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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/3929/2019

ACPR/894/2022 du 22.12.2022 sur OPMP/8431/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;VIOL;IN DUBIO PRO DURIORE;TENTATIVE(DROIT PÉNAL)
Normes : CPP.319; CP.22; CP.190; CP.177; CP.180

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/3929/2019 ACPR/894/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 22 décembre 2022

 

Entre

A______, domiciliée ______, comparant par Me Olivier PETER, avocat, PETER MOREAU SA, rue des Pavillons 17, case postale 90, 1211 Genève 4,

recourante,

contre l'ordonnance de classement partiel et de refus de réquisitions de preuve rendue le
19 septembre 2022 par le Ministère public,

et

B______, domicilié ______, comparant par Me C______, avocat,

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 26 septembre 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 19 septembre 2022, notifiée le 22 suivant, par laquelle le Ministère public a rejeté ses réquisitions de preuves et classé sa plainte pénale déposée le 25 août 2021 contre B______ (chiffres 1 et 2 du dispositif).

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, au constat d'une violation du droit à une enquête effective en cas de traitements inhumains et dégradants, à l'annulation de la décision attaquée, à la reprise de l'instruction, ainsi qu'au renvoi en jugement du prévenu.

b. A______, qui plaide au bénéfice de l'assistance juridique, a été exonérée de l'avance de sûretés (art. 136 al. 1 et al. 2 let. a, et art. 383 al. 1 CPP).

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ et B______, tous deux originaires de Bolivie, sont arrivés en Suisse en 2015. Ils entretiennent une relation amoureuse, dont trois enfants mineurs sont issus.

b. Le 25 août 2021, A______ a déposé plainte pénale contre son concubin pour tentative de viol, menaces et injure.

En substance, elle a exposé qu'il l'avait, le 22 juillet 2021, vers 16h00, au domicile familial, sis rue 1______ no. ______, traitée de "pute" et d'"incapable". Il avait également menacé de la dénoncer à la police comme étant en situation irrégulière en Suisse et comme étant une mauvaise mère, de sorte que leurs enfants devraient lui être retirés. Ces propos l'avaient effrayée. B______ était alors très énervé et donnait des coups de poing dans le cadre de la porte. Ne sachant pas quoi faire face à cette situation, elle avait quitté le logement avec leurs filles et s'était rendue au poste de police de D______ [GE] pour demander de l'aide. Une patrouille de police les avait raccompagnées à leur domicile et avait demandé à son conjoint de se calmer et d'aller passer la nuit ailleurs.

En outre, le 25 juillet 2021, vers 03h00, tandis qu'elle dormait dans le lit conjugal, B______ avait tenté de la contraindre par la force à entretenir une relation sexuelle. Il était entré dans la chambre uniquement vêtu de ses sous-vêtements et lui avait grimpé dessus et écarté les jambes de force. Elle avait tenté de se débattre mais il lui avait saisi les poignets et les avait plaqués contre le lit. Il lui avait alors dit: "je veux faire l'amour parce que tu es ma femme et j'ai le droit", ce à quoi elle avait répondu qu'elle ne voulait pas car il était ivre. Il ne voulait pas comprendre. Alors qu'il lui baissait le pantalon de son pyjama, elle avait réussi à se dégager de son étreinte. Elle avait couru s'enfermer dans la chambre de leurs filles. Il frappait à la porte et criait pour qu'elle lui ouvre. Après quelques instants, il était retourné dans leur chambre et s'était endormi. Il s'était par la suite excusé, en pleurant, et l'avait suppliée de ne pas déposer plainte.

Finalement, le 15 août 2021, vers 16h00, alors qu'il était ivre, il avait tenu, lors d'une conversation téléphonique, les propos suivants: "Quand je rentrerai ce soir, avec tout ce que je vais te faire, tu auras une bonne raison d'appeler la police", ce qui l'avait effrayée. Le même jour, aux alentours de 23h00, à son arrivée au domicile, totalement alcoolisé, il l'avait traitée de "pute", d'"incapable" et de "mauvaise mère". Elle avait appelé la police et une patrouille était intervenue. Il était parti avec les policiers et lui avait rendu la clé de l'appartement.

