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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/9253/2012

ACPR/252/2024 du 17.04.2024 sur OCL/1817/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : GESTION FAUTIVE;SOUPÇON;CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;SURENDETTEMENT;OBLIGATION D'ANNONCER(EN GÉNÉRAL)
Normes : CP.165; CPP.319.al1; CO.725

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/9253/2012 ACPR/252/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 17 avril 2024

 

Entre

A______ SARL, ______ [GE], représentée par Me Vincent SOLARI, avocat,
Poncet Turrettini, rue de Hesse 8, case postale, 1211 Genève 4,

recourante,

 

contre l'ordonnance de classement partiel rendue le 29 décembre 2023 par le Ministère public,

 

et

B______, domicilié ______, France, représenté par Me C______, avocat,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 15 janvier 2024, A______ SÀRL recourt contre l'ordonnance du 29 décembre 2023, notifiée le 4 janvier 2024, par laquelle le Ministère public a ordonné le classement partiel de la procédure P/9253/2012 à l'encontre de B______.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance précitée, au renvoi de la cause au Ministère public et à ce qu'il soit ordonné à ce dernier de compléter l'acte d'accusation dirigé contre B______ pour y inclure sa participation à la survenance du surendettement de D______/E______ SA ; subsidiairement, à ce qu'il soit ordonné au Ministère public le renvoi en jugement de B______ du chef de gestion fautive (art. 165 ch. 1 CP).

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. a.a. D______/E______ SA a été inscrite le ______ 2009 au registre du commerce de Genève. Son but social couvrait toutes opérations en relation avec le négoce international de matières premières, notamment de charbon.

À teneur de l'acte constitutif du 20 novembre 2009, F______ était l'administrateur de la société ; B______ son directeur avec signature individuelle et [la société fiduciaire] G______ SA l'organe de révision. Le capital-actions, composé de 1'000 actions nominatives de CHF 100.- chacune, a été souscrit par F______, administrateur président avec signature individuelle, à raison de 25 actions à titre personnel et de 450 actions à titre fiduciaire pour le compte de H______, et par B______, à raison de 25 actions à titre personnel et de 500 actions à titre fiduciaire pour le compte de I______.

a.b. A______ SÀRL est une société genevoise qui opère depuis près de trente ans dans le domaine de l'industrie et du commerce de combustible et de produits carburants.

b. Le 28 mai 2010, D______/E______ SA et A______ SÀRL ont conclu un contrat portant sur la vente de 50'000 tonnes métriques de charbon et dans le cadre duquel la première a fourni à la seconde une garantie d'exécution de USD 200'000.-.

c. D______/E______ SA n'ayant pas livré la marchandise dans le délai convenu, A______ SÀRL l'a informée, par courrier du 7 juillet 2010, qu'elle estimait son préjudice à USD 2'540'926.-.

d. Le 8 octobre 2010, A______ SÀRL a formé, conformément à ce qui était prévu par la clause arbitrale du contrat, une demande d'arbitrage à Singapour, chiffrant ses prétentions en dommages-intérêts à USD 2'002'841.84.

e. Selon le rapport établi le 11 mai 2011 par l'organe de révision de D______/E______ SA, les comptes de la société au 31 décembre 2010 présentaient une perte de CHF 689'376.-. Il existait une situation de surendettement au sens de l'art. 725 al. 2 CO. Dans l'annexe aux comptes au 31 décembre 2010, jointe au rapport précité, le conseil d'administration de la société faisait état d'une perte importante au bilan et d'une situation de surendettement, de sorte que, faute de perspective favorable en 2011, la continuation de l'exploitation n'était plus possible. La société devait donc être mise en liquidation. Le conseil d'administration précisait qu'il renonçait à l'avis au juge compte tenu "du fait que l'intégralité des créanciers figurant au passif ser[aie]nt payés par le biais du soutien d'une société sœur". Enfin, concernant le litige opposant la société à A______ SÀRL, le conseil d'administration ne jugeait pas nécessaire la constitution d'une provision en anticipation d'un jugement défavorable, les éléments à sa disposition la laissant "supposer que le tirage sous la garantie de performance effectué par A______ SÀRL est suffisant pour couvrir les pertes ou préjudices subis par cette dernière".

f. Le 4 novembre 2011, le Tribunal arbitral a condamné D______/E______ SA à payer à A______ SÀRL la somme de USD 1'059'913.19, à titre de dommages-intérêts, garantie de USD 200'000.- déduite, ainsi que les montants de USD 150'789.52 à titre de dépens et de USD 176'800.- à titre de participation à la provision payée pour elle par A______ SÀRL.

g. Le 23 novembre 2011, une assemblée générale extraordinaire de D______/E______ SA s'est tenue à la demande du conseil d'administration, lequel a décidé d'adresser au juge un avis de surendettement, les comptes intermédiaires au 30 novembre 2011 faisant apparaître une perte cumulée pour les exercices 2009-2011 de CHF 1'938'886.-.

h.a. Sur requête du 9 décembre 2011 de F______, la faillite de D______/E______ SA a été prononcée par jugement du Tribunal de première instance de Genève le 19 janvier 2012 et publiée dans la FOSC le ______ 2012.

