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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/9997/2019

ACPR/212/2024 du 21.03.2024 sur OCL/1490/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;ACTE D'ORDRE SEXUEL SUR UN INCAPABLE DE DISCERNEMENT;PRINCIPE DE LA TERRITORIALITÉ;EMPÊCHEMENT(EN GÉNÉRAL)
Normes : CPP.319; CP.3; CP.8; CP.191

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/9997/2019 ACPR/212/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 21 mars 2024

 

Entre

A______, domiciliée ______, France, représentée par Me B______, avocat,

recourante,

 

contre l'ordonnance de classement rendue le 2 novembre 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 13 novembre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 2 précédent, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a classé la procédure.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et à qu'il soit enjoint au Ministère public de dresser un acte d'accusation à l'encontre de C______ et D______ du chef d'actes sexuels sur une personne incapable de discernement et de résistance.

b. La recourante plaide au bénéfice de l'assistance juridique.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. Le 19 mars 2019, A______, ressortissante française, s'est présentée à la police, où elle a été entendue en qualité de personne appelée à donner des renseignements "dans le cadre de l'agression sexuelle dont [elle avait] été victime [le] 23 décembre 2018 de la part de C______ et de D______ [ultérieurement identifié comme étant D______] [patronyme différent]". Elle s'est réservée le droit de déposer plainte.

Le 23 décembre 2018, après son service dans une boîte de nuit à Genève, vers 5h00 du matin, elle s'était rendue dans un premier établissement avec des collègues, dont notamment C______. Elle avait bu deux bières et deux "shots". D______ était également présent. Ensuite, tous les trois s'étaient rendus au E______ où elle avait consommé une bière et s'était rendue aux toilettes, puis elle ne s'était plus souvenue de rien. Dans un souvenir ultérieur, elle se trouvait dans les vestiaires [des bains thermaux] F______ [ci-après : les F______], les cheveux mouillés, après que les précités s'en étaient fait expulser.

Par la suite, ils s'étaient tous les trois retrouvés chez C______, à G______, France, où ils avaient mangé une pizza en regardant la télévision et fumé une chicha. Le souvenir suivant le plus clair était dans un lit, lumière éteinte, où elle demandait à C______ d'arrêter de l'embrasser. Pour le reste, elle avait de vagues souvenirs, mais c'était "très flou". Elle se rappelait que D______ était venu dans la chambre dire qu'il était tombé et s'était cogné la tête. À ce moment-là, elle avait demandé à C______ de les ramener à leurs voitures, restées au parking des H______. Sur le chemin, C______ lui avait dit: "prends la pilule du lendemain".

Lorsqu'ils étaient arrivés à leurs véhicules, D______ était aussi bouleversé qu'elle. Ils étaient restés tous deux un moment dans sa voiture, à discuter; il lui avait dit ne pas se rappeler de ce qu'il s'était passé et penser qu'il avait été violé par C______. Elle s'était confiée à lui en pensant qu'il vivait la même situation qu'elle mais, par la suite, elle s'était rendu compte qu'il se souvenait de tout, contrairement à elle. D______ lui avait dit qu'ils avaient eu des rapports sexuels ensemble. Depuis, elle n'avait pas revu le précité mais était restée en contact avec lui par messages. C______ et D______ lui avaient dit qu'aux F______, ils s'étaient embrassés et "attouchés", mais elle n'en n'avait aucun souvenir. Elle ignorait pour quelle raison elle pensait que D______ lui avait menti lorsqu'il prétendait ne se souvenir de rien, ajoutant "en tout cas, je me sentais plus à l'aise avec D______. Je ne peux pas vous dire qu'il me plaisait, mais l'idée de l'embrasser est moins répugnante que celle d'embrasser C______". Elle pensait qu'on l'avait droguée car ce n'était pas normal qu'elle ne se souvienne pas "d'autant de choses, pendant autant de temps". Le 27 décembre 2018, elle s'était rendue à la maternité pour des examens dont les résultats étaient "bons". Elle ne s'était pas adressée plus tôt à la police car elle pensait que, comme elle ne se souvenait pas de tous les détails, "cela allait [lui] passer", mais, en réalité, elle y pensait tout le temps. Elle avait des bleus sur le corps et mal à l'intérieur de son "sexe". Elle ne voulait pas que cela arrive à une autre fille.

