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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/24958/2021

ACPR/110/2023 du 10.02.2023 sur ONMMP/2964/2022 ( MP ) , REJETE

Recours TF déposé le 20.03.2023, rendu le 28.08.2023, IRRECEVABLE, 7B_69/2023
Descripteurs : INTÉRÊT JURIDIQUEMENT PROTÉGÉ;QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR;FAUX INTELLECTUEL DANS LES TITRES;ESCROQUERIE
Normes : CPP.382; CPP.115; CP.251; CP.146

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/24958/2021 ACPR/110/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 10 février 2023

 

Entre

A______, domiciliée ______, Belgique, comparant par Me Philippe NEYROUD, avocat, AUBERT NEYROUD STÜCKELBERG & FRATINI, rue François-Versonnex 7,
1207 Genève,

recourante,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 26 août 2022 par le Ministère public,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 9 septembre 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 26 août 2022, communiquée sous pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 29 décembre 2021.

La recourante conclut, sous suite de dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour qu'il ouvre une instruction contre B______ et C______ pour faux dans les titres et escroquerie; cela fait, à ce que le Ministère public procède à une audience de confrontation entre les précités, à l'audition de plusieurs personnes qu'elle énumère et à une vérification auprès de [la banque] D______ (SUISSE) SA aux fins de savoir si la documentation relative aux comptes litigieux a été conservée.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'200.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Feu les époux E______ et F______, ressortissants belges, étaient titulaires de deux comptes joints, No 1______ et No 2______ ouverts en les livres de la société G______ SA à Genève, dont la raison sociale est devenue, le 17 janvier 2002, H______ SA, puis le 5 août 2016, D______ (SUISSE) SA (ci-après: D______ SA).

L'époux, qui a survécu quelques années à sa conjointe, est décédé le ______ 2019 en Belgique, laissant pour héritières ses deux filles, I______ et A______, domiciliées en Belgique.

b. B______ et C______ ont occupé les fonctions de directeur, respectivement de fondé de pouvoir, de D______ SA, du 20 mai 2011 au 19 octobre 2020 pour le premier et du 23 août 2001 au 1er décembre 2020 pour le second.

c. Il ressort des pièces au dossier que:

c.a. Les 31 juillet et 18 septembre 2007, D______ SA a transmis à A______, en sa qualité d'héritière de E______:

-                        une liste des retraits sur le compte 1______ entre les 16 juillet et 31 décembre 1998 et

-                        les relevés des comptes 1______ et 2______ du 20 juillet 1998 au 31 décembre 1998 faisant état de plusieurs opérations en diverses devises, notamment remises en billets et négoce de titres.

c.b. Le 20 octobre 2013, F______ a conféré à A______ une procuration l'autorisant à "analyser l'évolution de [s]es comptes et avoirs chez D______" et à "faire, au besoin, valoir [s]es droits et défendre [s]es intérêts à ce niveau par tous moyens".

c.c. En novembre 2013, B______ a reçu A______ dans les bureaux de D______ SA à Genève. Selon celle-ci, il lui avait expliqué que les avoirs des comptes 2______ et 1______ avaient été transférés en mai-juin 1999 sur les comptes no 3______ et no 4______ ouverts en les livres de la banque au nom de son père. Le précité lui a transmis trois attestations, datées du 18 novembre 2013, concernant les apports et retraits des 20 juillet 1998 au 31 mars 2003, pour les comptes 2______ et 1______, et 21 mai 1999 au 14 mai 2003, pour le compte 5______ (ci-après: les attestations du 18 novembre 2013).

Les attestations comportent les noms de B______ (directeur général) et C______ (fondé de pouvoir), mais ne comportent ni signatures ni en-tête de la banque.

Sous les rubriques "[r]emises en 1998" et "[r]etraits en 1998" des attestations des comptes 1______ et 2______, il est mentionné "[a]ucun apport", respectivement "[a]ucun retrait".

Sous la rubrique "[r]etraits en 1999" de l'attestation du compte 1______ figurent notamment:

-     "retraits espèces internes" de CHF 25'159.10 effectué le 7 juin 1999;

-     "retraits titres externes" d'EUR 392'488.64 effectué le 26 mai 1999 et

-     "prélèvement caisse" de CHF 1'000.- effectué le 19 mai 1999.

