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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/15213/2022

ACPR/158/2023 du 06.03.2023 sur ONMMP/2644/2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;DIFFAMATION;CALOMNIE
Normes : CPP.310; CP.176; CP.177

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/15213/2022 ACPR/158/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 6 mars 2023

 

Entre

A______ et B______, domiciliés ______, tous deux comparant par Me Yann LAM, avocat, MBLD Associés, rue Joseph-Girard 20, case postale 1611, 1227 Carouge,

recourants,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 3 août 2022 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par actes séparés, expédiés le 12 août 2022, B______ et A______ recourent contre l'ordonnance du 3 août 2022, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur les faits visés par la procédure.

Les recourants concluent, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et à l'ouverture d'une instruction.

b. Les recourants ont versé pour chacun des recours les sûretés en CHF 600.-, soit CHF 1'200.- au total, qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Les conjoints B______ et A______ sont, respectivement, directrice et associé gérant du cabinet dentaire E______ SÀRL.

b. le 7 juillet 2022, ils ont déposé plainte contre F______ pour diffamation (art. 173 CP) et calomnie (art. 174 CP).

Deux procédures distinctes et indépendantes, ouvertes par-devant le Tribunal des prud'hommes, opposaient E______ SÀRL à F______ et G______, médecins-dentistes dont les contrats de travail avaient été résiliés. Dans ce contexte, G______ avait produit, le 20 mai 2022, un courriel reçu le 20 novembre 2021 de F______. Le courriel en question avait comme objet "Déclaration G______ / E______" et débutait par l'épigraphe "A qui de droit". Dans le message, F______ expliquait avoir été la collègue de G______ au sein de E______ SÀRL et avoir "constaté des débordement[s] de [leur] ancien employeur envers [lui]" avant de donner des exemples et de louer le "travail minutieux" de l'intéressé.

Les plaignants y ont relevé le passage suivant, estimant que F______ avait porté atteinte à leur honneur en les accusant d'avoir "calomnié et diffamé G______ au sein de l'Université de Genève":

"[ ] j'ai vite compris la stratégie mise en place par Dr A______ et sa compagne. Circuler des propos nuisant à la réputation du Dr G______ afin qu'il n'ait plus de crédibilité envers ses collègues partout en Suisse. Ces propos se sont propagés à l'université de Genève là où le Dr G______ fait actuellement un master sur 2 années, ce master est très sélectif et extrêmement onéreux. Les étudiants parlaient mal de lui pensant qu'il était un voleur de donnée[s], une mauvais[e] personne.".

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public considère que les propos employés par F______ n'étaient pas attentatoires à l'honneur, ne faisant pas apparaître les plaignants comme méprisables. En outre, les allégations de F______, adressées à G______ puis produites dans une procédure civile, n'étaient parvenues qu'à la connaissance des parties au procès et aux membres du Tribunal des prud'hommes et étaient vraisemblablement en lien avec la procédure.

D. a. Dans leurs recours respectifs, dont le contenu est identique, B______ et A______ se plaignent d'une violation de l'art. 310 CPP. Par ses propos, F______ les avait accusés d'avoir calomnié ou diffamé G______, soit d'avoir commis un délit, ce qui était de nature à les faire apparaître comme méprisables. Les allégations n'avaient, en outre, pas été proférées dans une procédure où F______ était partie et le litige en question, opposant G______ à E______ SÀRL, était sans lien avec les propos incriminés.

Ils joignent à leurs recours "l'intégralité des échanges d'écritures" de la procédure prud'homale entre G______ et E______ SÀRL, pour faire constater "que l'atteinte à l'honneur faite par un tiers à la procédure n'[était] absolument pas justifiée".

b. Dans ses observations sur les deux recours, le Ministère public conclut à leur rejet. Les déclarations litigieuses s'inscrivaient dans le cadre du conflit opposant G______ à B______ et A______. La formulation utilisée par F______ était sujette à interprétation et laissait supposer que les "propos" tenus par les plaignants contre G______ se rapportaient aux compétences professionnelles de celui-ci. Il était impossible de déduire les éventuels soupçons propagés par le couple, la prétendue opinion des étudiants de l'Université de Genève sur G______ remontant d'une simple rumeur, sujette à transformation au fil de sa diffusion.

c.B______ et A______ n'ont pas répliqué.


 

EN DROIT :

1.             1.1. Les recours sont recevables pour avoir été déposés selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner des plaignants qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Les pièces nouvelles produites par les recourants sont également recevables, la jurisprudence admettant leur production en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).

2.             Portant sur une même décision et vu leur connexité évidente, il y a lieu de joindre les recours.

3.             Les recourants estiment qu'il existe, contre la mise en cause, une prévention suffisante de diffamation, voire de calomnie.

3.1. Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Selon la jurisprudence, cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore" (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1456/2017 du 14 mai 2018 consid. 4.1 et les références citées). Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2 p. 91) et signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 p. 243; 138 IV 86 consid. 4.1.2 p. 91).

3.2. L'art. 173 ch. 1 CP réprime le comportement de celui qui, en s'adressant à un tiers, aura accusé une personne ou jeté sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l'honneur, ou de tout autre fait propre à porter atteinte à sa considération, ou aura propagé une telle accusation ou un tel soupçon.

