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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/18824/2020

ACPR/194/2024 du 14.03.2024 sur ONMMP/4923/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ESCROQUERIE;FAUX MATÉRIEL DANS LES TITRES;PRESCRIPTION;COMPÉTENCE RATIONE LOCI
Normes : CPP.310; CP.251; CP.146; CP.98; CP.97; CP.8; CP.3

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/18824/2020 ACPR/194/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 14 mars 2024

 

Entre

A______, domiciliée ______ [GE], représentée par Me Hervé CRAUSAZ, avocat, Chabrier Avocats SA, rue du Rhône 40, case postale 1363, 1211 Genève 1,

recourante,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 8 décembre 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 20 décembre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 8 décembre 2023, notifiée le 11 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte.

La recourante conclut à l'annulation de l'ordonnance querellée, sous suite de dépens.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par courrier du 7 octobre 2020, A______, née le ______ 1964, de nationalités suisse et roumaine, domiciliée à Genève, a déposé plainte contre sa mère, B______, née le ______ 1937, des chefs d'escroquerie (art. 146 CP), faux dans les titres (art. 251 CP) et obtention frauduleuse d'une constatation fausse (art. 253 CP), lui reprochant de s'être appropriée les actions [de la société] "C______" (ci-après, fonds C______) lui appartenant et de les avoir vendues pour près de CHF 3'056'652.

En substance, à la suite de l'instauration du régime communiste en Roumanie, en 1945, sa famille paternelle avait été dépossédée de ses propriétés, parmi lesquelles figurait un immeuble – aujourd'hui démoli – situé rue 1______ no. ______, à D______ [Roumanie]. C'était d'ailleurs dans ce contexte politique que sa famille avait décidé d'émigrer en Suisse. En 2005, un fonds d'investissement nommé "C______" avait toutefois été créé par le gouvernement roumain, dans le but d'indemniser les anciens propriétaires, en leur octroyant – lorsqu'une restitution en nature n'était pas possible –, des actions dudit fonds, correspondant à la valeur du ou des biens dont ils avaient été spoliés. Depuis le décès de son père, en 1992, son demi-frère et elle-même étaient seuls titulaires de cette créance en indemnisation contre l'État roumain, puisque ses parents avaient divorcé en 1990.

Elle avait progressivement découvert les manœuvres de sa mère. En avril 2015, ses avocats roumains lui avaient en effet transmis :

-          la copie d'une procuration, non datée, portant prétendument sa propre signature manuscrite – présentant des différences avec celle figurant sur son passeport suisse (délivré en 2003) –, conférant [faussement] à sa mère le pouvoir de réclamer en son nom (à elle) une indemnisation pour l'expropriation de l'immeuble précité ; et de vendre, en son nom et pour son compte, "les actions obtenues chez C______". La signature apposée sur ce document avait été légalisée par Me E______, notaire à Genève, le 13 février 2006 ; et

-          la copie d'une attestation du 1er avril 2008, destinée "aux autorités compétentes" et portant prétendument sa propre signature manuscrite – qui avait été légalisée par le même notaire le 3 suivant –, selon laquelle elle aurait [prétendument] confirmé n'avoir encore reçu aucune "compensation [financière] pour l'immeuble situé à D______".

En 2020, dans le cadre d'un litige successoral l'ayant opposée à son demi-frère, ce dernier avait affirmé qu'elle avait obtenu une indemnisation de EUR 3'000'000.- pour l'expropriation de l'immeuble situé rue 1______ à D______. À la suite de quoi, elle avait contacté le "G______" (ci-après, le dépositaire central) – organisme roumain chargé d'assurer les transactions liées au fonds C______ – lequel lui avait transmis, par courrier du 6 février 2020, une copie de "l'historique de son compte" auprès de cette institution. Ainsi, elle avait découvert que, le 18 décembre 2008, 13'808'224 actions avaient été versées par le Ministère roumain de l'économie sur son propre compte auprès du dépositaire central, avant d'être transférées sur celui d'un tiers, F______, le 4 juin 2009.

