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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/9314/2024

ACPR/767/2024 du 23.10.2024 sur ONMMP/3837/2024 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;FRAIS DE LA PROCÉDURE
Normes : CPP.426.al2

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/9314/2024 ACPR/767/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 23 octobre 2024

 

Entre

A______, représentée par Me B______, avocate,

recourante

contre l'ordonnance de non-entrée en matière partielle rendue le 2 septembre 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 16 septembre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 2 septembre précédent, notifiée le surlendemain, par laquelle le Ministère public, après avoir partiellement refusé d'entrer en matière sur la plainte dirigée contre elle, l'a condamnée aux frais de la procédure, en CHF 530.- (ch. 3 du dispositif).

La recourante conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation du chiffre 3 du dispositif de l'ordonnance précitée et à ce que les frais de la procédure soient laissés à la charge de l'Etat. Elle sollicite en outre l'octroi de l'assistance judiciaire pour la procédure de recours.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. Le 21 décembre 2023 et le 6 février 2024, C______ a déposé plainte contre A______.

Elle lui reprochait d'avoir, à réitérées reprises depuis janvier 2019, porté atteinte à son honneur, ainsi qu'à celui de membres de sa famille, par le truchement de messages vocaux et écrits ou sur le réseau social FACEBOOK.

A______ l'avait ainsi régulièrement traitée de "pute", "salope", "cochonne", "droguée", "criminelle" et "alcoolique". Elle l'avait également menacée à plusieurs reprises en lui disant qu'elle allait la tuer, que cela ne servait à rien de se cacher ou encore qu'elle lui casserait la gueule.

Le 6 février 2024, C______ a déposé une nouvelle plainte contre A______ en lien avec des faits susceptibles d'être constitutifs de diffamation et d'injure à l'endroit de ses parents.

a.b. À l'appui de sa plainte, C______ a produit de nombreuses captures d'écran des échanges en langue portugaise qu'elle avait eus avec A______.

Dans son rapport de renseignements du 7 avril 2024, le gendarme D______ [matricule] (P1______) indique avoir procédé à une traduction libre de certains des passages des conversations produites.

Il en ressort que A______ a, notamment, adressé à C______, le 21 novembre 2021, un message la traitant de "vache" et de "droguée" et, le 28 juin (année indéterminée), le message "si je savais où tu vivais ma chérie… Tu devrais avaler encore aujourd'hui toutes les menaces que tu m'as faites", "C'est ce que je dis: tu n'es rien d'autre qu'un rat d'égout qui se cache dès qu'il se sent menacé". Il ressort également de cette traduction libre que, le 4 mars (année indéterminée), une certaine "E______" a envoyé un message à C______, via Messenger, la traitant de "pute" et lui disant que son jour allait arriver.

Aucune traduction du message du 9 octobre ne figure dans le rapport.

b. Le 14 janvier 2024, F______ a également déposé plainte contre A______.

Elle reprochait à cette dernière de lui avoir régulièrement envoyé des messages injurieux, depuis l'été 2021 jusqu'en juin 2023, par lesquels elle la traitait de "pute", de "fils de pute" et lui disait qu'elle était une "droguée" et une "alcoolique". Elle lui faisait également grief de lui avoir fréquemment envoyé des messages de menaces par lesquels elle lui disait qu'elle la tuerait de ses propres mains et qu'elle allait tous les tuer.

F______ n'a rien produit à l'appui de ses allégations.

c. Entendue par la police, le 8 mars 2024, A______ a expliqué être en conflit avec les plaignantes depuis environ 5 ans. Elle contestait avoir insulté ou menacé F______, mais admettait toutefois être à l'origine de la plupart des messages produits par C______, notamment ceux envoyés le 21 novembre 2021, le 28 juin et le 9 octobre, à l'exception toutefois du message envoyé par "E______".

d. Par ordonnance pénale du 2 septembre 2024, le Ministère public a déclaré A______ coupable de diffamation, de diffamation et calomnie contre un mort ou un absent, d'injure, d'utilisation abusive d'une installation de télécommunication et de menaces, en lien avec certains des faits dénoncés par les plaignantes et survenus postérieurement au 20 septembre 2023.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public rappelle brièvement les faits reprochés à A______, indiquant qu'ils se seraient déroulés entre 2019 et le 20 septembre 2023, avant de retenir les dates plus précises des 21 novembre 2021, ainsi que 4 mars, 28 juin et 9 octobre 2024.

