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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/27158/2022

ACPR/331/2023 du 09.05.2023 sur ONMMP/462/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;SOUPÇON;APPROPRIATION ILLÉGITIME;ABUS DE CONFIANCE;SOUSTRACTION D'UNE CHOSE MOBILIÈRE;DÉPENS;LEASING
Normes : CPP.310.al1.leta; CP.137; CP.138; CP.141; CPP.433.al2; CPP.136.al1

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/27158/2022 ACPR/331/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 9 mai 2023

 

Entre

A______ AG, domiciliée ______ [ZH], comparant par Me G______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 6 février 2023 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 15 février 2023, A______ AG recourt contre l'ordonnance du 6 février 2023, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, chiffrés à CHF 3'053.30, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la procédure au Ministère public afin qu'il ouvre une instruction à l'encontre de B______ et C______ Sàrl.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'200.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 22 décembre 2022, A______ AG a déposé plainte contre C______ Sàrl et B______, notamment pour appropriation illégitime.

Elle a expliqué avoir, le 30 juillet 2020, signé avec B______, pour le compte de la société C______ Sàrl, un contrat de leasing portant sur un véhicule
D______ /1______ [marque, modèle] d'une valeur de CHF 18'200.-, avec une valeur résiduelle à la fin du contrat de CHF 150.-. La durée du leasing était fixée à 48 mois, avec une première redevance due de CHF 2'000.-, puis de CHF 376.60 par mois. Le contrat précisait que le véhicule demeurait propriété de la banque, y compris après son échéance. Après avoir versé les redevances jusqu'au 1er mars 2021, C______ Sàrl ne s'était plus acquittée des suivantes. Ainsi, le 2 juillet 2022, elle avait résilié le contrat avec effet immédiat et demandé la restitution du véhicule. C______ Sàrl ne s'étant pas exécutée, elle avait mandaté la société E______ Gmbh pour récupérer le véhicule, en vain. Dans le cadre de ses démarches, le personnel de la société précitée était toutefois entré en contact avec B______, lequel aurait refusé de collaborer, affirmant qu'il ne comptait pas révéler où se trouvait le véhicule. Ainsi, bien que celui-ci ne soit plus l'associé gérant de C______ Sàrl, l'associé gérante actuelle de cette société étant F______, selon l'extrait du registre du commerce produit, il semblait qu'il restait dans les faits la personne utilisant son véhicule et qu'il se comportait, sans droit, comme son propriétaire. Elle craignait en particulier que B______ ne se dessaisisse du véhicule.

Elle a requis que le véhicule D______ /1______ [marque, modèle], n° de matricule 2______, n° de châssis 3______, plaques GE 4______, de couleur blanche/grise, soit déclaré comme disparu et signalé dans le système de recherches informatisées de police (ci-après : le système RIPOL). Elle sollicitait, en outre, les auditions de B______, en qualité de prévenu et de F______, en qualité de personne appelée à donner des renseignements.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a retenu que les éléments dénoncés ne remplissaient pas les éléments constitutifs d'un abus de confiance, aucun acte d'appropriation effectif de la part de C______ Sàrl n'ayant été démontré par la plaignante. Il en allait de même d'un éventuel acte de soustraction. Le simple fait de ne pas payer les mensualités du leasing et de ne pas restituer le véhicule n'était, en tant que tel, pas constitutif d'une infraction pénale mais relevait d'une prétention civile.

D. a. À l'appui de son recours, A______ AG fait valoir que le comportement de C______ Sàrl, soit B______, en ne lui restituant pas, malgré ses nombreuses injonctions, le véhicule, dont elle était restée propriétaire, indiquait "sans équivoque" que l'intéressé entendait le conserver ou en disposer, si cela n'était pas déjà fait, soit se l'était illégitimement approprié, de sorte qu'il existait une prévention suffisante d'abus de confiance, subsidiairement d'une appropriation illégitime, voire d'une soustraction d'une chose mobilière. Le Tribunal fédéral avait d'ailleurs déjà rendu de nombreux arrêts condamnant des preneurs de leasing qui, après la fin du contrat, avaient conservé le véhicule prêté. Une plainte en ce sens était donc parfaitement susceptible de se solder par une condamnation. Le principe "in dubio pro duriore" avait donc été violé. En outre, le Ministère public aurait dû entreprendre des mesures d'instruction, notamment entendre B______, pour déterminer "ce qu'il en était vraiment". En ne le faisant pas, il avait violé la maxime d'instruction. Une non-entrée en matière ne se justifiait donc pas.

