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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/8009/2023

ACPR/747/2023 du 27.09.2023 sur ONMMP/2451/2023 ( MP ) , REJETE

Recours TF déposé le 02.11.2023, 7B_848/23
Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;INFRACTIONS CONTRE LE PATRIMOINE;ABUS DE CONFIANCE;ESCROQUERIE;GESTION DÉLOYALE;ASTUCE;TROMPERIE;GÉRANT(SENS GÉNÉRAL);FONCTION
Normes : CPP.310; CP.138; CP.146; CP.158

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/8009/2023 ACPR/747/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 27 septembre 2023

 

Entre

A______, domicilié ______, représenté par Me Ghita DINSFRIEND-DJEDIDI, avocate, DN Avocats, rue Robert-Céard 6, 1204 Genève,

recourant,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 20 juin 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 3 juillet 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 20 juin précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte.

Le recourant conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de ladite ordonnance et au renvoi de la cause au Ministère public afin de compléter l'instruction pour rendre une ordonnance pénale ou porter l'accusation devant le tribunal de première instance.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 3'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.C______/1______ SA (ci‑après: C______/1______ SA, société fille), créée le ______ 2009, fait partie d'un groupe de sociétés (ci-après: le Groupe C______), dont la société mère C______/2______ SA appartenait jusqu'en octobre 2014 aux sociétés de la famille D______/F______, soit notamment C______/3______ SA et C______/4______ SA.

Le capital social de C______/1______ SA était composé de 100 actions nominatives de CHF 1'000.- chacune, détenues en intégralité par C______/2______ SA.

Dès 2010, C______/1______ SA ont eu comme administrateurs notamment D______ et E______.

F______, frère de D______, est l'unique ayant droit économique de C______/2______ SA et de C______/1______ SA.

Les deux sociétés précitées n'ont jamais eu de revenus propres et ont toujours été financées par leurs ayants droit économiques ou des tiers.

b. Les sociétés précitées avaient pour but de développer un projet immobilier résidentiel et hôtelier dans la commune de G______ [VS], intitulé "H______", dont le coût a été estimé à CHF 19'250'000.- – selon le rapport du 23 juillet 2014 rendu par I______ SA, à la suite de leur audit de C______/1______ SA pour l'exercice 2013 –.

Ce projet était divisé en deux phases. La première correspondait à l'activité déployée par la société C______/1______ SA – édification de 28 résidences privées – et la seconde, à celle pilotée par C______/2______ SA – réalisation d'un hôtel 5 étoiles –.

c. Afin de financer une partie du projet "H______" A______ a signé, le 29 juin 2010, un contrat de prêt participatif avec C______/1______ SA à hauteur de CHF 5'000'000.-.

À teneur de celui-ci, à l'époque, le prêt devait servir à financer 50% des fonds propres nécessaires au projet immobilier (ch. 2). En cas de faillite de l'emprunteur, la créance résultant du prêt était subordonnée au paiement de tous les autres créanciers (ch. 7).

En juillet et septembre 2010 ainsi qu'en février 2011, A______ a effectué différents transferts en faveur de C______/1______ SA, pour un montant total de CHF 5'400'000.-.

d. Dans le cadre du projet, C______/1______ SA a acquis les parcelles 1______, 2______, 3______, 4______, 5______, 6______ et 7______ pour le prix de CHF 5'150'000.-, avec un transfert de propriété inscrit au registre foncier le ______ 2010 et, C______/2______ SA, la 8______, pour un montant de CHF 980'000.-, le 3 octobre 2012.

Le 7 juin 2011, l'autorisation de construire – qui est toujours valable – a été délivrée pour la première phase, qui a débuté en 2012.

e. Faute de financement, la première phase a ensuite été suspendue et la seconde n'a jamais débutée.

Selon les différents rapports financiers des comptes annuels révisés, entre 2009 et 2013, C______/3______ SA et C______/4______ SA avaient financé le développement du projet immobilier via différents prêts s'élevant au total, respectivement à CHF 18'463'238 et CHF 12'071'810.-. Dès l'exercice 2010, C______/1______ SA était en surendettement et, en 2013, C______/3______ SA avait renoncé à sa créance de CHF 16'349'629.-.

f. C______/1______ SA et C______/2______ SA ont été dissoutes par suite de faillite prononcée par jugement du Tribunal de première instance du 15 mars 2016.

g. Selon l'expertise immobilière du 15 avril 2016, l'estimation totale des parcelles acquises par C______/1______ SA était de CHF 1'097'246.- (CHF 1'054'800.- pour la parcelle principale, CHF 42'446 pour le reste des parcelles) et de CHF 350'000.- pour la 8______ appartenant à C______/2______ SA. Les photographies annexées montraient un terrain inoccupé, sans aucune construction. Seule une habitation figurait sur la parcelle 8______.

