Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/6598/2023

ACPR/968/2023 du 13.12.2023 sur ONMMP/2496/2023 ( MP ) , REJETE

Recours TF déposé le 01.02.2024, 7B_111/2023
Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;CONTRAINTE(DROIT PÉNAL);COMMANDEMENT DE PAYER;CRÉANCE
Normes : CP.181; CP.22; CPP.310

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6598/2023 ACPR/968/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 13 décembre 2023

 

Entre

A______, domicilié ______, représenté par Me Romanos SKANDAMIS, avocat, SKANDAMIS AVOCATS SA, rue Charles-Bonnet 2, 1206 Genève,

recourant,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 22 juin 2023 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 3 juillet 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 22 juin 2023, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte.

Le recourant conclut, sous suite de dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour l'ouverture d'une instruction.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'500.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par contrat du 14 décembre 2012, [la banque] B______ a engagé A______ en tant que "Senior Manager".

Le chiffre 4 du contrat prévoyait le versement d'un bonus (award) discrétionnaire conformément à la réglementation édictée par l'employeur. Il précisait que les collaborateurs n'avaient aucun droit à cet égard, même si des paiements avaient été effectués à ce titre durant les années précédentes.

b. Par courriel du 28 janvier 2022 adressé aux "Managing Directors" et "Directors" – dont A______ –, la banque a précisé que le paiement des bonus pour l'année 2021 – sous la forme d'un "upfront cash award" – était subordonné à l'acceptation par les employés des nouvelles conditions contractuelles régissant la rémunération variable.

Selon l'art. 4 du document intitulé "Upfront Cash Award Certificate" (ci-après, certificat UCA) – joint au courriel précité –, l'employé s'engageait à rembourser au prorata le paiement du bonus en cas de démission avant l'échéance du délai de trois ans à compter dudit paiement. L'art. 2 précisait qu'à défaut d'acceptation au plus tard le 7 février 2022, le collaborateur perdait son droit au bonus.

c. Entre les 31 janvier et 2 février 2022, C______ a adressé trois courriels de rappel à A______ concernant le certificat UCA.

d. Le 24 mars 2022, à la suite de l'acceptation de l'avenant au contrat du travail, un montant de CHF 65'252.- a été versé à l'employé à titre de bonus.

e. Par courrier du 19 mai 2022, l'employé a résilié son contrat de travail avec effet au 31 août 2022.

f. Par lettre du 31 août 2022 adressée à A______, C______ a réclamé, en se fondant de l'art. 4 du certificat UCA, le remboursement au prorata du bonus octroyé – soit un montant de CHF 47'306.25 –, ce qui a été refusé par le premier nommé, le 30 septembre 2022, au motif que l'avenant au contrat de travail avait été conclu sous l'empire d'une crainte fondée.

g. Le 3 novembre 2022, C______ a contesté l'invalidation du contrat et invité A______ à s'acquitter du montant précité au plus tard le 30 suivant, l'avertissant qu'à défaut de paiement, des procédures d'exécution forcée seraient engagées ("[a]fter that date, we will initiate debt enforcement proceedings […]").

h. Par courrier du 11 suivant adressé à C______, A______ a précisé que l'envoi d'un commandement de payer lui porterait "particulièrement" préjudice, compte tenu de sa procédure de naturalisation et d'une demande de crédit auprès d'une autre banque, ce à quoi la première nommée a répondu qu'elle maintenait sa position.

i. Le 28 novembre 2022, A______ s'est acquitté du montant de CHF 47'306.25 en faveur de la banque.

j. Le 14 mars 2023, il a déposé plainte pénale contre "toute personne que l'enquête permettrait d'établir", du chef de contrainte (art. 181 CP).

Il avait accepté l'avenant à son contrat de travail sous la menace de ne pas recevoir son bonus pour l'année 2021. Par ailleurs, en le menaçant de lui envoyer un commandement de payer, son ancien employeur l'avait contraint de s'acquitter de la somme de CHF 47'306.25 et ce, en parfaite connaissance de ses circonstances personnelles.

