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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/5662/2022

ACPR/929/2023 du 30.11.2023 sur OTMC/3334/2023 ( TMC ) , REFUS

Recours TF déposé le 22.12.2023, rendu le 23.01.2024, REJETE, 7B_1025/2023, 7B_170/2023
Descripteurs : DÉTENTION POUR DES MOTIFS DE SÛRETÉ;RISQUE DE RÉCIDIVE
Normes : CPP.221

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/5662/2022 ACPR/929/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 30 novembre 2023

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, représenté par Me C______, avocat,

recourant,

contre l'ordonnance de la mise en détention pour des motifs de sûreté rendue le 6 novembre 2023 par le Tribunal des mesures de contrainte,

et

LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A.           Par acte expédié le 16 novembre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 6 novembre 2023, notifiée le lendemain, par laquelle le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) a ordonné sa mise en détention pour des motifs de sûreté jusqu’au 1er février 2024.

Le recourant conclut à l'octroi de l'assistance judicaire et à l'annulation de ladite ordonnance et à sa mise en liberté immédiate, moyennant les mesures de substitution qu'il propose.

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. A______ a été arrêté le 11 mars 2022. Sa mise en détention provisoire a été régulièrement prolongée par le TMC, la dernière fois jusqu’au 11 novembre 2023.

b.a. Par acte d'accusation du 2 novembre 2023, le Ministère public l'a renvoyé en jugement devant le Tribunal correctionnel pour actes d'ordre sexuel avec des enfants (art. 187 ch. 1 CP), contrainte sexuelle aggravée (art. 189 al. 1 et 3 CP), subsidiairement actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP), viol aggravé (art. 190 al. 1 et 3 CP), subsidiairement actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP), inceste (art. 213 al. 1 CP), exhibitionnisme (art. 194 al. 1 CP), pornographie (art. 197 al. 1 et al. 5 CP), violation du devoir d'assistance ou d'éducation (art. 219 al. 1 CP), séquestration (art. 183 ch. 1 al. 1 CP) et contrainte (art. 181 CP), subsidiairement menaces (art. 180 al. 1 CP), pour avoir, en substance, au domicile familial sis rue 1______ no. ______ à D______ [GE],

-        à des dates indéterminées, mais à tout le moins en 2021 et 2022, à réitérées reprises,

o   commis des actes sexuels et des actes d'ordre sexuel sur son fils E______, né le ______ 2018 et sa fille F______, née le ______ 2016, à tout le moins en introduisant son sexe dans leur bouche respective, et contraint F______ à subir l'acte sexuel en pénétrant son vagin totalement ou partiellement avec son pénis en érection ;

o   rendu accessible à ses enfants E______ et F______, alors âgés de 4 et 5 ans environ, de la pornographie qu'il visionnait à son domicile en se masturbant et sans prendre les précautions nécessaires pour qu'ils ne le surprennent plus dans ces activités ;

o   puni ses enfants, notamment en les enfermant à clef dans une chambre noire pendant des heures, notamment pour éviter qu'ils essayent de rapporter à des tiers, en particulier à leur mère, les actes qu'il leur faisait subir ;

o   intimidé ses enfants et en particulier menacé ses enfants de leur infliger des punitions, consistant notamment à les enfermer dans une pièce noire, ou de les tuer, s'ils parlaient de ce qu'il leur faisait subir à des tiers, soit en particulier à leur mère, les obligeant de la sorte à se taire et les alarmant et les effrayant de la sorte ;

-        visionné, à tout le moins à une reprise, un film pornographique à contenu zoophile ;

-        de concert avec son épouse G______, fait vivre ses enfants E______ et F______, dans un appartement insalubre, mettant en danger leur développement physique, violant ainsi leurs devoirs d'assister et d'élever leurs enfants mineurs.

b.b. Le Tribunal correctionnel a convoqué les parties pour l'audience de jugement appointée au 15 janvier 2024 et leur a imparti un délai au 14 décembre 2023 pour présenter leurs réquisitions de preuves.