Des nouvelles pièces sont jointes au recours, dont il ressort notamment que le véhicule objet de la plainte n'est plus assuré depuis le 5 novembre 2022, ce qui, selon la recourante, rend "hautement vraisemblable" que B______ l'ait exporté à l'étranger.

b. Dans ses observations, le Ministère public relève que les soupçons sont vagues, dès lors qu'ils visent tant le comportement de B______ et de F______, que de tout autre tiers, et qu'ils ne sont, de surcroît, étayés par aucun élément au dossier. La recourante n'avait pas rendu vraisemblable l'existence d'un acte d'appropriation qui aurait, par exemple, pu prendre la forme d'une ré-immatriculation du véhicule ou d'une vente. Le seul fait que le preneur de leasing conserve voire continue d'utiliser le véhicule sans s'acquitter des mensualités, même si le contrat avait été valablement résilié, n'était pas suffisant pour retenir les infractions dénoncées. Par ailleurs, les auditions requises n'apparaissaient pas susceptibles d'apporter des éléments pertinents complémentaires.

c. La recourante réplique. Elle soutenait que B______ agissait comme propriétaire du véhicule et avait l'intention de le lui dissimuler et de l'empêcher de le récupérer, notamment en refusant d'indiquer où il se trouverait, ce d'autant qu'il l'utilisait sans bourse délier depuis dix mois, soit sur une longue période, et qu'il avait cédé la société au nom de laquelle il avait pris le véhicule en leasing, démontrant ainsi une volonté d'appropriation, ledit véhicule ne paraissant ainsi plus être en mains du preneur de leasing.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Les pièces nouvelles produites devant la juridiction de céans sont recevables, la jurisprudence admettant la production de faits et de moyens de preuve nouveaux en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.2).

2. La recourante reproche au Ministère public de ne pas être entré en matière sur sa plainte pénale.

2.1. Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis. Le ministère public doit être certain que les faits ne sont pas punissables (ATF 137 IV 285 consid. 2.3 et les références citées).

Le principe "in dubio pro duriore" découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 19 al. 1 et 324 CPP ; ATF 138 IV 86 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_185/2016 du 30 novembre 2016 consid. 2.1.2 et les références). Il signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'infraction grave (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 p. 243 ; ATF 138 IV 86 consid. 4.1.2 ; ATF 137 IV 285 consid. 2.5 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_417/2017 du 10 janvier 2018 consid. 2.1.2 ; 6B_185/2016 du 30 novembre 2016 consid. 2.1.2 et les références). En cas de doute, il appartient donc au juge matériellement compétent de se prononcer (arrêt du Tribunal fédéral 6B_185/2016 du 20 novembre 2016 consid. 2.1.2 et les références).

2.2.1. L'art. 137 CP punit celui qui, pour se procurer ou procurer à un tiers un enrichissement illégitime, s'approprie une chose mobilière appartenant à autrui.

2.2.2. Selon l'art. 138 ch. 1 al. 1 CP, commet un abus de confiance celui qui, pour se procurer ou procurer à un tiers un enrichissement illégitime, se sera approprié une chose mobilière appartenant à autrui et qui lui avait été confiée.

Ces dispositions nécessitent un dessein d'appropriation. L'appropriation implique que l'auteur veut d'une part la dépossession durable du propriétaire et, d'autre part, qu'il entend s'attribuer la chose, au moins pour un certain temps. La seule volonté d'appropriation ne suffit pas; il faut encore qu'elle se traduise par un certain comportement et que l'auteur montre qu'il incorpore la chose à son patrimoine et se considère comme propriétaire (ATF 121 IV 23 consid. 1c = JdT 1996 IV 166 ; ATF 118 IV 148 = JdT 1994 IV 105). À cet égard, le seul fait de continuer d'utiliser le véhicule à l'échéance du contrat de leasing ne constitue pas nécessairement un abus de confiance; il faut que s'y ajoutent d'autres éléments permettant de penser que le preneur de leasing a la volonté de déposséder durablement le donneur de leasing. Une telle volonté peut se déduire du refus du preneur de leasing de restituer le véhicule parce qu'il conteste le droit de propriété du donneur de leasing; une volonté d'appropriation doit également être admise lorsque l'utilisation excède une certaine durée et dépasse une certaine intensité, et que l'on ne peut plus parler d'usage passager (arrêt du Tribunal fédéral 6B_827/2010 du 24 janvier 2011 consid. 5.5).

