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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/6279/2023

ACPR/31/2024 du 19.01.2024 sur ONMMP/1401/2023 ( MP ) , REJETE

Recours TF déposé le 21.02.2024, rendu le 28.02.2024, IRRECEVABLE, 7B_222/2024
Descripteurs : DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ;USURE(DROIT PÉNAL);INFRACTIONS CONTRE LE PATRIMOINE;PRESCRIPTION
Normes : CPP.310; CP.97; CP.157

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6279/2023 ACPR/31/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 19 janvier 2024

 

Entre

A______, domiciliée c/o Syndicat B______, ______, agissant en personne,

recourante,


contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 5 avril 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 19 avril 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 5 précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte.

La recourante conclut, avec suite de frais, à l'annulation de ladite ordonnance, au renvoi de la cause au Ministère public afin qu'il ouvre une instruction et à l'octroi d'une indemnité de CHF 158'000.-, à titre de tort moral.

b.a. À réception du rapport du rapport du Greffe de l'assistance juridique du 20 juillet 2023, à teneur duquel la recourante était manifestement en déficit chronique, la Direction de la procédure a renoncé à réclamer à l'intéressée des sûretés.

b.b. Après avoir été informée par la Direction de la procédure, par courrier du 24 juillet 2023, qu'il avait été renoncé à lui réclamer les sûretés, A______ les a versées, le 12 décembre 2023, en CHF 800.-.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par courrier du 28 septembre 2022, A______ a déposé plainte contre C______ pour usure et infractions aux dispositions des assurances sociales et de la LPP.

D'origine bolivienne, elle était arrivée en Suisse le 6 août 2003, pour subvenir aux besoins de sa famille, restée dans son pays. Dès le 1er novembre 2003 et jusqu'au 31 août 2005, elle avait travaillé, à plein temps, pour C______ s'occupant des filles et de la maison de cette dernière, moyennant un salaire mensuel de CHF 1'500.‑. Du ler septembre 2005 au 15 juin 2006 et du 23 février 2007 au 31 août 2009, elle avait perçu un salaire de CHF 800.- par mois pour un taux d'activité à mi-temps. Trois fois par année, C______ partait dix jours au Brésil, de sorte que, durant ces 30 jours, elle-même avait travaillé de 7h00 à 21h00 soit 14 heures par jour. Sur le salaire perçu, elle payait son assurance-maladie, son loyer et ses dépenses courantes. Durant toutes ces années, elle n'avait jamais pris de vacances. La susnommée lui devait ainsi un total de 129 jours de vacances. Elle avait en outre effectué 3'319 heures supplémentaires, non payées. C______ ne s'était jamais acquittée des cotisations sociales la concernant. En l'absence de permis de séjour et de travail, elle avait été employée sous la contrainte et le chantage de perdre son emploi. Depuis le début, son employeuse était au courant de sa situation précaire. Se référant au contrat-type de travail de l'économie domestique genevois [CTT-EDOM; RJ 1 50.03], elle estime son préjudice à la somme totale de CHF 158'385.- correspondant aux arriérés de salaire, aux heures supplémentaires et aux vacances non prises. Si la première fois, elle s'était rendue en Suisse de sa propre initiative, elle était ensuite revenue à la demande de C______ qui lui avait promis une augmentation de salaire, ce qui ne s'était jamais produit. Elle avait quitté son travail en 2009, le salaire de CHF 800.- ne lui permettant pas de subvenir aux besoins de sa famille, et avait trouvé un autre emploi en Suisse.

b. Entendue le 7 mars 2023 par la police, C______ a contesté les montants réclamés par A______. Elle a néanmoins reconnu ne pas avoir affilié A______ à une caisse AVS, LPP et LAA, ni déclaré son salaire à l'imposition à la source. A______ n'avait jamais travaillé à plein temps pour elle. Au début, elles avaient convenu d'une activité de quatre ou cinq heures par jour du lundi au vendredi, sauf le mercredi, pour un salaire de CHF 1'500.-, peut-être plus. A______ s'occupait uniquement des tâches ménagères et, lorsque les filles étaient plus jeunes, elle les gardait. Par la suite, ses besoins avaient diminué, de sorte que A______ ne travaillait plus que, plus ou moins, trois heures par jour, pour un salaire mensuel de CHF 1'000.- ou CHF 800.-.