c. A______ a admis l'état d'insalubrité de l'appartement et avoir été surpris par ses enfants, à plusieurs reprises, alors qu'il regardait des films pornographiques; il leur avait expliqué les scènes tout en laissant le film continuer à se dérouler devant eux, le temps de ses explications. Seule sa fille l'avait vu se masturber. Il a contesté les autres actes décrits par ses enfants.

d. Divers enseignants, assistants socio-éducatifs et éducateurs ont été entendus sur les confidences faites par les enfants E______/F______ au sujet des comportements de leur père faisant l'objet de la prévention.

e.a À teneur de ses rapports d'expertise de crédibilité du 5 juillet 2022, le Dr H______ a évalué les déclarations de E______ – selon lesquelles son père lui avait mis son sexe, désigné comme son "prince", dans la bouche, ainsi que dans la bouche de sa sœur, puis sur son ventre ou dans son ventre – comme étant plutôt crédibles (sur une échelle comprenant: non crédible, faiblement crédible, plutôt crédible et totalement crédible).

S'agissant des déclarations de F______, il a en synthèse et conclusion retenu que:
"Lors de son audition du 11 mars 2022, F______ rapporte qu'elle a un secret avec son papa et qu'elle ne veut pas le révéler sinon son père pourrait se faire gronder par la mère de l'enfant. Elle dit que le secret concerne ce que son père fait avec elle et pas avec son frère, lorsque sa mère n'est pas là, qu'il ne faudrait pas que celle-ci voit ce qu'elle fait avec son père et son père devrait attendre qu'elle soit plus grande, mais le fait quand même malgré qu'elle soit petite. Lorsque l'inspectrice lui demande si elle connait les parties de son corps, elle répond qu'elle connait les parties intimes et ne parle pas d'autres parties. L'enfant est énervée pendant l'audition et semble anxieuse.

En tant que déclaration d'abus sexuel, cette déclaration ne contient pas de description de faits de nature sexuelle, ni de détails concernant de tels faits, et est donc faiblement crédible. Cependant, si l'on prend en compte les facteurs de pondération et en particulier les déclarations ultérieures de l'enfant à son éducatrice, les 13 et 21 avril 2022, et le témoignage de son frère E______, considéré comme plutôt crédible, la déclaration de F______ doit être pondérée positivement et donc considérée comme plutôt crédible."

e.b. Lors de l'audience du 23 novembre 2022, le Dr H______ a confirmé le contenu et les conclusions de ses deux rapports et a précisé que l'on "comprend des déclarations de F______ faites en audition EVIG qu'elle a un secret qui concerne ses parties génitales. Elle se réfère à des choses de nature sexuelle. S'il n'y avait que cela, on aurait sans doute conclu à ce que ses déclarations soient faiblement crédibles. Cela étant, il y a dans son cas des révélations répétées faites par la suite à des tiers qui se réfèrent visiblement à des abus sexuels qui auraient, selon elle, été commis par son père. Cela donne un poids très important à ses déclarations EVIG dans la mesure où celles-ci sont en quelque sorte révélées et amplifiées par ces informations externes qui rendent ses déclarations fortement crédibles".

f.a À teneur de l'expertise psychiatrique du 13 janvier 2023 de la Dre I______, A______ souffre d'un trouble de la préférence sexuelle de type pédophilie, associée à l'urophilie, dans un contexte d'une personnalité caractérisée par des traits immatures.

L'expert retient la responsabilité entière de l'expertisé. Notamment, il précise que "le diagnostic de trouble de la préférence sexuelle de type pédophilie chez M. A______ est basé sur les faits actuellement reprochés. Il s'agirait dans ce cas d'un trouble peu sévère car M. A______ ne décrit pas d'envahissement de sa vie psychique par des pulsions incontrôlables ou des fantasmes récurrents. De plus, il a des rapports sexuels avec des femmes adultes ; il s'agit donc d'une pédophilie non exclusive. Ce trouble ne constitue donc pas une pression interne importante contre laquelle l'expertisé devrait lutter activement pour éviter la commission de ce type de faits. Les experts ne retiennent donc pas de diminution des capacités volitives liées à ce trouble".