Sous la rubrique "[r]etraits en 2003" de l'attestation du compte 3______ figurent trois "prélèvements caisse" de CHF 10'000.-, EUR 383'862.23 et USD 26.03 – sans indication du bénéficiaire – effectués le 12 mai 2003.

c.d. Le 24 septembre 2015, A______ a conclu une convention avec la maison mère belge de D______ SA, à teneur de laquelle la seconde nommée "s'engage à faire ses meilleurs efforts afin que sa filiale D______ (Suisse) SA réponde favorablement et dans le mois de la signature de la présente Convention aux demandes du Client [ ]. Si ces efforts n'étaient pas couronnés de succès au plus tard avant le 31 octobre 2015, [la maison mère] s'engage et se porte fort que Monsieur J______ [son président] accompagnera le Client en Suisse [ ] en vue d'obtenir satisfaction de ses demandes. [ ]"

c.e. Le 11 décembre 2015, un second entretien a eu lieu dans les bureaux de D______ SA à Genève en présence de J______ et K______, ancien gérant de tous les comptes précités, lors duquel, selon A______, B______ lui avait remis une note intitulée "Succession de Madame E______" (ci-après: note de décembre 2015), comportant les passages suivants: "[le compte] 1______ ouvert le 20.07.1998 valeur au 31.12.1998 EUR 400'710 [ ]. Après le décès de [E______] 1______ transféré au 4______ en mai 1999 titulaire Monsieur" (sic). Sous le titre "[h]istorique comptes 4______ et 3______" de la note, il est dit que ceux-ci ont été clôturés "en 1999 par transfert sur un compte chez L______ à Genève appartenant à Monsieur", respectivement "en 2003 par transfert sur les comptes 6______ titulaire Monsieur pour EUR 12'000.- [et] 7______ titulaire I______ [prénom] pour solde soit EUR 686'000.- environ".

La note ne comporte ni date, ni auteur ni en-tête de la banque.

c.f. à l'issue de cet entretien, A______ a adressé un courrier à B______ comportant le passage suivant: "[q]u'est-il advenu [ ] du compte 4______? Vous nous indiquiez que le compte 4______ a été clôturé en 1999 et que les montants ont été transférés sur un compte de F______ chez L______. Merci de bien vouloir communiquer le montant transféré et le numéro de compte sur lequel vous avez transféré les avoirs [ ]".

Il ressort d'une note non datée, non signée et sans en-tête de la banque (ci-après: note L______) – que A______ dit être une réponse à sa lettre susmentionnée – ce qui suit: "[ ] Aucune info, compte de +10 ans fermé, trace dans dossier virement chez L______ de EUR 3600.00 sans référence du bénéficiaire [ ]".

c.g. Les relevés du compte no 7______ – au nom de I______ – au 30 juin 2013, que selon la plaignante, D______ SA "[lui] a ensuite communiqués en 2015", font état de six versements par caisse (CHF 10'000.-, CHF 136'768.-, EUR 12'737.-, EUR 383'862.23, USD 240'000.- et USD 26.03) – sans indication d'origine – effectués le 12 mai 2003.

c.h. A______ a, par courriers des 8 mars et 26 avril 2019, demandé à [la banque] L______ de lui fournir des renseignements au sujet de comptes dont son père était titulaire ou "sous structure" en ses livres.

Par pli du 9 mai 2019, la banque a répondu en ces termes: " [ ] nos investigations ne nous ont pas permis d'identifier de relation bancaire entre le défunt susmentionné et notre Etablissement, étant précisé que la période de dix ans sur laquelle porte (sic) nos recherches correspond à celle de notre obligation légale de conservation de nos livres et archives (art. 958 CO)".