À l'appui de sa plainte, il a produit notamment des articles de presse relatifs aux clauses de remboursement des bonus prévues par C______.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public considère que les faits dénoncés s'inscrivaient dans un contexte de nature purement civile, ayant trait au droit du travail. La clause contractuelle relative au remboursement du bonus ne revêtait pas une intensité suffisante pour justifier l'application de l'art. 181 CP. En outre, dans la mesure où la créance invoquée n'était pas manifestement inexistante, les démarches en vue de la recouvrer n'avaient rien d'illicite. La solution inverse équivaudrait à une immixtion excessive de la justice pénale dans un litige de caractère éminemment civil. En tout état de cause, la banque n'avait eu aucune intention de tirer profit des circonstances personnelles du plaignant.

D. a. Dans son recours, A______ estime que le prononcé d'une ordonnance de non-entrée en matière était prématuré. En l'ayant menacé de lui supprimer le bonus pour l'année 2021 – soit une partie de son salaire –, son ancien employeur l'avait contraint de signer un document, qui l'entravait dans sa liberté d'action. Le délai particulièrement court qui lui avait été imparti pour la signature du document n'avait pour but que d'augmenter la pression exercée sur lui. Enfin, contrairement à ce que soutenait le Ministère public, ses circonstances personnelles étaient parfaitement reconnaissables pour la banque, laquelle avait maintenu sa position dans son courrier du 18 novembre 2022.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – les formalités de notification n'ayant pas été respectées (art. 85 al. 2 CPP) – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Le recourant reproche au Ministère public de ne pas être entré en matière sur sa plainte.

3.1.       Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Des motifs de fait peuvent justifier la non-entrée en matière. Il s'agit des cas où la preuve d'une infraction, soit de la réalisation en fait de ses éléments constitutifs, n'est pas apportée par les pièces dont dispose le ministère public. Il faut que l'insuffisance de charges soit manifeste. Le procureur doit examiner si une enquête, sous une forme ou sous une autre, serait en mesure d'apporter des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée. Ce n'est que si aucun acte d'enquête ne paraît pouvoir amener des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée que le ministère public peut rendre une ordonnance de non-entrée en matière (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 9 ad art. 310).

La non-entrée en matière peut également résulter de motifs juridiques. La question de savoir si les faits qui sont portés à sa connaissance constituent une infraction à la loi pénale doit être examinée d'office par le ministère public. Des motifs juridiques de non-entrée en matière existent lorsqu'il apparaît d'emblée que le comportement dénoncé n'est pas punissable (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit, n. 10 ad art. 310).

3.2.1. Se rend coupable de contrainte au sens de l'art. 181 CP, quiconque, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d'un dommage sérieux, ou en l'entravant de quelque autre manière dans la liberté d'action, l'oblige à faire, à ne pas faire ou à laisser faire un acte.

La menace est un moyen de pression psychologique consistant à annoncer un dommage futur dont la réalisation est présentée comme dépendante de la volonté de l'auteur, sans toutefois qu'il soit nécessaire que cette dépendance soit effective (ATF 117 IV 445 consid. 2b; 106 IV 125 consid. 2a) ni que l'auteur ait réellement la volonté de réaliser sa menace (ATF 105 IV 120 consid. 2a). La loi exige un dommage sérieux, c'est-à-dire que la perspective de l'inconvénient présenté comme dépendant de la volonté de l'auteur soit propre à entraver le destinataire dans sa liberté de décision ou d'action. On vise ici non la simple mise en garde ou l'avertissement, mais une forme de pression psychologique qui peut, par exemple, consister en la perspective de porter atteinte à un bien particulier, comme la santé, mais aussi à des acquis immatériels tels l'avenir économique, les chances de carrière, l'honneur, la considération et l'intégrité d'une personne ou encore la réputation auprès de la clientèle d'une entreprise. La question doit être tranchée en fonction de critères objectifs en se plaçant du point de vue d'une personne de sensibilité moyenne (ATF 122 IV 322 consid. 1a; 120 IV 17 consid. 2a/aa).

Il peut également y avoir contrainte lorsque l'auteur entrave sa victime "de quelque autre manière" dans sa liberté d'action. Cette formule générale doit être interprétée de manière restrictive. N'importe quelle pression de peu d'importance ne suffit pas. Il faut que le moyen de contrainte utilisé soit, comme pour la violence ou la menace d'un dommage sérieux, propre à impressionner une personne de sensibilité moyenne et à l'entraver d'une manière substantielle dans sa liberté de décision ou d'action. Il s'agit donc de moyens de contrainte qui, par leur intensité et leur effet, sont analogues à ceux qui sont cités expressément par la loi (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1).

