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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/13389/2017

ACPR/432/2024 du 11.06.2024 sur OTMC/1437/2024 ( TMC ) , REFUS

Descripteurs : DÉTENTION PROVISOIRE;PRINCIPE DE LA CÉLÉRITÉ
Normes : CPP.5; CPP.221

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/13389/2017 ACPR/432/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 11 juin 2024

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, représenté par Me C______, avocat,

recourant,

 

contre la décision rendue le 10 mai 2024 par le Tribunal des mesures de contrainte

et

LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, 9 rue des Chaudronniers,
1204 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, 6B route de Chancy, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.

 


EN FAIT :

A.           Par acte expédié le 23 mai 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 10 précédent, notifiée le 13 mai 2024, par laquelle le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) a ordonné la prolongation de sa détention provisoire jusqu'au 15 août 2024.

Il conclut principalement à l'annulation de cette décision, à la constatation d’une violation du principe de la célérité et à sa mise en liberté immédiate, le cas échéant sous mesures de substitution (dépôt du passeport, présentation périodique à la police, comparution à toute convocation ; sans préjudice de toute autre mesure « opportune »).

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. A______, ressortissant ukrainien né en 1986, titulaire d'un permis L échu, a été détenu sous les préventions principales d’encouragement à la prostitution (art. 195 CP) et incitation à l’entrée et au séjour illégaux d’étrangers (art. 116 LÉI) entre le 8 octobre 2019 et le 21 février 2020, date à laquelle le Ministère public l’a mis en liberté sans condition, au motif que les risques de collusion et de fuite, « notamment », avaient « sensiblement » diminué.

b. Le 15 février 2023, il a été ré-interpellé et, le lendemain, s’est vu notifier des préventions identiques, à cette différence près que la liste des prostituées, issue d’un rapport de police du 13 précédent qui en recense soixante-huit dont une seule en situation légale, énonce tous leurs noms ou noms d’emprunt et que la période pénale s’étend jusqu’à la veille.

c. À cette occasion, A______ a confirmé sa déclaration à la police, à teneur de laquelle il avait vécu d’expédients immédiatement après sa libération, trois ans plus tôt, et que ses revenus depuis lors provenaient de « l’organisation » du travail « dans l’industrie du sexe » de femmes, pas toutes en possession de permis de travail.

d. Le 17 février 2023, le TMC l’a placé en détention provisoire, non sans qu’il s’y fût opposé, excipant en particulier de l’absence de tout risque de fuite, dès lors qu’il était en attente de renouvellement de son permis « L », et de l’absence de tout risque de réitération, son casier judiciaire suisse étant vierge.

e. Le 12 mai 2023, A______ a été entendu en qualité de prévenu (sans précision d’infraction, mais une prise de position du Ministère public cite l’extorsion et le chantage) pour avoir exigé de l’argent d’une prostituée qui n’avait exercé que quatre jours à Genève, avant de quitter la ville, en 2022, et qui a déposé plainte pénale contre lui, à Genève, avant d’être agressée par des inconnus, un mois plus tard, à D______ (Kazakhstan). Il a contesté ces faits.

Au Procureur qui lui faisait observer ensuite que les investigations révélaient la prostitution dans trente-cinq appartements du canton, par son entremise, de deux cent quatre-vingt-quatre femmes venues d’Europe de l’Est, il a répondu qu’il se livrait effectivement à cette activité, mais qu’elle avait porté sur moins de personnes et moins d’appartements.

f. Selon un rapport de police du 11 juillet 2023, l’exploitation du contenu de téléphones portables de A______ permettait de recenser – hors messages dits éphémères via l’application Whatsapp – cent soixante-neuf clients, pour la plupart entre mars 2020 et janvier 2023, ayant généré un chiffre d’affaires de près de CHF 124'000.-, ainsi que la découverte de douze appartements supplémentaires.