Par pli recommandé du 27 mai 2020 – retiré à la poste le 8 juillet suivant –, le dépositaire central lui avait encore transmis la copie d'une procuration datée du 2 juin 2009 portant prétendument sa propre signature manuscrite, légalisée le même jour par Me E______, qui confirmait sa conformité à celle figurant sur son propre passeport suisse produit lors de l'entretien en question ; ainsi qu'un "acte de cession entre vifs" daté du 4 juin suivant, sur lequel figuraient la signature de sa mère – agissant comme sa représentante – et celle de F______, lesquels avaient tous deux communiqué une adresse de domicile en Roumanie. Selon le premier de ces documents, elle aurait autorisé sa mère à effectuer "toutes les formalités nécessaires pour la cession totale ou partielle des 13'808'224 actions détenues à C______ SA […]". Au terme du second, elle aurait, en qualité de cédante – représentée par sa mère – remis au prénommé, en qualité de cessionnaire, l'intégralité desdites actions. Elle n'avait pourtant jamais établi ni signé de procuration en faveur de sa mère, étant précisé que la signature y apposée était si dissemblable de la sienne qu'il semblait douteux qu'une quelconque vérification ait été entreprise.

b. Entendue le 20 juillet 2021 par la police en qualité de prévenue, B______ a contesté les faits qui lui étaient reprochés.

Elle ignorait tout de l'existence de l'immeuble litigieux, précisant avoir uniquement initié une procédure contre l'État roumain, en 1992, aux fins de permettre à sa fille de récupérer une maison ayant appartenu au père de celle-ci.

Elle avait, par le passé, recouru à une ou deux reprises aux services de Me E______, mais jamais dans le cadre de l'acquisition ou de l'héritage d'un bien immobilier.

Pour le surplus, elle n'avait jamais falsifié de document, ni n'avait imité la signature de sa fille. Enfin, elle contestait avoir perçu une quelconque somme d'argent, à la suite de la vente d'actions appartenant à celle-ci, précisant ne pas connaître F______.

c. Entendu le 20 septembre 2022 par la police, Me E______ a confirmé avoir légalisé la signature de A______ sur les documents litigieux, précisant ne pas se souvenir des circonstances de ces légalisations, au vu du temps écoulé depuis les faits.

En parcourant ses archives, il avait retrouvé une lettre envoyée le 31 mars 2015 à la plaignante, dans laquelle il confirmait avoir légalisé sa signature sur un contrat de mandat daté du 10 décembre 2007, conférant à B______ le pouvoir d'effectuer des démarches en vue de la restitution d'une "parcelle". Il avait également retrouvé un courrier daté du 21 avril 2015, duquel il ressortait qu'il avait légalisé la signature de la plaignante sur sept documents entre les 13 février 2006 et 3 avril 2008. Ses recherches lui avaient également permis de retrouver deux quittances datées respectivement des 14 février 2006 et 29 mai 2009. La première, d'un montant de CHF 20.- – portant l'inscription manuscrite "une apostille" – était libellée au nom de "Mme B______". La seconde, d'un montant de CHF 60.-, qui se référait à deux légalisations, était établie au nom de "Mme B______". Il n'était toutefois pas en mesure de donner plus d'informations.

Il précisait que ses clients devaient toujours se légitimer au moyen d'une pièce d'identité lors de la légalisation d'une signature. Celle figurant au pied du document concerné était examinée, étant précisé qu'elle différait parfois de celle apposée sur le document d'identité présenté, ce qui n'était pas problématique, puisqu'une signature pouvait changer avec les années.

À l'issue de son audition, le notaire a produit les pièces évoquées.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public considère que les éléments du dossier n'étaient pas suffisants pour retenir une prévention pénale à l'encontre de B______ et qu'aucun acte d'enquête ne semblait "envisageable".