a.b. Elle a notamment joint à sa plainte:

- plusieurs photographies, non datées, de ses jambes où l'on y aperçoit des hématomes;

- des SMS échangés avec C______ dès le 24 décembre 2018. Elle y demande des explications, car elle ne se souvenait de rien. Le précité souhaitait s'expliquer en face et précisait: C'est pas bien ce que tu fais… tu m'avais bien promis de pas faire le coup de "je me souviens plus de rien"! Et au moins 5 fois dans la "soiree" je t'ai dit c'est bon stop on rentre chez soi maintenant !! et tu voulais pas rentrer..". Il relatait ensuite avoir passé la soirée à la surveiller. Elle avait insisté pour aller boire des verres puis se rendre aux F______. Ils avaient été expulsé des lieux car elle l'avait embrassé ainsi que D______ et des familles n'étaient pas contentes. Elle avait fait un "scandale" et C______ pensait qu'elle était consciente car elle avait "un comportement clair pas contente mais clair". Après les F______, ils s'étaient rendus les trois chez lui où ils avaient mangé des pizzas. Ils avaient eu un rapport protégé. Le précité affirmait ainsi "[…] mais deosle tu avais pas l'air mal et tu as insisté… Je le regrette pas pour moi mais pour toi…" (sic). Il n'avait rien fait qui n'était pas consenti;

- deux messages envoyés à son frère le 23 décembre, à 03:58, qui se lisent comme suit: "Je sors avec mes collègues après le boulot. On va ensuite à I______ [France]".

b. Le 10 mai 2019, le Ministère public a ouvert une instruction pénale contre C______ pour actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP).

c. Entendu par la police puis par le Ministère public, C______, domicilié en France, a contesté les accusations.

A______ était consentante. Le 23 décembre 2018, au petit matin, après le travail, avec elle et un autre collègue, ils s'étaient rendus dans un premier bar. D______ s'était joint à eux. Ensuite, tous les trois – A______, D______ et lui – s'étaient rendus au E______. À la sortie, A______ était consciente et souriante, elle finissait ses phrases, marchait droit et était cohérente. Puis, ils étaient allés dans un bar du quartier J______, et au "K______". A______ et D______ s'étaient rendus aux toilettes et en étaient sortis, sans rien de particulier. Tout au long de la soirée, il avait bu plusieurs bières et des "shots" de rhum, mais n'avait pas consommé de drogue. Il ignorait ce que A______ et D______ avaient bu. Joyeux et alcoolisés, ils étaient allés aux F______, où A______ était consciente et arrivait à "nager". Elle avait commencé à les embrasser, chacun à leur tour, et à leur toucher le sexe. Le surveillant des F______ leur avait demandé de partir, des familles s'étant plaintes de leur comportement. A______ s'était alors énervée et avait fait un scandale dans le hall. Puis, A______ avait eu faim et, comme elle ne vivait pas seule et que D______ habitait à I______, ils étaient allés chez lui, où ils avaient commandé des pizzas, fumé une chicha et bu des verres d'alcool. A______ était revenue vers D______ "comme aux F______" et cela avait fini en "partie de sexe à trois". Il les avait ensuite ramenés à leur voiture et était rentré dormir. Avant de se quitter, ils s'étaient dit qu'ils étaient tous consentants et que cela allait rester entre eux. A______ était réveillée et consciente. Il lui avait demandé de prendre la pilule du lendemain car le préservatif qu'il avait utilisé n'avait pas tenu.