h.b. Lors de leur audition par l'Office des faillites, le 7 février 2012, F______ et B______ ont déclaré que le capital de la société avait été utilisé pour son fonctionnement, que le dernier salarié avait quitté l'entreprise à fin mai 2011 et que celle-ci ne disposait d'aucun actif. Ils ont également indiqué que la société n'avait pas de locaux, n'avait pas de procès civil en cours, n'avait pas de site internet et ne faisait pas partie d'un groupe.

i. Le 28 juin 2012, A______ SÀRL a déposé plainte pénale contre D______/E______ SA, ses organes et tout autre participant pour banqueroute frauduleuse (art. 163 CP), diminution effective de l'actif au préjudice des créanciers (art. 164 CP), gestion fautive (art. 165 CP) et inobservation des règles de la procédure de faillite (art. 323 ch. 3 et 4 CP). Elle a notamment accusé sa cocontractante d'avoir, à partir de juillet 2010 et en prévision de sa condamnation par le Tribunal arbitral, progressivement organisé son insolvabilité, en cessant ses activités au profit d'une société panaméenne homonyme, dont elle était devenue une simple prestataire de services, ne retirant de cette activité qu'une marge minime, voire inexistante. A______ SÀRL a également reproché à D______/E______ SA de n'avoir pas constitué dès 2010 de provision pour pallier le risque d'une sentence arbitrale défavorable et de ne pas avoir immédiatement avisé le juge de son état de surendettement. Sa cocontractante semblait par ailleurs avoir abandonné la procédure initiée à l'encontre du fournisseur du charbon, la société J______ (Jersey) LTD, ce qui constituait une faute de gestion, voire une diminution volontaire de son patrimoine au préjudice de sa créancière. Enfin, ses administrateurs n'avaient fourni que tardivement à l'Office des faillites les documents demandés et avaient dissimulé certains faits lors de leur audition.

j. Par arrêt du 18 décembre 2012 (ACPR/570/2012), la Chambre de céans a annulé l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 4 septembre 2012 par le Ministère public et renvoyé la cause à cette autorité pour l'ouverture d'une instruction, considérant notamment qu'à ce stade de la procédure, il ne pouvait être exclu que l'activité de D______/E______ SA ait été transférée à D______/E______ (Panama) SA après mai 2010 dans le but de léser ses créanciers et que ses organes aient retardé le dépôt de bilan pour des motifs contraires au droit.

k.a. Le 3 décembre 2013, B______ et F______ ont été auditionnés par le Ministère public en qualité de personnes appelées à donner des renseignements.

k.a.a. B______ a déclaré que le nom de D______/E______ SA provenait de la jonction de celui des groupes à la tête desquels se trouvaient ses actionnaires, I______ pour D______ et H______ pour E______. Initialement, le groupe opérait depuis K______ [Russie], au travers de D______/E______ SA au Panama (ci-après: D______/E______ (Panama) SA), dont lui-même avait été directeur. Par la suite, il avait toutefois été décidé de transférer des activités en Suisse, dans le cadre de la constitution de D______/E______ SA, destinée aux activités d'exportation des produits russes.

La comptabilité de ladite société était tenue par L______, comptable externe, lequel travaillait sur la base des écritures qu'ils avaient saisies sur un format que celui-ci leur avait transmis, ainsi que les pièces comptables et les avis de débit/crédit auxquels ils annexaient les pièces justificatives. Les comptes des différentes sociétés étaient ensuite audités par M______. Compte tenu du manque de surface financière de D______/E______ SA, des garanties avaient été fournies, à la requête des banques, par d'autres sociétés du groupe. I______ et H______ lui donnaient des instructions, notamment en ce qui concernait les émissions de garantie de performance et le recrutement.

L'activité de D______/E______ SA s'était résumée à la conclusion du contrat avec A______ SÀRL, négocié par un trader employé de la société, N______, à celle d'un autre contrat, portant sur un montant de l'ordre de USD 300'000.- à 400'000.-, avec un tiers, et à servir d'intermédiaire, durant six mois environ, pour des contrats de transport conclus par le groupe avec une société étatique russe. De manière générale, la société panaméenne avait régulièrement effectué des avances de fonds en faveur de la société suisse, afin que celle-ci puisse fonctionner. En raison notamment du litige avec A______ SÀRL, le transfert des activités de la société panaméenne à la société suisse et le développement des affaires de celle-ci ne s'était pas réalisé. La priorité du groupe avait été de limiter les pertes financières, tant dans le domaine du négoce du charbon que du négoce du pétrole. Pour sa part, il avait dû licencier quatre personnes entre mi 2010 et fin 2011. N______, engagé en décembre 2009, avait été licencié avant fin 2010 car il n'avait pas été capable de développer l'activité commerciale de D______/E______ SA.

k.a.b. F______ a indiqué ne pas avoir été impliqué dans la gestion quotidienne de D______/E______ SA. Il faisait confiance à B______, lequel le tenait informé des affaires de la société. Il se rendait deux fois par semaine dans les locaux de la société pour se renseigner sur l'avancement des affaires et rendait des comptes informellement à H______, qu'il représentait au sein de la société. Il avait accès à tous les documents de la société et y assumait des fonctions d'administrateur.