Pour le surplus, les faits potentiellement constitutifs d'infractions aux art. 251 et 253 CP, survenus les 13 février 2006 et 3 avril 2008, étaient prescrits (art. 97 al. 1 let. b CP). Quant à ceux susceptibles d'être qualifiés d'escroquerie (art. 146 CP), ils s'étaient déroulés en Roumanie, de sorte que la compétence ratione loci des autorités pénales suisses faisait défaut.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, il était décidé de ne pas entrer en matière sur la plainte (art. 310 al. 1 let. a et b CPP).

D. a. Dans son recours, A______ invoque une violation des art. 3 et 8 CP, de l'art. 310 CPP, du principe "in dubio pro duriore" et de la maxime de l'instruction (art. 6 CPP).

Le Ministère public s'était contenté de retenir les versions contradictoires de la mise en cause et de Me E______, sans chercher à clarifier la situation juridique et sans lui soumettre lesdites déclarations, l'empêchant ainsi de proposer des actes d'instruction.

Les documents légalisés devant notaire les 13 février 2006, 10 décembre 2007, 3 avril 2008 et 2 juin 2009 constituaient des titres, puisqu'ils étaient propres à prouver – faussement – l'existence d'un rapport de représentation entre elle et sa mère. Par ailleurs, il s'agissait de faux matériels, puisque la signature apposée sur ces actes n'était pas de sa main. Il était donc évident que sa signature avait été falsifiée, ce qu'une comparaison avec celle figurant sur son passeport suisse établissait immédiatement.

De plus, les deux quittances délivrées par le notaire ayant procédé à la légalisation des documents litigieux étaient libellées au nom de "Mme B______" et de "Mme B______", ce qui démontrait que sa mère était bel et bien l'auteure des faux dénoncés. À cela s'ajoutait que la signature de cette dernière figurait sur l'acte de cession d'actions du 4 juin 2009, à côté de celle de F______.

Un faisceau d'indices suffisants convergeait ainsi vers la mise en cause, de sorte que le Ministère public se devait d'instruire, en particulier d'ordonner une expertise graphologique.

Pour le surplus, l'ensemble des faits constitutifs de faux dans les titres n'étaient pas prescrits. En effet, sa mère avait falsifié des documents dans le but de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, en induisant en erreur, de manière astucieuse, le dépositaire central roumain. Sans ces faux documents, l'intéressée ne se serait pas vu remettre des actions, respectivement n'aurait pas pu les céder à un tiers. Ainsi, les faux dénoncés, qui procédaient d'une décision unique, étaient "étroitement liés dans le temps et l'espace avec l'infraction d'escroquerie". L'ensemble des actes imputés à sa mère s'inscrivaient donc dans une unité naturelle d'actions. Dans ces circonstances, le délai de prescription, qui avait commencé à courir le 5 juin 2009 – soit "le lendemain de la commission de l'infraction d'escroquerie" –, arrivait à échéance le 5 juin 2024.

Enfin, contrairement à ce qu'avait retenu le Ministère public, les autorités pénales helvétiques étaient compétentes pour poursuivre l'infraction prévue à l'art. 146 CP. En effet, la mise en cause avait envoyé, depuis la Suisse, de faux documents au dépositaire central roumain, aux fins d'induire celui-ci en erreur et de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime. Les faux documents avaient par ailleurs été établis puis légalisés à Genève. À cela s'ajoutait que le résultat de l'infraction, à savoir son appauvrissement, s'était produit en Suisse, puisqu'elle y était domiciliée.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             La recourante ne revient pas sur la prévention d'obtention frauduleuse d'une constatation fausse, évoquée dans sa plainte, dès lors qu'elle ne développe aucun grief en lien avec cette infraction. Ce point n'apparaissant plus litigieux, il ne sera pas examiné plus avant dans le présent arrêt (art. 385 al. 1 let. a CPP).

4.             Sans formuler de grief clair, la recourante semble se plaindre de ne pas avoir pu s'exprimer sur les déclarations à la police de B______ et de Me E______, ni proposer des moyens de preuves complémentaires, avant que l'ordonnance querellée ne soit rendue.