Il ignorait pour quelle raison A______ avait des bleus sur les jambes, ne l'ayant pas violentée. Il ne s'expliquait pas pourquoi elle ne se souvenait ni de la journée, ni de l'acte sexuel.

d. Selon le contact téléphonique, le 19 mars 2019, entre les policiers et L______, employée des F______, celle-ci a expliqué que le 23 décembre 2018, elle avait demandé à deux hommes et une femme alcoolisés de quitter l'établissement, car la jeune femme embrassait les deux hommes et que tous les trois avaient des échanges intimes. La jeune femme était fortement alcoolisée. Elle (le témoin) s'était demandé si la précitée n'avait pas pris "autre chose".

e. L'employeur de A______ et de C______ a expliqué que, le 25 décembre 2018, A______ l'avait informé par message qu'elle ne voulait plus venir travailler, ne souhaitant plus croiser C______. Elle avait oublié le déroulement d'une journée et d'une soirée entières, avait été droguée et quelqu'un avait abusé d'elle, sans qu'elle puisse se souvenir de qui il s'agissait. Elle avait le corps "criblé" de bleus et C______ lui avait dit de prendre la pilule du lendemain.

Il avait parlé à C______, qui avait insisté sur le fait que la précitée était dans un état normal et, au fil de la soirée, était devenue avenante.

f. À teneur du rapport de renseignements du 4 juin 2019, D______, domicilié en France, a refusé de donner suite au mandat de comparution délivré par la police pour être entendu en qualité de prévenu.

Le 3 juin 2019, il a envoyé un courriel à la police dans lequel il relatait le déroulement des faits du 23 décembre 2018.

Il en ressort que, le jour en question, il avait rencontré au E______ C______, lequel était accompagné de A______, qu'il rencontrait pour la première fois. Après quelques verres, ils étaient allés [au quartier de] J______, où il avait eu un premier "rapprochement complice" avec A______. Dans l'un des bars, A______ l'avait rejoint dans les toilettes pour hommes et l'avait embrassé. Plus tard, arrivés dans les vestiaires des F______, A______ était tombée mais avait insisté pour rester sur place. Ils s'étaient, sur initiative de la précitée, fait des caresses jusqu'à ce qu'on leur demande de quitter l'établissement. Ils s'étaient rendus chez C______ où ils avaient continué à boire. Ils avaient entretenu une relation sexuelle protégée "inachevée". C______ avait rejoint A______ dans la chambre. Ensuite, C______ les avait ramenés à leur voiture. Avant de repartir, C______ avait dit à A______ de prendre la pilule du lendemain. Une fois qu'il s'était retrouvé seul avec A______, cette dernière avait commencé à paniquer et lui avait dit ne pas se souvenir de toute la soirée et penser avoir été droguée. Le lendemain, il avait eu plusieurs échanges avec elle, au cours desquels elle avait réitéré ses craintes d'avoir été droguée, mais sans jamais le mettre en cause.

g. Selon le rapport du Centre universitaire romand de médecine légale (ci-après: CURML), les analyses toxicologiques effectuées sur le prélèvement de cheveux de A______ avaient révélé l'absence de drogue dans l'organisme pour les trois à quatre mois précédant le prélèvement. Toutefois, une prise unique des substances recherchées, pendant la période précitée, ne pouvait être exclue.

h.a. Confrontée à C______ lors de l'audience du 8 octobre 2020 par-devant le Ministère public, A______ a maintenu que les relations avec ce dernier, ainsi qu'avec D______ n'auraient jamais pu être consenties. Même faire la bise à C______, au travail, était impensable, et ni lui ni D______ ne lui plaisaient. Le comportement décrit aux F______ ne lui ressemblait pas du tout. Elle avait eu des "flash" de la soirée chez C______.

h.b. C______ a précisé que le seul rapport sexuel qu'il avait eu avec A______ s'était déroulé dans son salon. Elle en avait pris l'initiative.

i. Divers témoins ont été entendus par la police.

M______ a expliqué avoir rejoint D______ au E______ le soir des faits. Sur place, elle avait trouvé que le précité, ainsi que A______ et C______, étaient "tous sous l'emprise de quelque chose". Comme elle sentait que cette histoire était "bizarre", elle en avait discuté le lendemain avec D______. Celui-ci avait expliqué qu'après le E______, leur groupe de trois s'était rendu aux F______, où il y avait eu des actes sexuels, et qu'ils avaient été exclus de cet endroit. Toujours selon D______, il avait entretenu une relation sexuelle avec A______ dans l'appartement de C______ et au moment où celui-ci s'était approché pour en faire de même, celle-ci avait dit "stop".