En juin 2006, A______ était retournée dans son pays. En 2007, la prénommée l'avait contactée afin de revenir travailler pour elle, aux mêmes conditions que celles avant son départ. Le salaire, fixe, avait toujours été versé en espèces, à la fin de chaque mois, sans décompte d'heures. Ce n'était qu'exceptionnellement, à deux ou trois reprises maximum, que cette dernière avait effectué des heures supplémentaires, en particulier lorsqu'elle était en déplacement professionnel, et toutes ces heures, ainsi que les vacances, avaient été payées. A______ n'avait jamais travaillé le dimanche, sauf de manière exceptionnelle, peut-être à une reprise, et ce travail avait été payé le double.

Lors de l'engagement de A______, elle savait que celle-ci ne disposait pas de permis de travail et envoyait une partie de son salaire pour subvenir aux besoins de sa famille en Bolivie. Cette dernière ne lui avait cependant jamais parlé de ses conditions de vie en Suisse ni ne s'était plainte de ses conditions de travail. Finalement, comme elle n'avait plus vraiment besoin de A______, cette dernière avait trouvé un autre emploi avec des conditions horaires qui l'arrangeaient mieux. Actuellement, elle avait une employée de maison, avec un permis de travail et qu'elle payait par chèques service.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a considéré que les faits dénoncés susceptibles d'être qualifiés d'infraction aux art. 117 al. 1 LEI, 87 LAVS, 112 LAA, 27 LISP et 76 LPP, avaient pris fin le 31 août 2009. En application de l'art. 97 al. 1 let. d CP, la prescription étant de sept ans, il existait un empêchement de procéder au sens de l'art. 310 al. 1 let. b CPP.

En ce qui concernait l'infraction d'usure, la prescription pénale étant de 15 ans (art. 97 al. 1 let. b CP), les faits s'étant déroulés entre 2003 et 2006 étaient également prescrits (art. 310 al. 1 let. b CPP).

S'agissant de ceux ultérieurs, les déclarations des parties étaient contradictoires, notamment quant au taux d'occupation et au paiement des heures supplémentaires. En outre, aucun élément de preuve objectif ne permettait de retenir les allégations de A______. Dans ces circonstances, il ne saurait être retenu que la rémunération de CHF 800.-, à mi-temps, était en disproportion évidente avec la prestation fournie, de sorte qu'il n'existait pas de prévention pénale suffisante. Par ailleurs, les faits reprochés s'inscrivaient dans le cadre d'un litige de nature purement civile et, conformément à la jurisprudence applicable, lorsque tel était le cas, la non-entrée en matière s'imposait.

D. a. Dans son recours, A______ conteste la prescription des faits pour l'ensemble des infractions dénoncées, en particulier celles reconnues par C______. Son droit humain fondamental avait été bafoué et ce "type de crime" devait être considéré comme imprescriptible.

S'agissant du paiement des heures supplémentaires et des vacances, C______ n'en apportait aucune preuve. Or, si cette dernière les avait payées, à hauteur des montants des barèmes du contrat-type de travail, le retrait de telles sommes apparaitrait sur des décomptes bancaires.

En outre, durant toute la durée des rapports de travail, elle n'avait pas cessé de se plaindre verbalement à C______ que son salaire était trop bas et qu'elle peinait à survivre à Genève avec une telle rémunération. C______ connaissait parfaitement la législation applicable et avait agi en connaissance de cause.

b. Par courrier adressé au Ministère public le 19 juillet 2023, A______ sollicite la "nomination d'office" de MD______ à la défense de ses intérêts.

c. Dans ses observations, le Ministère public conclut, avec suite de frais, au rejet du recours et à la confirmation de son ordonnance.

À la forme, en l'absence de la qualité de lésée de A______, le recours était irrecevable s'agissant d'éventuelles violations aux normes des assurances sociales.

Au fond, s'agissant des faits non prescrits, aucun acte d'instruction ne permettrait de corroborer les allégations de A______, notamment au vu du temps écoulé. En particulier, une audience de confrontation était inutile, dans la mesure où les parties persisteraient assurément dans leurs allégués. Dans ces circonstances, A______ avait échoué à démontrer qu'elle s'était trouvée dans une situation de faiblesse, gêne, dépendance ou inexpérience par rapport à son ancienne employeuse et que celle-ci l'aurait exploitée.

d. Dans sa réplique, A______ conclut à l'admission de son recours, à ce que cette "affaire ne soit pas classée" et à ce que la Chambre de céans se prononce sur l'ensemble de ses prétentions – salaire usuraire, sécurité sociale, heures supplémentaires, vacances non payées, tort moral –.

e. Par courrier du 11 décembre 2023, A______ a informé la Chambre de céans avoir payé, le jour même, les sûretés réclamées en premier lieu de CHF 800.-.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, contre une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).