A______ présentait un risque de récidive sexuelle reposant à la fois sur la présence d'un trouble de la préférence sexuelle de type pédophilie, l'absence d'une insertion correcte sur le plan socio-professionnel, l'attitude banalisant les faits ainsi que la tendance à trouver des justifications par rapport à ses actes et une capacité d'introspection limitée. Des éléments protecteurs étaient relevés: l'absence d'un trouble de la personnalité constitué; l'absence d'attitudes non-sexuelles violentes; l'acceptation, voire la requête, d'une prise en charge psychologique et/ou psychiatrique. Le risque de récidive sexuelle de l'intéressé pour les faits de même nature, était, ainsi, évalué comme moyen par rapport à une population de délinquants sexuels.

Une mesure de soins ambulatoires réguliers était indiquée, consistant en un suivi sexologique régulier auprès d'un service de psychiatrie, consistant en une psychothérapie dans le but d'améliorer les capacités d'introspection ainsi que la prise de conscience de son propre fonctionnement psychique interne (immaturité) et de sa sexualité. La durée minimale du suivi devrait être de cinq ans.

f.b. Le 6 février 2023, la Dre I______ a confirmé les conclusions de son rapport et précisé que l'expertisé présentait un risque de commettre à nouveau des actes à caractère pédophile, autrement dit sur des enfants.

À la question de savoir si une prise en charge sexologique était vraiment susceptible de diminuer le risque de récidive alors même que A______ niait son trouble de la préférence sexuelle de type pédophilie et niait ou minimisait la plupart des faits qui lui étaient reprochés, l'expert a expliqué qu'une telle prise en charge avait, pour premier objectif, de développer une conscience de maladie et servait aussi à réduire la honte par rapport au propre fonctionnement du patient. Si la première partie du traitement était efficace et s'il y avait une bonne alliance thérapeutique, il était possible de réduire les symptômes de la pathologie à travers cette prise en charge, laquelle devait être de longue durée et assidue. Le fait que l'expertisé niait son trouble réduisait la collaboration avec le thérapeute. Cela étant, l'intéressé avait manifesté son accord avec une prise en charge psychologique. A______ était enclin à suivre un traitement même s'il ne reconnaissait pas sa pathologie, à savoir la pédophilie; il reconnaissait son urophilie sans toutefois la considérer comme pathologique. Souvent, la personne tentait d'échapper à la prise en charge sur la base de cette contradiction. Elle n'avait pas décelé chez A______ d'autocritique ou de remise en question de sa part, sauf s'agissant de l'état de l'appartement pour lequel il avait reconnu qu'il aurait quand même pu "en faire un peu plus".

Elle préconisait une prise en charge régulière, soit hebdomadaire, de nature sexologique, c'est-à-dire avec un psychologue expert en la matière, éventuellement associée à une prise en charge psychiatrique en cas de symptômes tels que les troubles du sommeil, l'anxiété, la dépression ou des pertes de contrôle, des moments de tension, etc., déjà présents dans le passé de l'expertisé.

Elle a répondu à la question de savoir si mettre à nouveau les enfants en présence de leur père aggraverait le risque de récidive, qu'évidemment, dans l'hypothèse de culpabilité, le fait d'être exposé à la présence des enfants dans le cadre familial augmentait les risques.