D______/E______ SA devait développer des activités sans plan d'affaires concret. B______ et lui-même avaient eu pour obligation notamment d'engager du personnel, à savoir un trader et une secrétaire, afin de développer les activités de la société. Ils n'avaient pas carte blanche et agissaient sur instruction des actionnaires auxquels ils faisaient des propositions. Il ignorait comment la société était financée et ne s'était jamais intéressé aux mouvements des comptes, auxquels il avait cependant accès.

k.b. Auditionné par le Ministère public le 27 mai 2014, le témoin N______, courtier pour D______/E______ SA du 1er décembre 2009 au 30 novembre 2010, a déclaré que le groupe manquait de liquidités pour atteindre ses objectifs sur les marchés russe et indonésien, et que la politique qui lui était imposée – consistant en des contrats "back-to-back" – rendait difficile la possibilité de dégager une marge. A______ SÀRL avait été son seul contrat de ce type. Au moment de signer le contrat avec A______ SÀRL, il avait un fournisseur. Or, les informations données par les personnes de confiance qu'il connaissait sur place s'étaient avérées imprécises. Après la défection d'un premier fournisseur, il avait dû en trouver d'urgence un autre. Dans ce cadre, il avait eu des discussions avec un important groupe, qui lui avait proposé d'utiliser J______ (Jersey) LTD, ce qu'il avait accepté, car le temps pressait et que les informations qu'il avait pu obtenir dans ce court laps de temps étaient positives. Lorsque le litige avec A______ SÀRL avait éclaté, il était apparu que J______ (Jersey) LTD n'avait pas de surface financière et que ses comptes étaient vides.

k.c. Auditionné par le Ministère public le 23 juin 2014, le témoin L______, qui avait tenu la comptabilité de D______/E______ SA, a relevé qu'il était probable que B______ lui eût remis, pour chaque mouvement bancaire, un avis de débit/crédit et une pièce justificative. Il ne se rappelait pas des relations contractuelles liant la société suisse à la société panaméenne. Il avait effectué la clôture des états financiers pour l'année 2010. Sauf erreur, les résultats n'étaient pas satisfaisants. Selon ses souvenirs, la question d'une provision pour litige ne s'était pas posée en lien avec D______/E______ SA. Il avait, à la demande de B______, établi des états financiers avec et sans provision pour un litige concernant la société panaméenne. Il ne se souvenait pas laquelle des versions avait été retenue. Son mandat s'était terminé en 2011, de sorte qu'il n'avait pas été impliqué dans la faillite de D______/E______ SA du 19 janvier 2012.

k.d. Auditionné une nouvelle fois par le Ministère public le 23 juin 2014 comme personne appelée à donner des renseignements, B______ a expliqué que la société suisse était financée par la filiale panaméenne lorsqu'elle contractait pour son propre compte, faute de disposer des capitaux nécessaires. Cela expliquait les nantissements croisés entre les comptes bancaires des deux sociétés : D______/E______ SA bénéficiait de crédits bancaires garantis par une garantie bancaire, payable à première demande, d'ordre d'une autre société, D______/O______, elle-même couverte par les avoirs de I______. De manière générale, c'était ce dernier qui finançait les activités commerciales de la société panaméenne.

l.a. Par ordonnance du 21 octobre 2014, le Ministère public a classé la procédure, considérant que rien au dossier ne permettait de retenir la réalisation des éléments constitutifs des infractions dénoncées. Il a notamment relevé que le temps mis pour saisir le juge de la faillite n'avait ni causé, ni aggravé la faillite de la société.

l.b. Par arrêt du 22 avril 2015 (ACPR/232/2015), la Chambre de céans a rejeté le recours intenté par A______ SÀRL confirmant le classement de la procédure.

l.c. Par arrêt 6B_551/2015 du 24 février 2016, le Tribunal fédéral a admis le recours intenté par A______ SÀRL, annulé l'ACPR/232/2015 et renvoyé la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision, considérant qu'il lui appartenait d'examiner une éventuelle infraction aux art. 163 et 164 CP. Par ailleurs, la question d'une éventuelle application de l'art. 165 CP, invoquée par A______ SÀRL qui se plaignait de ce que les organes de D______/E______ SA n'avaient pas pris les mesures nécessaires au vu de son surendettement, justifiait de mettre en œuvre une expertise judiciaire. L'application de l'art. 165 CP, subsidiaire aux art. 163 CP et 164 CP, pouvait donc rester indécise.

l.d. Par arrêt du 21 mars 2016 (ACPR/150/2016), la Chambre de céans a renvoyé la cause au Ministère public pour suite de l'instruction.

m.a. Le 17 octobre 2016, le Ministère public a ouvert une instruction contre B______ pour faux dans les titres (art. 251 CP), pour avoir rempli et signé plusieurs formulaires A le mentionnant comme ayant droit économique, de même que F______, I______ et H______, alors que seuls ces deux derniers étaient actionnaires et ayants droit économiques des avoirs bancaires de D______/E______ SA.

m.b. Le Ministère public a ordonné la disjonction de la procédure pénale P/9253/2012 des faits précités retenus à charge de B______ et la poursuite de leur instruction sous le numéro de procédure P/1______/2016, laquelle a été classée le 16 mars 2020.

p.a. Par ordonnance du 14 mars 2017, le Ministère public a classé la procédure contre inconnu, ce qui a été confirmé par arrêt rendu le 24 août 2017 (ACPR/571/2017) par la Chambre de céans.

