Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/702/2024 du 30.09.2024 sur ONMMP/3038/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/14116/2024 ACPR/702/2024 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du lundi 30 septembre 2024 |
Entre
A______, représentée par Me Murat Julian ALDER, avocat, YERSIN LORENZI LATAPIE ALDER, boulevard Helvétique 4, 1205 Genève,
recourante,
contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 8 juillet 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte expédié le 25 juillet 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 8 juillet précédent, notifiée le 15 suivant, par laquelle le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur sa plainte du 3 mars 2024 à l'encontre de B______.
La recourante conclut à l'annulation de ladite décision et au renvoi de la procédure au Ministère public pour instruction, avec suite de frais et dépens à la charge de l'État.
b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'200.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. A______ a déposé plainte pénale à la police le 3 mars 2024.
Elle avait rencontré B______ en novembre 2020. En avril 2022, celui-ci ayant des problèmes de santé et étant démuni d'autorisation de séjour en Suisse, elle lui avait proposé de l'épouser. Leur situation s'était toutefois dégradée en février 2024, car il lui promettait, en vain, de trouver du travail. Elle avait l'impression qu'il avait profité de la situation. Elle avait décidé de quitter le domicile conjugal et entrepris la procédure de divorce.
Depuis leur rupture, il la harcelait et l'injuriait. Il l'appelait sans cesse, mais elle ne lui répondait pas. Il voulait notamment voir leurs deux chiens et qu'elle lui rende des affaires, mélangées dans des cartons à ses propres effets lors du déménagement. La veille de son dépôt de plainte, alors qu'il l'avait vue en train de boire un verre sur une terrasse avec un ami, il l'avait traitée de "salope" et de "pute", pensant, à tort, qu'elle l'avait trompé.
À la question de savoir si elle souhaitait que "l'auteur" de "cette violence domestique" soit éloigné du domicile, elle a répondu par l'affirmative; elle avait peur de lui et ne savait pas de quoi il était capable. Il avait menacé de "détruire [s]a vie" mais n'avait jamais été violent physiquement avec elle.
b. Il ressort du rapport de renseignements du 3 juin 2024 que A______ s'était présentée le 6 mars 2024 au Poste de police de C______ pour faire établir un complément de plainte. Redirigée vers le poste de D______, elle ne s'était pas manifestée, nonobstant des tentatives de la police pour la joindre et les messages laissés.
Lors des contrôles d'usage, la police avait constaté que le couple avait emménagé à la rue 1______.
c. Entendu par la police le 31 mai 2024, B______ a déclaré qu'il vivait avec son épouse et leurs deux chiens sous le même toit. Leur relation se passait bien et ils avaient des projets d'avenir. Il contestait avoir harcelé ou injurié son épouse ou l'avoir menacée de "détruire sa vie". Tous deux avaient eu un différend en février 2024, qui n'était toutefois ni une dispute, ni un conflit. Son épouse avait quitté leur domicile avec ses affaires et il n'avait plus eu de nouvelles d'elle pendant 15-20 jours. Il avait essayé de la joindre pour comprendre son geste. Après qu'elle s'était installée dans l'appartement "actuel", ils avaient discuté et tout était rentré dans l'ordre.
d. A______ a, le 10 juillet 2024, par la voix de son conseil, demandé au Ministère public la tenue d'une audience de confrontation "dans les plus brefs délais" pour compléter ses déclarations à la police et évoquer les faits survenus depuis lors.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a retenu qu'en présence de déclarations contradictoires difficiles à objectiver, même si celles de la recourante étaient plus précises, il n'existait pas de soupçons suffisants de la commission d'injures (177 CP) ou de menaces (180 CP). Plus largement, en l'absence de toute intervention policière au domicile des époux avant la plainte, et de mention de violence "avant ces faits", il s'imposerait en tout état de ne pas procéder (art. 52 CP), la culpabilité de l'auteur étant peu importante – une scène de jalousie – et les conséquences de son acte difficiles à percevoir – ils vivaient à nouveau ensemble et la plaignante n'avait plus contacté la police –.
