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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/17994/2022

ACPR/989/2023 du 20.12.2023 sur ONMMP/2356/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : MENACE(DROIT PÉNAL)
Normes : CPP.310; CP.180

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/17994/2022 ACPR/989/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 20 décembre 2023

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], agissant en personne,

recourant,

contre l'ordonnance de non entrée en matière rendue le 8 juin 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 26 juin 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 8 juin 2023, adressée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur les faits visés par la procédure en tant qu'ils concernent les infractions aux articles 177 CP et 180 CP reprochées à B______ (art. 310 al. 1 let. a CPP).

Le recourant conclut, sous suite de frais, à l'annulation de cette ordonnance et au renvoi de la procédure au Ministère public pour instruction.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 8 août 2022, A______ a déposé plainte contre B______, qu'il connaissait sous le nom de B______ [deuxième prénom/nom de B______].

Ce dernier s'était présenté à deux reprises, durant la nuit du 6 au 7 août 2022, devant l'établissement D______, sis rue 1______, dont les baies vitrées étaient ouvertes, vociférant des injures et des menaces avant de quitter les lieux. Lors de son second passage, des clients avaient enregistré ses propos dans lesquels il le [A______] menaçait de 20 ans de prison, de décapitation et de boire son cerveau; il avait également évoqué la charia et le terrorisme islamique. Ces événements lui avaient été rapportés par E______, serveuse de l'établissement.

Déjà en mai 2021, alors qu'il avait refusé à B______ la possibilité d'utiliser les toilettes après la fermeture de l'établissement, ce dernier y était entré de force et, en ressortant, lui avait notamment tenu des propos antisémites le traitant de "sale juif". Deux semaines plus tard, alors qu'il était assis à la terrasse de l'établissement, B______ lui avait donné un coup sur le bras, lui disant qu'il n'avait rien à faire à cet endroit.

En outre, F______, serveuse de l'établissement, lui avait rapporté que, le 14 juillet 2022, B______ était entré dans l'établissement avec une table haute placée à l'extérieur – ce qui causait un conflit avec les voisins – et l'avait déposée à l'intérieur du restaurant, déclarant que la table ne bougerait plus et que, si son "juif de patron" avait un problème avec cela, il n'avait qu'à s'adresser au "grand B______ [deuxième prénom]". G______, responsable de salle, lui avait relaté que le lendemain, il s'était à nouveau présenté vociférant des injures contre le personnel et diffamant l'ancien directeur.

Il a précisé que B______ était champion du Jiu-Jitsu brésilien et mesurait deux mètres. Il demandait d'agir au plus vite avant que ce dernier ne mette ses menaces de décapitation à exécution.

Il a remis une clé USB avec des images de la vidéosurveillance de son établissement, lesquelles ne sont pas sonorisées, ainsi que des enregistrements audio des événements.

b. Entendu par la police le 29 novembre 2022, B______ a reconnu avoir proféré des injures et des menaces, précisant les avoir faites en riposte à des menaces émanant de proches des employés de D______. Ses propos avaient été proférés sous le coup de la colère, et contre leur organisation et non une personne. L'enregistrement de ses propos avait été réalisé à son insu et sur la voie publique.

c. Entendue par la police le 24 novembre 2022, E______, serveuse présente au moment des faits, a confirmé que le prévenu criait et s'était montré menaçant. Il avait dit qu'il allait égorger et tuer son patron – "H______" –, lequel était un violeur et un escroc, raison pour laquelle il se trouvait en prison. Elle ne se rappelait pas si le prévenu avait injurié ou menacé A______; B______ avait tellement parlé qu'elle n'était pas capable de dire si des propos visaient directement ce dernier.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public retient que les éléments constitutifs de l'infraction de menaces n'étaient pas réalisés dès lors que A______ n'avait pas indiqué avoir été effrayé par le comportement et les propos tenus par B______, dont il n'était pas établi qu'ils le visaient directement.

Il retient "des images de vidéosurveillance que le prévenu arrive seul devant la devanture de l'établissement D______ et interpelle de manière virulente l'ensemble des employés présents, durant plusieurs minutes. L'écoute des enregistrements audio révèle qu'il énonce de multiples menaces, notamment de leur couper la tête, les frapper, les "niquer" ou les envoyer en prison. Le prévenu mentionne également les termes de "trafiquant de drogue" et "proxénète". Le prénom de "H______", qui semble être l'ancien directeur de l'établissement, est évoqué à plusieurs reprises. Celui du plaignant n'est audible qu'à une reprise, sans être en lien immédiat avec les menaces proférées".

