'877.20 TTC avec intérêts à 5 % pour la période d'août à décembre 2023.
e.b. Le 17 septembre 2024, le Ministère public a conclu au rejet du recours, lequel était devenu sans objet, dans la mesure où il avait rendu, le jour même, une ordonnance d'indemnisation – l'ordonnance litigieuse –.
e.c. Par arrêt du 3 octobre 2024 (ACPR/709/2024), la Chambre de céans a déclaré le recours de A______ contre l'ordonnance de non-entrée en matière du 25 juillet 2024 sans objet et rayé la cause du rôle après que le Ministère public eut rendu l'ordonnance querellée.
Elle a alloué à A______ l'indemnité réclamée de CHF 1'130.55 TTC pour ses frais de défense pour l'instance de recours.
Cet arrêt est définitif.
C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a considéré que la note d'honoraires produite apparaissait excessive compte tenu de la complexité relative de la procédure et du fait que le dossier n'était pas particulièrement long. Il a ainsi retenu qu'il se justifiait d'octroyer à A______ une indemnité de CHF 2'369.40, TVA à 7.7% incluse, correspondant à cinq heures d'activité soit une heure de conférence, deux heures d'audition à la police, une heure de déplacement à CHF 450.- de l'heure, ainsi qu'une heure pour les frais de recours – du 5 août 2024 – à CHF 400.- de l'heure.
Pour le surplus, il a refusé l'allocation d'une indemnité en réparation du préjudice économique, faute de motivation de la demande.
D. a. Dans son recours, A______ considère que le temps consacré à sa défense était parfaitement justifié et détaillé dans la note d'honoraires produite. Il persiste également à l'octroi d'une indemnité pour perte de gain.
À l'appui de son recours, il produit notamment un décompte des heures consacrées par lui-même à la procédure pénale à hauteur de CHF 3'877.20, correspondant à 8 heures au tarif horaire de CHF 450.-, TVA à 7.7% incluse, à savoir :
- le 29 août 2023, 1h30 pour un rendez-vous avec son avocat et le déplacement;
- le 18 octobre 2023, 1h30 pour un rendez-vous avec son avocat et le déplacement;
- le 18 octobre 2023, 3h pour l'audition à la police et le déplacement;
- le 18 novembre 2023, 1h de lecture du dossier;
- entre août et décembre 2023, 1h pour divers courriels échangés avec son avocat.
b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. 3.1. En cas de refus d'entrer en matière, le prévenu peut prétendre à l'octroi de dépens au sens de l'art. 429 al. 1 let. a CPP (ATF 139 IV 241 consid. 1).
3.2. L'indemnité concerne les dépenses du prévenu pour un avocat de choix (ATF 138 IV 205 consid. 1). Elle couvre en particulier les honoraires de ce conseil, à condition que le recours à celui-ci procède d'un exercice raisonnable des droits de procédure. Selon le message du Conseil fédéral, l'État ne prend en charge les frais de défense que si l'assistance d'un avocat était nécessaire compte tenu de la complexité de l'affaire en fait ou en droit et que le volume de travail et donc les honoraires étaient ainsi justifiés (Message du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, FF 2006 1313 ch. 2.10.3.1).
Lors de la fixation de l'indemnité, le juge ne doit pas avaliser purement et simplement les notes d'honoraires qui lui sont le cas échéant soumises, mais, au contraire, examiner si l'assistance d'un conseil était nécessaire puis, dans l'affirmative, apprécier objectivement la pertinence et l'adéquation des activités facturées, par rapport à la complexité juridique et factuelle de l'affaire et, enfin, dire si le montant des honoraires réclamés, même conforme au tarif pratiqué, est proportionné à la difficulté et à l'importance de la cause, c'est-à-dire raisonnable au sens de la loi (cf. ACPR/140/2013 du 12 avril 2013).
3.3. Les honoraires d'avocat se calculent selon le tarif usuel du barreau applicable dans le canton où la procédure se déroule (ATF 142 IV 163 consid 3.1 p. 165 ss). À Genève, la Cour de justice retient un tarif horaire de CHF 450.- pour un chef d'étude, lorsque ce conseil chiffre sa rémunération à ce taux, CHF 350.- pour un collaborateur et CHF 150.- pour un avocat stagiaire (ACPR/223/2022 du 31 mars 2022 consid. 2.1 et les références citées).
3.4. Le temps consacré aux déplacements n'est pas taxé de la même manière que le temps consacré à l'étude du dossier (ATF 142 IV 163 consid. 3.1.3 p 169). La jurisprudence admet que la rémunération y relative soit inférieure à celle des diligences de l'avocat, dans la mesure où elle ne fait pas appel à ses compétences intellectuelles relevant de l'exécution du mandat stricto sensu (arrêt du Tribunal fédéral 6B_810/2010 du 25 mai 2011 consid. 2.2 ; dans ce sens : ordonnance de la Cour des plaintes BB.2015.44 du 27 octobre 2015 consid. 3.2.4). L'allocation d'un montant forfaitaire par vacation (aller-retour) est admissible (décision de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral BB.2013.182 du 16 avril 2014 consid. 3.2.1). Le règlement genevois ne disposant pas quelle doit être la rémunération des vacations, la Cour a dû combler cette lacune (ACPR/8/2016 du 13 janvier 2016 consid. 2.2 et la référence citée). Il apparaît justifié de considérer que la rémunération du seul déplacement doit être réduite de 50% par rapport à la rémunération des prestations intellectuelles relevant du mandat stricto sensu.