D. a. À l'appui de son recours, A______ expose qu'elle avait conclu seule un contrat de bail – qu'elle produit, avec un avis de fixation du loyer initial, tous deux émis le 19 février 2024 – pour l'appartement situé à la rue 1______. Elle en détenait seule les clés et son époux ne s'y était jamais rendu. C'était donc à tort que la police et le Ministère public avaient retenu qu'ils faisaient ménage commun. B______ était resté domicilié chez sa tante, à E______ [GE], où le couple avait vécu avant qu'elle ne prenne en location l'appartement précité.
Le fait que son époux n'ait pas reconnu les faits ne saurait justifier une non-entrée en matière, puisque selon un arrêt de la Chambre de céans, ACPR/989/2023 du 20 décembre 2023, le dépôt d'une plainte établissait par lui-même le fait qu'une partie avait été particulièrement choquée par les propos du prévenu. Partant, le Ministère public ne pouvait exclure, sans le moindre doute, la commission des infractions qu'elle reprochait à son époux.
b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. 1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
1.2. Les pièces nouvelles sont aussi recevables – le contrat de bail et l'avis de fixation du loyer, émis le 19 février 2024 –, la jurisprudence admettant la production de faits et moyens de preuve nouveaux en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. La recourante déplore une constatation erronée des faits.
Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP; ATF 137 I 195 consid. 2.3.2), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes du Ministère public auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-devant.
4. La recourante estime que l'autorité précédente a retenu, à tort, l'absence de prévention pénale suffisante contre le mis en cause des chefs d'injures et de menaces.
4.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, une ordonnance de non-entrée en matière est immédiatement rendue s’il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs d’une infraction ou les conditions à l’ouverture de l’action pénale ne sont manifestement pas réunis.
4.2. Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte (arrêt 6B_196/2020 précité ; ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 ; ATF 138 IV 86 consid. 4.1 ; ATF 137 IV 219 consid. 7).
4.3. Une non-entrée en matière doit également être prononcée lorsqu'il peut être renoncé à toute poursuite ou à toute sanction en vertu de dispositions légales (art. 310 al. 1 let. c cum 8 al. 1 CPP). Tel est notamment le cas si la culpabilité de l'auteur et les conséquences de son acte sont peu importantes (art. 52 CP).
4.4.1. Se rend coupable d'injure quiconque qui aura, par la parole, l'écriture, l'image, le geste ou par des voies de fait, attaqué autrui dans son honneur (art. 177 al. 1 CP).
4.4.2. L'art. 180 al. 1 CP réprime le comportement de quiconque, par une menace grave, alarme ou effraie une personne.
La menace suppose que l'auteur ait volontairement fait redouter à sa victime la survenance d'un préjudice, au sens large (ATF 122 IV 97 consid. 2b). Elle constitue un moyen de pression psychologique consistant à annoncer un dommage futur dont la réalisation est présentée comme dépendante de la volonté de l'auteur, sans toutefois qu'il soit nécessaire que cette dépendance soit effective (ATF 117 IV 445 consid. 2b ; 106 IV 125 consid. 2a), ni que l'auteur ait réellement la volonté de réaliser sa menace (ATF 122 IV 322 consid. 1a). Toute menace ne tombe pas sous le coup de l'art. 180 CP. La loi exige en effet que la menace soit grave. C'est le cas si elle est objectivement de nature à alarmer ou à effrayer la victime. Il convient à cet égard de tenir compte de la réaction qu'aurait une personne raisonnable face à une situation identique (ATF 122 IV 322 consid. 1a). Il faut en outre que la victime ait été effectivement alarmée ou effrayée. Celle-ci doit craindre que le préjudice annoncé se réalise. Cela implique, d'une part, qu'elle le considère comme possible et, d'autre part, que ce préjudice soit d'une telle gravité qu'il suscite de la peur (ATF 135 IV 152 consid. 2.3.2 ; 119 IV 1 consid. 5a ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_754/2023 du 11 octobre 2023 consid. 3.1 ; 6B_1254/2022 du 16 juin 2023 consid. 7.1 ; 6B_543/2022 du 15 février 2023 consid. 8.1).
