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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/15356/2022

ACPR/185/2023 du 14.03.2023 sur OCL/1419/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;PLAINTE PÉNALE;MÉNAGE COMMUN;GESTION DÉLOYALE;UTILISATION FRAUDULEUSE D'UN ORDINATEUR;CAPACITÉ DE DISCERNEMENT;CURATEUR
Normes : CPP.319; CP.110; CP.31; CP.158; CP.147

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/15356/2022 ACPR/185/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 14 mars 2023

 

Entre


A
______, domicilié ______, représenté par sa curatrice, B______, Cheffe de secteur du Service de protection de l'adulte, boulevard Georges-Favon 28, case postale 5011,
1211 Genève 11,

recourant,

 

contre l'ordonnance de classement rendue le 3 novembre 2022 par le Ministère public,


et


C
______, domiciliée ______, comparant par Me Juliette VAN BERCHEM, avocate, MING HALPÉRIN BURGER INAUDI, avenue Léon-Gaud 5, case postale, 1211 Genève 12,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 14 novembre 2022, A______, par sa curatrice B______, recourt contre l'ordonnance du 3 novembre 2022, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a rejeté ses réquisitions de preuves et classé la procédure à l'égard de C______.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour complément d'instruction, en particulier en procédant à ses réquisitions de preuves qu'il réitère.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______, né le ______ 1941, et C______, née le ______ 1960, ont vécu trente ans environ en couple dans un appartement sis route 1______ no. ______, [code postal] D______ [GE], dont la seconde est propriétaire.

b. Le 8 avril 2021, E______ a adressé un signalement au Service de protection de l'adulte (ci-après: SPAd).

L'avant-veille, A______ s'était présenté dans une succursale, accompagné par F______, mère de C______, pour commander une nouvelle carte [de débit] G______. Au cours de l'entrevue, le conseiller bancaire avait constaté que depuis son ouverture le 27 mai 2019, le compte de A______ avait été débité de plus de CHF 300'000.-, par le biais de retraits réguliers au bancomat. En outre, l'intéressé était apparu "mentalement absent et s'en rapportant entièrement aux indications de la personne qui l'accompagnait". Compte tenu de la situation, la carte bancaire sollicitée n'avait pas été commandée et le compte en question avait été bloqué à titre conservatoire. À la suite de ce rendez-vous, C______ avait expliqué que son partenaire souffrait de la maladie d'Alzheimer et qu'il ne disposait dès lors plus de toutes ses facultés mentales.

c. Le 16 juillet 2021, H______, Médecin cheffe de clinique de l'Unité de gériatrie communautaire des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après: HUG) a adressé au Tribunal de protection de l'adulte (ci-après: TPAE) et de l'enfant un certificat médical.

A______ avait été suivi par les HUG entre décembre 2016 et septembre 2019, où le suivi avait été suspendu à la demande du patient. Il présentait alors des troubles cognitifs neurodégénératifs légers, connus depuis 2015, avec un diagnostic posé de la maladie d'Alzheimer en avril 2018. En février 2021, le suivi avait repris et elle occupait le rôle de médecin traitant depuis mai 2021, ayant rencontré à deux reprises A______. Elle avait constaté une aggravation des troubles cognitifs neurodégénératifs de son patient. De leur fait, A______ n'était pas capable de gérer ses affaires administratives et financières sans une aide, laquelle était apportée par C______. A______ continuait néanmoins à se déplacer dans un périmètre connu, se rendant notamment [au magasin] I______ pour faire des courses. Il risquait de "s'engager de manière excessive en raison d'influence de personnes mal intentionnées" et de "procéder à des achats compulsifs ou déraisonnables".

d. Le TPAE a tenu une audience le 24 septembre 2021.

À cette occasion, A______, accompagné par son curateur d'office d'alors, Me J______, s'est dit étonné d'apprendre que plus de CHF 300'000.- avaient été débités de son compte. Il ne savait pas où était cet argent. Il ignorait son code et était toujours accompagné par C______ lors de ses retraits au bancomat.