Il constate dès lors qu'il n'était pas établi que les propos insultants, pouvant être constitutifs d'injures, voire de diffamation, visaient A______, au contraire du prénommé "H______". Or, faute de plainte pénale de ce dernier, les conditions d'ouverture de l'action pénale n'étaient pas réalisées (art. 310 al. 1 let. a CPP).

D. a. Dans son recours, A______ affirme avoir été effrayé, et l'être encore, par les propos de B______, qui n'en était pas à son premier fait. Si la question lui avait été posée, il aurait répondu qu'il se sentait menacé et effrayé.

La nuit du 6 au 7 août 2022, B______ avait déclaré "vous allez tous attraper ma poche, avec le maquillage, le premier c'est H______ et A______, ton patron". Il avait ensuite tenus les propos extrêmement graves suivants: "je vais vous arracher la tête, tous", "je rentre en Tunisie, personne ne m'attrape", "juste envie de frapper", " … je vais niquer tout le monde, ils vont voir c'est quoi le terrorisme islamiste", "là, terrorisme islamiste, ils vont comprendre ça veut dire quoi, je vais arracher la tête de tout le monde, je vais boire le cerveau"; et encore " ... Ici c'est chez moi, c'est moi qui décide tout, soit la prison, soit le coupage de tête, … Charia ou prison".

Il considère qu'il était visé personnellement par le prévenu. En effet, un an plus tôt, ce dernier avait tenu des propos antisémites et, quelques jours avant les faits objets de la plainte, l'avait traité de "juif de patron" auprès d'une serveuse de l'établissement et parlé de lui en ces termes "A______, ton patron".

Il estime que l'infraction de discrimination, visée par l'art. 261bis CP, devait également être retenue compte tenu des propos antisémites proférés les 28 mai 2021 et 14 juillet 2022.

Il demandait l'audition des serveuses de l'établissement ainsi que de sa compagne.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours et souligne que les faits allégués comme étant survenus les 14 juillet et 7 août 2022 au sein de l'établissement D______ avaient eu lieu en l'absence du plaignant. Ceux du 28 mai 2021, survenus alors que l'établissement était fermé, n'avaient pas été dénoncés avant le 8 août 2022.

Il estime que l'écoute attentive des enregistrements et le témoignage de E______ ne permettaient pas d'établir que les propos tenus par B______ visaient le plaignant en particulier; le nom de ce dernier n'était audible qu'à une reprise en lien avec des propos peu intelligibles évoquant une poche et du maquillage, à savoir des termes qui n'atteignaient pas le degré de gravité requis par la loi.

Par ailleurs, le recourant ne s'était pas plaint, dans ses déclarations à la police du 8 août 2022, d'avoir été alarmé ou effrayé par les propos tenus par le prévenu, ce qu'il avait fait uniquement dans le cadre de son recours. Aucun élément du dossier ne démontrait que le prévenu souhaitait que ses propos soient rapportés au recourant ou destinés à l'effrayer.

Concernant l'infraction de discrimination raciale (art. 261bis CP), le recourant alléguait que le prévenu l'aurait traité de "sale juif", le 28 mai 2021 après la fermeture de l'établissement. Que ce soit dans le cadre de sa plainte du 8 août 2022 ou de son recours, A______ n'alléguait pas que des tiers auraient été présents à ce moment-là mais mentionnait, au contraire, que l'établissement était déjà fermé. Dès lors, si ces propos avaient été tenus, ils ne l'avaient pas été en public, de sorte qu'un élément constitutif de l'infraction faisant défaut (art. 310 al. 1 let. a CPP).

La désignation "juif de patron" qui aurait été faite le 14 juillet 2022 en s'adressant à une serveuse de l'établissement n'avait pas été admise par le prévenu. Les versions étaient donc contradictoires et la référence à la religion du plaignant n'était accompagnée d'aucun qualificatif susceptible de faire apparaitre ce dernier comme inférieur ou de moindre valeur du point de vue de la dignité humaine.

c. Le recourant réplique. Tout en exposant que les faits survenus le 28 mai 2021 avaient exclusivement pour but de contextualiser la problématique et l'état d'esprit du prévenu et de rejeter l'idée que ce dernier aurait agi par peur, il estime néanmoins que l'infraction à l'art. 261bis CP est réalisée.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant ne revient pas sur la décision du Ministère public de ne pas entrer en matière sur l'infraction d'injure. La Chambre de céans ne se penchera dès lors pas sur cette question.