Concernant l'impact de la procédure pénale sur l'évaluation du risque de récidive, elle a relevé que confronter une personne à ses propres responsabilités, surtout dans les cas d'une tendance à l'immaturité, pouvait aider à développer une critique ou une remise en question et que, d'autre part, parfois, en raison de la procédure, on pouvait voir au niveau psychiatrique la présence de symptômes d'autres natures par exemple une dépression, un trouble de l'adaptation, des symptômes psychiatriques d'une autre nature. Elle n'avait pas décelé chez A______ d'autocritique ou de remise en question, mis à part qu'il avait reconnu qu'il aurait quand même pu "en faire un peu plus" concernant l'état de l'appartement.

g. À teneur du rapport du 5 octobre de J______, psychologue qui suit le prévenu à B______, le suivi psychologique avait commencé le 19 août 2022 à un rythme hebdomadaire. Le patient avait rapidement investi cet espace de manière positive et avait honoré tous les entretiens proposés; l'alliance thérapeutique était de bonne qualité. Les objectifs thérapeutiques consistaient en un soutien psychologique durant l'incarcération (1), un travail sur les déterminants psychiques des passages à l'acte, concernant les faits reconnus (2) et un travail sur son mode de fonctionnement (3).

Concernant le premier objectif, A______ présentait de manière régulière des périodes de découragement et de baisse de sa thymie en lien avec sa procédure judiciaire et les événements liés (par exemple : nouvelles accusations, demande de divorce de son épouse), sans impliquer d'idées suicidaires ou nécessiter une hospitalisation. L'isolement volontaire au quartier de sécurité de la prison étant difficile à vivre pour lui, la régularité des entretiens thérapeutique était essentielle au maintien de son équilibre psychique.

Concernant le second objectif, le prévenu reconnaissait avoir vécu dans un appartement en partie insalubre et s'être fait surprendre à différentes reprises par ses enfants en train de se masturber en regardant des films pornographiques. Il avait pris des dispositions pour se cacher le sexe. Il avait expliqué aux enfants le contenu des images affichées sur son écran mais n'avait pas pris de dispositions pour ne plus se faire surprendre ni cacher le contenu pornographique en leur présence. Par contre, il contestait fermement avoir commis des actes sexuels sur ses enfants; il niait toute fantasmatique pédophile et ne présentait pas de distorsions cognitives pro-pédophilie. Concernant les faits reconnus, il exprimait des regrets et considérait avoir commis des erreurs éducatives importantes. Il avait toujours voulu éduquer ses enfants en leur parlant "comme à des adultes" de manière à les rendre le plus rapidement autonomes dans la vie. Il mettait également souvent en avant la vive intelligence de sa fille et leur relation de complicité quasi paritaire. Il n'avait pas perçu de gêne ou de malaise chez ses enfants devant ces images pornographiques et donc ne s'était pas questionné sur cette pratique.

Concernant le dernier objectif, il se reconnaissait dans un fonctionnement teinté par l'immaturité. En lien avec ses propres carences éducatives, il avait développé des croyances erronées et des distorsions importantes sur le fonctionnement des enfants, instaurant avec eux une relation symétrique, allant jusqu'à inverser les rôles parents-enfants. Un travail de psychoéducation était réalisé avec lui sur le développement des enfants et les conséquences de l'exposition précoce à des contenus pornographiques afin de lui permettre de mieux se représenter leurs besoins et leur vécu. Il adhérait à se travail et se remettait en question de manière authentique.

h. Le 10 octobre 2022, le Ministère public a refusé de faire procéder à une nouvelle audition EVIG des enfants, en contradictoire.

i. Par arrêt du 3 novembre 2022 (ACPR/758/2022), la Chambre de céans a déclaré le recours de A______ irrecevable. Le Tribunal fédéral a admis le recours du prévenu le 23 février 2023 (arrêt 1B_615/2022). Le 16 mai 2023 (ACPR/355/2023), la Chambre de céans a admis le recours et renvoyé la cause au Ministère public pour audition EVIG.

j. Les enfants E______/F______ ont dès lors été entendus une seconde fois en audition EVIG, le 21 juin 2023. Ils ont en substance confirmé leurs précédentes déclarations.

k. Le prévenu, né en 1969, est de nationalité suisse, marié depuis 2008 et père de deux enfants. Il ne travaille plus depuis dix-huit ans et est au bénéfice de l'aide de l'Hospice général.