g. Entre les 19 octobre 2023 et 22 janvier 2024, la police a rendu de nombreux rapports portant sur l'analyse des conversations/messages téléphoniques de A______. Il en résulte que plusieurs personnes ont été identifiées comme ayant pu jouer un rôle dans les faits reprochés au prévenu.

h. La prostituée agressée (cf. B. e.) a confirmé ses déclarations, en présence de A______, lors d'audiences tenues les 10 et 17 janvier 2024 devant le Ministère public. Le 6 février 2024, A______ a demandé la mise en œuvre d’une procédure simplifiée.

i. S'agissant de la détention provisoire, la Chambre de céans, par arrêts des 9 janvier 2024 (ACPR/6/2024) et 13 avril 2024 (ACPR/184/2024), a rejeté des recours de A______ s’opposant à la prolongation de sa détention par le TMC et demandant sa libération. La seconde décision a été maintenue par le Tribunal fédéral le 30 avril 2024 (arrêt 7B_386/2024).

Il résulte de ces décisions que le risque de réitération est concret. Compte tenu de la gravité des infractions dont A______ est prévenu et de la durée de la détention déjà subie, le principe de la proportionnalité demeurait respecté.

j. Entre les deux prolongations de détention autorisées par le TMC (soit du 15 février au 10 mai 2024), la police a rendu neuf rapports sur mandats du Ministère public, la plupart détaillés et certains assortis d’annexes ou tableaux, notamment de conversations tenues dans une langue étrangère et traduits. A______ a été auditionné près de trois heures, à sa demande, le 11 avril 2024 ; pour l’essentiel, il s’est plaint de n’avoir plus été entendu par le Ministère public depuis près de six mois, a fait état de souvenirs incertains en raison de l’ancienneté des faits, photos ou « preuves » sur lesquels il était interrogé et a refusé de répondre lorsqu’il lui était demandé d’aider à identifier certaines personnes. Ce qui ne l’a pas empêché de demander, le 21 mai 2024, à être ré-entendu par le Ministère public, lequel a fixé une audience pour ce faire au 4 juin 2024.

C.            Dans la décision querellée, le TMC relève que les charges, suffisantes et graves, ainsi que les risques de fuite, collusion et récidive, résultaient des dernières décisions des autorités de recours. De nouveaux rapports de police ne permettaient pas d’autre conclusion. Aucune mesure de substitution n’atteindrait les mêmes buts que la détention provisoire. Une prolongation de celle-ci pour une durée de trois mois permettrait au Ministère public d’accomplir les actes d’instruction qu’il projetait. Le Ministère public était cependant invité, en cas de nouvelle demande de prolongation, à indiquer en détail, et non plus sous la formulation générale qu’il utilisait jusqu’alors, quels étaient les actes d’enquête en cours et lesquels restaient à accomplir, de manière à ce que le juge de la détention pût mieux vérifier la progression de l’instruction.

D.           a. À l'appui de son recours, A______ reprend, en bref, les arguments qu’il a fait valoir dans son recours précédent. La durée de sa détention dépassait quinze mois, sans que le contenu de ses appareils téléphoniques n’eût été analysé, en dépit de nombreuses relances de son avocat. Cette circonstance, déjà, fondait une violation du principe de célérité. Qui plus est, le Ministère public avait ignoré l’injonction de la Chambre de céans sur la nécessité de fixer de nouvelles auditions à bref délai. Lui-même avait été auditionné rapidement le 11 avril 2024, et la suite de cette audition ne s’était pas tenue à la date annoncée. Les questions qui lui avaient été posées auraient pu l’être déjà lors de son interpellation. S’ensuivait une violation supplémentaire du principe de célérité. La demande de davantage de précision qui se lisait dans l’ordonnance attaquée la démontrait aussi.