3.5. L'interdiction de la reformatio in pejus, consacrée par l'art. 391 al. 2 CPP, prohibe la pénalisation de la situation d'une partie par une décision défavorable rendue à la suite d'un recours émanant uniquement de celle-ci (arrêt du Tribunal fédéral 6B_875/2013 du 7 avril 2014 consid. 3.2.). L'interdiction de la reformatio in pejus s'attache au dispositif de la décision (ATF 142 IV 129 consid. 4.5; arrêt du Tribunal fédéral 6B_460/2017 du 12 février 2018 consid. 2.1).
3.6. En l'espèce, le recourant reproche au Ministère public d'avoir considéré que l'indemnité réclamée pour les honoraires de son avocat était excessive.
Bien que le recourant se soit vu reprocher la commission de lésions corporelles par négligence, un délit (en regard de la peine menace prévu par l'art. 125 CP cum 10 al. 3 CP), soit une infraction d'une certaine gravité, la procédure a consisté, pour lui, à une seule audition par-devant la police, en qualité de prévenu. L'affaire ne présentait, au stade de cette audition, pas de complexité particulière. Le recourant devait être entendu sur des faits clairement circonscrits et son rôle se limitait, à ce stade de la procédure, à répondre aux questions posées par la police, pour lesquelles aucune connaissance juridique n'était nécessaire.
Dans ces circonstances, une indemnisation correspondant à cette audition, ainsi qu'à une heure de conférence avec son conseil, apparaît raisonnable.
Par ailleurs, il est relevé que le Ministère public a indemnisé au plein tarif le déplacement à cette audition, alors que la jurisprudence éprouvée retient une rémunération inférieure pour ce genre d'activité. Cela étant, conformément au principe de la reformatio in pejus, l'intégralité du montant octroyé est acquis au recourant.
Il en va de même de l'indemnité d'une heure pour les frais de recours allouée par la décision querellée, l'activité déployée par l'avocat pour le recours déposé le 5 août 2024 ayant déjà été indemnisée aux tarifs demandés dans l'arrêt du 3 octobre 2024 (ACPR/709/2024).
Partant, l'indemnité fixée par le Ministère public sera confirmée.
4. 4.1. Selon l'art. 429 al. 1 let. b CPP, le prévenu au bénéfice d'une ordonnance de classement a le droit d'obtenir une indemnité pour le dommage économique subi au titre de sa participation obligatoire à la procédure pénale.
Cette disposition vise essentiellement des pertes de salaires et de gains liées à l'impossibilité de réaliser une activité lucrative en raison du temps consacré à la participation aux audiences ou d'une mise en détention avant jugement. Elle concerne également l'éventuelle atteinte à l'avenir économique consécutive à la procédure, de même que les autres frais liés à la procédure, comme les frais de déplacement ou de logement (arrêts du Tribunal fédéral 6B_814/2017 du 9 mars 2018 consid. 1.1.1; 6B_928/2014 du 10 mars 2016 consid. 4.1.1 non publié aux ATF 142 IV 163 et les références citées). En revanche, les dépenses privées et les pertes de temps, par exemple pour l'étude du dossier, ne sont en règle générale pas indemnisées. Il n'est pas nécessaire que le préjudice économique du prévenu puisse être rapporté à un acte de procédure déterminé (ATF 142 IV 237 consid. 1.3.3).
Il appartient au lésé de prouver non seulement l'existence et l'étendue du dommage, mais aussi le lien de causalité entre celui-ci et l'événement à la base de son action (arrêts du Tribunal fédéral 6B_118/2016 du 20 mars 2017 consid. 5.1; 6B_1026/2013 du 10 juin 2014 consid. 3.1).
4.2. En l'occurrence, le mis en cause prétend avoir subi un dommage économique pour les heures consacrées à la procédure pénale.
Conformément à la jurisprudence précitée, le temps consacré à l'étude du dossier et aux divers courriels échangés avec son avocat ne saurait être indemnisé.
Pour le surplus, les autres heures alléguées – audition à la police, préparation avec son conseil et les déplacements y afférents – pourraient constituer un empêchement propre à provoquer une perte de gain et devraient en principe être prises en considération.
Cela étant, il appartient au recourant de démontrer la réalité de ladite perte. Or, l'intéressé, médecin indépendant, se contente de chiffrer un montant correspondant à huit heures, basé sur un tarif horaire de CHF 450.-. Sans autre précision quant aux heures alléguées, le recourant échoue à démontrer qu'elles auraient interféré avec son activité professionnelle, en particulier, qu'il aurait, en raison de celles-ci, dû refuser de la patientèle. Il ne produit pas non plus un quelconque élément relatif à ses horaires de travail, étant précisé que son audition à la police a eu lieu après 17h30. Par ailleurs, la Chambre de céans n'est pas en mesure de juger du réalisme du tarif horaire avancé, faute d'un quelconque élément objectif probant au dossier y relatif.
Dans ces circonstances, les prétentions du recourant fondées sur l'art. 429 al. 1 let. b CPP seront écartées.
5. Justifiée, l'ordonnance querellée sera confirmée et le recours rejeté.
6. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Madame Valérie LAUBER et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.
La greffière : Olivia SOBRINO |
| La présidente : Corinne CHAPPUIS BUGNON |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/12213/2023 | ÉTAT DE FRAIS |
|
|
COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 915.00 |
- demande sur récusation (let. b) | CHF | |
Total | CHF | 1'000.00 |