Le surendettement constaté en octobre 2010 et le report de l'avis au juge n'impliquaient pas encore une gestion fautive, dès lors qu'il existait alors des perspectives d'assainissement de D______/E______ SA, notamment grâce aux liquidités d'une société sœur. Par ailleurs, le défaut de provision n'avait ni aggravé le surendettement ni eu d'incidence sur la décision du conseil d'administration de reporter l'avis au juge.

p.b. Par arrêt 6B_1107/2017 du 1er juin 2018, le Tribunal fédéral a admis le recours intenté par A______ SÀRL contre cet arrêt, annulé l'ACPR/571/2017 et renvoyé la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision, considérant que celle-ci avait violé l'art. 319 CPP en excluant tout soupçon de commission d'actes de gestion fautive au sens de l'art. 165 CP. On ne pouvait écarter l'hypothèse selon laquelle les organes de la société suisse avaient laissé les dettes s'accumuler sans disposer des actifs nécessaires pour éviter une situation de surendettement dans l'expectative que dites dettes soient ensuite prises en charge par une société étrangère sur une base inconnue (consid. 2.6.1). Ainsi, une expertise devait être ordonnée pour établir la date à partir de laquelle D______/E______ SA était surendettée, ainsi que l'augmentation du surendettement (consid. 2.6.2 et 2.6.3). Enfin, l'autorité précédente ne pouvait pas exclure sans autre élément que les organes de la société n'auraient pas dû, avant la clôture des comptes 2010 – apparemment en mai 2011 – soit courant 2010, avoir des raisons sérieuses de penser que la société était surendettée et procéder à l'établissement d'un bilan intermédiaire tel que préconisé par l'art. 725 al. 2 CO. Le report de l'avis au juge, après le constat du surendettement en octobre 2010, dès lors qu'il y avait des expectatives d'assainissement – D______/E______ SA comptant sur les disponibilités des moyens financiers d'une société sœur – sans plus de précisions, ne suffisaient pas pour exclure tout soupçon de violation grave de l'art. 725 CO (consid. 2.6.4).

p.c Par arrêt rendu le 19 juin 2018 (ACPR/340/2018), la Chambre de céans a renvoyé la cause au Ministère public pour suite de l'instruction.

q.a. Par ordonnance du 6 novembre 2018, le Ministère public a confié un mandat d'expertise à P______.

q.b. Dans son rapport du 4 février 2019, l'expert a considéré qu'aucune règle comptable n'avait été violée en relation avec la provision se rapportant au litige avec A______ SÀRL. En effet, D______/E______ SA devait comptabiliser une provision par suite de la sentence du Tribunal arbitral, le 4 novembre 2011, pour un montant de CHF 1'268'038.73. Aucun autre montant n'aurait dû être provisionné avant cette date, au vu des incertitudes tant du point de vue des éventuels dommages, dépens et autres participations, que de l'issue de la procédure arbitrale. Par ailleurs, aucune modification de cette provision n'était nécessaire jusqu'à la date de la requête en faillite le 9 décembre 2011.

Il n'était pas possible de déterminer la date exacte à partir de laquelle D______/E______ SA était surendettée, sans l'établissement d'une clôture comptable complète, intermédiaire ou annuelle. Néanmoins, la société était surendettée au 30 juin 2010, à la suite de l'engagement à payer de la garantie en CHF 215'520.- (USD 200'000), le 2 juillet 2010 (valeur au 30 juin 2010). La cause de ce surendettement provenait du fait que les marges dégagées au 31 décembre 2010, respectivement au 30 juin 2010, étaient insuffisantes pour couvrir les frais fixes (charges administratives, résultats financiers et impôt sur le capital), indépendamment du litige survenu, compte tenu du niveau des fonds propres.

Entre le 30 juin 2010 et le 9 décembre 2011, l'aggravation du surendettement s'élevait à CHF 195'180.71.

q.c. Auditionné par le Ministère public le 19 mars 2019, l'expert a indiqué qu'il n'avait pas eu connaissance du rapport de l'organe de révision du 31 décembre 2010 selon lequel le conseil d'administration avait renoncé à l'appel au juge malgré le surendettement, car il était prévu que les créanciers seraient payés par une société sœur. Il ne pouvait pas se prononcer sur ce fait. Pour le surplus, il confirmait son rapport d'expertise.