L______ a relaté que l'état de A______, D______ et C______ lui avait fait penser qu'ils avaient consommé soit de l'alcool, soit de la drogue. En les surveillant, elle avait remarqué qu'ils s'embrassaient les trois, A______ passant de l'un à l'autre. Ce comportement déplacé était dérangeant vis-à-vis des autres clients. Si elle avait eu l'impression que celle-ci était forcée à quoique ce soit, elle aurait appelé la police.

N______ s'est souvenu avoir bu un verre avec A______ et D______ en décembre 2018. Pour lui, "tout le monde était bourré", en particulier la précitée.

j. Entendu en qualité de prévenu, le 13 décembre 2021, par la Gendarmerie Nationale, sur commission rogatoire du Ministère public, D______ a commencé par répéter les faits exposés dans son courriel du 3 juin 2019. Il a ajouté que A______ et lui-même étaient complètement éméchés, tandis que C______ était en pleine forme car il avait pris de la cocaïne. Chez ce dernier, il avait pénétré vaginalement A______, mais au bout d'une minute ou deux, il était parti vomir. À son retour, il avait entendu A______ et C______ se disputer. Elle pleurait et disait qu'elle ne voulait pas. Par la suite, elle lui avait dit avoir couché avec C______. Le lendemain, elle l'avait appelé en "visio", lui disant qu'elle souhaitait porter plainte, qu'elle était consentante avec lui mais pas avec C______. Après en avoir discuté durant trois jours, elle avait décidé de l'impliquer également car elle pensait avoir été droguée. Elle lui avait dit que, pour être sûre que son histoire soit solide, elle allait porter plainte contre lui aussi, sinon les policiers ne la prendraient pas au sérieux. Ensuite, ils avaient coupé les ponts.

Le soir des faits, il avait consommé une quantité "astronomique" d'alcool. A______ l'avait attiré dans les toilettes du bar, où ils s'étaient embrassés et enlacés. Au vu des allers-retours qu'elle avait fait aux toilettes, dans les bars, avec des hommes, il l'avait soupçonnée de s'être droguée volontairement. Sous le choc et alcoolisé, lorsqu'il s'était retrouvé seul dans la voiture avec A______, il n'avait pas réussi à tout lui dire. Aux F______, ils s'étaient embrassés et caressés.

k. A______ a transmis des attestations faisant état de perturbations caractéristiques d'un évènement traumatique, ainsi que de divers symptômes tels que l'anxiété et l'évitement.

l.a. Le 9 mars 2022, le Ministère public a entendu D______ en qualité de personne appelée à donner des renseignements.

Aux F______, A______ et lui étaient dans un état second, ils étaient tombés dans les vestiaires. C______ était le seul à paraitre sobre. À sa connaissance, A______ n'avait pas pris de cocaïne. Lorsqu'il s'était retrouvé seul avec A______, dans la voiture, et qu'elle lui avait dit n'avoir aucun souvenir, il lui avait raconté la soirée, sans oublier aucun détail. Par la suite, C______ et lui avaient échangés sur MESSENGER et par téléphone trois ou quatre fois. Le précité avait essayé de se mettre d'accord avec lui sur la version des faits, soit qu'ils avaient fait un plan à trois et que A______ était d'accord. Il avait vu C______ partir dans son coin avec de la cocaïne, sans l'avoir vu la consommer.

l.b. C______ a contesté avoir pris de la cocaïne. Quelques jours après les faits, D______ l'avait appelé et lui avait dit ne pas se rappeler ce qu'il s'était passé; il lui avait donc rafraîchi la mémoire. Ensuite, ils ne s'étaient plus contactés. Le 23 décembre 2018, avant de rejoindre D______ aux toilettes du bar, A______ s'y était rendue avec deux autres hommes. A______ était tombée dans les escaliers des F______, ce qui aurait pu lui causer ses hématomes. Il ne se souvenait pas que D______ avait été vomir, ni avoir vu A______ pleurer.

l.c. A______ a déclaré ne pas être en mesure de se rappeler si elle avait eu un rapport sexuel avec D______. Elle n'avait jamais souhaité une relation sexuelle à trois.