C______ a expliqué avoir travaillé plus de trente ans pour l'entreprise de A______ sans être rémunérée. À la fin, ce dernier lui avait donné "quelques petits sous", soit CHF 20'000.-, pour la remercier.

Au terme de l'instruction, le TPAE a institué, par ordonnance du 24 septembre 2021 (DTAE/6419/2021), une curatelle de portée générale en faveur de A______ et désigné K______ et B______ aux fonctions de co-curatrices.

e. Le 22 avril 2022, la Dre H______ a délivré un certificat médical à l'attention du TPAE.

Elle y affirme derechef que A______ "pourrait s'engager de manière excessive en raison d'influence de personnes mal intentionnées" et n'était pas capable "de discerner si les personnes qui l'entourent [étaient] bienveillantes ou non".

f. Le 19 juillet 2022, K______, en sa qualité de curatrice de A______, a déposé plainte, au nom et pour le compte de ce dernier, "contre inconnu" pour abus de confiance (art. 138 CP) et/ou gestion déloyale (art. 158 CP).

Elle avait obtenu de E______, le 19 avril 2022, les relevés détaillés du compte de A______ et il en ressortait les éléments suivants:

- CHF 232'300.- avaient été retirés en espèces, dont quarante-quatre occurrences de CHF 5'000.- entre le 14 juin 2019 et le 22 février 2021 (soit CHF 220'000.-);

- par ordre permanent, vingt-et-un versements étaient intervenus, entre juillet 2019 et avril 2021, en faveur de C______ pour "participation frais ménage", à hauteur de CHF 5'000.- chacun, soit CHF 105'000.- en tout.

Au total, ledit compte avait été débité de CHF 337'300.- entre le 1er juin 2019 et le 6 avril 2021. Force était alors de constater que A______ avait été dépossédé de la quasi-totalité de ses avoirs bancaires, sans que ceux-ci ne soient utilisés dans son intérêt.

g. Le 20 juillet 2022, le Ministère public a ouvert une instruction contre C______, pour abus de confiance (art. 138 CP) et utilisation frauduleuse d'un ordinateur (art. 147 CP) pour avoir utilisé la carte bancaire de A______, confiée par celui-ci à celle-là, étant précisé qu'elle vivait avec lui et qu'il était atteint dans sa santé mentale, procédant ainsi à de nombreux retraits dans le but de s'enrichir illégitimement.

h. Le 17 août 2022, la police a perquisitionné le domicile de F______, où vivait dorénavant C______, saisissant plusieurs classeurs concernant A______. Une perquisition a également été effectuée dans l'appartement sis route 1______ no. ______, sans donner de résultat.

i. Entendue le même jour, C______ a expliqué vivre chez sa mère depuis trois ans. Elle avait quitté son appartement à D______ car il lui était difficilement supportable de voir son état insalubre causé par la maladie de A______. Ce dernier y vivait avant d'être transféré, au mois de juin 2022, à L______. Lui et elle se fréquentaient depuis trente-quatre ans. Durant toutes ces années, soit même avant la maladie de A______, elle s'était toujours occupée de la partie administrative et comptable du couple. À la fin du mois, elle gérait le paiement des factures. Avec la maladie, sa mère ou elle accompagnait A______ au bancomat car il ne pouvait pas s'y rendre seul, au risque de perdre l'argent sur le chemin du retour. En raison d'une méfiance envers la banque, le précité voulait garder l'argent chez lui. Les sommes retirées servaient autant à lui qu'à elle, pour les dépenses courantes, les factures ou le shopping. Le reste était conservé dans l'appartement mais il arrivait que de l'argent disparût sans qu'elle ne sache où. Elle était impressionnée par le montant total débité du compte.