d. Le 29 décembre 2021, A______ a déposé plainte pour faux dans les titres contre B______ et C______. Elle leur reproche d'avoir établi, au nom de D______ SA, des attestations comportant de fausses informations et dissimulant ainsi l'existence d'opérations effectuées sur les comptes 1______, 2______ et 3______. En effet, l'attestation du 18 novembre 2013 relative au compte 3______ faisait état de trois prélèvements de caisse, sans indication du bénéficiaire, alors que la note de décembre 2015 et les relevés du compte 7______ [au nom de sa sœur] faisaient état d'un transfert d'EUR 686'000.-. De même, l'attestation du 18 novembre 2013 relative au compte 1______, en ne mentionnant que des retraits caisse d'environ EUR 400'000.-, lors de la clôture en mai-juin 1999 dudit compte, dissimulait l'existence du compte de son père ouvert en les livres de [la banque] L______. Qui plus est, B______ l'avait de nouveau "faussement informée" au sujet de ce compte dans sa réponse à son courrier du 11 décembre 2015. Enfin, les documents que D______ SA lui avait transmis les 31 juillet et 18 septembre 2007 permettaient également de constater le caractère faux des attestations du 18 novembre 2013.

Du fait de ces dissimulations, les avoirs du compte ouvert en les livres de la banque L______ – qu'elle estimait à plus d'EUR 1 million – avaient été soustraits à la succession de son père. Si les mis en cause l'avaient correctement informée en 2013, elle aurait pu, selon toute vraisemblance, se renseigner auprès de [la banque] L______, sans que celle-ci ne se prévale des dispositions du Code des obligations relatives à la conservation des documents.

e. Les mis en cause ont été entendus par la police les 26 et 27 avril 2022.

e.a. B______ a déclaré qu'il avait, en sa fonction de directeur, rencontré à une ou deux reprises A______, mais n'avait "pratiquement aucune" relation avec celle-ci, ni avec son père. Les attestations du 18 novembre 2013 avaient été produites par le secrétariat clientèle de la banque sur la base des informations recueillies par C______ dans divers systèmes informatiques. La demande de la plaignante était très spécifique, compte tenu des opérations remontant à 1998 et des taux de change de plusieurs devises étrangères. Il signait avec C______ les attestations remises aux clients de la banque, mais n'avait pas personnellement vérifié l'exactitude des attestations du 18 novembre 2013. La note de décembre 2015 faisait référence à l'ensemble des prélèvements en 2002 et 2003 sur le compte 3______, de sorte qu'il n'y avait pas de contradiction entre celle-ci et l'attestation du 18 novembre 2013. Il n'était pas en mesure d'expliquer les autres incohérences, dès lors qu'il ne travaillait plus au sein de la banque. Il n'était pas non plus l'auteur de la note L______ et celle de décembre 2015 remises à la plaignante. Lui-même et C______ n'avaient aucun intérêt à fournir de fausses informations en vue de détourner des avoirs à la succession de F______, ce dernier étant toujours en vie au moment des faits reprochés. Il avait eu des échanges avec I______ au sujet d'autres attestations mais ne l'avait jamais rencontrée, ni n'avait reçu d'instructions de sa part.

e.b. C______ a nié être l'auteur des attestations du 18 novembre 2013. Son département ne s'occupait que des attestations de revenus, tandis que celles "des apports et retraits" étaient produites par le secrétariat clientèle de la banque. Les noms de B______ et de lui-même figuraient en général sur toutes les attestations de ce genre, sans que leur signature ne soit systématique. Il n'avait pas personnellement vérifié l'exactitude du contenu des attestations litigieuses. La différence entre les montants figurant dans l'attestation du 18 novembre 2013 relative au compte 3______ et ceux figurant dans la note de décembre 2015 pouvait s'expliquer par le fait que la note ne précisait pas si les transferts étaient effectués en espèces ou en titres. Il n'était pas en mesure d'expliquer les autres contradictions, dès lors qu'en 1999 il ne travaillait pas chez D______ SA et que les relevés des comptes 1______ et 2______ au 31 décembre 1998 avaient été produits via un logiciel qu'il n'avait pas connu. Il ne connaissait ni la plaignante ni sa famille, étant donné qu'au sein de la banque, les comptes étaient numériques.