Il retient, s'agissant du message adressé le 4 mars 2024 sous le pseudonyme "E______", que les déclarations des parties étaient contradictoires et qu'aucun élément de preuve objectif ne permettait de favoriser une version plutôt que l'autre. Les faits antérieurs au 20 septembre 2023, susceptibles d'être constitutifs d'injure et de menaces, étaient certes établis, mais il existait un empêchement de procéder dans la mesure où la plainte avait été déposée au-delà du délai légal de trois mois. Une non-entrée en matière s'imposait dès lors s'agissant de ces faits.

Les frais de procédure devaient toutefois être mis à la charge de A______ car elle avait, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci (art. 426 al. 2 CPP). En effet, c'était son comportement répréhensible qui avait provoqué l'ouverture de la procédure pénale, étant précisé qu'elle s'était rendue l'auteure d'injures et de menaces, ce qui avait été prouvé par les pièces produites à la procédure. Le droit civil non écrit interdisait de créer un état de fait propre à causer un dommage à autrui, sans prendre les mesures nécessaires afin d'en éviter la survenance. Celui qui contrevenait à cette règle pouvait être tenu, selon l'art. 41 CO, de réparer le dommage résultant de son inobservation.

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir établi les faits de manière arbitraire en retenant, à tort, qu'elle avait admis être l'auteure des faits dénoncés par F______, qu'elle avait porté atteinte à réitérées reprises à l'honneur de C______, qu'elle avait effrayé cette dernière en lui disant le 28 juin 2024 "si seulement je savais où tu habites ma chérie, tu avalerais les menaces que tu m'as faites", ou encore qu'elle lui avait dit qu'elle allait lui mettre une balle si elle touchait à son fils.

L'art. 426 al. 2 CPP avait été violé en mettant les frais de la procédure à sa charge, ce qui ne se pouvait en cas d'ordonnance de non-entrée en matière, dès lors qu'aucune procédure n'avait été ouverte. Les conditions de cette disposition n'étaient en tout état pas remplies, les frais ayant été causés par une plainte d'emblée tardive et non par son comportement, aucun lien de causalité n'existant par ailleurs entre ce dernier et l'ouverture de la procédure. En mettant les frais de la procédure à sa charge, alors que les faits n'étaient pas clairement établis, le Ministère public avait par ailleurs violé la présomption d'innocence.

La recourante évalue à 7 heures le temps consacré par son conseil à sa défense dans le cadre de la procédure de recours.

b. Dans ses observations, le Ministère public ne s'oppose pas, après réexamen du dossier, à ce que le chiffre 3 de l'ordonnance querellée soit annulé et à ce que les frais de la procédure soient laissés à la charge de l'Etat.

c. La recourante réplique brièvement.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner des aspects d'une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la prévenue qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante déplore un établissement arbitraire des faits.

Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP ; ATF 137 I 195 consid. 2.3.2), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes du Ministère public auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-devant.

Partant, ce grief sera rejeté.

3.             3.1. L'art. 426 al. 2 CPP (par renvoi de l'art. 310 al. 2 CPP) permet, en cas de non-entrée en matière, d'imputer au prévenu tout ou partie des frais de la procédure, s'il a, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci.

Seul un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais imputés, entre en ligne de compte (ATF 119 Ia 332 consid. 1b p. 334; ATF 116 Ia 162 consid. 2c p. 168; arrêts 6B_556/2017 du 15 mars 2018 consid. 2.1; 6B_301/2017 du 20 février 2018 consid. 1.1). Le comportement du prévenu doit être à l'origine des frais, pour que ceux-ci puissent lui être imputés (A. KUHN / Y. JEANNERET (éd.), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 2 ad art. 426 CPP). Le lien de causalité doit être adéquat (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1180/2019 du 17 février 2020 consid. 3 et 6B_453/2019 du 3 octobre 2019 consid. 1.5).

Une condamnation aux frais ne peut se justifier que si, en raison du comportement illicite du prévenu, l'autorité était légitimement en droit d'ouvrir une enquête. Elle est en tout cas exclue lorsque l'autorité est intervenue par excès de zèle, ensuite d'une mauvaise analyse de la situation ou par précipitation (ATF 116 Ia 162 consid. 2c p. 170 s.; arrêt 6B_301/2017 précité consid. 1.1; cf. art. 426 al. 3 let. a CPP). La mise des frais à la charge du prévenu en cas d'acquittement ou de classement de la procédure doit en effet rester l'exception (ATF 144 IV 202 consid. 2.2 et les références citées).

3.2. En l'espèce, la procédure a fait l'objet d'une non-entrée en matière partielle s'agissant des faits mentionnés supra sous lettres B.a et B.b.