Les parcelles 1______, 2______, 3______, 4______, 5______, 6______ et 7______ ont été grevées de cédules hypothécaires pour un montant total de CHF 2'600'000.-, gagées auprès de la banque J______ pour l'obtention d'un crédit hypothécaire de CHF 1'800'000.-. En outre, la société K______ AG bénéficiait d'une hypothèque légale.

h. L'état de collocation de C______/1______ SA, déposé le 7 février 2017, s'élevait à CHF 5'413'735.-, sans comptabilisation du prêt de A______, celui-ci n'ayant pas été retenu. Les prétentions admises émanaient d'entreprises ayant œuvré au projet immobilier, à savoir notamment des ingénieurs, ingénieurs civils, promoteurs, diverses prestations de marketing, consultants, architectes, ainsi que de la mise à disposition de matériaux.

Les parcelles propriété de C______/1______ SA ont été vendues pour le prix de CHF 1'500'000.- de sorte que la banque J______ a pu récupérer une partie de son crédit hypothécaire, un solde de CHF 428'568.- restant dû.

i. Le 13 avril 2023, A______ a déposé plainte contre les organes de C______/1______ SA et D______ pour abus de confiance, escroquerie et gestion déloyale.

En raison de l'amitié qui le liait à D______ et de son absence de connaissance dans le domaine immobilier, le prénommé l'avait convaincu d'investir dans le projet immobilier précité par le biais du prêt susmentionné (cf. let. B. c. supra). À la signature du contrat, il n'avait pas été informé de la situation financière de C______/1______ SA, ni prêté attention aux clauses du contrat, notamment celle relative à la postposition de sa créance. Dès 2010, bien qu'elle soit en situation de surendettement, C______/1______ SA avait, chaque année, renoncé à aviser le juge sous prétexte de postposition de créances par certains créanciers, lesquels s'étaient avérés être affiliés aux sociétés dont F______ était l'ayant droit économique.

Partant, déjà en 2010, le projet était irréalisable, ce que savait pertinemment D______ lorsqu'il l'avait encouragé, de manière astucieuse, à conclure le contrat de prêt.

En outre, il n'avait aucune idée de ce qu'il était advenu des fonds qu'il avait prêtés de sorte qu'il n'était pas exclu que ceux-ci avaient servi à des fins totalement étrangères à leur finalité initiale.

C. a. Dans la décision querellée, le Ministère public considère que les éléments constitutifs des infractions dénoncées n'étaient manifestement pas remplis.

Il relève que, jusqu'en 2013, C______/1______ SA avait investi plus de CHF 19'000'000.- et que la réalité du projet n'était plus à démontrer, même s'il n'avait pas abouti; qu'il n'y avait aucun élément au dossier permettant d'établir que le prêt litigieux aurait été employé à d'autres fins que celles auxquelles il était destiné; qu'au moment du prêt, le projet était en plein démarrage, a priori réalisable avec le financement adéquat; que le contrat spécifiait, dès le départ, que la créance était subordonnée au paiement de tous les autres créanciers; que C______/1______ SA, étant dotée d'un très faible capital social et vu les investissements prévus, était destinée à être très rapidement en état de surendettement, ne générant que des frais financés par son actionnaire et ses investisseurs; que le groupe de D______ avait financé le projet immobilier en fonds propres pour plus de 50%, soit plus que ce qui était prévu au moment du prêt; et qu'aucun échange de correspondance n'était intervenu entre A______ et C______/1______ SA ou D______ faisant état de l'inquiétude de celui-là quant à l'issue du projet. Ce n'était que bien après la décision de faillite de la société C______/1______ SA que A______ s'était soucié du sort de son financement, soit au moment du dépôt de sa production (tardive) auprès de l'Office des faillites.

En outre, s'agissant de l'infraction de gestion déloyale, d'une part, A______ n'expliquait pas en quoi les faits dénoncés remplissaient cette disposition et, d'autre part, il n'existait pas de soupçons suffisants.

b. Par courrier du 26 juin 2023, A______ a notamment versé à la procédure un courrier du 26 septembre 2018 de E______, adressé à l'Office des faillites, à teneur duquel il explique qu'"il semblerait qu'au moins une partie des fonds prêtés [par lui] ait été virée sur le compte d'autres sociétés du groupe auquel appartenait C______/1______ SA".

c. Le 27 juin 2023, le Ministère public a répondu qu'aucun élément nouveau ne justifiait la reprise de la procédure préliminaire.