C.           Dans son ordonnance querellée, le TMC a considéré que les charges, d'une gravité extrême, étaient largement suffisantes pour justifier la mise en détention du prévenu pour des motifs de sûreté.

Le risque de fuite était concret, nonobstant la nationalité suisse de A______ et de ses attaches à Genève, considérant l'importance de la peine-menace et concrètement encourue pour les faits gravissimes qui lui étaient reprochés. Les mesures qu'il proposait ne suffisaient pas à diminuer ce risque, vu son intensité. Il se justifiait dès lors de le maintenir en détention avant jugement afin de s'assurer de sa présence au procès et garantir l'exécution de la peine qui serait cas échéant prononcée.

Au vu des dénégations du prévenu, le risque de collusion demeurait très concret et élevé vis-à-vis de ses enfants, nonobstant leur(s) audition(s), considérant leur vulnérabilité au regard de leur jeune âge et des liens qu'ils avaient avec lui, de sorte qu'il convenait d'éviter de façon absolue tout contact entre eux jusqu'à la fin de la procédure, ce risque étant particulièrement aigu à l'approche de l'audience de jugement.

Le risque de réitération était concret, en dépit du placement en foyer de ses enfants, ce placement étant provisoire et ordonné pour une durée et selon des modalités échappant au contrôle de la direction de la procédure, de sorte qu'il était impératif d'empêcher que les faits reprochés, qui se seraient produits de façon répétée, ne puissent se reproduire. Ce risque existait également à l'égard de tout autre enfant qui serait amené à se retrouver en présence du prévenu, puisqu'il ressortait de l'expertise psychiatrique que ce dernier souffrait d'un trouble multiple de la préférence sexuelle de type pédophilie et qu'il présentait un risque de récidive d'infractions contre l'intégrité sexuelle qualifié de moyen.

Les mesures proposées par le prévenu n'étaient pas aptes à réduire les risques de collusion et de récidive. En particulier, l'interdiction d'approcher ses enfants, l'interdiction de tout contact rapproché avec des enfants et de tout contact, sous quelque forme, avec les siens et l'interdiction d'évoquer la procédure avec qui que ce soit, à l'exception de son avocat, étaient des mesures reposant essentiellement sur la propre volonté du prévenu et échappaient largement à tout contrôle quant à leur respect; les éducateurs du foyer n'avaient pas pour rôle de se muer en service de sécurité permanent devant veiller à ce que tel ou tel parent ne puisse jamais approcher dudit lieu ni avoir des contacts avec tel ou tel enfant. Ainsi, seule la détention permettait de garantir cette absence de contact direct ou indirect afin de diminuer les risques de collusion et de réitération. On ne voyait pas en quoi l'obligation de loger chez sa mère serait de nature à diminuer d'une quelconque façon les risques retenus. L'obligation d'un suivi psychologique, en particulier sexologique, ne permettait pas de considérer que son respect constituerait, en cas de libération, une quelconque garantie de non-récidive dès lors que les infractions contre l'intégrité sexuelle d'enfants en bas âge, commis par essence dans le secret et à l'encontre de victimes dans l'incapacité de les dénoncer, pouvaient se reproduire sans être détectées, les autorités n'ayant aucune prise sur les personnes qui feront à l'avenir partie de l'entourage du prévenu.

Aucune autre mesure de substitution n'était susceptible d'atteindre le but de la détention, au vu des risques retenus. La détention demeurait proportionnée à la peine susceptible d'être infligée si les soupçons du Ministère public devaient se confirmer.

D.           a. À l'appui de son recours, A______ prend acte des accusations portées contre lui dont il conteste la majeure partie.

Il conteste le risque de fuite. De nationalité suisse, né à Genève où il avait toujours vécu, il n'avait aucune autre attache à l'étranger ni aucune possibilité d'y obtenir un statut légal; il ne disposait d'aucune fortune et était au bénéfice de l'aide de l'Hospice général. Ses soucis de santé nécessitaient des soins. Il proposait de déposer ses documents d'identité, de s'engager à rester à Genève ainsi que de se présenter à toute convocation judiciaire et hebdomadairement à un poste de police.