f. à teneur du rapport de renseignements du 28 avril 2022, la police a procédé à l'analyse des pièces versées à l'appui de la plainte. Il en ressort en substance que, contrairement à la note de décembre 2015, les attestations du 18 novembre 2013 ne faisaient pas état de plusieurs transferts au bénéfice du compte 7______ au nom de I______. En outre, elles ne faisaient référence ni au compte ouvert en les livres de [la banque] L______ ni aux nombreuses opérations survenues courant 1998. En définitive, il y avait une contradiction entre la note L______ et celle de décembre 2015 remises à la plaignante.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public considère que les éléments constitutifs de faux dans les titres n'étaient pas réunis, dès lors qu'il n'était pas établi que les mis en cause étaient les auteurs des attestations du 18 novembre 2013. En outre, lesdites attestations ne constituaient pas des titres au sens de l'art. 251 ch. 1 CP, vu l'absence de signature et d'en-tête d'établissement bancaire. Enfin, les éléments subjectifs faisaient défaut puisque les mis en cause n'avaient pas de dessein d'en tirer un quelconque avantage, ni de nuire à la plaignante.

D. a.a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public de n'avoir pas tenu compte du rapport de police, en violation de l'art. 309 al. 1 let. a CPP. En retenant que les faux documents bancaires ne constituaient pas des titres, le Ministère public avait méconnu les circonstances particulières dans lesquelles ceux-ci lui avaient été remis. Conformément à la jurisprudence, les attestations bancaires fallacieuses émises par un organe dirigeant d'une succursale bancaire revêtaient une valeur probante accrue. Or, les faux lui avaient été remis dans le but de la tromper, puisqu'elle n'avait pas pu faire valoir ses droits sur les avoirs ayant été soustraits à la succession de son père. Le dessein spécial des mis en cause ne pouvait pas non plus être exclu, dès lors que B______ avait une proximité professionnelle avec M______ – administrateur de D______ SA de septembre 2012 à mars 2017 – lié à la famille de sa mère et proche de sa sœur. Les éléments constitutifs de l'escroquerie étaient par ailleurs réalisés, car elle avait été victime d'une mise en scène comportant, d'abord, la conclusion d'une convention très inhabituelle avec la maison mère de la banque, puis la remise, lors d'une réunion, de la note de décembre 2015 contenant, de nouveau, de fausses indications. Elle n'avait eu aucun moyen de déceler les sommes passées sous silence dans les attestations du 18 novembre 2013.

L'instruction devait déterminer si B______ était au courant des rapports d'amitié entre sa sœur et M______ et s'il avait sollicité l'avis du second nommé au moment de la production des attestations. En outre, vu leurs déclarations contradictoires, une confrontation des mis en cause s'imposait.

a.b. Dans un courrier adressé le 5 octobre 2022 à la Chambre de céans, A______ explique que B______ avait transmis l'ordonnance querellée à sa sœur, laquelle venait de la produire dans le litige successoral les opposant en Belgique.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours. Le rapport de police du 28 avril 2022 mentionnait que les attestations du 18 novembre 2013 contenaient des informations fausses, ce qui ne signifiait toutefois pas encore que les éléments constitutifs d'une quelconque infraction étaient réunis. La jurisprudence invoquée par la recourante ne lui était d'aucun secours, dès lors que dans le cas présent l'organe dirigeant de la banque n'était pas également chargé d'exécuter un mandat de gestion de fortune. Finalement, le fait que le père de la recourante – titulaire des relations en question – était en vie au moment de la remise des attestations apparaissait difficilement compatible avec un dessein spécial de la part des mis en cause.

c. Dans sa réplique, la recourante persiste dans les termes de son recours et précise que les mis en cause, qu'ils fussent ou non les rédacteurs des attestations, savaient que celles-ci étaient destinées à lui servir de preuve des sommes versées et retirées des comptes. Son père ne pouvait pas entreprendre certaines démarches de son vivant, dans la mesure où il n'était plus en état de gérer ses affaires.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane de la plaignante (art. 104 al. 1 let. b CPP).

1.2.1. Cette dernière n'a toutefois qualité pour agir, fondée sur un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP), que pour autant qu'elle soit directement et personnellement lésée par l'infraction dénoncée (art. 115 al. 1 CPP), ce qui implique en principe qu'elle soit titulaire du bien juridiquement protégé par cette dernière (arrêt du Tribunal fédéral 1B_678/2011 du 30 janvier 2012, consid. 2.1). Il convient donc d'interpréter le texte de l'infraction pour en déterminer le titulaire et ainsi savoir qui a qualité de lésé (ATF 118 IV 209 consid. 2 p. 211).