Compte tenu de sa création en 2009, D______/E______ SA se trouvait dans son premier exercice. Il ne pouvait pas conclure que le surendettement s'était creusé au fil du premier semestre 2010, pour aboutir au découvert de CHF 228'184.- au 30 juin 2010. Cependant, le faible volume d'affaires ne permettait pas de couvrir les charges administratives du premier semestre. Le fait que les fonds propres fussent limités à CHF 100'000.- à la constitution de la société aurait dû inciter sa direction à la prudence, dès lors que les charges administratives à couvrir représentaient environ CHF 50'000.- par mois (charges administratives au 30 juin 2010 arrondis à CHF 300'000.- divisés par 6 mois), qu'il y eût ou non des affaires. Ces pertes étaient visibles au niveau de la trésorerie sous forme de découvert bancaire à partir du premier semestre 2010. Cette situation aurait dû alerter la direction et par conséquent le conseil d'administration, lesquels pouvaient se rendre compte que la société avait une dotation insuffisante en capital. Il ignorait si le conseil d'administration était au courant des opérations passées dans l'entreprise courant 2010, ou si le directeur de D______/E______ SA aurait dû informer le conseil d'administration des affaires courantes. En revanche, le conseil d'administration aurait dû être informé du litige avec A______ SÀRL au 2 juillet 2010 au plus tard, se pencher sur la situation comptable et détecter les indices de surendettement. Au 30 juin 2010, la société avait un découvert de CHF 228'184.-. En prenant en considération le paiement de la garantie en CHF 215'520.-, le surendettement totalisait CHF 443'704.- à cette date. Cette situation aurait dû conduire le conseil d'administration à établir des comptes intermédiaires aux valeurs de continuation et de liquidation, conformément à l'art. 725 al. 2 CO. Il ignorait si au 30 juin 2010, la comptabilité était à jour. Dès lors, il ne pouvait pas garantir que le conseil d'administration était en mesure de déterminer si la société était effectivement en surendettement.

q.d. Dans un rapport d'expertise complémentaire du 11 juin 2020, l'expert a confirmé son rapport du 4 février 2019. Il a précisé que la comptabilité de D______/E______ SA était établie sur la base des mouvements financiers uniquement. De ce fait, il n'était pas possible d'établir de clôtures comptables complètes, intermédiaires ou annuelles tenant compte des engagements.

r.a. Le 28 octobre 2020, par suite des résultats de l'expertise, le Ministère public a ouvert une procédure préliminaire à l'encontre de B______, qu'il a mis en prévention pour gestion fautive (art. 165 CP), pour avoir, en sa qualité de directeur de D______/E______ SA, alors que les marges dégagées par la société au 30 juin et au 31 décembre 2010 étaient insuffisantes au regard du capital-actions pour couvrir les frais fixes de la société et qu'en conséquence, elle présentait un surendettement manifeste au sens de l'art. 725 al. 2 CO de CHF 443'704.98 au 30 juin 2010, omis dès juillet 2010 de dresser ou faire dresser un bilan intermédiaire soumis à la vérification d'un réviseur agréé avant le bouclement des comptes 2010 et omis, de juillet 2010 à décembre 2011, d'aviser le juge, respectivement d'informer l'administrateur de la situation pour qu'il avise le juge.

r.b. Auditionné le même jour, B______ a contesté les faits reprochés. La société suisse, créée en 2009, était en phase de lancement et donc d'investissement. Les activités de négoce de charbon des autres entités du groupe nécessitaient la signature des contrats de transport avec des sociétés étatiques ou semi-étatiques russes qui exigeaient que leur contrepartie commerciale ne soit pas une société offshore. La société suisse était un intermédiaire entre la société étatique russe et les autres entités du groupe qui utilisaient ce service, ce qui – faute de réelle valeur ajoutée – expliquait la faiblesse des marges. Le contrat avec A______ SÀRL représentait le premier censé rapporter une marge significative.

Les actionnaires et lui-même étaient chargés de la situation financière de la société. Ils avaient des discussions quotidiennes sur les affaires courantes et recevaient un reporting hebdomadaire de toutes les entités du groupe. Il disposait, respectivement supervisait, des outils de surveillance via un tableur et des réconciliations bancaires quotidiennes. Toutes les dépenses de la société étaient engagées à la connaissance et avec l'aval des actionnaires. Le surendettement de la société en juin 2010 n'était pas reconnaissable d'un point de vue financier. Au 30 juin 2010, la société n'avait pas d'autre créancier que son propre actionnaire. Elle n'avait aucun impayé au niveau des salaires, des charges sociales et des loyers. Ses charges d'exploitation étaient limitées au strict minimum et elle ne faisait l'objet d'aucun rappel, ni de commandement de payer. L'expert n'avait à tort pas tenu compte du capital, à savoir des garanties financières apportées par l'actionnaire principal de la société.

Du 30 juin au 31 décembre 2010, les marges dégagées par la société étaient insuffisantes pour couvrir ses frais fixes, ce qui était inhérent à la phase de lancement dans laquelle elle se trouvait. Cette situation de trésorerie négative était réglée par les couvertures bancaires susmentionnées. De ce fait, l'établissement d'un bilan intermédiaire, ainsi que l'avis au juge n'étaient pas justifiés. En définitive, cette situation était connue par les actionnaires et le conseil d'administration, de sorte qu'il n'avait eu besoin d'informer personne.

r.c. Par courrier du 31 mai 2021, B______ a requis un
rapport d'expertise complémentaire, expliquant qu'une garantie importante – de plusieurs millions de dollars américains – avait été émise par [la banque] Q______ en faveur de [la banque] R______, afin de couvrir les engagements de D______/E______ (Panama) SA et de D______/E______ SA.