m. Par arrêt du 6 octobre 2022 (ACPR/692/2022), la Chambre de céans a admis le recours de A______ contre la décision du 28 mars 2022 par laquelle le Ministère public avait refusé d'étendre la procédure à D______. Il existait des soupçons suffisants à l'égard de celui-ci.

n.a. Lors de l'audience du 11 janvier 2023, le Ministère public a avisé D______ de l'ouverture d'une instruction à son encontre, du chef d'acte d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP).

n.b. L'intéressé a confirmé ses précédentes déclarations. Aucun élément ne lui avait laissé penser que A______ avait été droguée, ni qu'elle n'était pas consentante au moment où il avait eu une relation sexuelle avec elle chez C______. Il avait d'ailleurs immédiatement rappelé à A______ qu'ils avaient couché ensemble.

o. Lors de l'audience du 26 janvier 2023, A______ a contesté les déclarations de D______. Il ne lui avait jamais dit qu'ils avaient eu des relations intimes sur le moment. Avant la soirée, elle ne le connaissait pas et il ne l'intéressait pas.

p. Par courrier du 16 mars 2023, D______ a contesté la compétence des autorités de poursuite suisses pour les faits supposément survenus en France.

q. Le 23 mai 2023, C______, sous la plume de son conseil, a conclu à la compétence du Ministère public.

r. Par avis de prochaine clôture, le Ministère public a informé les parties qu'une ordonnance de classement serait rendue.

C______ et D______ ont produit leurs prétentions en indemnisation; A______ s'est opposée au classement.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public distingue deux complexes de fait.

Les faits aux F______

Il ne pouvait pas être établi que A______ était incapable de discernement ou de résistance à ce moment. À supposer que tel fût le cas, rien ne permettait de conclure que D______ et C______ avaient pu déceler l'état dans lequel elle se trouvait et qu'ils l'auraient exploité pour lui imposer des actes d'ordre sexuel. Au sujet du consentement de l'intéressée, les déclarations des trois protagonistes étaient contradictoires. Celles des prévenus étaient toutefois corroborées par L______, selon qui A______, fortement alcoolisée, ne semblait pas avoir été forcée à les embrasser.

Les faits au domicile de C______

Sans égard à la qualification juridique, les faits s'étaient déroulés en France, à G______. Il existait ainsi un empêchement de procéder, faute de compétence territoriale des autorités suisses. Ces actes ne pouvaient pas être considérés comme une seule et même action avec ceux qui s'étaient déroulés aux F______. À leur sortie de l'établissement, A______, D______ et C______ avaient discuté de la suite de leur journée, pris la décision de prendre la voiture et de se rendre chez ce dernier. Aucun n'avait déclaré que le but était de continuer à l'appartement ce qui avait été commencé aux F______. C'était après avoir mangé et bu à nouveau que les actes sexuels avaient repris. Ces faits étaient ainsi distincts des précédents et ne pouvaient dès lors pas être rattachés à la compétence territoriale suisse.

D. a. Dans son recours, A______ soutient que des actes d'ordre sexuel avaient eu lieu aux F______. En revanche, il était établi qu'elle y était fortement alcoolisée, ce que D______ et C______ avaient notamment admis. Ils n'ignoraient donc pas l'état "second" dans lequel elle se trouvait et avaient exploité cette faiblesse, à tout le moins par dol éventuel, à des fins sexuelles. Les actes subis au domicile de C______ entraient dans une unité naturelle d'action avec ceux des F______, les deux complexes de fait étant temporellement proches. Il y avait également une gradation dans les actes. Par ailleurs, il serait illogique de scinder les deux épisodes car les autorités suisses, respectivement françaises, seraient amenées à juger un état de fait incomplet. Les principes de la célérité et d'économie de la procédure imposaient également que l'affaire soit intégralement entreprise par la Suisse, où la cause était en état d'être jugée. Enfin, la bonne foi obligeait à la même conclusion, dès lors que le Ministère public et la Chambre de céans avait implicitement validé la compétence des autorités pénales suisses durant quatre ans.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante s'oppose au classement de la procédure.