3.2.1. L'art. 173 CP protège la réputation d'être une personne honorable, c'est-à-dire de se comporter comme une personne digne a coutume de le faire selon les conceptions généralement reçues. Il faut donc que l'atteinte fasse apparaître la personne visée comme méprisable (ATF 137 IV 313 consid. 2.1.1 p. 315; 119 IV 44 consid. 2a p. 47 et les arrêts cités). En revanche, la réputation relative à l'activité professionnelle ou au rôle joué dans la communauté n'est pas pénalement protégée; il en va ainsi des critiques qui visent comme tel l'homme de métier, l'artiste, le politicien, même si elles sont de nature à blesser et à discréditer (ATF 119 IV 44 consid. 2a p. 47 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_6/2015 du 23 mars 2016 consid. 2.2 et 3.3). Dans le domaine des activités socio-professionnelles, il ne suffit pas de dénier à une personne certaines qualités, de lui imputer des défauts ou de l'abaisser par rapport à ses concurrents (arrêt du Tribunal fédéral 6B_226/2019 du 29 mars 2019 consid. 3.3).

Le fait d'accuser une personne d'avoir commis un crime ou un délit intentionnel entre dans les prévisions de l'art. 173 ch. 1 CP (ATF 132 IV 112 consid. 2.2 p. 115 ; 118 IV 248 consid. 2b p. 250 ss; arrêt du Tribunal fédéral 6B_138/2008 du 22 janvier 2009 consid. 3.1.). En revanche, accuser quelqu'un de "faire fi des lois" ne signifie pas encore l'accuser d'avoir commis une infraction (arrêt du Tribunal fédéral 6B_6/2015 du 23 mars 2016 consid. 3.2).

3.2.2. Pour apprécier si une déclaration est attentatoire à l'honneur, il faut se fonder non pas sur le sens que lui donne la personne visée, mais sur une interprétation objective selon le sens qu'un destinataire non prévenu doit, dans les circonstances d'espèce, lui attribuer. Un texte doit être analysé non seulement en fonction des expressions utilisées, prises séparément, mais aussi selon le sens général qui se dégage dans son ensemble (ATF 137 IV 313 consid. 2.1.3 p. 315 s.; ATF 128 IV 53 consid. 1a p. 58 et les arrêts cités).

3.3. La calomnie (art. 174 CP) est une forme qualifiée de diffamation, dont elle se distingue par le fait que les allégations propagées sont fausses (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1215/2020 du 22 avril 2021 consid. 3.1).

3.4. En l'espèce, au début du passage incriminé, la mise en cause affirme "avoir compris la stratégie" des recourants, consistant à faire circuler "des propos nuisant à la réputation" de G______, dans le but de décrédibiliser celui-ci aux yeux de "ses collègues partout en Suisse". Ces "propos" se sont propagés dans le cadre académique où l'intéressé poursuit un cursus, si bien que les autres étudiants "parlaient mal de lui", en pensant "qu'il était un voleur de donnée[s], une mauvaise personne".

Tout d'abord, force est de constater que les prétendus "propos" dont il est question restent indéterminés et abstraits. La mise en cause, ayant "compris la stratégie" des recourants, leur attribue des déclarations définies uniquement par l'intention qu'elle leur prête, à savoir atteindre la réputation de la cible visée, mais ne les accuse pas d'avoir tenu – ad verbatim – un discours documenté ou même déterminé.

Il en résulte l'impossibilité d'établir la teneur exacte de ces "propos". Face à cette incertitude, soutenir, comme le font les recourants, que la mise en cause aurait porté des accusations de diffamation et/ou de calomnie à leur encontre relève de la supputation.

En outre, l'interprétation du passage – pris comme un tout – ne permet pas de retenir un caractère attentatoire à l'honneur des "propos" qui leur sont prêtés.

À en croire la mise en cause, la finalité recherchée par les recourants était d'atteindre leur ancien employé dans sa réputation auprès des "collègues". Cela laisse supposer que les "propos", fussent-ils proférés, se rapporteraient aux compétences professionnelles de l'intéressé. Or, de telles critiques, même si elles sont de nature à discréditer la personne, ne sont pas constitutives de diffamation ou de calomnie.

La mise en cause affirme ensuite – sans aucun fondement – que les étudiants partageraient un avis négatif de G______, pensant de lui qu'il serait "un voleur de donnée[s]" et "une mauvaise personne". Ces jugements découleraient des "propos" des recourants, qui se seraient "propagés" jusqu'à l'université de Genève.

Or, par définition, une rumeur est changeante, au gré des oreilles qui l'écoutent et des bouches qui la répandent. Il est alors impossible d'en remonter le fil pour établir la teneur primaire. En d'autres termes, ce que les étudiants peuvent aujourd'hui penser du précité n'est pas nécessairement ce que les recourants peuvent avoir dit sur lui.

Cet aspect ressort du passage incriminé dans la mesure où la mise en cause, comme mentionné auparavant, n'explicite pas les "propos" que les recourants auraient tenus sur leur ancien employé et explique que ceux-ci se seraient "propagés" à l'Université, où les étudiants "pensaient" (et non pas "savaient") que la personne visée avait adopté un comportement critiquable.

Compte tenu de ce qui précède, on ne saurait retenir que par son message, la mise en cause aurait jeté sur les recourants le soupçon d'un comportement pénalement répréhensible.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

5.             Les recourants, qui succombent, supporteront, conjointement et solidairement, les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'200.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Joint les recours.

Les rejette.

Condamne B______ et A______, conjointement et solidairement, aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 1'200.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourants, soit pour eux leur conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/15213/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'105.00

- demande sur récusation (let. b)

CHF

Total

CHF

1'200.00