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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/9412/2014

ACPR/554/2023 du 20.07.2023 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL

Descripteurs : SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE);MOTIVATION DE LA DÉCISION;DÉCISION DE RENVOI;COMPÉTENCE;MISE EN ACCUSATION
Normes : CP.70.al2; Cst.29.al2; CPP.3.al2.letc; CPP.263

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/9412/2014 ACPR/554/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 20 juillet 2023

Entre

 

A______, domicilié en Russie, comparant par Mes B______ et C______, avocats,

recourant,

 

contre la décision de refus de levée de séquestre rendue le 28 février 2023 par le Ministère public,

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 


Vu :

-          la décision rendue le 28 février 2023, par laquelle le Ministère public a rejeté la demande de A______ de lever le séquestre ordonné sur sa relation no 1______, ouverte dans les livres de la banque D______, en Lettonie;

-            le recours formé le 13 mars 2023 par A______ contre cette décision – reçue le 1er du même mois par ses conseils –, dans lequel il conclut, sous suite de frais et dépens chiffrés à CHF 1'800.-, à ladite levée;

-            les sûretés en CHF 1'800.- versées par le prénommé.

Attendu en fait que :

-            une procédure pénale est ouverte, depuis 2014, contre E______ – ancien gérant de fortune auprès des banques F______ [anciennement G______] et H______ – des chefs, notamment, d’escroquerie par métier et faux dans les titres, pour avoir, entre autres comportements :

remboursé à I______ un prêt que ce dernier lui avait consenti, en débitant CHF 330'000.- du compte d’une cliente de H______, indûment et à l’insu de celle-ci;

obtenu de A______ , client de F______, sur présentation de faux document(s)/renseignement(s), qu’il investisse USD 5 millions dans un fonds;

comblé la perte d’USD 1.9 million ayant résulté de ce dernier investissement, en débitant EUR 2.25 millions sur des comptes ouverts auprès de H______, sans droit et à l’insu de leurs titulaires, la somme précitée ayant, in fine, été créditée sur l’une des relations détenue par A______ auprès de D______, en Lettonie;

-            le Ministère public a ordonné le séquestre de comptes bancaires appartenant, notamment, à I______ et A______, soit pour ce dernier des relations nos 1______ et 2______, ouvertes auprès de la banque lettone précitée (mesure dont l’assiette a été limitée à EUR 2.25 millions);

-            en juin 2017, H______ et A______ – parties plaignantes dans la présente procédure – ont conclu une convention, aux termes de laquelle celui-ci cédait à celle-là tous ses droits contre F______ et E______, moyennant quoi le cédant conserverait, sur ses comptes en Lettonie, EUR 1.75 million environ et restituerait à la banque cessionnaire EUR 500'000.-, charge pour celle-ci de requérir du Procureur la libération de cette dernière somme;

-            par décision du 19 janvier 2018, le Ministère public a refusé d’exécuter cette convention, plus particulièrement de lever le séquestre frappant les avoirs de A______, considérant, d'une part, que ces fonds constituaient le produit d'une infraction et étaient, comme tels, sujets à confiscation et, d'autre part, que les actes de disposition envisagés par ladite convention "présuppos[ai]ent une acquisition de bonne foi des avoirs concernés – circonstance qu'il conviendra[it] le moment venu d'examiner (art. 70 al. 2 CP) et qui [était] en l'état contestée";

-            cette décision n’a pas été frappée de recours;

-            par arrêt ACPR/313/2019 rendu le 3 mai 2019 – confirmé par le Tribunal fédéral le 8 janvier 2020 (1B_272/2019) –, la Chambre de céans a levé le séquestre ordonné sur les avoirs de I______, au motif que ce dernier était de bonne foi, au sens de l’art. 70 al. 2 CP, lorsqu’il avait reçu la somme de CHF 330'000.-;

-            le 21 juillet 2022, le Procureur a informé les parties de son intention de renvoyer en jugement E______ pour l’essentiel des faits qui lui étaient reprochés;