En sus d'un compte à la banque M______, elle disposait d'un autre à E______ où se trouvaient CHF 30'000.- environ, provenant des virements permanents débités depuis le compte de A______. Ce dernier avait accepté la mise en place de cet ordre permanent et l'argent ainsi versé devait servir à ses dépenses personnelles à elle. Durant deux ans, elle avait dû subvenir aux besoins de A______, qui ne touchait plus de pension. Elle avait cessé d'avoir de l'argent en espèces chez elle depuis qu'elle s'était fait voler CHF 60'000.-.

j. F______, née le ______ 1933, a également été auditionnée par la police.

Elle avait accueilli chez elle sa fille, C______, au printemps 2019, qui souffrait alors d'un cancer du sein, pour l'aider et la soigner. Sa fille avait toujours épaulé A______ avec les factures et n'avait jamais cessé d'être là pour lui, malgré la détérioration de la maladie et son transfert à L______. Pour sa part, elle avait rendu quelques services à A______, notamment aller à la poste pour effectuer les paiements, avec l'argent préalablement retiré par le couple. Les classeurs saisis par la police contenaient les factures ainsi payées pour A______. Elle n'avait accompagné ce dernier au bancomat qu'à une unique occasion, sinon c'était surtout sa fille qui s'en chargeait. L'argent retiré servait pour les paiements. Lors du rendez-vous à E______ du 6 avril 2021, C______ était présente avec A______. Selon elle, c'était à cette occasion que l'ordre permanent avait été discuté et accepté, devant servir à C______ pour aider au ménage et pour les nombreuses années où la précitée avait travaillé pour son compagnon, sans être rémunérée.

k. Selon un rapport de renseignements de la police du 25 août 2022, il ressortait de l'analyse des classeurs saisis au domicile de F______ que C______ s'occupait du suivi de A______, tant au niveau médical que des charges quotidiennes et des factures. Un document semblait faire le résumé des divers paiements effectués pour le compte du précité. La somme calculée – soit CHF 37'858.95 – était inférieure aux CHF 337'300.- débités du compte. Il était toutefois possible que le document ne fût pas complet ou que des fonds furent "perdus" ou "volés".

l. L'audition de A______ ordonnée par le Ministère public n'a pas pu être menée à bien. Par certificat médical du 24 août 2022, les HUG ont attesté que l'intéressé n'était pas en mesure d'être auditionné en raison de sa pathologie.

m. Le Ministère public a versé à la procédure la plainte déposée le 21 février 2022 par C______ pour le vol mentionné dans son audition.

Selon ses explications, un voleur s'était introduit dans le domicile à D______, alors qu'elle y dormait avec A______, et avait emporté CHF 30'000.-. Elle ne connaissait pas son identité mais pensait avoir reconnu un ami de A______ qu'elle soupçonnait de profiter de l'état de faiblesse de ce dernier et qui disposait d'une clé du logement.

n. Dans le délai imparti par l'avis de prochaine clôture, le SPAd a sollicité du Ministère public une expertise médicale visant à établir les troubles dont souffrait A______, la date de leur survenance et les conséquences sur sa capacité de discernement entre 2019 et 2021; les avis de taxation de C______ de 2019 à 2021 pour déterminer sa situation financière et l'audition de la Dre H______.

C. Par l'ordonnance querellée, le Ministère public rejette d'abord les réquisitions de preuves. Une expertise était inconvenable, du moment que A______ ne pouvait plus être entendu en raison de sa pathologie. Par ailleurs, déterminer si celui-ci disposait ou non de la capacité de discernement au moment des faits n'établirait pas la réalisation des éléments constitutifs des infractions visées. Les avis de taxation de C______ n'apporteraient pas d'informations utiles, dans la mesure où celle-ci avait admis avoir reçu de l'argent de A______. Enfin, l'audition de la Dre H______ ferait doublon avec les constats médicaux établis par ses soins et versés à la procédure.