Par ailleurs, il surveillait constamment son téléphone portable. Il critiquait toujours son habillement et l'accusait de le tromper car elle ne voulait pas entretenir de rapports sexuels avec lui.

c. Entendu par la police, B______ a contesté les faits reprochés. Depuis qu'il avait commencé à travailler, sa relation avec sa concubine avait changé. Celle-ci lui reprochait de sortir avec des amis. S'agissant de la dispute du 22 juillet 2021, A______ lui avait demandé de quitter leur domicile. Il lui avait alors demandé de lui restituer les CHF 4'000.- correspondant à la garantie de loyer, afin qu'il puisse trouver une chambre ailleurs. À aucun moment il ne l'avait insultée ni ne s'était montré violent. Il avait effectivement fait référence à la police mais c'était pour trouver une solution, en vue de récupérer son argent. Il avait bu deux bières. Il n'était pas complétement ivre. Lorsqu'une patrouille de police était arrivée à leur domicile, il était allé dormir ailleurs sur les conseils des policiers. À son retour, le lendemain, ça allait mieux. En ce qui concerne la nuit du 25 juillet 2022, ils avaient eu une relation sexuelle. Il ne lui avait pas écarté les cuisses sans son accord ni ne lui avait tenu les poignets. Il ne l'aurait jamais forcée à avoir un rapport sexuel. Cette histoire n'était qu'un mensonge. Elle voulait se débarrasser de lui. Il ne comprenait pas pourquoi elle lui faisait ça. Finalement, s'agissant des événements du 15 août 2021, ils s'étaient disputés "assez fort" – mais il ne l'avait pas insultée – car elle lui avait reproché de trop sortir et de ne pas changer. Il lui avait demandé si elle avait un amant, ce qui l'avait énervée. La police était ensuite intervenue à leur domicile et lui avait demandé de quitter le domicile, ce qu'il avait fait. Par ailleurs, il ne prenait pas le téléphone de A______ afin de surveiller ce qu'elle faisait. Il faisait quasiment tout à la maison et ne comprenait vraiment pas la situation.

d. Selon le rapport de renseignements établi par la police, B______ a fait l'objet d'une procédure pénale pour des violences domestiques commises le 29 novembre 2015. De plus, les services de police ont été sollicités par A______ les 22 juillet et 15 août 2021.

e. Le Ministère public a ouvert une instruction pénale contre B______ pour tentative de viol, menaces et injure.

f. Une audience de confrontation s’est tenue devant le Ministère public le 30 mars 2022.

f.a. A______ a confirmé sa plainte pénale, précisant que son conjoint et elle-même vivaient à nouveau ensemble. Ils arrivaient à communiquer mais se disputaient parfois. Ils dormaient dans la même chambre avec des lits séparés. Elle avait été effrayée par les menaces prononcées par B______ les 22 juillet et 15 août 2021. Concernant l'épisode du 25 juillet 2021, il était arrivé au domicile vers 03h00 ou 04h00, en état d'ébriété. Il avait tenté de lui imposer une relation sexuelle vaginale. Elle était au lit, en train de dormir et il était rentré directement pour la forcer. Elle avait manifesté son refus en tentant de relever son pantalon de pyjama alors qu'il essayait de le lui descendre. Elle avait réussi à le pousser et à s'enfuir dans la chambre de sa fille où elle s'était enfermée à clé. Elle lui avait en outre dit d'aller se coucher et d'arrêter d'essayer de la forcer à avoir une relation sexuelle. Elle avait utilisé beaucoup de force pour le repousser avec ses mains. Elle avait eu peur. C'était la première fois que ce genre d'évènement se produisait.

f.b. B______ a, quant à lui, confirmé ses déclarations à la police. C'était vrai qu'il avait eu envie d'avoir une relation sexuelle avec la plaignante, le 25 juillet 2021, mais pas par la force. Il s'était approché d'elle, il voulait l'embrasser mais elle était partie car elle n'avait pas accepté d'avoir une telle relation. Elle lui avait dit qu'elle n'avait pas envie d'avoir une relation sexuelle et elle l'avait repoussé de côté avec ses mains, sans utiliser la force. Il n'était pas en état d'ébriété. Il avait voulu se réconcilier avec sa concubine, c'est pourquoi il l'avait caressée.