r.d. Selon le rapport complémentaire du 22 octobre 2021, l'expert a,
à titre liminaire, exposé que Q______ avait pris l'engagement ferme et irrévocable de payer à R______, à première réquisition, tout montant à concurrence de
celui de la garantie en cas de défaut de D______/E______ SA, respectivement de D______/E______ (Panama) SA. En tant que telle, la garantie bancaire n'apportait aucune sécurité directe aux contreparties commerciales du groupe D______, à l'exception de R______. L'expert a ensuite rappelé que D______/E______ SA souffrait d'une insuffisance de fonds propres dans sa phase de démarrage (frais fixes trop importants par rapport au volume d'activité). Cette situation avait entraîné son surendettement, indépendamment des conséquences financières du litige avec A______ SÀRL, ce qui avait conduit à l'avis au juge le 9 décembre 2011. Dans ces circonstances, la marge de manœuvre du conseil d'administration était très limitée et ne pouvait aller au-delà de la simple gestion courante, en veillant à ne pas augmenter le surendettement. En conséquence, il n'était alors plus envisageable d'utiliser la ligne de crédit, mise à disposition par R______, afin de régler les suites financières du litige, tranché par la sentence du Tribunal arbitral. En ce sens, l'existence de la garantie bancaire ne modifiait en rien les réponses données dans ses rapports d'expertise précédents. Dans l'hypothèse où la société aurait été suffisamment dotée en fonds propres dès sa constitution, ce qui aurait permis d'exclure le surendettement en raison du défaut de la couverture des frais fixes et les conséquences qui en avaient découlé, la société aurait pu faire face à une augmentation de son passif à concurrence du disponible de la ligne de crédit mise à disposition par R______. La garantie bancaire ne renforçait aucunement les fonds propres.

En conclusion, le surendettement avait été causé par une insuffisance de fonds propres au moment de la constitution de la société et de l'absence d'apports complémentaires de l'actionnaire. L'intervention du garant Q______ ne jouait dès lors qu'un rôle subsidiaire, dans le contexte exclusif de la défaillance du débiteur, à savoir son insolvabilité.

s.a. Par acte d'accusation du 8 novembre 2021, le Ministère public a
clôturé son instruction en renvoyant en jugement B______ pour infraction à
l'art. 165 CP cum 725 CO, lui reprochant d'avoir, en tant que directeur de la société D______/E______ SA, laquelle était en état de surendettement à tout le moins dès le 30 juin 2010, sciemment omis de se conformer aux obligations de l'art. 725 CO, notamment de proposer des mesures d'assainissement, respectivement de dresser un bilan intermédiaire et d'aviser le juge, jusqu'au 9 décembre 2011, aggravant ainsi le surendettement de la société à concurrence de CHF 195'180.71, à tout le moins, entre le 30 juin 2010 et le 9 décembre 2011.

s.b. Par jugement rendu le 29 septembre 2022, le Tribunal de police a rejeté la question préjudicielle de A______ SÀRL tendant au renvoi de l'acte d'accusation au Ministère public pour complément des faits reprochés à B______ au sens de l'art. 339 al. 2 let. a CPP, concurremment avec l'art. 333 CPP, s'agissant du champ d'application personnel et matériel de l'art. 725 CO, et acquitté l'intéressé du chef de gestion fautive (art. 165 CP), retenant que celui-ci n'était, en sa qualité de directeur, pas soumis aux obligations de l'art. 725 CO, si bien qu'il ne pouvait avoir aggravé le surendettement de la société.

s.c. Par arrêt rendu le 19 juin 2023, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice a admis l'appel formé par A______ SÀRL contre le jugement précité et renvoyé l'accusation au Ministère public en vue d'une décision de classement partiel ou d'un complément à l'acte d'accusation dans le sens des considérants, à savoir que la cause du surendettement – et pas seulement son aggravation – fasse l'objet d'une décision concernant B______.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public retient que le surendettement de la société avait été causé par une insuffisance de fonds propres lors de sa constitution et l'absence d'apport complémentaire des actionnaires. Or, B______ recevait ses instructions des deux actionnaires principaux, lui-même n'ayant souscrit qu'à une part anecdotique du capital-actions, vraisemblablement à des fins d'intéressement. Il ne pouvait dès lors lui être reproché d'avoir doté insuffisamment en capital la société précitée ni d'avoir omis de procéder à un financement complémentaire. Par ailleurs, selon l'expertise, au vu de l'activité de trading de la société, le montant élevé des charges ne paraissait pas exagéré. Enfin, la comptabilisation de la provision d'éventuelles pertes liées au litige avec A______ SÀRL ne violait aucune norme comptable ni ne constituait une faute de gestion.

D. a. Dans son recours, A______ SÀRL soutient que le Ministère public a violé l'art. 319 CPP cum art. 165 al. 1 CP. L'excès de dépenses ne devait pas être considéré par rapport au but de la société, mais par rapport à sa capacité financière. Le surendettement n'était ainsi pas imputable exclusivement aux fondateurs de la société, dès lors que l'expert avait considéré, lors de son audition du 19 mars 2019, que la direction avait fait preuve d'imprudence en laissant des pertes s'accumuler de mois en mois. Les conditions de l'art. 165 CP étaient donc réalisées s'agissant du comportement de B______. Enfin, ce dernier avait participé à la fondation de la société, de sorte qu'il était également responsable de la dotation insuffisante de la société, son degré d'implication devant être déterminé par l'autorité de jugement.