1.2.  Seule la partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l’annulation d’un prononcé est habilitée à quereller celui-ci (art. 382 al. 1 CPP).

Selon l'art. 118 al. 1 CPP, on entend par partie plaignante (art. 104 al. 1 let. b CPP) le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale. La notion de lésé est définie à l'art. 115 CPP; il s'agit de toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction, c’est-à-dire le titulaire du bien juridique protégé – que cette protection intervienne en première ligne, à titre secondaire ou accessoire – par la disposition pénale qui a été enfreinte. En revanche, celui dont les intérêts sont atteints indirectement par une infraction qui ne lèse que des intérêts publics ne revêt pas le statut de lésé (ATF 147 IV 269 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_669/2021 du 8 mars 2022 consid. 3).

Celui qui prétend disposer de la qualité de partie plaignante doit rendre vraisemblable le préjudice qu'il subit (ATF 141 IV 1 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_18/2018 du 19 avril 2018 consid. 2.1).

1.3.  L'art. 157 CP figure parmi les infractions contre le patrimoine.

L'usure consiste à obtenir ou à se faire promettre, en exploitant la faiblesse de l'autre partie, une contreprestation disproportionnée. Le bien juridique protégé est le patrimoine et c'est sa mise en danger qui est sanctionnée. Une atteinte au patrimoine n'est pas nécessaire. C'est en effet dans la conclusion d'une convention usuraire que consiste l'acte incriminé (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 1 ad art. 157).

1.4. La LEI règle le statut des étrangers en Suisse et tend à promouvoir leur intégration (Message concernant la loi sur les étrangers [ci-après : Message], FF 2002 3531 ad art. 1). L’art. 117 de cette loi, qui sanctionne l’emploi d’étrangers sans autorisation, vise à lutter contre le travail au noir (Message, FF 2002 3519 ad 1.3.11 et 3587 et s. ad art. 112).

1.5. Sous l'angle du bien juridiquement protégé, les normes spéciales du droit des assurances sociales, en particulier les art. 87 LAVS, 76 LPP et 112 LAA, ne tendent pas à protéger le patrimoine de l'assuré, dans la mesure où le travailleur ne subit aucune réduction de prestation en cas de faute commise par son employeur (M. NIGGLI/ H. WIPRÄCHTIGER, Basler Kommentar Strafrecht II : art. 111-392 StGB, 3ème éd. Bâle 2019, n. 19 art. 159; Message concernant la modification du code pénal suisse et du code pénal militaire (Infractions contre le patrimoine et faux dans les titres) du 24 avril 1991, FF II 1023).

1.6. Le bien juridique protégé par la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct et la loi genevoise sur le prélèvement de l'impôt à la source est la créance d'impôt de l'IFD (ATF 143 IV 130 consid. 3.1.).

1.7. En l'espèce, la qualité pour recourir de la recourante apparaît donnée en ce qui concerne l'infraction d'usure, dans la mesure où elle allègue une atteinte/mise en danger de son patrimoine. Son recours est recevable sur ce point.

En revanche, il est irrecevable s'agissant d'éventuelles violations à la LEI et aux normes des assurances sociales et fiscales.

La recourante ne subit en effet aucun dommage direct du chef des violations des dispositions sociales, ni de celle de l'art. 117 LEI, puisque ces normes protègent l'intérêt collectif.

Il en va de même pour les normes fiscales, dès lors qu'elles visent la créance d'impôt dont est seul titulaire l'État, soit en particulier, l'administration fiscale.

2.             La recourante conteste la prescription des faits dénoncés.

2.1. Selon l'art. 310 al. 1 let. b CPP, le ministère public rend immédiatement une non-entrée en matière lorsqu'il existe des empêchements de procéder.

Ces empêchements doivent être définitifs, telle que la prescription de l'action publique (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2017, n. 13 ad art. 310).

2.2. Conformément à l'art. 97 al. 1 let. b CP, la prescription pénale pour l'infraction d'usure est de 15 ans.

2.3. Selon l'art. 98 let. c CP, la prescription court dès le jour où les agissement coupables ont cessé s'ils ont eu une certaine durée.

