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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/22343/2020

ACPR/138/2023 du 23.02.2023 sur ONMMP/4576/2022 ( MP ) , REJETE

Recours TF déposé le 27.03.2023, rendu le 27.09.2023, REJETE, 7B_84/2023
Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;USURE(DROIT PÉNAL)
Normes : CPP.310; CP.157

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/22343/2020 ACPR/138/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 23 février 2023

 

Entre

 

A______, sans domicile fixe, comparant par Me B______, avocate, ______,

recourant,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 16 décembre 2022 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 30 décembre 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 16 décembre 2022, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur faits visés par la procédure à l'égard de C______.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, préalablement, à pouvoir compléter son recours et, principalement, à l'annulation de l'ordonnance de non-entrée en matière et à l'ouverture d'une instruction s'agissant des faits d'usure (art. 157 CP), en procédant notamment à l'audition de D______ et C______.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 18 novembre 2020, l'Office cantonal de la population et des migrations (ci-après: OCPM) a dénoncé au Ministère public A______, ressortissant albanais, lui reprochant d'avoir, dans le cadre de sa demande de régularisation effectuée dans le cadre de l'opération Papyrus, fourni des informations et des pièces fausses.

b. Entendu en qualité de prévenu par la police le 6 avril 2022, A______ a admis être en situation illégale en Suisse, avoir travaillé sans autorisation et avoir transmis de faux documents à l'OCPM. Il était venu demander l'asile en Suisse une première fois en 2003, avant d'être expulsé. Revenu en 2008, il avait trouvé plusieurs petits emplois "là où il pouvait". En 2009, il avait, dans un premier temps, travaillé pour le restaurant "E______" à F______ (Fribourg) à temps partiel, puis, entre 2011 et 2013, à temps plein. En février 2014, il avait été arrêté et renvoyé au Kosovo. Malgré une interdiction d'entrée sur le territoire, il était revenu chercher du travail à Genève deux semaines après son expulsion. Pour ses démarches de régularisation, ses anciens patrons avaient refusé de lui fournir des attestations. G______, une connaissance, lui avait alors proposé de le déclarer à l'AVS par le biais de sa société, contre CHF 3'000.-. Il avait accepté et également reçu du précité des fiches de salaire et deux certificats de travail, remis ensuite à l'OCPM. Avec le recul, il regrettait ses actes mais sur le moment, il n'avait pas réfléchi car il n'arrivait pas à obtenir d'attestations. Il avait fait tout cela parce qu'il devait nourrir sa femme et ses deux enfants.

Au cours de son audition, il a fait part de sa volonté de porter plainte contre G______ et deux de ses anciens employeurs qui auraient "exploité" sa force de travail, soit H______ et C______, "le patron du restaurant albanais à F______".

c. Le 10 mai 2022, A______ a sollicité du Ministère public d'être mis au bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite en lien avec sa plainte pénale et, trois jours plus tard, requis une nomination d'avocat d'office pour la défense de ses intérêts en tant qu'il intervenait comme prévenu à la procédure.

d. Le 26 juillet 2022, A______ a été entendu en qualité de personne appelée à donner des renseignements, en lien avec sa plainte.

Il avait été engagé par C______ pour travailler au restaurant "E______", à F______, où il était resté du 1er novembre 2009 jusqu'au mois de février 2013. Il commençait sa journée vers 14h jusqu'à 16h pour les nettoyages, faisant ensuite les courses durant une heure ou une heure et demi, rentrait chez lui entre 17h30-18h jusqu'à 20h30 pour finir aux alentours de 2h30-3h. Cet emploi du temps se répétait tous les jours, sauf les dimanches, "mais cela dépendait des besoins". Il n'avait aucun jour férié, ni vacances. Les deux premiers mois, il avait été rémunéré CHF 1'300.-, puis CHF 2'000.- durant dix mois et enfin CHF 2'300.-, toujours en espèces.

e. Le 10 octobre 2022, le Ministère public a ordonné la défense d'office en faveur de A______, prévenu de faux dans les titres (art. 251 CP) et comportement frauduleux à l'égard des autorités (art. 118 LEI), en la personne de Me B______, avec effet au 13 mai 2022.

f. Le 24 octobre 2022, C______ a été auditionné par la police.

Entre 2010 et fin 2011 ou 2012, il avait travaillé pour le restaurant "E______" en s'occupant de la musique, des artistes et de "la bonne marche des soirées en général". Il avait été engagé par un Suisse nommé "I______" mais D______ était le gérant du restaurant. Il n'avait pas recruté A______, ce dernier travaillant déjà au sein de l'établissement lorsque lui-même était arrivé.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public constate que les éventuelles infractions à la LEI (anciennement LEtr) pour l'emploi d'un travailleur sans papiers étaient prescrites. La norme pénale réprimant le non-paiement des cotisations sociales pour 2009 à 2013 étant entrée en vigueur le 1er janvier 2018, elle n'était pas applicable et, enfin, il n'était pas établi que C______ était en charge de la gestion du personnel au sein du restaurant. Par ailleurs, au vu des déclarations de A______, les conditions de travail de ce dernier ne pouvaient pas être qualifiées d'usuraires.