b. Le Ministère public a renoncé à formuler des observations, se référant aux motifs de l'ordonnance querellée.

c. Dans ses observations, B______ conclut, sous suite de frais et de dépens à hauteur de CHF 1'500.-, au rejet du recours. L'information au juge en cas de surendettement était une prérogative inaliénable du conseil d'administration, de sorte qu'en sa qualité de directeur, il ne pouvait adresser un tel avis. La dotation insuffisante en capital de la société ne pouvait lui être reprochée. Par ailleurs, les frais engagés avaient un caractère nécessaire et inhérent au lancement d'une société, et le litige arbitral avec A______ SÀRL était survenu simultanément. Or, cette dernière ne démontrait pas le caractère exagéré ou exorbitant des dépenses.

d. Dans sa réplique, A______ SÀRL expose que le jugement rendu le 29 septembre 2022 par le Tribunal de police était limité à la question de la violation de l'art. 725 CO et qu'il faisait de surcroît l'objet d'un appel. Par ailleurs, la notion de "dépenses exagérées" au sens de l'art. 165 ch. 1 CP n'impliquait pas nécessairement un caractère "somptuaire" mais s'appréciait en fonction de la situation dans laquelle se trouvait la société concernée. Or, cette dernière n'avait presqu'aucune activité commerciale, malgré des dépenses mensuelles de CHF 50'000.-.

e. Dans sa duplique, B______ relève, d'une part, que selon le jugement du Tribunal de police, l'expertise n'établissait pas à satisfaction de droit que le surendettement de D______/E______ SA lui était imputable et que, d'autre part, les dépenses mensuelles étaient en relation avec le but de la société ainsi qu'avec le stade précoce de son développement, impliquant des frais importants.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP ; ACPR/232/2015 du 22 avril 2015 concernant la qualité pour recourir de la recourante sur l'infraction visée à l'art. 165 CP).

2.             La recourante soutient qu'il existe une prévention suffisante de gestion fautive (art. 165 CP) contre B______ en tant qu'il aurait causé le surendettement de D______/E______ SA par la conjonction d'une dotation insuffisante du capital-actions et de dépenses de gestion exagérées.

2.1.       Aux termes de l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public ordonne le classement de la procédure lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let. a) et lorsque les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).

Cette disposition doit être interprétée à la lumière du principe "in dubio pro duriore", selon lequel un classement ne peut être prononcé que quand il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables. Ainsi, la procédure doit se poursuivre quand une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou que les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'infractions graves. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, à ce sujet, d'un pouvoir d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 du 10 juin 2021 consid. 2.1).

Il peut toutefois être renoncé à une mise en accusation si : la victime fait des dépositions contradictoires, rendant ses accusations moins crédibles; une condamnation apparaît, au vu de l'ensemble des circonstances, a priori improbable pour d'autres motifs; il n'est pas possible d'apprécier l'une ou l'autre des versions opposées des parties comme étant plus ou moins plausible et aucun résultat n'est à escompter d'autres moyens de preuve (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 précité consid. 2.2).

2.2.1. Selon l'art. 165 ch. 1 CP, le débiteur qui, de manières autres que celles visées à l'art. 164 CP, par des fautes de gestion, notamment par une dotation insuffisante en capital, par des dépenses exagérées, par des spéculations hasardeuses, par l'octroi ou l'utilisation à la légère de crédits, par le bradage de valeurs patrimoniales ou par une négligence coupable dans l'exercice de sa profession ou dans l'administration de ses biens, aura causé ou aggravé son surendettement, aura causé sa propre insolvabilité ou aggravé sa situation alors qu'il se savait insolvable, sera, s'il a été déclaré en faillite ou si un acte de défaut de biens a été dressé contre lui, puni d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire.

L'art. 165 CP ne vise que les fautes de gestion économique grossières. L'exposition aux risques inhérents à toute activité commerciale n'est pas punissable, ceci même si postérieurement, la décision s'avère erronée (ATF 144 IV 52 consid. 7.3). Constitue en particulier une négligence coupable dans l'exercice de sa profession au sens de l'art. 165 CP l'omission de faire l'avis au juge exigé par l'art. 725 al. 2 CO en cas de surendettement (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1107/2017 du 1er juin 2018 consid. 2.1 ; 6B_985/2016 du 27 février 2017 consid. 4.1.1). Les dépenses exagérées peuvent également constituer selon les circonstances une faute de gestion. Par dépenses exagérées, il faut entendre tout décaissement injustifié commercialement ou disproportionné par rapport au chiffre d’affaires du débiteur, par exemple l’achat de biens de luxe (tableaux, vins, montres) en vue de décorer des bureaux, ou encore le financement d’un train de vie luxueux des administrateurs (déplacements en avion privé, leasing de véhicule de luxe ou de grand luxe, séjour dans des hôtels de luxe). Il n’est pas exclu que des dépenses en matière de recherche et développement tombent dans le champ d’application de l'art. 165 CP si le débiteur aurait dû se rendre compte de l’impossibilité objective de mener le projet à terme (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 25 ad art. 165).