En soi, faire une offre transactionnelle n'est pas illicite, mais peut le devenir, lorsque l'auteur tente d'obtenir plus que ce à quoi il a droit, en menaçant la partie adverse d'un dommage sérieux; il y a en effet inadéquation entre le moyen employé et le but visé (ATF 132 IV 112 consid. 4.4).

3.2.2. Pour une personne de sensibilité moyenne, faire l'objet d'un commandement de payer d'une importante somme d'argent est, à l'instar d'une plainte pénale, une source de tourments et de poids psychologique, en raison des inconvénients découlant de la procédure de poursuite elle-même et de la perspective de devoir peut-être payer le montant en question. Un tel commandement de payer est ainsi propre à inciter une personne de sensibilité moyenne à céder à la pression subie, donc à l'entraver d'une manière substantielle dans sa liberté de décision ou d'action (arrêt du Tribunal fédéral 6B_614/2021 du 20 avril 2022 consid. 7.2).

Un acte de contrainte peut éventuellement être réalisé au travers de la notification d'un commandement de payer si celui-ci est illicite en soi. Tel sera le cas lorsque le soi-disant créancier n'est pas fondé à réclamer la somme objet de la poursuite ou encore lorsque le commandement de payer repose sur un document faux ou falsifié (arrêts du Tribunal fédéral 6B_281/2013 du 16 juillet 2013 consid. 1.1.2 et 6B_447/2014 du 30 octobre 2014 consid. 2.2).

Le fondement de la créance invoquée, le montant indiqué sur le commandement de payer et le contexte de sa notification sont autant d'éléments pertinents dans l'appréciation des circonstances du cas d'espèce. S'agissant du fondement de la créance déduite en poursuite, il suffit que la situation juridique ne soit pas d'une clarté indiscutable pour admettre la licéité, sous l'angle de l'infraction de contrainte, du commandement de payer (R. JORDAN, Les poursuites injustifiées: point de situation, in Revue de l'avocat 2017 p. 131 s. et les arrêts cités).

3.3. En l'espèce, le recourant reproche tout d'abord à son ancien employeur de l'avoir obligé à signer le certificat UCA, en faisant dépendre de cette signature le versement de son bonus, qui était, selon lui, contractuellement dû.

On ne voit toutefois pas, dans cette situation, la réalisation des éléments constitutifs d'une contrainte. En effet, il était loisible au recourant de solliciter le paiement des éventuelles créances découlant de son contrat de travail, le cas échéant en agissant en justice. Partant, rien ne l'obligeait à signer la convention. De plus, un employeur qui refuse de payer à son employé une somme, au motif qu'il la considère comme une gratification discrétionnaire n'adopte nullement un comportement constitutif de contrainte. Il se contente de faire valoir son interprétation des engagements qui le lient au travailleur. Le fait que cette interprétation diverge de celle de l'employé est pénalement irrelevant.

En outre, le recourant estime que l'envoi de courriers avec la menace de notification d'un commandement de payer constituerait un moyen de contrainte illicite visant à lui faire payer une somme d'argent qu'il ne devait pas.

Ce raisonnement ne peut être suivi, dans la mesure où les éléments du dossier ne permettent pas de retenir que la banque ne serait pas de bonne foi quant à l'existence d'une créance contre le recourant. En effet, d'après l'art. 4 du certificat UCA, l'employé s'engageait à rembourser au pro rata le paiement du bonus en cas de démission avant l'échéance du délai de trois ans à compter dudit paiement. Le recourant ayant résilié le contrat de travail avant l'échéance du délai, la banque pouvait a priori prétendre au remboursement d'une partie du bonus versé – cas échéant par la voie légale de la poursuite pour dettes – et ce, nonobstant les circonstances personnelles de son ancien employé. Il existe donc sur le plan pénal un lien suffisant entre la créance invoquée par la banque et le montant réclamé – sans qu'il n'appartienne aux autorités pénales de décider si l'invalidation de contrat était fondée, cette question étant de nature civile –.

Faute de prévention pénale suffisante, la décision querellée ne prête ainsi pas le flanc à la critique.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'500.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/6598/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'415.00

Total

CHF

1'500.00