D. a. Dans son recours, A______ soutient que durant sa période au sein du restaurant "E______", il avait travaillé en moyenne 60h20 par semaine, sans vacances ni jours fériés. Son salaire horaire pour "260h" de travail mensuel s'élevait à CHF 8.85 (CHF 2'300.- / 260h), sans même tenir compte des majorations prévues par la CCT applicable à son activité. Il existait ainsi une "base factuelle plausible" qu'une personne, soit C______ et/ou D______, ait abusé de sa situation de faiblesse pour exploiter son travail et obtenir ainsi une contre-prestation en disproportion avec le salaire versé. S'il ne pouvait être établi que C______ était en charge du restaurant, cela n'impliquait pas l'absence d'une infraction, d'autant que celui-ci avait désigné D______ comme responsable de l'établissement.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger, sans échange d'écritures, ni débats.

c.A______ dépose spontanément un "complément de recours".

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de l'ordonnance querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant a demandé à pouvoir compléter son recours.

Or, il est communément admis en procédure que la motivation d'un recours doit être entièrement contenue dans l'acte de recours lui-même, qui ne saurait dès lors être complété ou corrigé ultérieurement (ATF 134 II 244 consid. 2.4.2 et 2.4.3 p. 247 s.; arrêt du Tribunal fédéral 4A_659/2011 du 7 décembre 2010 consid. 5; ACPR/373/2022 du 27 mai 2022 consid. 3; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 3 ad art. 385), de sorte que sa demande sera rejetée.

3.             Le recourant reproche au Ministère public de n'être pas entré en matière sur les faits dénoncés, en tant qu'ils portent sur l'infraction d'usure (art. 157 CP), en lien avec son activité au sein du restaurant "E______".

3.1. Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière lorsqu'il ressort de la plainte que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réalisés. Cette condition s'interprète à la lumière de la maxime "in dubio pro duriore", selon laquelle une non-entrée en matière ne peut généralement être prononcée que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 p. 243; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1279/2018 du 26 mars 2019 consid. 2.1).

3.2. Selon l'art. 157 CP, est punissable celui qui aura exploité la gêne, la dépendance, l'inexpérience ou la faiblesse de la capacité de jugement d'une personne en se faisant accorder ou promettre par elle, pour lui-même ou pour un tiers, en échange d'une prestation, des avantages pécuniaires en disproportion évidente avec celle-ci sur le plan économique.

L'infraction consiste à obtenir ou à se faire promettre une contre-prestation disproportionnée en exploitant la faiblesse de l'autre partie (B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, Vol. I, Berne 2010, n. 2 ad art. 157 CP). Il faut non seulement qu'il y ait un contrat onéreux et une disproportion entre les prestations échangées, mais encore que cette disproportion provienne d'une exploitation par le bénéficiaire de la position de faiblesse particulière dans laquelle se trouve l'autre partie, soit un lien de causalité (arrêt du Tribunal fédéral 6B_395/2007 du 14 novembre 2007 consid. 4.1).

L'état de gêne s'entend de toute situation de contrainte, économique ou autre, qui influe si fort sur la liberté de décision de la personne lésée qu'elle est prête à fournir une prestation disproportionnée. Il faut procéder à une appréciation objective de la situation (arrêt du Tribunal fédéral 6B_301/2020 du 28 avril 2020 consid. 1.1.1 et les références citées). L'inexpérience doit porter, de façon générale, sur le monde des affaires, et non sur un contrat en particulier (ATF 130 IV 106 consid. 7.3 p. 109).

Concernant la gêne économique, la victime doit se trouver dans l'impossibilité de repousser le contrat qui lui est proposé ou les conditions qui lui sont faites. Elle se trouve ainsi réduite à une telle extrémité, soit à la "merci" de l'usurier (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2017, n. 5 ad. 157).

3.3. En l'espèce, un rapport de travail entre le recourant et le restaurant peut être admis, indépendamment du responsable effectif, dès lors que les déclarations de l'intéressé n'ont jamais été contredites et qu'elles sont corroborées par celles du mis en cause.

Pour autant qu'elles soient avérées, les conditions d'emploi, et plus particulièrement salariales, dénoncées pourraient se révéler incompatibles avec le droit du travail suisse. Cela étant, le recourant n'a jamais expliqué – ni démontré – en quoi sa situation nécessitait, impérieusement et sans autre alternative, de travailler pour ce restaurant. Sa situation irrégulière ne l'a pas empêché, selon ses dires, de trouver plusieurs sources de revenu durant ses séjours en Suisse et le risque d'une expulsion n'apparaît pas déterminant dès lors que ses deux précédents renvois ne l'ont pas dissuadé de revenir sur le territoire helvétique, en s'affranchissant même d'une interdiction d'entrée.

Compte tenu de ce qui précède, le besoin de nourrir sa famille constituait sans aucun doute sa motivation première mais sa liberté d'action dans ses démarches pour y parvenir n'apparaît pas avoir été confinée à des extrêmes l'obligeant à accepter ces conditions de travail prétendument non conformes au droit.

Ainsi, une condition constitutive de l'infraction d'usure n'apparaît pas réalisée.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère infondé, pouvait être rejeté sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

5.             Le recourant, qui succombe en qualité de plaignant, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 600.-, ceci au regard de sa situation financière (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 600.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/22343/2020

ÉTAT DE FRAIS

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

515.00

- demande sur récusation (let. b)

CHF

Total

CHF

600.00