Or, selon une jurisprudence ancienne et éprouvée, avant de rendre une ordonnance de non-entrée en matière, le ministère public n'a pas à en informer les parties et il n'a pas à leur donner la possibilité d'exercer leur droit d'être entendu, lequel sera assuré, le cas échéant, dans le cadre de la procédure de recours (arrêt du Tribunal fédéral 6B_138/2021 du 23 septembre 2021 consid. 3.1).

Aussi, le Ministère public ne devait pas donner la possibilité à la recourante de s'exprimer sur les déclarations des personnes précitées, ni lui octroyer un délai pour déposer des réquisitions de preuves.

Pour le surplus, la recourante a pu faire valoir devant la Chambre de céans les arguments qu'elle estimait pertinents, de sorte que son droit d'être entendue a été pleinement respecté.

5.             La recourante considère que la prescription de l'action pénale pour l'ensemble des faits potentiellement constitutifs de faux dans les titres ne serait pas acquise.

5.1.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Au moment de statuer sur l'ouverture éventuelle de l'instruction, le ministère public doit examiner si les conditions d'exercice de l'action publique sont réunies, c'est-à-dire si les faits qui sont portés à sa connaissance sont constitutifs d'une infraction pénale et si la poursuite est recevable. Il suffit que l'un des éléments constitutifs de l'infraction ne soit manifestement pas réalisé pour que la non-entrée en matière se justifie (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310).

Des motifs de fait peuvent également justifier la non-entrée en matière. Il s'agit des cas où la preuve d'une infraction, soit de la réalisation en fait de ses éléments constitutifs, n'est pas apportée par les pièces dont dispose le ministère public. Il faut que l'insuffisance de charges soit manifeste. De plus, le ministère public doit examiner si une enquête, sous une forme ou sous une autre, serait en mesure d'apporter des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée. Ce n'est que si aucun acte d'enquête ne paraît pouvoir amener des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée que le ministère public peut rendre une ordonnance de non-entrée en matière. En cas de doute sur la possibilité d'apporter ultérieurement la preuve des faits en question, la non-entrée en matière est exclue (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op.cit., n. 9 ad art. 310).

5.1.2. Une ordonnance de non-entrée en matière doit également être rendue lorsqu'il existe des empêchements de procéder (art. 310 al. 1 let. b CPP), par exemple lorsque l'action publique est prescrite (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, CPP, Code de procédure pénale, Bâle 2016, 2ème éd., n. 13 ad art. 310).

5.1.3. Conformément à l'art. 98 CP, la prescription court dès le jour où l'auteur a exercé son activité coupable (let. a), dès le jour du dernier acte si cette activité s'est exercée à plusieurs reprises (let. b) ou dès le jour où les agissements coupables ont cessé s'ils ont eu une certaine durée (let. c).

La jurisprudence au sujet de cette disposition a évolué au fil du temps, le Tribunal fédéral abandonnant la notion de délit successif au profit de celle d'unité du point de vue de la prescription, puis de la figure de l'unité juridique ou naturelle d'actions (ATF 131 IV 83 consid. 2.4.3 à 2.4.5).

L'unité juridique d'actions existe lorsque le comportement défini par la norme présuppose, par définition, la commission d'actes séparés, tel le brigandage (art. 140 CP) mais aussi lorsque la norme définit un comportement durable se composant de plusieurs actes, par exemple les délits de gestion fautive (art. 165 CP), ou de services de renseignements politiques ou économiques (art. 272 et 273 CP; ATF 132 IV 49 consid. 3.1.1.3 p. 54; 131 IV 83 consid. 2.4.5 p. 93 s.).