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir constaté les faits de manière inexacte, ainsi qu'une violation de droit. En particulier, l'autorité précédente ne pouvait estimer qu'aucun des éléments constitutifs des infractions dénoncées n'étaient réunis, ni que les faits étaient clairs ou de peu d'importance, ni non plus qu'aucun acte d'enquête n'était propre à étayer les charges dénoncées. Une analyse minutieuse des pièces produites, ainsi qu'une audience de confrontation devaient permettre de faire la lumière sur les faits dénoncés.

Il précise que C______/1______ SA n'avait pour seul but que la construction du projet immobilier de sorte qu'il n'existait aucun motif crédible justifiant que la somme qu'il avait prêtée ait été transférée sur les comptes d'autres sociétés appartenant à D______. De plus, quelques mois à peine après sa création, C______/1______ SA était endettée de plusieurs millions de francs, ce qui aurait dû alerter le Ministère public, le sérieux de ladite société ne pouvant être estimé sur la base du montant de son capital. En outre, D______ n'avait pas hésité à exploiter leur proximité et son manque de connaissance pour lui mentir de manière éhontée à réitérées reprises, en lui assurant notamment que "tout irait bien" et que la construction allait "très prochainement commencer". Enfin, alors qu'aucune activité réelle n'avait été déployée, les dettes de C______/1______ SA pour 2013 – qui, selon son calcul, s'élevaient à CHF 28'278'126.28 –, représentaient plus de cinq fois le montant prêté, lequel devait représenter 50% des investissements nécessaires.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP) (ATF 137 I 195 consid. 2.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1.), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes du Ministère public auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-devant.

4.             4.1. Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore". Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et art. 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 al. 1 CPP) et signifie qu'en principe une non-entrée en matière ne peut être prononcée par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1).

4.2. Se rend coupable d'abus de confiance quiconque, sans droit, emploie à son profit ou au profit d’un tiers des valeurs patrimoniales qui lui ont été confiées (art. 138 ch. 1 al. 2 CP).

4.3. Les valeurs patrimoniales remises dans le cadre d’un contrat de prêt peuvent, à certaines conditions, être qualifiées de valeurs patrimoniales confiées. Tel peut notamment être le cas lorsque le contrat de prêt contient une obligation, à charge de l’emprunteur, de conserver la contre-valeur de ce qu’il a reçu, soit une obligation de rembourser en tout temps ("Werterhaltungspflicht"). Il est toutefois nécessaire que l’affectation des valeurs patrimoniales soit définie avec clarté et serve à couvrir les risques du prêteur ou, du moins, à diminuer son risque de perte. L'affectation convenue doit donc représenter en elle-même une forme de garantie. L'utilisation de l'argent prêté contrairement à sa destination convenue peut dès lors être constitutive d'abus de confiance lorsqu'elle remet en cause cet objectif et s'avère propre à causer un dommage (ATF 129 IV 257 consid. 2.2.2 et 2.3; M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2017, n.35 ad art. 138).

Ainsi, le Tribunal fédéral a considéré que lorsqu’un prêt est accordé dans un but précis, soit en l’espèce, dans le but d’acquérir un immeuble déterminé, avec un remboursement prévu lors de sa revente, l’emprunteur est tenu contractuellement de consacrer l’argent prêté à l’achat de l’immeuble et de le conserver jusqu’à cet achat. Le prêteur peut en effet partir du principe qu’il sera remboursé si l’emprunteur respecte l’affectation des fonds telle que prévue par le contrat. Dans ces conditions, l’emprunteur qui utilise les fonds pour ses besoins personnels commet un abus de confiance (ATF 120 IV 117 consid. 2f JdT 1996 IV 35). En revanche, lorsque la destination du prêt n’a pas été précisée, l’emprunteur peut utiliser les fonds comme bon lui semble. Il n’a pas l’obligation de conserver en tout temps la contre-valeur de ce qu’il a reçu. En effet, dans le cadre d’un prêt, le principe est que l’emprunteur doit uniquement rembourser la somme prêtée selon les termes contractuels ou, à défaut de mention expresse, dans les délais légaux. Il ne peut donc y avoir d’abus de confiance dans ces circonstances (ATF 120 IV 117 précité). Ainsi, le Tribunal fédéral n’a pas retenu l’abus de confiance s’agissant de l’utilisation à des fins personnelles par l’administrateur d’une société d’un prêt commercial à court terme destiné au financement de l’activité courante de l’entreprise (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1043/2013 du 4 juillet 2014 consid. 4; A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 39 ad art. 138).