A titre liminaire, il sera relevé que, bien que l'état de fait de l'ordonnance querellée fasse mention de messages envoyés les "4 mars 2024", "28 juin 2024" et "9 octobre 2024", ceux-ci ne peuvent de toute évidence l'avoir été cette année-là, les plaintes de C______ ayant été déposées les 21 décembre 2023 et 6 février 2024. Contrairement à ce que retient l'ordonnance querellée, les messages litigieux semblent ainsi avoir été envoyés plutôt en 2023.

Quand bien même les messages des 21 novembre 2021, 4 mars 2023 et 28 juin 2023 émaneraient effectivement de la recourante, ils devraient être analysés sous l'angle des infractions de menaces et d'injure, lesquelles ne se poursuivent que sur plainte, le droit de déposer plainte se prescrivant par 3 mois à teneur de l'art. 31 CP.

Dans la mesure où ce n'est que les 21 décembre 2023 et 6 février 2024 que C______ a déposé sa plainte, celle-ci était d'emblée tardive, ce dont l'autorité pénale aurait dû se rendre compte sur la base des captures d'écran produites. L'ouverture de la procédure a ainsi été le fait de l'autorité et non de la recourante. Les conditions de l'art. 426 al. 2 CPP n'apparaissent pas réalisées et c'est dès lors à tort que le Ministère public a laissé sur ce point les frais de la procédure à la charge de l'Etat.

Il en va de même en ce qui concerne les faits dénoncés par F______, susceptibles d'être analysés sous l'angle des infractions de menaces et d'injure, les derniers messages ayant été envoyés au plus tard en juin 2023 et la plainte déposée le 14 janvier 2024 seulement.

S'agissant enfin du message du 9 octobre 2023, que le Ministère public semble avoir analysé sous l'angle de l'infraction de menaces, les faits ne sont nullement établis, la prévenue les ayant contestés et aucune traduction ne figurant dans le dossier de la procédure. Cette autorité ne pouvait ainsi, sauf à violer la présomption d'innocence, dont bénéficie la recourante, mettre les frais y relatifs à sa charge.

4.             Fondé, le recours sera admis et le chiffre 3 de l'ordonnance querellée sera modifié en ce sens que les frais de première instance seront laissés à la charge de l'Etat.

5.             La recourante sollicite l'assistance judiciaire pour la procédure de recours.

5.1. Conformément à l'art. 29 al. 3 Cst., toute personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes a droit à l'assistance judiciaire gratuite, à moins que sa cause paraisse dépourvue de toute chance de succès ; elle a droit en outre à l'assistance judiciaire gratuite d'un défenseur, dans la mesure où la sauvegarde de ses droits le requiert (arrêt du Tribunal fédéral 1B_74/2013 du 9 avril 2013 consid. 2.1 avec référence aux ATF 128 I 225 consid. 2.5.2 p. 232 s. = JdT 2006 IV 47; 120 Ia 43 consid. 2a p. 44).

L'art. 135 al. 1 CPP prévoit que le défenseur d'office est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération et du canton du for du procès. À Genève, le tarif des avocats est édicté à l'art. 16 RAJ et s'élève à CHF 200.- de l'heure pour un chef d'étude (al. 1 let. c).

5.2. En l'occurrence, l'indigence de la recourante est établie au vu des pièces produites à l'appui de son recours. Ainsi, au vu de l'issue du litige, l'assistance judiciaire lui sera accordée pour la procédure de recours et Me B______ sera nommée en qualité de défenseur d'office.

La recourante évalue à 7h00 le temps consacré par son conseil à la défense de ses intérêts dans le cadre de la procédure de recours. Compte tenu de l'ampleur des écritures de recours et de réplique et de la difficulté de la cause, l'indemnité réclamée par la recourante apparait excessive. Partant, celle-ci sera réduite et seule une indemnité correspondant à 3h00 d'activité d'avocat au tarif horaire de CHF 200.- lui sera allouée, soit CHF 600.-, plus TVA, soit un total de CHF 648.60 TTC.

6.             La recourante étant au bénéfice de l'assistance judiciaire et obtenant gain de cause, les frais de la procédure de recours seront laissés à la charge de l'État (art. 428 al. 4 CPP).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule le chiffre 3 de l'ordonnance querellée et dit que les frais de la procédure en lien avec dite ordonnance sont laissés à la charge de l'Etat.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Octroie l'assistance judiciaire gratuite à A______ pour la procédure de recours et désigne Me B______ à cet effet.

Alloue à Me B______, à la charge de l'Etat, une indemnité de CHF 648.60 TTC pour la procédure de recours.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Madame Valérie LAUBER et
Monsieur Vincent DELALOYE; juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.

 

La greffière :

Séverine CONSTANS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).