Subjectivement, l'auteur doit avoir l'intention non seulement de proférer des menaces graves, mais aussi d'alarmer ou d'effrayer le destinataire. Le dol éventuel suffit (arrêts du Tribunal fédéral 6B_508/2021 du 14 janvier 2022 consid. 2.1 ; 6B_135/2021 du 27 septembre 2021 consid. 3.1 ; 6B_1314/2018 du 29 janvier 2019 consid. 3.2.1 ; 6B_787/2018 du 1er octobre 2018 consid. 3.1).
4.5. En l'espèce, il est constant qu'un différend a éclaté entre la recourante et son époux dans le courant du mois de février 2024, peu en important la cause. Celle-ci a quitté l'appartement où tous deux vivaient, chez la tante de son époux, et a pris un contrat de bail à son seul nom, établi par la régie le 19 février 2024, l'entrée en jouissance n'étant pas précisée.
Si la recourante soutient avoir, à la suite de ce différend, été "harcelée" par son époux, qui voulait "notamment" récupérer des affaires et voir leurs deux chiens, elle ne le démontre nullement et ce dernier le conteste, admettant tout au plus avoir essayé de la joindre pour comprendre les raisons de son départ. La recourante, dans sa déclaration à la police, n'a pas plus détaillé, ni a fortiori étayé, les circonstances dans lesquelles son époux l'aurait menacée de "détruire sa vie", ce que ce dernier a contesté. En tout état, elle n'a à aucun moment prétendu qu'elle aurait été effrayée ou alarmée par ces propos. Elle n'a donné aucun élément expliquant pour quelle raison elle aurait peur de lui, tout en concédant qu'il ne s'était jamais montré violent avec elle.
Ces faits ne sont en aucun cas comparables à ceux ayant fait l'objet de l'arrêt ACPR/989/2023 où si, certes, le plaignant n'avait, avant le dépôt de son recours, pas prétendu avoir été alarmé ou effrayé par les propos du prévenu, le dépôt de plainte établissait néanmoins par lui-même qu'il avait été particulièrement choqué par les dires du prévenu et avait demandé à la police, à la fin de son audition "d'agir au plus vite avant que [le prévenu] ne mette ses menaces de décapitation à exécution" (consid. 4.3.).
Quant aux faits pouvant être qualifiés d'injure, l'intimé conteste avoir traité son épouse de "pute" et de "salope", ce qui, aux dires de celle-ci, ne se serait produit qu'une seule fois, la veille de son dépôt de plainte du 3 mars 2024, alors que son époux l'aurait vue attablée à une terrasse avec un ami et pu penser qu'elle le trompait.
Au vu de ces circonstances, une non-entrée en matière n'est nullement critiquable, faute de soupçons suffisants de la commission d'une infraction.
Elle s'impose d'autant plus dans les circonstances d'espèce que, quand bien même la recourante soutient ne pas faire ménage commun avec son époux – étant relevé qu'un bail à son seul nom ne veut pas encore dire qu'elle ne vivrait pas avec ce dernier –, contrairement aux constatations de la police lors des "contrôles d'usage" et aux déclarations de l'intéressé, elle ne soutient ni ne documente qu'elle aurait effectivement introduit une procédure de divorce, pas plus que la situation du couple ne se serait pas apaisée depuis le mois de mars 2024. Il est curieux qu'elle ait requis du Ministère public une audience de confrontation le 10 juillet 2024 "pour compléter ses déclarations à la police et évoquer les faits survenus depuis lors", dont elle n'a en définitive dit nul mot, par exemple dans son recours.
Dans ces circonstances, quand bien même le prévenu aurait injurié son épouse, à l'occasion de ce seul épisode, sa culpabilité apparaît de peu d'importance.
Partant, les faits ne revêtent pas un degré de gravité tel qu'il faille les sanctionner pénalement. C'est donc à bon droit que le Ministère public a renoncé à poursuivre ceux pouvant être constitutifs d'injure, pour autant qu'avérés, en vertu de l'art. 52 CP.
5. Infondé, le recours sera rejeté.
6. La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'200.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
7. Corrélativement, aucun dépens ne lui sera alloué (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2)
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'200.-.
Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.
Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/14116/2024 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 1'115.00 |
Total | CHF | 1'200.00 |