Le Tribunal fédéral a en revanche reconnu qu’il y avait abus de confiance en lien avec un contrat de prêt notamment lorsque dans le cadre d’un crédit de construction, les sommes prêtées par la banque, qui devaient être exclusivement affectées à l’acquisition d’un terrain et à la construction d’un bâtiment, sont remises par l’emprunteur à des sociétés de son groupe ou utilisées pour éteindre des dettes personnelles. En effet, dans la mesure où l’emprunteur s’était engagé envers la banque à investir les fonds dans le bâtiment, l’utilisation du crédit pour la construction constituait une garantie pour la banque (ATF 124 IV 9 consid. 1a) ; la somme prêtée, destinée au financement de travaux de construction dont la plus-value garantissait au prêteur la couverture de son risque à l’investissement, avait en réalité été affectée au règlement de diverses factures de l’emprunteur (arrêt du Tribunal fédéral 6B_827/2008 du 7 janvier 2009 consid. 1.4; A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), op cit., n. 40 ad art. 138).

4.4. Selon l'art. 146 al. 1 CP, se rend coupable d'escroquerie quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, induit astucieusement en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou la conforte astucieusement dans son erreur et détermine de la sorte la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d’un tiers.

4.4.1. La tromperie peut consister soit à induire la victime en erreur, par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais, soit à conforter la victime dans son erreur. Pour qu'il y ait tromperie par affirmations fallacieuses, il faut que l'auteur ait affirmé un fait dont il connaissait la fausseté (ATF 140 IV 206 consid. 6.3.1.2). La tromperie par dissimulation de faits vrais est réalisée lorsque l'auteur s'emploie, par ses propos ou par ses actes, à cacher la réalité. S'il se borne à se taire, à ne pas révéler un fait, une tromperie ne peut lui être reprochée que s'il se trouvait dans une position de garant, à savoir s'il avait, en vertu de la loi, d'un contrat ou d'un rapport de confiance spécial, une obligation de parler (cf. not. arrêt du Tribunal fédéral 6B_1050/2019 du 20 novembre 2019 consid. 4.1 et les références citées). Quant au troisième comportement prévu par la loi, il se distingue des deux précédents en ce sens que l'erreur est préexistante (arrêt du Tribunal fédéral 6B_718/2018 du 15 mars 2019 consid. 4.3.1).

4.4.2. Pour qu'il y ait escroquerie, une simple tromperie ne suffit pas. Il faut encore qu'elle soit astucieuse. Il y a tromperie astucieuse, au sens de l'art. 146 CP, lorsque l'auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu'il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n'est pas possible, ne l'est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l'auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu'elle renoncera à le faire en raison d'un rapport de confiance particulier (ATF 147 IV 73 consid. 3.2). L'astuce n'est toutefois pas réalisée si la dupe pouvait se protéger avec un minimum d'attention ou éviter l'erreur avec le minimum de prudence que l'on pouvait attendre d'elle (ATF 135 IV 76 consid. 5.2).

Pour apprécier si l'auteur a usé d'astuce et si la dupe a omis de prendre les mesures de prudence élémentaires, il ne suffit pas de se demander comment une personne raisonnable et expérimentée aurait réagi à la tromperie. Il faut, au contraire, prendre en considération la situation particulière de la dupe, telle que l'auteur la connaît et l'exploite, par exemple une faiblesse d'esprit, l'inexpérience ou la sénilité, mais aussi un état de dépendance, d'infériorité ou de détresse faisant que la dupe n'est guère en mesure de se méfier de l'auteur. L'exploitation de semblables situations constitue précisément l'une des caractéristiques de l'astuce (ATF 147 IV 73 consid. 3.2;
128 IV 18 consid. 3a; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1010/2018 du 22 janvier 2019 consid. 3.3.1).

4.5. L'art. 158 CP punit quiconque, en vertu de la loi, d'un mandat officiel ou d'un acte juridique, est tenu de gérer les intérêts pécuniaires d'autrui ou de veiller sur leur gestion et qui, en violation de ses devoirs, porte atteinte à ces intérêts ou permet qu'ils soient lésés (ch. 1 al. 1).

Revêt la qualité de gérant celui à qui il incombe, de fait ou formellement, la responsabilité d'administrer un complexe patrimonial non négligeable dans l'intérêt d'autrui (ATF 142 IV 346 consid. 3.2; 129 IV 124 consid. 3.1).