2.2.3. L'art. 141 CP punit celui qui, sans dessein d'appropriation, aura soustrait une chose mobilière à l'ayant droit et lui aura causé par là un préjudice considérable.

La soustraction se définit comme la rupture de la possession d'autrui, contraire à la volonté de l'ayant droit, aboutissant à la création d'une nouvelle possession, en général en faveur de l'auteur lui-même (M. DUPUIS / L. MOREILLON /
C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal – Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2017, n. 8 ad art.139). La notion de soustraction de l'art. 141 CP comprend également l'hypothèse de la dissimulation de la chose mobilière (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU /
V. RODIGARI (éds), op. cit., n. 5, ad art.141).

Le Tribunal fédéral a précisé que la violation d'une simple obligation contractuelle de restituer une chose ne constituait pas un acte de soustraction, à moins que l'auteur ne cache ou ne retienne la chose de façon à empêcher le lésé de la récupérer
(M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU /
V. RODIGARI (éds), op. cit., n. 7, ad art.141).

2.3. En l'occurrence, l'autorité intimée soutient que la recourante n'a pas rendu vraisemblable un acte d'appropriation effectif, ce que justifierait une non-entrée en matière sans transmission préalable de la plainte à la police. Il n'est pas contesté que le véhicule litigieux est demeuré propriété de la précitée. Néanmoins, il ressort de la plainte pénale que le mis en cause a refusé de collaborer et de révéler où se trouvait le véhicule qui n'a, à ce jour, pas pu être localisé. La recourante ne peut donc pas le récupérer. De plus, le véhicule objet de la plainte n'est plus assuré depuis le
5 novembre 2022, ce qui, tel que l'a relevé la recourante, peut constituer un indice d'une éventuelle exportation à l'étranger. Dans ce contexte, il paraît vraisemblable que le mis en cause ait eu l'intention de le dissimuler à la recourante ou d'empêcher celle-ci de reprendre son bien, ce d'autant que l'intéressé a cédé la société au nom de laquelle il avait pris le véhicule en leasing, ce qui constitue un élément supplémentaire en faveur d'un acte d'appropriation effectif.

Ainsi, le Ministère public ne pouvait se limiter à considérer que le mis en cause avait simplement cessé de verser les mensualités du leasing et omis de restituer le véhicule, sans autre acte d'appropriation. Au contraire, les informations en sa possession auraient dû le mener à ouvrir une procédure et, à tout le moins, à entendre B______. Les conditions permettant le prononcé d'une ordonnance de non-entrée en matière ne sont ainsi pas remplies.

3. Fondé, le recours doit être admis ; partant, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour ouverture d'une instruction.

Il sera loisible à la partie plaignante de solliciter, devant le Procureur, l’administration des preuves qu’elle estimera utiles.

4. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 4 CPP).

5. La recourante, partie plaignante qui obtient gain de cause, a droit à une indemnité pour ses frais de défense, à la charge de l'État (art. 433 al. 1 let. a cum 436 al. 1 CPP ; ACPR/675/2020 du 24 septembre 2020 consid. 6.2 et les arrêts cités).

Elle conclut à ce titre au versement d'une indemnité de CHF 3'053.30 (TVA à 7.7% et débours à 5% inclus), correspondant à six heures d'activité au tarif horaire de
CHF 450.-.

Compte tenu de l'ampleur des écritures (recours de onze pages, dont une de garde, une de conclusions et cinq de développements juridiques; une réplique de quatre pages) et du dossier, qui ne présente pas de difficultés particulières, il se justifie de lui allouer, au titre de l'exercice raisonnable de ses droits de procédure, à charge de l'État, une indemnité de CHF 1'938.60, TVA de 7.7 % incluse, correspondant à quatre heures d'activité au tarif horaire de CHF 450.-. Les débours de 5%, faute d'être justifiés, ne sauraient quant à eux être pris en considération et seront écartés.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance querellée et renvoie la cause au Ministère public pour ouverture d'une instruction.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à A______ AG, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'938.60, TVA (7.7%) incluse, pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure devant l'instance de recours.

Ordonne la restitution à A______ AG des sûretés versées (CHF 1'200.-).

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______ AG, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).