2.1. Aux termes de l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public classe la procédure lorsqu’aucun soupçon justifiant une mise en accusation n’est établi (let. a) ou que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).

Cette disposition s’interprète à la lumière du principe "in dubio pro duriore", selon lequel un classement ne peut être prononcé que quand il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables. Ainsi, la procédure doit se poursuivre quand une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou que les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'infractions graves. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, à ce sujet, d'un certain pouvoir d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 du 10 juin 2021 consid. 2.1).

Dans les procédures où l'accusation repose essentiellement sur les déclarations de la victime, auxquelles s'opposent celles du prévenu, le principe précité impose, en règle générale, que ce dernier soit mis en accusation. Cela vaut en particulier lorsqu'il s'agit de délits commis "entre quatre yeux" pour lesquels il n'existe souvent aucune preuve objective. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation, mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1.2). L'autorité de recours ne saurait ainsi confirmer un classement au seul motif qu'une condamnation n'apparaît pas plus probable qu'un acquittement (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1381/2021 du 24 janvier 2022 consid. 2; 6B_258/2021 du 12 juillet 2021 consid. 2.2). Il peut néanmoins être renoncé à une mise en accusation si la victime fait des dépositions contradictoires, rendant ses accusations moins crédibles, lorsqu'une condamnation apparaît, au vu de l'ensemble des circonstances, a priori improbable pour d'autres motifs, ou lorsqu'il n'est pas possible d'apprécier l'une ou l'autre des versions opposées des parties comme étant plus ou moins plausible et qu'aucun résultat n'est à escompter d'autres moyens de preuve (arrêt du Tribunal fédéral 6B_957/2021 du 24 mars 2022 consid. 2.3).

2.2. L'art. 319 al. 1 let. d CPP prévoit également que le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure lorsqu'il est établi que certaines conditions à l'ouverture de l'action pénale ne peuvent pas être remplies ou que des empêchements de procéder sont apparus.

L'absence de for en Suisse est un empêchement de procéder (arrêt du Tribunal fédéral 6B_266/2020 du 27 mai 2020 consid. 2 s.).

2.3. Aux termes de l'art. 3 al. 1 CP, le Code pénal suisse est applicable à quiconque commet un crime ou un délit en Suisse. Cette disposition reprend le principe de base applicable en droit pénal international qui est celui de la territorialité, en vertu duquel les auteurs d'infractions sont soumis à la juridiction du pays où elles ont été commises (ATF 121 IV 145 consid. 2b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 6B_21/2009 du 19 mai 2009 consid. 1.1).

Un crime ou un délit est réputé commis tant au lieu où l'auteur a agi ou aurait dû agir qu'au lieu où le résultat s'est produit (art. 8 al. 1 CP).

Le lieu où l'auteur a agi ou aurait dû agir est le lieu où il a réalisé l'un des éléments constitutifs de l'infraction. Il suffit qu'il réalise une partie – voire un seul – des actes constitutifs sur le territoire suisse ; le lieu où il décide de commettre l'infraction ou le lieu où il réalise les actes préparatoires (non punissables) ne sont toutefois pas pertinents (ATF 144 IV 265 consid. 2.7.2).

2.4. L'art. 191 CP prévoit que celui qui, sachant qu'une personne est incapable de discernement ou de résistance, en aura profité pour commettre sur elle l'acte sexuel, un acte analogue ou un autre acte d'ordre sexuel, sera puni d'une peine privative de liberté de dix ans au plus ou d'une peine pécuniaire.

2.4.1. Cette disposition protège, indépendamment de leur âge et de leur sexe, les personnes incapables de discernement ou de résistance dont l'auteur, en connaissance de cause, entend profiter pour commettre avec elles un acte d'ordre sexuel (ATF 120 IV 194 consid. 2a; arrêt du Tribunal fédéral 6B_10/2014 du 1er mai 2014 consid. 4.1.1).