Il conteste l'existence d'un risque de collusion à l'égard de ses enfants et aucun indice concret ne permettait de penser qu'il tenterait de les influencer s'il devait être remis en liberté. Depuis le début de la procédure, il avait scrupuleusement respecté les interdictions de contact avec ses enfants. Les parties plaignantes, qui ne pouvaient, en principe, pas être soumises à plus de deux auditions sur l'ensemble de la procédure, avaient déjà été entendues à deux reprises; vu leur jeune âge, il n'était pas prévu qu'elles soient entendues par le Tribunal correctionnel. Il n'avait aucun moyen de les contacter. Les enfants étaient entourés de professionnels qui veillaient à leur protection, contrôlaient de près les téléphones et les visites; ils n'étaient pas capables de lire facilement un texte. Un éventuel contact via leur mère apparaissait également totalement "chimérique". Ce risque pouvait être annihilé par son engagement de ne pas contacter ses enfants et, si nécessaire son épouse, de quelque manière que ce soit; de ne pas approcher le logement de la famille, la crèche, l'école et le foyer de ses enfants.

Le risque de réitération était totalement théorique. Il ne voyait pas comment il pourrait s'approcher physiquement de ses enfants, et, a fortiori, se retrouver seul avec eux. Ces derniers étaient encadrés de manière très rapprochée par de nombreux professionnels; les éducateurs avaient pour tâche de les protéger, de manière similaire à ce que ferait un parent vis-à-vis de ses propres enfants; le foyer n'était pas un moulin dans lequel tout un chacun pouvait s'introduire. Enfin, il n'y avait aucun soupçon qu'il aurait pu s'en prendre à d'autres enfants que les siens. Il n'avait par ailleurs aucun autre enfant proche dans son entourage.

Même à supposer que le trouble de la préférence sexuelle de type pédophile soit avéré, ce qu'il conteste, l'expert avait précisé qu'il s'agirait d'un "trouble peu sévère car il ne décrivait pas d'envahissement de sa vie psychique par des pulsions incontrôlables ou des fantasmes non récurrents. Ce trouble ne constitue donc pas une pression interne importante contre laquelle l'expertisé devrait lutter activement pour éviter la commission de ce type de faits". L'absence de trouble de la personnalité ainsi que "l'acceptation, voire la requête, d'une prise en charge psychologique et/ou psychiatrique" étaient considérées comme des éléments protecteurs. "Un suivi sexologique régulier, consistant en une thérapie dans le but d'améliorer les capacités d'introspection ainsi que la prise de conscience de son propre fonctionnement psychique (immaturité) et de sa sexualité" était préconisé. Or, il bénéficiait déjà d'un suivi depuis le début de son incarcération à B______, dont il retirait de nombreux bénéfices et la psychologue relevait qu'il avait bien investi le suivi thérapeutique, adhérait à ce travail et se remettait en question de manière authentique. Il exprimait une culpabilité et des regrets concernant les faits reconnus et se montrait motivé et ouvert durant les séances. Il souhaitait pouvoir être un meilleur père pour ses enfants dans le futur. Par ailleurs, comme l'avait confirmé l'experte, le fait d'avoir été confronté aux difficultés de la procédure pénale pouvait être considéré comme un facteur de protection supplémentaire vis-à-vis du tout potentiel risque de récidive. Ainsi, la menace d'un retour en détention en cas de violation des mesures de substitution était de nature à le dissuader de tout faux pas.

Le risque de récidive pourrait être pallié par des interdictions de contact prolongées et surveillées avec tout enfant, et en particulier avec ses propres enfants.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours. Il réaffirme le risque de fuite ainsi que celui de collusion, le prévenu pouvant tenter d'influencer ses enfants en allant à leur contact au foyer ou encore à celui d'autres personnes et/ou parties "clés" qui pourraient être entendues à l'audience de jugement, telles que G______.