1.2.2. L'art. 251 CP protège, en tant que bien juridique, d'une part, la confiance placée dans un titre ayant valeur probante dans les rapports juridiques et, d'autre part, la loyauté dans les relations commerciales (ATF 142 IV 119 consid. 2.2 p. 121 s. et les références citées). Le faux dans les titres peut également porter atteinte à des intérêts individuels, en particulier lorsqu'il vise précisément à nuire à un particulier (ATF 140 IV 155 consid. 3.3.3; 119 Ia 342 consid. 2b et les références citées). Tel est le cas lorsque le faux est l'un des éléments d'une infraction contre le patrimoine; la personne dont le patrimoine est menacé ou atteint a alors la qualité de lésé (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1289/2015 du 20 juin 2016 consid. 2.3).

1.2.3. Les différentes dispositions du Titre 2 de la partie spéciale du Code pénal – comprenant l'infraction d'escroquerie (art. 146) – tendent à protéger l'ayant droit du patrimoine lésé (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2ème éd., Bâle 2017, n. 1 ad. Rem. prél. aux art. 137 ss).

1.2.4. En l'espèce, on peut douter que la recourante ait été directement atteinte dans son patrimoine, en tant qu'elle soutient n'avoir pu faire valoir ses droits sur les avoirs ayant été soustraits à la succession de son père. Cela étant, cette question peut rester ouverte vu le sort donné au recours.

1.3. Les pièces nouvelles produites à l'appui de cet acte sont recevables, la jurisprudence admettant la production de faits et moyens de preuve nouveaux en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).

2.             A______ reproche au Ministère public de n'avoir pas tenu compte du rapport de police.

Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP; ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 p. 198; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes du Ministère public auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-devant.

3.             La recourante reproche au Ministère public de n'être pas entré en matière sur sa plainte.

3.1. Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Selon la jurisprudence, cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore" (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1456/2017 du 14 mai 2018 consid. 4.1 et les références citées). Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1.2 et les références citées).

La non-entrée en matière peut également résulter de motifs juridiques. La question de savoir si les faits qui sont portés à sa connaissance constituent une infraction à la loi pénale doit être examinée d'office par le ministère public. Des motifs juridiques de non-entrée en matière existent lorsqu'il apparaît d'emblée que le comportement dénoncé n'est pas punissable (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand: Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 10 ad art. 310).

3.2.1. Selon l'art. 251 ch. 1 CP, se rend coupable de faux dans les titres celui qui, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d'autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, aura créé un titre faux, falsifié un titre, abusé de la signature ou de la marque à la main réelles d'autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constaté ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique, ou aura, pour tromper autrui, fait usage d'un tel titre. Sont des titres tous les écrits destinés et propres à prouver un fait ayant une portée juridique et tous les signes destinés à prouver un tel fait (art. 110 al. 4 CP).

L'art. 251 ch. 1 CP vise non seulement un titre faux ou la falsification d'un titre (faux matériel), mais aussi un titre mensonger (faux intellectuel). Il y a faux matériel lorsque l'auteur réel du document ne correspond pas à l'auteur apparent, alors que le faux intellectuel vise un titre qui émane de son auteur apparent, mais dont le contenu ne correspond pas à la réalité. Un simple mensonge écrit ne constitue cependant pas un faux intellectuel. Le document doit revêtir une crédibilité accrue et son destinataire pouvoir s'y fier raisonnablement. Tel est le cas lorsque certaines assurances objectives garantissent aux tiers la véracité de la déclaration (ATF
144 IV 13 consid. 2.2.2 p. 14 s.). Il peut s'agir, par exemple, d'un devoir de vérification qui incombe à l'auteur du document ou de l'existence de dispositions légales qui définissent le contenu du document en question. En revanche, le simple fait que l'expérience montre que certains écrits jouissent d'une crédibilité particulière ne suffit pas, même si dans la pratique des affaires il est admis que l'on se fie à de tels documents (ATF 142 IV 119 consid. 2.1 p. 121 et les références citées).