Son but est de protéger les personnes qui ne sont pas en état d'exprimer ou de manifester physiquement leur opposition à l'acte sexuel. À la différence du viol (art. 190 CP), la victime est incapable de discernement ou de résistance, non en raison d'une contrainte exercée par l'auteur, mais pour d'autres causes. L'art. 191 CP vise une incapacité de discernement totale, qui peut se concrétiser par l'impossibilité pour la victime de se déterminer en raison d'une incapacité psychique, durable (p. ex. maladie mentale) ou passagère (p. ex. perte de connaissance, alcoolisation importante, etc.), ou encore par une incapacité de résistance parce que, entravée dans l'exercice de ses sens, elle n'est pas en mesure de percevoir l'acte qui lui est imposé avant qu'il ne soit accompli et, partant, de porter jugement sur celui-ci et, cas échéant, le refuser (ATF 133 IV 49 consid. 7.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_10/2014 du 1er mai 2014 consid. 4.1.1).

Une incapacité de résistance peut être retenue lorsqu'une personne, sous l'effet de l'alcool et de fatigue ne peut pas ou que faiblement s'opposer aux actes entrepris (cf. arrêts du Tribunal fédéral 6B_238/2019 du 16 avril 2019 consid. 2.1; 6B_232/2016 du 21 décembre 2016 consid. 2.2; 6B_128/2012 du 21 juin 2012 consid. 1.4). L'infraction n'est en revanche pas réalisée si c'est la victime qui a pris l'initiative des actes sexuels ou qu'elle y a librement consenti (arrêt du Tribunal fédéral 6B_762/2018 du 14 décembre 2018 consid. 2.2).

2.4.2. Sur le plan subjectif, l'art. 191 CP est une infraction intentionnelle. Il appartient au juge d'examiner avec soin si l'auteur avait vraiment conscience de l'état d'incapacité de la victime. Le dol éventuel suffit (arrêt du Tribunal fédéral 6B_762/2018 précité, consid. 2.2). Il n'y a pas d'infraction si l'auteur est convaincu, à tort, que la personne est capable de discernement ou de résistance au moment de l'acte (arrêts du Tribunal fédéral 6B_578/2018 du 20 mars 2019 consid. 2.1 ; 6B_996/2017 du 7 mars 2018 consid. 1.1; 6B_60/2015 du 25 janvier 2016 consid. 1.2.1).

2.5. En l'espèce, il convient, à l'instar du Ministère public, d'examiner de manière distincte les deux complexes de fait dénoncés, à commencer par ceux survenus aux F______.

Il n'est pas contesté que les prévenus et la plaignante se sont rendus en ce lieu après une soirée durant laquelle ils ont tous admis avoir consommé de l'alcool. Leurs versions divergent sur l'état d'ébriété de la recourante. Pour D______, elle était "complètement éméchée"; tandis que pour C______, elle était "consciente". Les témoins entendus ayant vu le trio en amont ne s'accordent pas non plus sur le degré d'ébriété de la plaignante mais semblent en tous cas admettre qu'elle était déjà sous l'emprise "de quelque chose". Quant à la première intéressée, elle ne se souvient presque pas des événements survenus aux F______.

Selon le témoignage de L______, qui a assisté en grande partie à la scène puisqu'elle surveillait les prévenus et la recourante en raison de leur comportement "déplacé", cette dernière semblait être sous l'emprise d'alcool ou de drogues. Le témoin a toutefois déclaré avoir vu la plaignante embrasser tour à tour les deux prévenus, sans y être visiblement forcée d'une quelconque manière et que si elle avait eu un doute à cet égard, elle aurait appelé la police. De leur côté, les prévenus ont tous les deux affirmé que la plaignante avait initié des jeux intimes.

Dans ces circonstances, le seul élément objectif à la procédure permet d'établir que la plaignante était alcoolisée mais non qu'en raison de cet état, elle avait perdu la faculté de se déterminé ou de résister. Rien ne permet non plus de retenir qu'elle aurait été droguée à son insu, en particulier pas les résultats des analyses du CURML. Il n'est ainsi pas possible de considérer que l'intéressée n'était pas consentante à ce moment, ni que les prévenus auraient – volontairement – passé ou ses faiblesses pour lui faire subir des actes d'ordre sexuel non consentis.