2.2.2. Lorsque le débiteur mis en cause est une personne morale, les personnes physiques mentionnées à l'art. 29 CP sont punissables en qualité d’auteur, soit notamment les membres du conseil d’administration (à l’exclusion de l’assemblée générale des actionnaires d’une société anonyme, qui ne prend normalement pas part à la gestion de la société) et de l’organe de révision (let. a), les associés (let. b), les collaborateurs disposant d'un pouvoir de décision indépendant (let. c) et le dirigeant effectif qui n'est ni un organe ou un membre d'un organe, ni un associé ou un collaborateur (let. d).

2.3. En l'espèce, la société suisse – dotée d'un capital-actions conforme aux exigences de l'art. 621 al. 1 CO et entièrement libéré – devait à terme reprendre les activités de la filiale panaméenne. Elle ne disposait pas de liquidités propres, de sorte qu'elle était financée par la société panaméenne dans le cadre des contrats qu'elle concluait pour son propre compte. Un tel schéma, qui peut s'expliquer par le besoin, pour la société suisse de développer une activité commerciale, n'implique pas encore une faute de gestion au sens de l'art. 165 CP.

En effet, l'activité commerciale de la société suisse – initialement financée par la société panaméenne – ne s'est pas développée comme escompté par l'engagement d'un trader chargé de développer des liens commerciaux, notamment en Indonésie. À cela s'est ajouté le litige avec la recourante. Ces circonstances ont mis à mal les perspectives que la société parvienne à se maintenir durablement. Dès lors, on ne saurait retenir l'existence d'une faute de gestion liée à l'insuffisance du capital-actions initial, puisque la situation déficitaire est principalement liée à l'échec de l'activité commerciale.

Même à retenir que la dotation initiale du capital-actions était insuffisante compte tenu des activités de trading prévues, le prévenu ne disposait d'aucun pouvoir de décision lors de la constitution de la société suisse, exclusivement décidée par les deux principaux actionnaires. Il est en effet établi, en particulier sur la base des témoignages concordants de F______ et du prévenu, que ce dernier recevait ses instructions des deux grands actionnaires de la société, qui ne souhaitaient pas s'installer en Suisse. La part marginale d'actions dont il disposait ne permet pas de lui imputer un pouvoir de décision dans la gouvernance de la société. Or, la recourante ne remet pas en cause le raisonnement du Ministère public sur ce point, se contentant de soulever que seule l'autorité de jugement serait à même d'évaluer le degré d'implication du prévenu dans l'éventuelle faute ayant consisté à doter insuffisamment le capital de la société à sa constitution. Or, il est désormais établi que le prévenu n'a pas joué un rôle de décideur.

Enfin, s'agissant de la gestion courante de la société, en tant qu'elle serait la cause du surendettement, l'expert n'a pas relevé de dépenses exagérées ou exorbitantes, précisant que les charges mensuelles de CHF 50'000.- étaient conformes à l'activité envisagée. Or, les charges constituaient alors des dépenses d'investissement inhérentes au démarrage de l'activité commerciale de la recourante. Sous cet angle également, la cause du surendettement se trouve dans l'échec de ladite activité plutôt que dans l'existence de charges disproportionnées et excessives.

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

4.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 2'000.- pour l'instance de recours (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

5.             L'intimé, prévenu, conclut à l'allocation d'une indemnité de CHF 1'500.- valant participation à ses frais d'avocat, pour la procédure de recours.

5.1. En vertu de l'art. 436 al. 1 CPP, les prétentions en indemnité dans les procédures de recours sont régies par les art. 429 à 434 CPP.

Selon l'art. 429 al. 1 let. a CPP, le prévenu a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure, cette indemnisation visant les frais de la défense de choix. L'autorité pénale examine d'office celles-ci et peut enjoindre l'intéressé de les chiffrer et de les justifier (art. 429 al. 2 CPP). Dans tous les cas, l'indemnité n'est due qu'à concurrence des dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable des droits de procédure du prévenu. Le juge doit donc examiner si l'assistance d'un conseil était nécessaire puis, dans l'affirmative, apprécier objectivement la pertinence et l'adéquation des activités facturées, par rapport à la complexité juridique et factuelle de l'affaire et, enfin, dire si le montant des honoraires réclamés, même conforme au tarif pratiqué, est proportionné à la difficulté et à l'importance de la cause, c'est-à-dire raisonnable au sens de la loi (cf. ACPR/140/2013 du 12 avril 2013).

La partie plaignante qui succombe devant l'autorité de recours n'a pas à supporter l'indemnité des frais de défense du prévenu lorsque la décision attaquée est une ordonnance de classement ou de non-entrée en matière (ATF 139 IV 45 consid. 1.2).

5.2. En l'espèce, compte tenu des déterminations de l'intimé (soit un courrier de trois pages et demie et un courrier d'une page et demie), le montant de CHF 1'500.- requis paraît excessif et sera ramené à CHF 1'200.-, ce qui correspond à 3 heures d'activité à CHF 400.-, hors TVA, au vu du domicile à l'étranger.

L'indemnité allouée à l'intimé doit être mise à la charge de l'État.

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ SÀRL aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 2'000.-.

Alloue à B______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'200, TTC.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux parties, soit à leur conseil respectif, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente ; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Valérie LAUBER, juges ; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/9253/2012

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

     

- délivrance de copies (let. b)

CHF

     

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'905.00

Total

CHF

2'000.00