L'unité naturelle d'actions existe, quant à elle, lorsque des actes séparés procèdent d'une décision unique et apparaissent objectivement comme des événements formant un ensemble en raison de leur relation étroite dans le temps et dans l'espace. Elle vise ainsi la commission répétée d'infractions – par exemple, une volée de coups – ou la commission d'une infraction par étapes successives – par exemple, le sprayage d'un mur avec des graffitis pendant plusieurs nuits successives – une unité naturelle étant cependant exclue si un laps de temps assez long s'est écoulé entre les différents actes, quand bien même ceux-ci seraient liés entre eux. Cette notion doit être interprétée restrictivement, pour éviter de réintroduire sous une autre forme la figure du délit successif ou celle d'unité du point de vue de la prescription. Elle ne sera donc admise qu'à la double condition que les faits punissables procèdent d'une décision unique et se traduisent, dans le temps et dans l'espace, par des actes suffisamment rapprochés pour former un tout (ATF 132 IV 49 consid. 3.1.1-3.1.2.2; ATF 131 IV 83 consid. 2.1.2-2.4.5; 119 IV 216 consid. 2f; 118 IV 91 consid. 4a; 111 IV 144 consid. 3b ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_310/2014 du 23 novembre 2015 consid. 4.2 in SJ 2016 I 414 et 6S_397/2005 du 15 novembre 2005 consid. 2.3.2). La durée sur laquelle s'étendent les actes punissables doit en règle générale être relativement limitée (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2ème éd., Bâle 2017, n. 7 ad art. 98).

5.1.4. Si ces conditions ne sont pas réunies, le délai de prescription – en l'occurrence quinze ans pour l'infraction prévue à l'art 251 CP (art. 97 al. 1 let. b CP) – doit être calculé pour chaque infraction de manière séparée (arrêt du Tribunal fédéral 6S.187/2004 du 18 février 2005 consid. 4.2.5).

5.2.  En l'espèce, la recourante accuse la mise en cause d'avoir, entre février 2006 et juin 2009, rédigé et imité sa signature sur plusieurs documents destinés au dépositaire central roumain, dans le but d'obtenir des actions lui appartenant, puis de les avoir cédées à un tiers le 4 juin 2009 et de s'être appropriée le produit de cette vente.

S'il existe une analogie certaine entre les différents actes dénoncés, on ne saurait toutefois concevoir une unité d'action entre eux, puisqu'ils relèvent de décisions indépendantes, espacées dans le temps de plusieurs mois, voire années (13 février 2006, 10 décembre 2007, 3 avril 2008 et 2 juin 2009). Il s’agit donc d'agissements séparés et ponctuels, qui donnent chacun lieu à un délai de quinze ans distinct.

Aussi, la prescription pour l'ensemble desdits actes n'a nullement commencé à courir le 5 juin 2009 – soit le jour suivant celui où la mise en cause aurait prétendument commis une escroquerie –, étant précisé à cet égard, qu'on ne saurait retenir, comme le fait la recourante, une unité d'action entre deux infractions distinctes (faux dans les titres et escroquerie).

Il s'ensuit que tous les agissements prétendument constitutifs de faux dans les titres commis entre 2006 et 2008 sont prescrits (art. 98 let. a CP). Il existe donc un empêchement de procéder, au sens de l'art. 310 al. 1 let. b CPP, qui justifiait de ne pas entrer en matière sur ces faits.

6.             La recourante considère qu'il existe une prévention suffisante, contre B______, d'infraction à l'art. 251 CP, en lien avec les faits survenus le 2 juin 2009.

6.1.  L'art. 251 CP réprime d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire quiconque, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d’autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, crée un titre faux, falsifie un titre, abuse de la signature ou de la marque à la main réelle d’autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constate ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique, ou, pour tromper autrui, fait usage d’un tel titre.

Cette disposition vise tant le faux matériel, qui consiste dans la fabrication d'un titre faux ou la falsification d'un titre, que le faux intellectuel, qui consiste dans la constatation d'un fait inexact, en ce sens que la déclaration contenue dans le titre ne correspond pas à la réalité.

6.2.  En l'espèce, la recourante affirme que la signature figurant au pied de la procuration, datée et légalisée le 2 juin 2009, n'est pas de sa main. Elle soupçonne la mise en cause d'avoir établi ce document – sur lequel elle aurait imité sa signature – pour céder les actions lui appartenant, ce que cette dernière conteste fermement.