Sur question, il a répondu que, oui, il avait voulu avoir une relation sexuelle complète, soit une pénétration vaginale. C'était normal, elle était sa femme depuis plus de 17 ans, mais comme elle ne voulait pas, il était parti et il n'y avait pas eu de relation. Après, sa compagne était allée dormir dans la chambre des filles.

Par ailleurs, il ne l'avait ni insultée ni menacée les 22 juillet et 15 août 2021. Cependant, il leur était arrivé de se disputer et que quelques mots aient été échangés entre eux. Il s'agissait d'insultes réciproques. Ils faisaient à nouveau ménage commun pour le bien-être de leurs filles. Il ne buvait plus d'alcool depuis environ six mois. Ils arrivaient à discuter sans se disputer. A______ ne lui avait pas demandé de quitter l'appartement. Elle s'était du reste opposée à ce qu'il retourne vivre en Bolivie.

g.a. Par avis de prochaine clôture de l'instruction, le Ministère public a informé les parties qu'une ordonnance de classement serait prononcée s'agissant des faits dénoncés dans la plainte de A______.

g.b. Dans le délai imparti, A______ s'est opposée au classement de sa plainte pénale, au regard du principe "in dubio pro duriore". Elle a sollicité du Ministère public qu'il ordonne une expertise portant sur la responsabilité de B______, ainsi que sur le risque de récidive, qu'il ordonne la production d'une copie du dossier du Service de protection des mineurs et de l'enregistrement de la CECAL du 10 août 2022, en lien avec des nouveaux faits de violences.

g.c. Quant à B______, il n'a pas donné suite à cet avis.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public a considéré que les déclarations des parties étaient contradictoires, dès lors que, d'une part, les faits s'étaient déroulés en l'absence de tout témoin et, d'autre part, que le prévenu les contestait intégralement. Partant, aucun élément de preuve à charge au dossier, notamment matériel, ne permettait d'établir des soupçons suffisants à l'encontre du prévenu, de sorte que le classement s'imposait.

Par ailleurs, les réquisitions de preuve sollicitées par la plaignante n'étaient pas pertinentes pour l'issue du litige. Elles devaient donc être rejetées.

D. a. À l'appui de son recours, A______ se plaint d'un établissement inexact des faits. Elle reproche également au Ministère public une violation de l'art. 319 CPP et du principe "in dubio pro duriore" ainsi qu'une violation de l'obligation de mener une enquête effective, qu'elle fonde sur les art. 3 et 8 CEDH et sur la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (Convention d'Istanbul, RS 0.311.35). Toutes les conditions pour une mise en accusation étaient réunies. La version du prévenu était contradictoire et confuse sur de nombreux points, ce qui entachait sa crédibilité. Les propos tenus au cours de l'audience de confrontation étaient troublants. Il avait confirmé avoir cherché une "pénétration vaginale", considérant que cela était "normal" puisque qu'elle était "[s]a femme depuis plus de 17 ans". Il avait également confirmé qu'elle "n'a pas accepté d'avoir une relation sexuelle" et "ne voulait pas". Il reconnaissait également qu'elle avait dû le pousser sur le côté avec ses mains. Elle était ensuite partie dans la chambre des filles. Par ailleurs, il avait reconnu l'avoir insultée. Dans ce contexte, il était arbitraire de justifier le classement en considérant que le prévenu contestait l'intégralité des faits. En outre, il était établi par divers éléments au dossier que le prévenu avait fait preuve de violence à son égard depuis de nombreuses années, en particulier durant la période de l'agression sexuelle dénoncée, ce qui ne faisait que renforcer la crédibilité de ses déclarations et créer un faisceau d'indices suffisants pour confirmer l'usage de la contrainte. Une grave violation de ses droits fondamentaux par l'autorité intimée devait être constatée.