Sur le fond, il était établi que C______ et A______ avaient entretenu une relation intime et vécu sous le même toit pendant environ trente-quatre ans. La première avait déclaré gérer la situation administrative du second, l'accompagner régulièrement au bancomat pour retirer de l'argent devant servir aux dépenses courantes, et avoir reçu – avec l'accord de l'intéressé – un ordre permanent mensuel de CHF 5'000.-, correspondant à un salaire versé pour l'aide apportée. Au regard des éléments figurant au dossier et de l'impossibilité d'auditionner A______, il ne pouvait pas être imputé à C______ des agissements constitutifs d'abus de confiance, voire de gestion déloyale, et d'utilisation frauduleuse d'un ordinateur, de sorte que la probabilité d'un acquittement pour ces infractions apparaissait supérieure à celle d'une condamnation.

D. a. Dans son recours, A______ souligne que si C______ avait, certes, admis avoir retiré avec lui des sommes pour payer les dépenses courantes, le reste étant gardé au domicile, rien n'expliquait pourquoi aucun montant n'avait été découvert lors de la perquisition de l'appartement à D______. Surtout que le résumé des factures acquittées en son nom, figurant parmi les classeurs saisis, portait sur un total inférieur aux retraits effectués depuis son compte. Même à supposer que le document n'était pas complet ou que des montants fussent volés ou perdus, la destination d'une part non-négligeable de ses avoirs restait inconnue. En raison de ce doute et du soupçon fondé, un complément d'instruction s'avérait nécessaire. En outre, le statut de gérante d'affaire sans mandat devait être reconnu à C______. Dès lors, en acceptant de l'accompagner pour les différents retraits au bancomat, alors même qu'il était affaibli dans ses capacité cognitives et qu'une part conséquente de cet argent avait disparu, C______ pouvait s'être rendue coupable d'un comportement constitutif de gestion déloyale. Il était donc nécessaire d'établir une expertise médicale pour établir les troubles dont il souffrait, la date de leur survenance et les conséquences sur sa capacité de discernement durant ces faits. À titre subsidiaire, l'audition de la Dre H______ pouvait se substituer à cette expertise. Pour vérifier enfin si l'argent reçu avait bien servi à couvrir les besoins courants de C______, la production des avis de taxation de celle-ci devait être ordonnée.

b. Dans ses observations, le Ministère public soutient que les explications de C______ quant à la manière dont les fonds de A______ avaient été utilisés apparaissaient crédibles et sans contradiction avec l'instruction. Seule des déclarations contraires de A______ auraient été en mesures d'invalider le récit de la prévenue et rendre la probabilité d'une condamnation équivalente à celle d'un acquittement; ce qui ne pouvait pas être obtenu.

c. Dans ses observations, C______ conteste la pertinence et l'utilité des réquisitions de preuves de A______, soutenant ainsi que l'instruction était complète et qu'elle ne fondait pas de prévention pénale à son encontre.

EN DROIT :

1.             Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).

Le plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP) et disposant d'un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP), fait l'objet d'une curatelle de portée générale le privant de l'exercice de ses droits civils (art. 398 al. 3 CC), si bien qu'il est valablement représenté par sa curatrice légale (art. 107 al. 2 CPP) dont émane le recours.

L'acte est, partant, recevable.

2.             Le recourant estime que des soupçons suffisants contre la prévenue justifient de poursuivre l'instruction.

2.1.1. Selon l'art. 319 al. 1 let. a CPP, le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi.

Cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore". Celui-ci, qui découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2 p. 91) et qui s'impose également à l'autorité de recours, signifie que, en principe, un classement ne peut être prononcé que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 p. 243).

2.1.2. Pour les infractions poursuivies sur plainte, l'existence d'une plainte pénale valable constitue une condition à l'ouverture – plus exactement : à l'exercice – de l'action pénale au sens de l'art. 319 al. 1 let. d CPP (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 10 ad art. 319 et 10a ad art. 310 ; cf. également ATF 118 IV 325 c. 2b p. 328 s.).