Il conteste tout risque de fuite, collusion et réitération, que des mesures de substitution pallieraient, le cas échéant. Ses intentions de reconversion professionnelle étaient crédibles.

b. Le TMC déclare maintenir les termes de son ordonnance et renonce à formuler des observations.

c. Le Ministère public conclut au rejet du recours. Il donne des explications sur ses difficultés à procéder ou faire procéder à certaines auditions, dont certaines prévues « prochainement ». Le prévenu refusait régulièrement de collaborer, et l’enquête progressait par l’analyse des pièces, souvent en russe, retrouvées dans ses appareils. L’achèvement de l’exploitation « du » matériel informatique « semblait » possible dans le délai de prolongation de détention accordé par le TMC.

d. A______ a renoncé à répliquer.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222 et 393 al. 1 let. c CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant ne consacre pas une ligne à l'existence de charges suffisantes et graves, au sens de l'art. 221 al. 1 CPP, de sorte qu'il peut être renvoyé sur ce point, en tant que de besoin, à la motivation adoptée par le premier juge (art 82 al. 4 CPP ; ACPR/747/2020 du 22 octobre 2020 consid. 2 et les références), qui expose les indices graves et concordants continuant de peser sur le prévenu.

3.             Les risques de fuite (art. 221 al. 1 let. a CPP), collusion (art. 221 al. 1 let. b CPP) et réitération (art. 221 al. 1 let. c et al. 1bis CPP) ont été retenus et détaillés dans toutes les dernières décisions des autorités de recours. Le prévenu ne fait que reprendre une nouvelle fois des arguments ou des propositions de mesures de substitution qui ont été expressément écartées, jusqu’à récemment, sans alléguer le moindre fait nouveau qui commanderait de se livrer à un nouvel examen.

Aussi convient-il, là aussi, de renvoyer à ce qui a été jugé, et notamment par le Tribunal fédéral sur le risque, suffisant à lui seul, que le recourant ne commette à nouveau des infractions graves contre l'intégrité sexuelle, portant atteinte à la dignité humaine (arrêt 7B_386/2024, précité, consid. 2.2.). Aucune mesure de substitution n’entre en considération sur ce point (op. cit. consid. 2.3.).

4.             Le recourant invoque une violation du principe de la célérité.

4.1.       Concrétisant le principe de la célérité consacré à l'art. 29 al. 1 Cst., l'art. 5 CPP impose aux autorités pénales d'engager les procédures pénales sans délai et de les mener à terme sans retard injustifié (al. 1), la procédure devant être conduite en priorité lorsqu'un prévenu est placé en détention (al. 2).

Selon la jurisprudence, la détention peut être considérée comme disproportionnée en cas de retard injustifié dans le cours de la procédure pénale. Il doit s'agir d'un manquement particulièrement grave, faisant au surplus apparaître que l'autorité de poursuite n'est plus en mesure de conduire la procédure à chef dans un délai raisonnable (ATF 140 IV 74 consid. 3.2; 137 IV 118 consid. 2.1 ; cf. arrêt du Tribunal fédéral 7B_43/2024 du 4 mars 2024 consid. 3.2.). Le caractère raisonnable de la durée d'une procédure pénale s'apprécie selon les circonstances particulières de la cause, soit en particulier par rapport à la complexité de l'affaire, au comportement du requérant et à celui des autorités compétentes, ainsi qu'à l'enjeu du litige pour l'intéressé (ATF 133 I 270 consid. 3.4.2; arrêt du Tribunal fédéral 7B_43/2024 du 4 mars 2024 consid. 3.2.).

Comme on ne peut pas exiger de l'autorité pénale qu'elle s'occupe constamment d'une seule et unique affaire, il est inévitable qu'une procédure comporte quelques temps morts. Lorsqu’aucun d'eux n'est d'une durée vraiment choquante, c'est l'appréciation d'ensemble qui prévaut ; des périodes d'activités intenses peuvent donc compenser le fait que le dossier a été laissé momentanément de côté en raison d'autres affaires. La violation du principe de la célérité peut avoir pour conséquence la diminution de la peine, parfois l'exemption de toute peine ou encore une ordonnance de classement en tant qu'ultima ratio dans les cas les plus extrêmes (ATF 143 IV 373 consid. 1.4.1).