4.6. En l'espèce, il ressort des éléments au dossier que le recourant a prêté de l'argent à la mise en cause sur la base d'un "contrat de prêt participatif" afin de financer une partie d'un projet immobilier. Le versement est intervenu peu après l'acquisition des parcelles devant accueillir le complexe prévu, soit au début dudit projet.

S'agissant de l'infraction d'abus de confiance, le prêt devait être investi dans le cadre du projet immobilier "H______", sans autre précision. Or, les différents documents produits attestent d'une activité réelle de la mise en cause dans le cadre dudit projet, pour un montant bien supérieur à celui prêté. Ainsi, en l'absence de l'obligation d'en conserver la contre-valeur, peu importe si une partie des fonds litigieux a été virée sur le compte d'autres sociétés du groupe auquel appartenait la mise en cause. D'ailleurs, un tel transfert ne signifie pas pour autant que les fonds n'ont pas été utilisés aux fins prévues, d'autres sociétés du groupe auquel appartenait la mise en cause étant également en charge du projet.

Par ailleurs, au vu de la jurisprudence, il apparaît douteux que l'on puisse considérer qu'un contrat de prêt – qui prévoit qu'en cas de faillite, la créance soit postposée au désintéressement de l'ensemble des créanciers – soit propre à couvrir les risques du prêteur ou, même, à diminuer son risque de perte, bien au contraire.

On ne peut donc valablement retenir que le prêt litigieux représenterait des valeurs patrimoniales confiées.

Au surplus, il est rappelé qu'en acceptant la subordination de sa créance au désintéressement de l'ensemble des créanciers, en cas de faillite, le recourant avait accepté la perte de celle-là. C'est d'ailleurs ce qui s'est produit, les dettes de la mise en cause – qui s'élevaient, selon l'état de collocation, à CHF 5'413'735.-, auxquelles s'ajoutait la créance du recourant; et, selon le calcul du recourant, à CHF 28'278'126.28 –, étaient bien supérieures au montant du prêt.

Partant, l'infraction d'abus de confiance n'est pas réalisée.

Compte tenu de ce qui précède et que le projet, au moment du prêt, était considéré comme réalisable, on ne voit pas sur quel élément le recourant aurait été trompé et, qui plus est, de manière astucieuse.

Le fait que la mise en cause, après sa création, ait rapidement été en situation de surendettement ne modifie pas ce constat. En effet, comme l'a, à juste titre, relevé le Ministère public, vu son capital social relativement faible par rapport aux investissements prévus et le fait que la mise en cause ne déployait aucune activité rémunératrice et ne dépendait que des financements des actionnaires et investisseurs, cela apparaissait prévisible sinon inévitable. Ainsi, dans le cas présent, cette situation ne semble pas être un élément pénalement pertinent.

En outre, on ne voit pas de quel procédé astucieux aurait été victime le recourant. Le fait d'avoir été amené sur les lieux du projet immobilier atteste plutôt de la réalité de celui-ci, les parcelles en question ayant été acquises par la mise en cause précisément dans ce but. Quant aux paroles rassurantes du mis en cause, qui plus est en l'absence d'indication temporelle sur leur énonciation, elles n'apparaissent pas probantes, en tout cas pas au point de dissuader le recourant de prendre de plus amples renseignements.

Enfin, pour que la tromperie soit astucieuse, faut-il encore que la personne dupée ait fait preuve du minimum d'attention que l'on pouvait attendre d'elle. Le rapport de confiance le liant au mis en cause ou même son absence de connaissance dans le domaine immobilier, ne le dispensait pas, bien au contraire, de se renseigner ne serait-ce que sur la situation financière de la mise en cause, voire sur le projet envisagé, compte tenu du montant du prêt envisagé et de la clause de postposition de sa créance.

En conséquence, les éléments constitutifs de l'infraction d'escroquerie ne sont pas non plus remplis.

Enfin, on ne voit pas, au vu du contrat signé et en l'absence d'autre élément dans ce sens, que les mis en cause auraient eu la qualité de gérant en ce qui concerne le prêt litigieux, ce que le recourant n'allègue pas au demeurant. Ainsi, l'infraction de gestion déloyale n'est pas non plus réalisée.

Au vu de ce qui précède, les actes d'enquête sollicités ne sont pas propres à modifier l'issue de la cause.

5. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et le recours rejeté.

6. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 3'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 3'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Oriana BRICENO LOPEZ, greffière.

 

La greffière :

Oriana BRICENO LOPEZ

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).

P/8009/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

2'915.00

Total

CHF

3'000.00