Sur le plan subjectif, le faux dans les titres est une infraction intentionnelle. L'intention doit porter sur tous les éléments constitutifs de l'infraction, le dol éventuel étant suffisant. Ainsi, l'auteur doit être conscient que le document est un titre. Il doit savoir que le contenu ne correspond pas à la vérité. Enfin, il doit avoir voulu (faire) utiliser le titre en le faisant passer pour véridique, ce qui présuppose l'intention de tromper (ATF 141 IV 369 consid. 7.4 p. 377; 135 IV 12 consid. 2.2 p. 15 s.). Par ailleurs, l'art. 251 CP exige un dessein spécial, à savoir que l'auteur agisse afin de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d'autrui ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite (ATF 141 IV 369 consid. 7.4 p. 377;
138 IV 130 consid. 3.2.4 p. 141).

3.2.2. Le Tribunal fédéral a admis qu'un relevé bancaire adressé à un client par un organe dirigeant de la banque revêtait une valeur probante accrue. Il a exposé que ledit organe était placé dans une position analogue à celle d'un garant dès lors qu'il devait exécuter son mandat dans l'intérêt des déposants; dans le cas particulier, ses attestations revêtaient une force probante accrue vu la nature du mandat, l'impossibilité de vérification et la confiance particulière attachée aux activités commerciales des banques (soumises à une législation et à des contrôles spécifiques, employant du personnel en général très qualifié, à la réputation sans tache, qui doit respecter le secret bancaire). Il a précisé que cela ne signifiait pas que n'importe quel relevé bancaire dont le contenu était inexact tombait sous l'empire de l'art. 251 CP; encore fallait-il qu'il présentât des caractéristiques du type de celles retenues (ATF 120 IV 361 consid. 2c p. 364; arrêt 6B_1381/2021 du 24 janvier 2022 consid. 3.1.3).

Les relevés de compte établis automatiquement sans signature par une société d'investissement étrangère (arrêt du Tribunal fédéral 6B_406/2008 du 12 décembre 2008 consid. 3.4) et par un gérant de fortune (arrêt du Tribunal fédéral 6B_199/2011 du 10 avril 2012 consid. 9.4) ne constituent pas des titres à valeur probante accrue.

Les déclarations d'un organe dirigeant d'une banque n'ont pas de valeur probante accrue en tant qu'elles sont destinées à l'interne (arrêt du Tribunal fédéral 6B_199/2011 susmentionné consid. 10.1; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 69 et nbp 187 ad art. 251).

3.3. Selon l'art. 146 al. 1 CP, se rend coupable d'escroquerie quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura astucieusement induit en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou l'aura astucieusement confortée dans son erreur et aura de la sorte déterminé la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers.

La tromperie peut consister soit à induire la victime en erreur, par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais, soit à conforter la victime dans son erreur. Pour qu'il y ait tromperie par affirmations fallacieuses, il faut que l'auteur ait affirmé un fait dont il connaissait la fausseté (ATF 140 IV 206 consid. 6.3.1.2 p. 209). La tromperie par dissimulation de faits vrais est réalisée lorsque l'auteur s'emploie, par ses propos ou par ses actes, à cacher la réalité. S'il se borne à se taire, à ne pas révéler un fait, une tromperie ne peut lui être reprochée que s'il se trouvait dans une position de garant, à savoir s'il avait, en vertu de la loi, d'un contrat ou d'un rapport de confiance spécial, une obligation de parler (cf. not. arrêt du Tribunal fédéral 6B_1050/2019 du 20 novembre 2019 consid. 4.1 et les références citées). Quant au troisième comportement prévu par la loi, il se distingue des deux précédents en ce sens que l'erreur est préexistante (arrêt du Tribunal fédéral 6B_718/2018 du 15 mars 2019 consid. 4.3.1).

Pour qu'il y ait escroquerie, une simple tromperie ne suffit pas. Il faut encore qu'elle soit astucieuse. Il y a tromperie astucieuse, au sens de l'art. 146 CP, lorsque l'auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu'il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n'est pas possible, ne l'est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l'auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu'elle renoncera à le faire en raison d'un rapport de confiance particulier (ATF 147 IV 73 consid. 3.2 p. 78 ss). L'astuce n'est toutefois pas réalisée si la dupe pouvait se protéger avec un minimum d'attention ou éviter l'erreur avec le minimum de prudence que l'on pouvait attendre d'elle (ATF
135 IV 76 consid. 5.2).