Le droit de porter plainte se prescrit par trois mois. Le délai court du jour où l’ayant droit a connu l’auteur de l’infraction (art. 31 CP).

Si le lésé n’a pas l’exercice des droits civils, le droit de porter plainte appartient à son représentant légal. Si l’ayant droit est sous tutelle ou sous curatelle de portée générale, le droit de porter plainte appartient également à l’autorité de protection de l’adulte (art. 30 al. 2 CP).

2.2. L'art. 158 CP réprime celui qui, en vertu de la loi, d'un mandat officiel ou d'un acte juridique, est tenu de gérer les intérêts pécuniaires d'autrui ou de veiller sur leur gestion et qui, en violation de ses devoirs, aura porté atteinte à ces intérêts ou aura permis qu'ils soient lésés (ch. 1 al. 1).

Cette disposition suppose la réalisation de quatre conditions : il faut que l'auteur ait eu une position de gérant, qu'il ait violé une obligation lui incombant en cette qualité, qu'il en soit résulté un préjudice et qu'il ait agi intentionnellement (ATF 120 IV 190 consid. 2b p. 192; arrêts du Tribunal fédéral 6B_136/2017 du 17 novembre 2017 consid. 4.1; 6B_949/2014 du 6 mars 2017 consid. 12.1).

2.2.1.  Revêt la qualité de gérant celui à qui incombe, de fait ou formellement, la responsabilité d'administrer un complexe patrimonial non négligeable dans l'intérêt d'autrui. La qualité de gérant suppose un degré d'indépendance suffisant et un pouvoir de disposition autonome sur les biens administrés. Ce pouvoir peut aussi bien se manifester par la passation d'actes juridiques que par la défense, au plan interne, d'intérêts patrimoniaux, ou encore par des actes matériels, l'essentiel étant que le gérant se trouve au bénéfice d'un pouvoir de disposition autonome sur tout ou partie des intérêts pécuniaires d'autrui, sur les moyens de production ou le personnel d'une entreprise. Même s'il n'en est pas investi formellement, celui qui dispose de fait d'un tel pouvoir a la qualité de gérant (ATF 142 IV 346 consid. 3.2 p. 350 et les arrêts cités).

2.2.2. Le comportement délictueux visé à l'art. 158 CP n'est pas décrit par le texte légal. Il consiste à violer les devoirs inhérents à la qualité de gérant. Le gérant sera ainsi punissable s'il transgresse – par action ou par omission – les obligations spécifiques qui lui incombent en vertu de son devoir de gérer et de protéger les intérêts pécuniaires d'une tierce personne. Savoir s'il y a violation de telles obligations implique de déterminer, au préalable et pour chaque situation particulière, le contenu spécifique des devoirs incombant au gérant (arrêt du Tribunal fédéral 6B_878/2021 du 24 octobre 2022 consid. 3.2.2). 

2.3. Se rend coupable d'utilisation frauduleuse d'un ordinateur celui qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura, en utilisant des données de manière incorrecte, incomplète ou indue ou en recourant à un procédé analogue, influé sur un processus électronique ou similaire de traitement ou de transmission de données et aura, par le biais du résultat inexact ainsi obtenu, provoqué un transfert d’actifs au préjudice d’autrui ou l’aura dissimulé aussitôt après (art. 147 ch. 1 CP).

L'utilisation d'une carte bancaire d'un tiers sans son autorisation est un comportement tombant sous le coup de cette disposition (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_627/2012 du 21 janvier 2013).

2.4. Les infractions de gestion déloyale et d'utilisation frauduleuse d'un ordinateur sont poursuivies sur plainte lorsqu'elles sont commises au préjudice de proches ou de familiers (art. 158 ch. 3 et art. 147 ch. 3 CP).

Les familiers d'une personne sont ceux qui font ménage commun avec elle (art. 110 al. 2 CP).