En l'état, force est de constater que les éléments au dossier ne sont pas suffisants pour douter de l'authenticité de la procuration litigieuse.

Il apparaît tout d'abord que la signature y apposée a été légalisée par Me E______, notaire à Genève, lequel a confirmé par écrit qu'elle était conforme à celle figurant sur le document d'identité – au nom de la recourante – qui lui avait été présenté. Il a, pour le surplus, expliqué, lors de son audition à la police, ne pas se souvenir des circonstances de cette légalisation, au vu du temps écoulé depuis les faits. Sur cette base, on ne saurait soupçonner la mise en cause de s'être faussement fait passer pour sa fille lors de l'entretien en question, ce qui paraît au demeurant peu vraisemblable, au vu de leur différence d'âge.

Le fait que la signature apposée sur la procuration litigieuse et celle présente sur le passeport de la recourante présentent des différences ne suffirait pas à retenir, à lui seul, l'existence de l'infraction de faux dans les titres reprochée à la mise en cause. Sur ce point, Me E______ a d'ailleurs expliqué qu'il arrivait que la signature figurant au pied d'un acte à légaliser différât de celle apposée sur le document d'identité produit, ce qui n'était pas insolite, dans la mesure où une signature pouvait changer avec les années. Il n'est donc pas impossible que celle de la recourante ait varié avec le temps, étant précisé que six années se sont écoulées entre la délivrance de son passeport et la signature de l'acte litigieux.

La seule proximité temporelle avec laquelle ont été établies la quittance du 29 mai 2009 – à l'en-tête de l'Étude de Me E______ et libellée au nom de la mise en cause –, respectivement la procuration litigieuse, est également insuffisante. En effet, il n'est pas démontré que le premier de ces documents concernerait le second, étant précisé que la mise en cause a déclaré devant la police avoir recouru à une ou deux reprises aux services du notaire susnommé. Par ailleurs, la quittance a été délivrée à une date antérieure à celle de l'authentification de la signature figurant sur la pièce arguée de faux et se réfère à "deux légalisations", alors qu'il est question d'une seule le jour des faits litigieux.

Partant, au vu de l'ensemble de ces éléments, la prévention pénale de faux dans les titres est insuffisante pour ouvrir une instruction. C'est donc à bon droit que le Ministère public n'est pas entré en matière sur cette infraction et aucun acte d'enquête ne paraît être à même de modifier ce constat. En particulier, une expertise graphologique portant sur la signature apposée sur l'acte litigieux ne serait notamment pas de nature à modifier les conclusions qui précèdent, étant précisé qu'elle présuppose l'existence de documents originaux (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_634/2014 du 31 août 2015, consid. 6.1.2), lesquels font défaut en l'espèce, et la recourante n'allègue pas qu'elle serait en mesure de produire les originaux.

7.             La recourante considère enfin que la compétence des autorités de poursuite pénale genevoises est donnée pour l'infraction d'escroquerie.

7.1.   Si l'une des conditions d'exercice de l'action publique fait défaut – ce qui doit être examiné d'office et à tous les stades de la procédure –, la poursuite pénale ne peut être engagée, ou, si elle a été déclenchée, elle doit s'arrêter. L'autorité doit clore le procès par une décision procédurale, notamment une ordonnance de non-entrée en matière ou de classement (art. 310 al. 1 let. b et 319 al. 1 let. d CPP; G. PIQUEREZ / A. MACALUSO, Procédure pénale suisse, 3e édition, 2011, p. 537 n. 1553 et 1555).

L'incompétence à raison du lieu est constitutive d'un empêchement définitif de procéder au sens de l'art. 310 al. 1 let b CPP (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1355/2018 du 29 février 2019 consid. 4.5.1; 6B_127/2013 du 3 septembre 2013 consid. 4; ACPR/488/2014 du 31 octobre 2014 consid. 2.1; cf. toutefois l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_1045/2014 du 19 mai 2015 consid. 4.3, non publié in ATF 141 IV 205, qui y voit une condition à l'ouverture de l'action pénale).