-            le 31 octobre 2022, A______ a requis du Ministère public la levée du séquestre ordonné sur son compte no 1______, arguant qu’il était de bonne foi au moment où il avait encaissé les EUR 2.25 millions litigieux, bonne foi dont attestait, entre autres éléments, le prononcé, le 11 avril 2018, par les autorités lettones – lesquelles avaient ouvert une procédure pénale contre lui, après avoir appris l’existence du séquestre frappant ses comptes –, d’un classement en sa faveur [décision versée au dossier], celles-là étant parvenues à la conclusion qu’il ignorait l’origine illicite des fonds ayant servi à l’indemniser;

-            sans nouvelle du Procureur, A______ a réitéré sa demande le 30 janvier 2023;

-            le 28 février 2023, le Ministère public a déposé un acte d’accusation auprès du Tribunal correctionnel, dans lequel il concluait, notamment, à ce que les avoirs de A______ soient maintenus sous séquestre "en garantie du prononcé de la créance compensatrice";

-            dans l'ordonnance déférée – rédigée sous forme de lettre –, le Procureur informait A______ : ne pas partager son point de vue quant à sa prétendue bonne foi, "la seule existence de la décision lettone ne permettant pas de s’en convaincre"; avoir déposé, le jour même [i.e. le 28 février 2023], un acte d’accusation, dans lequel la saisie de ses valeurs était "abord[ée]"; qu'il appartiendrait au Tribunal correctionnel de se prononcer sur ladite saisie et aux parties de faire valoir leurs prétentions "dans ce contexte"; en l’état, sa demande de levée de séquestre était rejetée pour les mêmes raisons que celles exposées dans la décision du 19 janvier 2018;

-            à l’appui de son recours, A______ reproche au Ministère public de ne pas avoir motivé sa décision, s’étant contenté de le renvoyer à agir par-devant le Tribunal correctionnel; les conditions posées par l’art. 70 al. 2 CP pouvaient, à ce stade déjà, être considérées comme réunies, au regard des éléments figurant au dossier, telle que la décision de classement lettone; par ailleurs, les motifs retenus par la Chambre de céans, puis le Tribunal fédéral, pour lever le séquestre frappant le compte de I______, étaient transposables à sa propre situation;

-            le procès de E______ se tiendra du 15 au 20 décembre 2023.

Considérant en droit que :

-            le recours est recevable : pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 2, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP); concerner une ordonnance sujette à contestation (art. 263 et 393 al. 1 let. a CPP) auprès de la Chambre de céans, laquelle admet sa compétence pour statuer sur des recours déposés après la saisine de l’autorité de jugement, contre des décisions du Ministère public refusant la levée de séquestre(s) rendues, soit peu avant (ACPR/286/2023 du 24 avril 2023, consid. 1 et consid. 2.3), soit simultanément (ACPR/240/2019 du 22 mars 2019, consid. 3), à un acte d’accusation; émaner du tiers saisi, titulaire du compte mis sous main de justice – A______ n’intervenant pas, ici, en qualité de partie plaignante –, participant à la procédure (art. 105 al. 1 let. f CPP) qui a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 105 al. 2 et 382 al. 1 CPP);

-            des objets et valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers peuvent être placés sous séquestre, en vue de leur probable confiscation (art. 263 al. 1 let. d CPP), respectivement de l'exécution d'une créance compensatrice (art. 71 al. 3 CP);

-            une telle confiscation/créance compensatrice ne peut être prononcée quand un tiers a acquis les valeurs dans l'ignorance des faits qui l'auraient justifiée, et cela dans la mesure où il a fourni une contre-prestation adéquate ou si la mesure se révèle, à son égard, d'une rigueur excessive (art. 70 al. 2 CP et 71 al. 1 in fine CP);