Le risque de réitération devait être retenu au regard de la jurisprudence récente du Tribunal fédéral et de l'art. 221 al. 1bis let. a et b nCPP, dans sa teneur dès le 1er janvier 2024, qui prévoit que "La détention provisoire et la détention pour des motifs de sûreté peuvent exceptionnellement être ordonnées aux conditions suivantes: le prévenu est fortement soupçonné d'avoir porté gravement atteinte à l'intégrité physique, psychique ou sexuelle d'autrui en commettant un crime ou un délit grave (let. a); il y a un danger sérieux et imminent qu'il commette un crime grave du même genre (let. b)".

Une mise en liberté sous mesures de substitution à ce stade présentait des risques vis-à-vis des enfants de A______ et des enfants en général, au regard de l'expertise. La détention du prévenu demeurait largement proportionnée à la peine qu'il encourrait, l'audience de jugement ayant été appointée au 15 janvier 2024.

c. Le TMC maintient les termes de son ordonnance sans autre remarque.

d. Le recourant réplique.


 

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222 et 393 al. 1 let. c CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant ne revient pas sur les charges suffisantes, même s'il les réfute en très grande partie. Partant, il n'y pas lieu de s'y attarder.

3.             Il conteste les risques de fuite, collusion et réitération.

3.1. Aux termes de l'art. 221 al. 1 let. c CPP, la détention provisoire peut être ordonnée lorsqu'il y a sérieusement lieu de craindre que le prévenu "compromette sérieusement la sécurité d'autrui par des crimes ou des délits graves après avoir déjà commis des infractions du même genre". Selon la jurisprudence, il convient de faire preuve de retenue dans l'appréciation du risque de récidive: le maintien en détention ne peut se justifier pour ce motif que si le pronostic est très défavorable et si les délits dont l'autorité redoute la réitération sont graves (ATF 137 IV 13 consid. 4.5; 135 I 71 consid. 2.3; 133 I 270 consid. 2.2). Bien qu'une application littérale de l'art. 221 al. 1 let. c CPP suppose l'existence d'antécédents, le risque de réitération peut être également admis dans des cas particuliers alors qu'il n'existe qu'un antécédent, voire aucun dans les cas les plus graves. La prévention du risque de récidive doit en effet permettre de faire prévaloir l'intérêt à la sécurité publique sur la liberté personnelle du prévenu (ATF 137 IV 13 consid. 3-4 p. 18 ss; cf. arrêt 1B_133/2011 du 12 avril 2011 consid. 4.7). Le risque de récidive peut également se fonder sur les infractions faisant l'objet de la procédure pénale en cours, si le prévenu est fortement soupçonné - avec une probabilité confinant à la certitude - de les avoir commises
(ATF 137 IV 84 consid. 3.2).

3.2. En l'occurrence, le recourant conteste la plupart des actes reprochés sur ses enfants, dont les déclarations ont, cependant, été retenues comme crédibles par l'expert. Les mineurs, qui ont été réentendus en mai 2023, ont tenu les mêmes déclarations.

Par ailleurs, si l'expert a retenu que le prévenu souffrait d'un trouble de la préférence sexuelle de type pédophilie "peu sévère", notamment parce non exclusive de relations avec des femmes adultes, il a donné cette réponse à la question de la responsabilité (capacités volitives) de A______ et non à celle de l'appréciation du risque de récidive sexuelle pour des faits de même nature, qu'il a évalué comme étant de niveau moyen, en particulier en retenant le facteur de protection que représente l'acceptation d'une prise en charge psychologique et/ou psychiatrique. Or, en l'espèce, si le recourant adhère à cette prise en charge – spécifiquement concernant le travail de psychoéducation sur le développement des enfants et les conséquences de l'exposition précoce à des contenus pornographiques –, force est, cependant, de constater qu'il conteste une partie importante des faits reprochés et sur lesquels le suivi thérapeutique ne porte ainsi pas. La procédure pénale ne semble pas, aux yeux de la Chambre de céans, avoir conduit à une remise en question du prévenu, de sorte que l'on ne peut le suivre quand il soutient que son incarcération devait être considérée comme un facteur de protection.