4.2.       En l’espèce, le dossier montre que la police travaille d’arrache-pied aux investigations que lui confie le Ministère public. Le fruit de son activité est acté dans les nombreux rapports qu’elle a fournis pendant la période sous revue. On ne décèle pas de temps mort dans cette activité soutenue, même si deux mandats d’enquête ont été décernés dans la semaine qui suivit l’injonction de diligence par la Chambre de céans (cf. ACPR/184/2024, susmentionné, consid. 6.2.).

On ne saurait retenir, non plus, contre le Ministère public de n’avoir pas fait toute diligence pour réaliser ou faire réaliser les auditions qu’il annonçait vouloir convoquer dans les meilleurs délais. Pour une part, le Ministère public s’est justifié dans ses observations des difficultés à localiser certaines personnes, voire déjà à les identifier formellement, et le recourant n’en disconvient pas ; pour l’autre part, soit essentiellement l’audition du recourant, que celui-ci avait réclamée, la police s’y est consacrée, le 11 avril 2024, lui posant de nombreuses questions, sans que rien n’accrédite l’interruption abrupte dont il se plaint et encore moins un empêchement de se positionner différemment sur les infractions reprochées (alors qu’il avait demandé quelques semaines plus tôt l’exécution d’une procédure simplifiée, laquelle requiert au moins l’admission des faits « déterminants », selon l’art. 358 al. 1 CPP). Quoi qu’il en soit, le Ministère public a donné suite à sa nouvelle demande d’audition.

L’on ne peut, certes, qu’abonder dans le sens de l’avertissement donné par le premier juge sur la motivation, concrète et précise, qu’il attendra du Ministère public à l’appui d’une éventuelle nouvelle demande de prolongation. Ainsi, la volonté d’éclaircir à tout prix les allégations de reconversion professionnelle du recourant ne pourra pas, ou plus, justifier de consacrer du temps et des ressources à de tels faits, non directement liés aux préventions à instruire et à établir. Ce nonobstant, pour celles des activités de la police liées à ces préventions, le travail abattu reste considérable – il n’est qu’à compulser les cent-trente-trois pages du rapport du 9 janvier 2024 et les trente-six de celui du 10 avril 2024 –, surtout lorsqu’on aura rappelé que la présente affaire n’est pas la seule et unique sur laquelle elle doive enquêter.

Faute, en l’état, de violation du principe de la célérité, la libération du recourant ne saurait être accordée de ce chef.

5. Le recours s'avère ainsi infondé et doit être rejeté.

6. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, arrêtés à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03). En effet, l'autorité de recours est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).

7. Le recourant est au bénéfice d'une défense d'office dans la procédure préliminaire.

7.1. Selon la jurisprudence, la désignation d'un conseil d'office pour la procédure pénale principale n'est pas un blanc-seing pour introduire des recours aux frais de l'État, notamment contre des décisions de détention provisoire (arrêt du Tribunal fédéral 7B_1011/2023 du 10 janvier 2024 consid. 6.2.). L’assistance gratuite d’un défenseur présuppose la réalisation de trois conditions, à savoir l'indigence, les chances de succès et le besoin d'être assisté (arrêt du Tribunal fédéral 7B_198/2024 du 9 avril 2024 consid. 4.2).

7.2. En l'occurrence, tant le premier juge que la Chambre de céans ont manifesté des préoccupations au sujet de la rapidité de progression de l’enquête, de sorte que le recourant était légitimé à faire examiner cette question avec le concours d’un avocat, à l’occasion d’une nouvelle prolongation de sa détention.

L’indemnité du défenseur d’office sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés en totalité à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant (soit, pour lui, son défenseur), au Tribunal des mesures de contrainte et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.


 

P/13389/2017

ÉTAT DE FRAIS

ACPR/

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

 

- frais postaux

CHF

30.00

 

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

 

- délivrance de copies (let. b)

CHF

 

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

 

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

795.00

 

-

CHF

 

 

Total

CHF

900.00