La notion de membres de la communauté domestique, comme celle de "proches", doit être interprétée restrictivement, compte tenu de l'intérêt de la société et de la justice à poursuivre l'auteur d'une infraction (ATF 74 IV 88 consid. 2 p. 91 s.;
72 IV 4 consid. 1 p. 5 s.; arrêt 6B_263/2011 du 26 juillet 2012 consid. 5.2). Forment une communauté domestique deux ou plusieurs personnes qui mangent, vivent et dorment sous le même toit (ATF 102 IV 162 consid. 2a p. 163). La cohabitation doit s'inscrire dans la durée et s'entend a priori comme le désir de vivre ensemble de manière stable pour une durée indéterminée (arrêt 6B_637/2012 du 21 janvier 2013 consid. 2.1).

La nature quasi familiale de la communauté domestique présuppose, en outre, que ses membres soient unis par une relation personnelle d'une certaine proximité, analogue à celle unissant un couple et/ou ses enfants. L'aspect psychologique ou émotionnel n'est cependant pas déterminant, faute pour les sentiments de pouvoir être appréciés avec la précision nécessaire à la sécurité du droit. Pour déterminer si l'auteur et le lésé forment une communauté domestique, seuls les critères objectifs sont déterminants. Enfin, le ménage commun doit exister au moment de la commission de l'infraction (ATF 140 IV 97 consid. 1.2 p. 100 s.).

2.5. En l'espèce, lors de l'audience du 24 septembre 2021 par-devant le TPAE, la problématique des retraits inexpliqués, dépassant CHF 300'000.-, avait déjà été abordée avec le recourant, qui était accompagné d'un curateur d'office. L'implication de la prévenue dans la gestion financière de son partenaire, notamment sa présence systématique et obligatoire au bancomat, était également connue. Pour autant, aucune plainte n'a été déposée à l'époque.

Se pose alors la question d'une éventuelle tardiveté de celle du 19 juillet 2022, en tant que les infractions dénoncées auraient été commises au préjudice d'un familier.

Cette hypothèse peut toutefois être exclue.

Le début des retraits litigieux au mois de juin 2019 coïncide, temporellement, avec le retour de la prévenue chez sa mère au printemps de la même année, rompant de la sorte sa communauté domestique avec le prévenu. Ses explications au sujet de ce départ, à savoir qu'elle ne supportait plus de voir l'insalubrité dans lequel se trouvait son ancien domicile en raison de la maladie de son compagnon, permettent de conclure que la durée de son éloignement était indéterminée. D'ailleurs, la prévenue a déclaré à la police vivre encore aujourd'hui chez sa mère et le recourant a, de son côté, été transféré à L______. Si l'on fait abstraction des sentiments affectifs qui peuvent les unir, force est de constater que les intéressés n'ont pas partagé de domicile durant toute la période des faits dénoncés.

Dans ces circonstances, il ne peut être retenu qu'ils faisaient ménage commun. Partant, ils n'étaient pas des familiers au sens de l'art. 110 al. 2 CP au moment où les retraits litigieux ont fait l'objet des premiers questionnements.

Il n'est pas contesté que la prévenue gérait les affaires financières du recourant et ce, depuis de nombreuses années, même avant l'apparition des premiers symptômes de la maladie d'Alzheimer. Avec la détérioration des capacités cognitives de son compagnon, elle a également admis qu'elle accompagnait celui-ci au bancomat pour retirer des espèces. Cette présence s'avérait nécessaire dès lors que le recourant ne connaissait pas son code bancaire et était, globalement, dans l'incapacité d'effectuer seul des démarches administratives.

La prévenue a ainsi occupé – de facto – une place où l'accès du recourant sur ses avoirs bancaires ne dépendait que d'elle uniquement. Cela laisse envisager qu'une position de garant puisse lui être reconnue, ce que le Ministère public ne conteste pas au demeurant. Compte tenu de sa relation avec le recourant, il peut également être admis – à ce stade et sans préjudice sur le fond – qu'elle était tenue à veiller à ce que ces avoirs soient gérés dans l'intérêt de son compagnon.