En tout état, le Ministère public ne pouvait, à ce stade de la procédure, établir de manière indubitable que les infractions n'étaient pas réalisées. D'autres actes d'instruction auraient pu être effectués, notamment les actes sollicités par ses soins. L'autorité intimée n'avait ainsi pas la qualité pour juger de la qualification des faits et de l'issue de la procédure, laquelle aurait dû se conclure par une mise en accusation.

En annexe à son recours, A______ a, en particulier, produit une attestation établie par le Centre LAVI, selon laquelle son état psychologique était particulièrement inquiétant et nécessitait un suivi par l'association F______.

b. Dans ses observations, le Ministère public persiste dans ses précédents développements et conclut au rejet du recours.

c. B______ conclut au rejet du recours. Ses déclarations correspondaient à la réalité des faits. En revanche, la version de la recourante n'avait pas pu être corroborée avec les moyens de preuve. Elle ne suffisait pas à établir sa culpabilité. C'était donc à juste titre que le Ministère public avait décidé de classer la procédure et de ne pas donner suite aux réquisitions de preuves de la recourante.

Par ailleurs, il a produit deux documents – à savoir des ordonnances du Tribunal de première instance – qui permettraient de démontrer la tendance de la recourante à multiplier les procédures civiles et pénales à son encontre sans aucun fondement et de manière téméraire.

d. A______ n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la partie plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à voir poursuivre l'auteur de la prétendue infraction commise contre son intégrité sexuelle (art. 115 et 382 al. 1 CPP).

1.2. Les pièces nouvelles produites devant la juridiction de céans sont recevables, la jurisprudence admettant la production de faits et de moyens de preuve nouveaux en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.2).

2. La recourante estime qu’il existe contre l'intimé une prévention suffisante de tentative de viol, d'injure et de menaces.

2.1. Conformément à l'art. 319 al. 1 let. a CPP, le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi. Selon la jurisprudence, cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore". Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2 p. 91) et signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation.

La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 p. 243; 138 IV 86 consid. 4.1.2 p. 91 et les références citées).

2.2. Dans les procédures où l'accusation repose essentiellement sur les déclarations de la victime, auxquelles s'opposent celles du prévenu, le principe "in dubio pro duriore" impose, en règle générale, que ce dernier soit mis en accusation. Cela vaut en particulier lorsqu'il s'agit de délits commis typiquement "entre quatre yeux" pour lesquels il n'existe souvent aucune preuve objective (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 précité, consid. 2.2). Concernant plus spécialement la poursuite des infractions contre l'intégrité sexuelle, les déclarations de la partie plaignante constituent un élément de preuve qu'il incombe au juge du fond d'apprécier librement, dans le cadre d'une évaluation globale de l'ensemble des éléments probatoires figurant au dossier (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 précité, consid. 3.2 in fine).

Il peut toutefois être renoncé à une mise en accusation si : la victime fait des dépositions contradictoires, rendant ses accusations moins crédibles; une condamnation apparaît, au vu de l'ensemble des circonstances, a priori improbable pour d'autres motifs; il n'est pas possible d'apprécier l'une ou l'autre des versions opposées des parties comme étant plus ou moins plausible et aucun résultat n'est à escompter d'autres moyens de preuve (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 précité, consid. 2.2).