Il s'ensuit qu'à défaut de soupçon de la réalisation des éléments constitutifs de l'infraction visée, le Ministère public pouvait classer ces faits.

2.6. À la sortie des F______, les deux prévenus et la recourante, tous ressortissants français, se sont rendus au domicile de C______, à G______, en France.

Dans les souvenirs de la plaignante, elle s'y voit manger de la pizza, regarder la télévision et fumer la chicha. Les deux prévenus ont ajouté qu'ils avaient, en outre, continué à boire de l'alcool. Selon les explications de C______, le choix de se rendre à son domicile découlait d'une simple élimination des options à disposition, ce qu'aucune des autres parties ne conteste.

Ces éléments ne laissent pas à penser que ce déplacement chez lui était prémédité.

Par ailleurs, même si elle ne se souvient que de "flash", la recourante ne semble pas remettre en cause s'être volontairement rendue chez C______ après les F______ et il ne ressort pas de ses explications que les actes d'ordre sexuel auraient continué durant le trajet ni à l'arrivée dans l'appartement. Au contraire, dans un premier temps, le groupe s'est visiblement consacré à des activités autres que sexuelles.

Si, comme l'allègue la recourante, les prévenus avaient profité de son état pour lui faire subir des relations sexuelles, cela découlerait d'une résolution distincte de celle ayant conduit aux actes survenus plus tôt dans la journée.

Ce constat est d'ailleurs renforcé par le fait – non contesté – que le groupe a été expulsé des F______. Cette éventualité n'étant pas prévisible, les prévenus n'auraient pas pu anticiper la suite des événements les ayant conduits à se retrouver chez l'un d'eux avec la recourante.

L'épisode de G______ [France] est donc distinct de celui ayant précédé aux F______, de sorte que l'argumentation de la recourante sur l'unité naturelle d'action entre les deux tombe à faux. Ledit épisode concernerait ainsi trois personnes de nationalité française, pour des actes survenus en France. En cela, aucun rattachement ne permet de fonder la compétence des autorités pénales suisses.

L'une des conditions d'exercice de l'action publique fait ainsi défaut, ce qui doit être examiné d'office et à tous les stades de la procédure (ACPR/93/2024 du 9 février 2024 consid. 3.1). Par ailleurs, si les autorités françaises devaient être saisies de la cause, l'entraide pourrait leur permettre d'obtenir les actes d'instruction déjà effectués en Suisse.

Il s'ensuit que, pour ce complexe de faits également, le classement était fondé.

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère mal fondé, pouvait être d'emblée traité sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

4.             La recourante, au bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite, sera exonérée des frais de la procédure de recours (art. 136 al. 2 let. b CPP).

5.             La procédure étant close (art. 135 al. 2 CPP), il convient de fixer l'indemnisation du conseil juridique gratuit en deuxième instance.

5.1. À teneur de l'art. 135 al. 1 CPP, applicable par le renvoi de l'art. 138 CPP, le conseil juridique gratuit est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. À Genève, le tarif est édicté à l'art. 16 RAJ (E 2 05 04); il prévoit une indemnisation sur la base d'un tarif horaire de CHF 200.- pour un chef d'étude (art. 16 al. 1 let. c RAJ). Seules les heures nécessaires sont retenues; elles sont appréciées en fonction, notamment, de la nature, de l'importance, et des difficultés de la cause, de la valeur litigieuse, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu (art. 16 al. 2 RAJ).

5.2. En l'occurrence, le conseil de la recourante n'a pas chiffré ni justifié son activité. Eu égard au travail accompli, soit un recours de neuf pages (pages de garde et conclusions comprises), ainsi que de la pertinence des arguments développés compte tenu de l'issue du recours, un montant de CHF 753.90 lui sera alloué, correspondant à 3h30 d'activité au tarif horaire de CHF 200.-, TVA à 7.7 % incluse (taux applicable jusqu'au 31 décembre 2023).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à Me B______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 753.90, TVA (7.7%) incluse.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, ainsi qu'au Ministère public.

Le communique, pour information, à D______ et à C______, soit pour eux leurs conseils respectifs.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).