Les relevés bancaires, qui mettent en exergue des retraits ascendant à CHF 232'300.- en l'espace de vingt-et-un mois environ, interrogent.

Il ressort des témoignages recueillis et des classeurs saisis qu'une partie des sommes retirées ont servi au paiement de factures courantes qui se chiffrent, selon le résumé, à CHF 37'858.95; soit moins de 17% des retraits totaux. Selon la prévenue, le reliquat lui aurait servi, en partie, pour d'autres frais quotidiens ou alors avait été conservé au domicile par le recourant.

Cela étant, la prévenue a, en parallèle, perçu CHF 5'000.- par mois entre juillet 2019 et avril 2021, selon un ordre permanent. On peut dès lors imaginer que les besoins de la précitée étaient déjà partiellement assurés sans qu'elle ne doive, en sus, puiser dans les retraits effectués depuis le compte du recourant. Par ailleurs, cet ordre permanent a été mis en place alors que les troubles cognitifs du recourant avaient déjà commencé et que le diagnostic de la maladie d'Alzheimer était déjà posé. Se pose alors la question de savoir comment cet ordre permanent avait été discuté avec la banque et si le recourant était en mesure d'y consentir librement et de manière éclairée.

En outre, aucune somme en espèces n'a été retrouvée au domicile de ce dernier.

Les déclarations de la prévenue apparaissent ainsi insuffisantes pour expliquer l'usage concret de la somme substantielle de CHF 194'141.10, correspondant à la différence entre les retraits effectués et le montant documenté des factures payées. Il ne peut donc être exclu, à ce stade, qu'elle ait bénéficié, à titre personnel et dans un dessein d'enrichissement illégitime, d'une part des retraits. Les commentaires de cette dernière et de sa mère, aux termes desquels elle avait travaillé pour l'entreprise du recourant sans être rémunérées, laissent d'ailleurs envisager qu'elle ait pu vouloir être dédommagée.

À cet égard, le Ministère public devra établir en détail la situation financière de l'intéressée, notamment en obtenant les relevés de ses comptes bancaires, afin d'examiner, d'une part, si elle a perçu d'autres sommes du recourant et, d'autre part, connaître l'étendue de ses dépenses courantes pour examiner dans quelle mesure les retraits litigieux ont pu – ou devaient – servir à assurer celles-ci.

Plus globalement, il pourrait également être reproché à la prévenue d'avoir laissé le recourant – qui ne disposait plus de sa capacité de discernement – accumuler de telles sommes à son domicile alors qu'elle connaissait l'état de santé de son compagnon et qu'elle constatait que de l'argent venait parfois à disparaître, selon ses propres déclarations.

D'ailleurs, une autre piste doit être examinée par le Ministère public. La prévenue a déposé une plainte, accusant un "ami" du recourant de s'être introduit au domicile à D______ et d'y avoir dérobé de l'argent. Selon elle, cette personne profitait de l'état de faiblesse du recourant et disposait d'une clé du logement. L'identification et l'audition de cette personne pourrait permettre d'obtenir des informations sur le sort de l'argent disparu.

Enfin, l'audition de la Dre H______, ou du médecin en charge avant elle, pourrait permettre de déterminer avec plus de précision dans quelle mesure la maladie du recourant a détérioré sa capacité de jugement, pour savoir en particulier si l'ordre permanent établi en faveur de la prévenue découlait d'un consentement libre et éclairé.

En revanche, il semble vain d'ordonner une expertise médicale du recourant, dont la pathologie n'est pas remise en cause.

3.             Fondé, le recours doit être admis; partant, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour complément d'instruction.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 4 CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance de classement du 3 novembre 2022 et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui sa curatrice, à C______, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).