La doctrine et la jurisprudence ne classent pas l'usure dans les cas typiques de délit continu. Pour qu'il s'agisse d'un délit continu, il faut que les actes qui créent la situation illégale forment une unité avec les actes qui la perpétuent ou avec l'omission de la faire cesser, pour autant que le comportement visant au maintien de l'état de fait délictueux soit expressément ou implicitement prévu dans les éléments constitutifs de l'infraction. L'infraction d'usure vise le fait de se faire accorder ou promettre, par une personne en situation de faiblesse, un avantage économique disproportionné par rapport à la contre-prestation fournie, en exploitant cette situation de faiblesse. Le comportement visant au maintien de l'état de fait délictueux n'est pas expressément mentionné dans la disposition légale, mais il ressort de manière implicite de celle-ci, lorsqu'elle est appliquée à un contrat de durée, comme le contrat de travail. Si l'infraction est certes consommée dès l'obtention de l'accord, les obligations du cocontractant sont ensuite continues, au contraire de celles d'un contrat de vente par exemple. En effet, l'employeur a constamment des obligations et notamment celle de respecter la personnalité de son employé et de le payer. À l'inverse d'un contrat de vente, il dépend de l'employeur de mettre fin ou non à la situation usuraire, qui perdure aussi longtemps que l'employeur obtient des prestations disproportionnées en exploitant la situation personnelle de son employé (jugement du Tribunal de police du 18 juillet 2023 JDTP/949/2023 consid. 3.2.2.2).

2.4. En l'occurrence, les parties étaient liées par un rapport de travail, soit un contrat de durée, dans le cadre duquel les actes dénoncés formaient une unité, soit un délit continu. À suivre la recourante, l'état de fait délictueux – augmentation du dommage, respectivement l'enrichissement de la mise en cause, par le cumul des salaires épargnés – aurait perduré tout au long des relations de travail. On peut ainsi considérer que l'infraction en cause – usure –, si elle devait être réalisée, résulterait d'une activité coupable continue au sens de l'art. 98 let. c CP et que le délai de prescription a commencé à courir au moment où ladite activité a cessé.

À cet égard, il sied toutefois de préciser que la recourante a travaillé durant deux périodes distinctes pour la mise en cause. Une première fois du 1er novembre 2003 au 15 juin 2006, puis, une seconde fois du 23 février 2007 au 31 août 2009. Durant les mois d'intervalle, la recourante était retournée dans son pays. Elle n'était d'ailleurs revenue, selon ses propres déclarations, que sur demande de la mise en cause et parce que cette dernière lui avait promis une augmentation de salaire. On ne peut donc retenir une seule et même activité coupable continue pour l'ensemble des rapports de travail, nécessaire à l'application de l'art. 98 let. c CPP, mais uniquement pour chacun d'eux pris séparément.

Partant, s'agissant de la première période de rapport de travail – du 1er septembre 2005 au 15 juin 2006 –, les faits dénoncés sont prescrits depuis juin 2021, de sorte qu'il existe un empêchement de procéder à leur encontre. La non-entrée en matière est donc justifiée concernant cette première période.

En revanche, tel n'est pas le cas pour ceux s'étant produits entre le 23 février 2007 et le 31 août 2009 – la prescription pour l'ensemble de ceux-ci ayant commencé à courir à la cessation des rapports de travail, soit le 31 août 2009, et sera acquise le 31 août 2024 –. Ainsi, il convient d'analyser la situation alléguée, en lien avec l'infraction d'usure, concernant cette seconde période de travail.

Ce grief est donc partiellement admis.

3. La recourante considère que les faits dénoncés sont constitutifs de l'infraction d'usure.

3.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort notamment de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte (arrêt 6B_196/2020 précité; ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1; et 137 IV 219 consid. 7).

3.2. Conformément à l'art. 157 al. 1 CP, se rend coupable d'usure quiconque exploite, notamment, la gêne ou l'inexpérience d'une personne, en se faisant accorder ou promettre, pour lui-même ou un tiers, en échange d'une prestation, des avantages pécuniaires en disproportion évidente avec celle-ci sur le plan économique.

L'infraction d'usure suppose d'abord que la victime se soit trouvée dans l'une des situations de faiblesse, énumérées de manière exhaustive à l'art. 157 CP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_395/2007 du 14 novembre 2007 consid. 4.1).