3.             Le recourant semble reprocher au Ministère public de ne pas avoir traité l'infraction à l'art. 261bis CP. Cela étant, sa plainte du 8 août 2022 portait sur les événements survenus la nuit du 6 au 7 précédent et non sur les faits précédents de mai 2021 et juillet 2022, de sorte que le Ministère public n'a pas rendu de décision sur cet aspect dans la décision querellée. Faute de décision sujette à recours, la Chambre de céans n'a pas non plus à se pencher sur cet aspect.

4.             Le recourant reproche au Ministère public de ne pas être entré en matière sur sa plainte.

4.1. Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Au moment de statuer sur l'ouverture éventuelle de l'instruction, le ministère public doit examiner si les conditions d'exercice de l'action publique sont réunies, c'est-à-dire si les faits qui sont portés à sa connaissance sont constitutifs d'une infraction pénale et si la poursuite est recevable. Il suffit que l'un des éléments constitutifs de l'infraction ne soit manifestement pas réalisé pour que la non-entrée en matière se justifie (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310).

Des motifs de fait peuvent justifier la non-entrée en matière. Il s'agit des cas où la preuve d'une infraction, soit de la réalisation en fait de ses éléments constitutifs, n'est pas apportée par les pièces dont dispose le ministère public. Il faut que l'insuffisance de charges soit manifeste. De plus, le ministère public doit examiner si une enquête, sous une forme ou sous une autre, serait en mesure d'apporter des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée. Ce n'est que si aucun acte d'enquête ne paraît pouvoir amener des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée que le ministère public peut rendre une ordonnance de non-entrée en matière. En cas de doute sur la possibilité d'apporter ultérieurement la preuve des faits en question, la non-entrée en matière est exclue (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 9 ad art. 310).

4.2. L'art. 180 al. 1 CP punit, sur plainte, celui qui, par une menace grave, aura alarmé ou effrayé une personne.

Sur le plan objectif, cette disposition suppose la réalisation de deux conditions. Premièrement, il faut que l'auteur ait émis une menace grave, soit une menace objectivement de nature à alarmer ou à effrayer la victime. On tient compte de la réaction qu'aurait une personne raisonnable, dotée d'une résistance psychologique plus ou moins normale, face à une situation identique (ATF 122 IV 97 consid. 2b; ATF 99 IV 212 consid. 1a; arrêt du Tribunal fédéral 6B_578/2016 du 19 août 2016 consid. 2.1). L'exigence d'une menace grave doit conduire à exclure la punissabilité lorsque le préjudice évoqué apparaît objectivement d'une importance trop limitée pour justifier la répression pénale. En second lieu, il faut que la victime ait été effectivement alarmée ou effrayée, peu importe que les menaces lui aient été rapportées de manière indirecte par un tiers. Elle doit craindre que le préjudice annoncé se réalise (arrêts du Tribunal fédéral 6B_578/2016 du 19 août 2016 consid. 2.1 ; 6B_871/2014 du 24 août 2015 consid. 2.2.2 ; 6B_820/2011 du 5 mars 2012 consid. 3).

4.3. En l'espèce, le Ministère public estime que le recourant n'avait pas prétendu avoir été alarmé ou effrayé par les propos du prévenu, avant de le prétendre dans son recours.

Cette appréciation ne peut être suivie. Outre que le dépôt de plainte établit par lui-même que le recourant a été particulièrement choqué par les dires du prévenu, ce dernier a en fin d'audition, demandé à la police "d'agir au plus vite avant que [le prévenu] ne mette ses menaces de décapitation à exécution". On ne peut ainsi considérer que le recourant n'avait pas été alarmé ou effrayé par lesdites déclarations.

S'agissant des propos eux-mêmes – les termes utilisés (charia, terrorisme islamiste, décapitation, juif) étant à l'évidence menaçants –, faute d'un rapport les retranscrivant avec la précision des dates auxquelles ils avaient été tenus et en présence de qui, la Chambre de céans n'est pas en mesure de les apprécier pour déterminer si le recourant était visé.

Il convient dès lors que le Procureur ordonne la retranscription des enregistrements, l'audition des personnes qui y ont procédé et du prévenu.

Partant, l'ordonnance querellée, en ce qu'elle est à tout le moins prématurée, sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour complément d'enquête.

5.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 8 juin 2023 et renvoie la cause au Ministère public pour complément d'enquête.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Ordonne aux Services financiers de restituer les sûretés versées en CHF 1'000.- au recourant.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).