2.2.1. Se rend coupable de viol (art. 190 CP), quiconque, notamment en usant de menace ou de violence, en exerçant sur sa victime des pressions d’ordre psychique ou en la mettant hors d’état de résister, aura contraint une personne de sexe féminin à subir l’acte sexuel. Il y a tentative, au sens de l'art. 22 al. 1 CP, lorsque l'exécution d'un crime ou d'un délit n'est pas poursuivie jusqu'à son terme ou que le résultat nécessaire à la consommation de l'infraction ne se produit pas ou ne pouvait pas se produire.

2.2.2. Sur le plan objectif, il faut, pour qu'il y ait contrainte, que la victime ne soit pas consentante, que le prévenu le sache ou accepte cette éventualité et que celui-ci déjoue, en utilisant un moyen efficace, la résistance que l’on peut attendre de celle-là (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 précité, consid. 3.1).

La violence suppose un emploi de la force physique sur la victime (afin de la faire céder) plus intense que ne l'exige l'accomplissement de l'acte dans les circonstances ordinaires. Selon les cas, un déploiement de force relativement faible peut suffire, tel que maintenir la victime avec la force de son corps, la renverser à terre, lui arracher ses habits ou lui tordre un bras derrière le dos (arrêt du Tribunal fédéral 6B_116/2019 du 11 mars 2019 consid. 2.2.1).

En introduisant la notion de "pressions psychiques", le législateur a voulu viser les cas où l'auteur provoque chez la victime des effets tels que la surprise, la frayeur ou le sentiment d'une situation sans espoir, propres à la faire céder, sans pour autant recourir à la force physique ou à la violence (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 précité). Pour être qualifiées de contrainte, ces pressions doivent atteindre une intensité particulière (ATF 131 IV 167 consid. 3.1) et rendre la soumission de la victime compréhensible (arrêt du Tribunal fédéral 6B_159/2020 du 20 avril 2020 consid. 2.4.3).

2.3. L'infraction à l'art. 190 CP est intentionnelle, mais le dol éventuel suffit (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1306/2017 du 17 mai 2018 consid. 2.1.2 in fine et 6B_1175/2017 du 11 avril 2018 consid. 1.1 in fine). L'auteur doit savoir que la victime n'est pas consentante ou en accepter l'éventualité (arrêt du Tribunal fédéral 6B_643/2021 du 21 septembre 2021 consid. 3.3.4). L'élément subjectif se déduit d'une analyse des circonstances permettant de tirer, sur la base des éléments extérieurs, des déductions sur les dispositions intérieures de l'auteur. S'agissant de la contrainte en matière sexuelle, l'élément subjectif est réalisé lorsque la victime donne des signes évidents et déchiffrables de son opposition, reconnaissables pour l'auteur, tels des pleurs, des demandes d'être laissée tranquille, le fait de se débattre, de refuser des tentatives d'amadouement ou d'essayer de fuir (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1285/2018 du 11 février 2019 consid. 2.2).

2.4. Se rend coupable d'injure celui qui aura, par la parole, l'écriture, l'image, le geste ou par des voies de fait, attaqué autrui dans son honneur (art. 177 al. 1 CP).

2.5. Se rend coupable de menaces celui qui, par une menace grave, alarme ou effraie une personne (art. 180 CP).

2.6. En l'espèce, il est constant que les accusations formulées par la recourante s'inscrivent dans un contexte qui renvoie à la configuration dite du délit commis "entre quatre yeux", dans laquelle l'accusation repose essentiellement sur les déclarations de la recourante, auxquelles s'opposent celles de l'intimé.

Dans ce type de configuration, pour lequel il n'existe souvent aucune preuve objective, comme c'est le cas en l'occurrence – aucun témoin n'ayant assisté à la scène – la jurisprudence impose la mise en accusation du prévenu, sauf si les déclarations de la partie plaignante sont contradictoires au point de les rendre moins crédibles.