L'état de gêne, qui n'est pas forcément financière, s'entend de tout état de contrainte qui influe si fort sur la liberté de décision de la personne lésée qu'elle est prête à fournir une prestation disproportionnée. Il faut procéder à une analyse objective, en ce sens qu'on doit admettre qu'une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait été entravée dans sa liberté de décision. Le consentement de la victime n'exclut pas l'application de l'art. 157 CP. Il en est au contraire un élément (arrêt du Tribunal fédéral 6S.6/2007 du 19 février 2007 consid. 3.2.1).

Concernant la gêne économique, la victime doit se trouver dans l'impossibilité de repousser le contrat qui lui est proposé ou les conditions qui lui sont faites. Elle se trouve ainsi réduite à une telle extrémité, soit à la "merci" de l'usurier (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2017, n. 5 ad. 157).

3.3. In casu, l'existence de rapports de travail entre les parties n'est pas contestée. Cependant, la recourante reproche à la mise en cause de ne pas l'avoir payée au salaire minimum obligatoire et d'avoir profité de sa situation précaire, dont celle-ci avait connaissance, ce que conteste l'intéressée.

Pour autant qu'elles soient avérées, les conditions d'emploi dénoncées, et plus particulièrement salariales, pourraient se révéler incompatibles avec le droit du travail suisse. Cela ne suffit toutefois pas à remplir les conditions de l'usure au sens de la disposition précitée.

Au demeurant, la recourante n'a jamais expliqué – ni démontré – en quoi sa situation nécessitait, impérieusement et sans autre alternative, d'être revenue auprès de la mise en cause après qu'elle soit retournée dans son pays. Selon ses propres déclarations, la recourante, après avoir travaillé une première fois pour la mise en cause dans des conditions identiques, était retournée en Bolivie auprès de sa famille. Toujours selon ses dires, elle n'était revenue travailler en Suisse, sans permis de séjour ni travail, que sur sollicitation de la mise en cause. Or, si le besoin de nourrir sa famille constituait vraisemblablement sa motivation première, sa liberté d'action dans ses démarches pour y parvenir n'apparaît pas avoir été poussée à des extrêmes l'obligeant, d'une part, à revenir en Suisse auprès du même employeur et, d'autre part, à accepter, y compris sur le long terme, des conditions de travail non conformes au droit – à plus forte raison si, comme elle le prétend, la promesse d'augmentation de salaire n'avait pas été tenue –. Sa situation irrégulière ne constituait pas une contrainte à cet égard, dès lors qu'elle ne l'avait pas empêchée de trouver un autre emploi en Suisse, raison pour laquelle elle avait quitté celui qu'elle occupait auprès de la mise en cause en 2009.

Ainsi, une condition constitutive de l'infraction d'usure n'apparaît pas réalisée.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et le recours rejeté dans la mesure de sa recevabilité.

5.             Au cours de la procédure de recours, la recourante a sollicité la "nomination d'office" de MD______ à la défense de ses intérêts.

5.1. À teneur de l'art. 136 al. 1 CPP, la direction de la procédure accorde entièrement ou partiellement l'assistance judiciaire à la partie plaignante pour lui permettre de faire valoir ses prétentions civiles lorsqu'elle est indigente (let. a) et que l'action civile ne paraît pas vouée à l'échec (let. b).

La cause ne devant pas être dénuée de toute chance de succès, l'assistance peut être refusée lorsqu'il apparaît d'emblée que la position du requérant est juridiquement infondée (arrêt du Tribunal fédéral 1B_254/2013 du 27 septembre 2013 consid. 2.1.1. et les références citées).

5.2. En l'espèce, même si l'indigence de la recourante est établie, le recours était, pour les motifs exposés supra, voué à l'échec, si bien que les conditions pour l'octroi de l'assistance judiciaire ne sont pas remplies.

La demande sera, partant, rejetée.

6.             En tant qu'elle succombe, la recourante supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 500.-, son indigence étant établie (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

Le refus d'octroi de l'assistance juridique gratuite est rendu sans frais (art. 20 RAJ).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours dans la mesure de sa recevabilité.

Rejette la demande d'assistance judiciaire.

Condamne A______ aux frais de la procédure, arrêtés à CHF 500.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées et le solde (CHF 300.-) restitué à la recourante.

Invite, en conséquence, les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ le solde de l'avance de frais, soit CHF 300.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/6279/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

 

- délivrance de copies (let. b)

CHF

 

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

415.00

Total

CHF

500.00