Enfin, pour que le crime d'escroquerie soit consommé, l'erreur dans laquelle la tromperie astucieuse a mis ou conforté la dupe doit avoir déterminé celle-ci à accomplir un acte préjudiciable à ses intérêts pécuniaires, ou à ceux d'un tiers. L'escroquerie ne sera consommée que s'il y a un dommage (arrêt du Tribunal fédéral 6B_552/2013 du 9 janvier 2014 consid. 2.3.2).

Sur le plan subjectif, l'escroquerie est une infraction intentionnelle. L'intention doit porter sur tous les éléments constitutifs de l'infraction. Il faut en particulier que l'auteur ait eu l'intention de commettre une tromperie astucieuse (cf. ATF 128 IV 18 consid. 3b p. 21). L'auteur doit en outre avoir agi dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime correspondant au dommage de la dupe (ATF 134 IV 210 consid. 5.3 p. 213 s; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1141/2017 du 7 juin 2018 consid. 1.2.2).

3.4. En l'espèce, il ressort tant de la plainte que du rapport de la police du 28 avril 2022 que plusieurs opérations – notamment des transferts sur des comptes aux noms de la sœur et du père de la recourante – ne figuraient pas sur les attestations du 18 novembre 2013. Toutefois, le seul fait que les noms des mis en cause apparaissent sur les attestations litigieuses ne suffit pas à attribuer à celles-ci une valeur probante accrue. Les conditions énumérées par le Tribunal fédéral dans l'arrêt dont se prévaut la recourante ne sont pas réalisées en l'espèce. En particulier, il n'existait pas de relation de confiance particulière entre la recourante et les mis en cause, dans la mesure où aucun d'eux ne gérait les comptes dans le cadre d'un mandat de gestion de fortune confié à la banque. On ne peut non plus retenir qu'une telle relation s'était établie par le fait que B______ lui avait remis les attestations litigieuses dans les bureaux de D______ SA en novembre 2013, étant précisé que tant la conclusion du contrat avec la maison mère que la seconde réunion ont eu lieu ultérieurement. De surcroît, les attestations litigieuses n'étaient ni signées ni munies d'en-tête de la banque. Dans ces conditions, on ne saurait admettre qu'elles constituent des titres.

Il en va de même de la note L______ et celle de décembre 2015 remises à la recourante, dans la mesure où celles-ci – ne portant ni date, ni auteur, ni en-tête de la banque – s'apparentent à des notes destinées à l'interne, ne revêtant pas une valeur probante accrue.

Partant, les éléments objectifs de l'infraction de faux dans les titres, en particulier la condition de la valeur probante accrue du document, ne sont manifestement pas remplies.

3.5. S'agissant de l'infraction d'escroquerie, la recourante invoque avoir été victime d'une mise en scène, comportant, d'abord, la conclusion d'une convention très inhabituelle avec la maison mère de la banque, puis la remise, lors d'une réunion, de la note de décembre 2015 contenant, de nouveau, de fausses informations. Or il ne ressort ni de sa plainte ni du rapport de police du 28 avril 2022 que le contenu de la note de décembre 2015 serait inexact. Au contraire, c'est grâce à la note précitée que la recourante a appris l'existence du compte ouvert au nom de son père en les livres de la banque L______ et des transferts au bénéfice du compte 7______ au nom de sa sœur. Ce d'autant qu'elle a également été mise en possession des relevés de ce compte. On ne décèle dès lors pas de soupçon de machination astucieuse. En tout état de cause, la recourante n'établit pas en quoi une éventuelle tromperie astucieuse de la part des mis en cause l'aurait déterminée à effectuer des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires, étant précisé que son père était en vie en 2013 et qu'en 1999 il restait toujours titulaire des comptes, les avoirs ayant seulement changé de banque.

La décision querellée est, là également, exempte de reproche.

Au vu de ce qui précède, faute de prévention pénale suffisante, point n'est besoin de faire procéder aux actes d'enquête sollicités par la recourante.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

5.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'état, qui seront fixés en totalité à CHF 1'200.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'200.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/24958/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'115.00

-

CHF

Total

CHF

1'200.00