Or, comme le relève à juste titre la recourante, l'autorité intimée n'a pas constaté qu'elle aurait fait des déclarations contradictoires qui la rendait moins crédible que l'intimé, ou encore que des éléments manifestement probants permettaient de dénier d'entrée de cause toute crédibilité à ses accusations ou de leur conférer un crédit moindre qu'à celles du prévenu. Au contraire, l'ordonnance attaquée ne pointe aucun élément qui permettrait sans équivoque de dénier tout crédit aux accusations de la recourante. Cette dernière affirme ne pas avoir consenti à la tentative d'acte sexuel litigieuse et avoir fait part de son désaccord au prévenu, tant oralement que gestuellement (en remontant son bas de pyjama, en se débattant, puis en parvenant à le repousser sur le côté avec ses deux mains et à s'enfuir pour s'enfermer dans la chambre de leurs filles). Elle est demeurée constante sur ses accusations tout au long de l'instruction.

Certes, l'intimé conteste avoir tenté de violer la recourante. Cependant, sa version diverge sur certains points. En effet, lors de son audition à la police, il a déclaré avoir entretenu une relation sexuelle avec sa compagne la nuit du 25 juillet 2021, avant de revenir sur ses dires et de soutenir, lors de l'audience de confrontation, avoir seulement souhaité une telle relation et s'être borné à entreprendre de l'embrasser, ce qu'elle avait refusé. Il avait tenu des propos confus, confirmant avoir cherché une "pénétration vaginale", ceci étant selon lui "normal" puisqu'elle était "[s]a femme depuis plus de 17 ans", mais pas "par la force". Il admettait également qu'à cette occasion, elle avait dû le repousser sur le côté avec ses mains, puis qu'elle était partie dormir dans la chambre des filles, ce qui tendrait plutôt à confirmer une certaine violence, telle que rapportée par la plaignante.

En outre, l'existence d'un climat de crainte au sein du foyer durant la période en cause paraît établie, compte tenu de l'intervention de la police, à deux reprises, à leur domicile à cette époque. L'attestation établie par le Centre LAVI relate un état de santé psychique de la recourante particulièrement inquiétant, lequel nécessite une prise en charge psychologique auprès de l'association F______.

Dans de telles circonstances, notamment au vu de ces éléments corroboratifs indirects, il n'est pas possible de nier d'emblée l'existence d'une tentative de contrainte physique et/ou psychique en vue d'imposer une relation sexuelle à la recourante.

En tout état, pour en décider, l'appréciation globale des circonstances concrètes déterminantes appartient au juge du fond.

Les conditions des art. 22 et 190 CP pourraient donc être réunies.

Par ailleurs, au vu du contexte de crainte sus-décrit, l'autorité intimée ne pouvait pas d'emblée exclure l'existence d'éventuelles injures et/ou menaces sur la recourante à l'époque des faits reprochés, d'autant que l'intimé reconnaît qu'il leur est arrivé d'échanger des insultes.

3. Fondé, le recours doit être admis ; partant, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause sera renvoyée au Ministère public pour qu’il complète éventuellement l’instruction des faits, puis porte l'accusation devant le juge du fond.

Il sera loisible à la partie plaignante de solliciter, devant le Procureur et/ou le tribunal de première instance, l’administration des preuves qu’elle estimera utiles.

4. Compte tenu de ce qui précède, le grief d'arbitraire dans l'établissement des faits soulevé par la recourante est sans objet, puisque l'instruction se poursuit. Il en va de même du grief de violation de l'obligation de procéder à une enquête effective découlant notamment des art. 3 et 8 CEDH.

5. La recourante, au bénéfice de l'assistance judiciaire, sera exonérée des frais de la procédure (art. 136 al. 2 let. b CPP).

6. Il n’y a pas lieu de fixer à ce stade l’indemnité due au conseil juridique gratuit (art. 135 al. 2 et 138 al. 1 CPP).

7. Au vu de l'issue du litige, aucune indemnisation ne sera accordée au prévenu (art. 429 CPP, a contrario, cum art. 436 CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule, en conséquence, l'ordonnance de classement déférée et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans les sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, à B______, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et
Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

 

Olivia SOBRINO

 

Le président :

 

Christian COQUOZ

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).