-            le droit d'être entendu, garanti par les art. 3 al. 2 let. c CPP et 29 al. 2 Cst féd., impose à l'autorité l'obligation de motiver sa décision afin, d’une part, que son destinataire puisse l'attaquer utilement et, d’autre part, que la juridiction de recours soit en mesure d’exercer son contrôle (ATF 139 IV 179 consid. 2.2; 138 I 232 consid. 5.1);

-            la Chambre de céans est habilitée, si l’absence de motivation (suffisante) d’une décision l’empêche de statuer, à renvoyer d’office la cause au ministère public (ACPR/168/2023 du 8 mars 2023, consid. 5.2; ACPR/321/2022 du 5 mai 2022, consid. 2.3; ACPR/597/2017 du 1er septembre 2017, consid. 4.3; ACPR/752/2019 du 27 septembre 2019, consid. 2);

-            en l’espèce, le Procureur a refusé de lever le séquestre frappant le compte n° 1______, au motif que le recourant n’aurait pas été de bonne foi [au sens de l’art. 70 al. 2 CP] au moment où il avait reçu les EUR 2.25 millions litigieux;

-            si ce magistrat fait allusion, dans la décision attaquée, au classement rendu par les autorités lettones il n’explique toutefois point pourquoi la teneur de ce prononcé "ne permett[r]a[i]t pas de s[e] convaincre" de la bonne foi du recourant;

-            s'il y fait, en sus, allusion à sa propre ordonnance rendue le 19 janvier 2018, il n’expose pas davantage en quoi les éléments instruits/versés au dossier après cette ordonnance – parmi lesquels figurent les arrêts qui, aux dires du recourant, traiteraient d’une situation assimilable à la sienne – justifieraient le maintien du séquestre querellé;

-            ainsi, faute de motivation (suffisante) sur la réalisation des conditions de l’art. 70 al. 2 CP – examen que le Procureur devait pourtant effectuer "le moment venu", à teneur de sa décision du 19 janvier 2018 –, la Chambre de céans – qui n’a pas à rechercher d’elle-même ce qu’il en est (cf. à cet égard les arrêts ACPR/168/2023 et ACPR/321/2022 précités) – ne peut exercer son contrôle;

-            à cette aune, le recours doit être partiellement admis, l'ordonnance attaquée, annulée, et la cause renvoyée au Ministère public pour qu'il rende – au plus vite, le procès de E______ débutant le 15 décembre 2023 – une décision motivée sur la requête de A______;

-            compte tenu de la nature procédurale du vice constaté, il n'était pas nécessaire d'inviter préalablement le Procureur à se prononcer, la Chambre de céans n'ayant pas traité la cause sur le fond, ni préjugé de l’issue du litige (cf. ATF 133 IV 293 consid. 3.4.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_14/2022 du 6 juin 2023 consid. 2);

-            au vu du sort du recours, les frais de deuxième instance seront laissés à la charge de l'État (art. 428 al. 4 CPP) et les sûretés versées (CHF 1’800.-), restituées au recourant;

-            ce dernier, qui réclame l'octroi de dépens totalisant CHF 1’800.-, équivalant à 4 heures d’activité de chef d’étude, se verra allouer une indemnité (art. 436 al. 3 CPP) de CHF 900.- – correspondant à un temps de travail de 2 heures, durée qui paraît raisonnable afin de faire valoir les aspects développés supra, seuls pertinents pour l'issue du litige, rémunérées au tarif horaire usuel de CHF 450.- –, hors TVA, vu son domicile à l’étranger (ATF 141 IV 344 consid. 4), somme qui sera mise à la charge de l’État.

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet partiellement le recours et annule la décision rendue le 28 février 2023 par le Ministère public.

Renvoie la cause à cette autorité pour nouvelle décision au sens des considérants.

Maintient, dans l’intervalle, le séquestre ordonné sur le compte no 1______ détenu par A______ auprès de D______, en Lettonie.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ les sûretés versées en CHF 1'800.-.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de procédure de CHF 900.- TTC.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui ses conseils, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).