7.2.  Aux termes de l'art. 3 al. 1 CP, le Code pénal suisse est applicable à quiconque commet un crime ou un délit en Suisse. En application de l'art. 8 al. 1 CP, un crime ou un délit est réputé commis tant au lieu où l'auteur a agi ou aurait dû agir qu'au lieu où le résultat s'est produit. Le lieu où l'auteur a agi ou aurait dû agir est le lieu où il a réalisé l'un des éléments constitutifs de l'infraction. Il suffit qu'il réalise une partie - voire un seul - des actes constitutifs sur le territoire suisse; le lieu où il décide de commettre l'infraction ou le lieu où il réalise les actes préparatoires (non punissables) ne sont toutefois pas pertinents (ATF 144 IV 265 consid 2.7.2 p. 275; 141 IV 205 consid. 5.2 p. 209 s.).

7.3.  En matière d'escroquerie (art. 146 CP), le Tribunal fédéral a considéré que cette infraction était un délit matériel à double résultat : le premier était constitué par l'appauvrissement de la victime, le second par l'enrichissement, dont seul le dessein – à l'exclusion de la réalisation – était un élément constitutif de l'infraction. Selon la jurisprudence, il n'y a pas de raison de considérer qu'il y aurait une opposition entre la notion de résultat recherché par l'auteur et celle de résultat au sens de l'art. 7 aCP (équivalant à l'art. 8 CP), cela sous prétexte que le législateur n'a pas fait dépendre formellement la réalisation de l'escroquerie de la réalisation effective de l'enrichissement voulu par l'auteur. Dès lors, le lieu où devait se produire le résultat recherché par l'auteur (où il s'est peut-être, suivant le cas, produit) doit également être considéré comme le lieu du résultat au sens de l'art. 8 CP (ATF 109 IV 1 consid. 3c p. 3 ss).

À côté du lieu d'appauvrissement de la victime ou de celui de l'enrichissement de l'auteur figurent également le lieu de survenance de l'erreur, soit celui où la dupe est amenée à se forger une représentation erronée de la situation de fait (A. DYENS, Territorialité et ubiquité en droit pénal international suisse, Bâle 2014, p. 282), et le lieu où se trouve l'auteur au moment où il réalise la tromperie astucieuse (arrêt du Tribunal fédéral 6B_635/2018 du 24 octobre 2018 consid. 2.1.3).

7.4.   En l'espèce, à la lumière des principes sus-rappelés, on ne discerne pas quel rattachement existerait entre la Suisse, la tromperie dont la recourante soutient avoir été la victime en Roumanie et le dommage qu'elle aurait éprouvé. 

En effet, l'acte de cession portant sur les actions de la recourante a été conclu à D______, le 4 juin 2009. Lesdites actions, qui se trouvaient sur le compte de l'intéressée auprès du dépositaire central roumain, ont été transférées sur celui d'un tiers, domicilié en Roumanie. Ainsi, tant l'appauvrissement de la recourante que l'enrichissement prétendument illégitime sont survenus dans ce pays. Aucun élément au dossier ne permet, au surplus, d'établir que le produit de la vente des actions – dont le montant n'est pas établi – aurait transité sur un compte en Suisse, étant précisé que la mise en cause conteste avoir perçu une quelconque somme d'argent dans ce contexte. Le fait que cette dernière soit domiciliée à Genève ne suffit pas, à lui seul, à créer un for en Suisse.

Il s'ensuit que les autorités judiciaires pénales suisses, respectivement genevoises, ne sont pas compétentes pour poursuivre l'infraction d'escroquerie dénoncée par la recourante, de sorte que le Ministère public était fondé à retenir un empêchement de procéder au sens de l'art. 310 al. 1 let. b CPP.

8.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

9.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/18824/2020

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00