Ce danger de récidive apparaît d'autant moins faible que l'expert a indiqué que le fait d'être exposé à la présence de ses enfants dans le cadre familial augmentait les risques. Or, les autorités pénales ne sont pas compétentes s'agissant de la prise en charge des enfants et la Chambre de céans ignore les perspectives prévues pour ces derniers ainsi que l'organisation du foyer, tout comme la présence ou non d'enfants dans l'entourage du recourant. Rien ne permet ainsi d'exclure, si le prévenu était libéré aujourd'hui, qu'il ne tente, sous le prétexte des fêtes de fins d'années, par exemple, d'approcher ses enfants voire ne commette des actes pédophiles à l'égard d'autres enfants qu'il pourrait côtoyer dans sa vie quotidienne, que ce soit dans le cercle familial ou hors de celui-ci.

Ce risque est d'autant plus élevé qu'il est notoire que le traitement des pédophiles nécessite un suivi de plusieurs années – ce que l'expertise relève du reste aussi – , et que le recourant n'est suivi à B______ que depuis août 2022. Or, le recourant n'envisage aucune prise en charge thérapeutique à sa sortie de prison, omission qui peut s'interpréter comme un refus de remise en question dangereux au regard du risque de réitération.

L'hébergement du recourant chez sa mère n'apparait pas susceptible d'empêcher le recourant de récidiver ni de protéger de manière sûre les enfants de sa pédophilie.

Ainsi, le maintien du prévenu en détention pour prévenir tout risque de récidive permet-il de faire prévaloir l'intérêt à la sécurité publique sur la liberté personnelle de l'intéressé.

C'est donc à juste titre que le premier juge a retenu un danger de réitération sans mesures de substitution. Le principe de proportionnalité étant respecté, l'audience devant le Tribunal étant fixée à brève échéance.

Cette conclusion dispense l'autorité d'examiner si un autre risque – alternatif – serait également réalisé (arrêt du Tribunal fédéral 1B_51/2021 du 31 mars 2021 consid. 3.1 et la jurisprudence citée).

4.             Le recours s'avère ainsi infondé et doit être rejeté.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03). En effet, l'autorité de recours est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).

6.              Le recourant plaide au bénéfice d'une défense d'office.

6.1. Selon la jurisprudence, le mandat de défense d'office conféré à l'avocat du prévenu pour la procédure principale ne s'étend pas aux procédures de recours contre les décisions prises par la direction de la procédure en matière de détention avant jugement, dans la mesure où l'exigence des chances de succès de telles démarches peut être opposée au détenu dans ce cadre, même si cette question ne peut être examinée qu'avec une certaine retenue. La désignation d'un conseil d'office pour la procédure pénale principale n'est pas un blanc-seing pour introduire des recours aux frais de l'État, notamment contre des décisions de détention provisoire (arrêt du Tribunal fédéral 1B_516/2020 du 3 novembre 2020 consid. 5.1).

6.2. En l'occurrence, quand bien même le recourant succombe, la prise en charge des honoraires de son défenseur d'office sera admise pour ce recours déposé en fin d'instruction.

L'indemnité du défenseur d'office sera toutefois fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Met A______ au bénéfice de l'assistance judiciaire pour l'instance de recours

Met à la charge de A______ aux frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant (soit, pour lui, son défenseur), au Ministère public et au Tribunal des mesures de contrainte.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.


 

P/5662/2022

ÉTAT DE FRAIS

ACPR/

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

 

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

 

- délivrance de copies (let. b)

CHF

 

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

 

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

900.00

 

-

CHF

 

 

Total

CHF

985.00