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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/947/2020

ACPR/862/2022 du 09.12.2022 sur OCL/775/2022 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL

Descripteurs : ORDONNANCE DE CLASSEMENT;ACTE D'ORDRE SEXUEL SUR UN INCAPABLE DE DISCERNEMENT
Normes : CP.191; CPP.319

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/947/2020 ACPR/862/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 9 décembre 2022

 

Entre


A
______, domiciliée ______ [VS], comparant par Me B______, avocat,

recourante,


contre l'ordonnance de classement rendue le 16 juin 2022 par le Ministère public,


et


C
______, domicilié ______ [GE], comparant par Me Loris BERTOLIATTI, avocat, Borel & Barbey, rue de Jargonnant 2, case postale 6045, 1211 Genève 6,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 27 juin 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 16 juin 2022, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a ordonné le classement de sa plainte contre C______.

La recourante conclut, sous suite de frais et indemnité de CHF 4'523.40, à l'annulation de l'ordonnance querellée, à ce qu'il soit ordonné au Ministère public de donner suite à ses réquisitions de preuve et au renvoi en jugement de C______ pour viol (art. 190 CP) ou actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP).

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 30 décembre 2019, A______, née en 1986 a déposé plainte contre C______, né en 1974.

En substance, elle a déclaré que le vendredi 13 décembre 2019, elle avait rendez-vous pour boire un verre avec le précité, qu'elle connaissait depuis environ un an et avec lequel elle avait déjà pris quelquefois l'apéritif. Elle était arrivée à 18h.26 au café D______. À son souvenir, durant la soirée, elle avait bu 4 ou 5 verres de vin blanc, en mangeant. Elle n'était donc pas ivre. La soirée s'était bien déroulée. Ils avaient discuté avec le responsable du restaurant, E______, ainsi qu'avec un Catalan (ci-après, l'habitué du restaurant ou le tiers) avec lequel elle avait parlé politique. C______ n'avait pas participé à cette conversation. Son dernier souvenir était la réception de l'addition vers 23h00, réglée par le précité. À partir de là, elle n'avait aucun souvenir jusqu'à son réveil, à 2h.00 du matin, nue dans son lit, aux côtés de C______. Elle n'avait pas compris ce qu'il s'était passé, avait pleuré et fait une crise d'angoisse. Elle se sentait comme "shootée", alors qu'elle ne prenait pas de médicament. Elle avait demandé à C______ d'appeler leur amie commune, F______ – qu'elle avait d'ailleurs prévu de rejoindre après l'apéritif –, ce qu'il avait fait. C______ avait quitté son appartement vers 2h.15 et F______ s'y était rendue vers 3h.00. Elle avait dit à celle-ci qu’elle pensait avoir été abusée par C______.

Elle ne s'était jamais retrouvée dans un tel état auparavant et n'avait jamais couché avec qui elle ne voulait pas. Jamais elle n'aurait couché avec C______ de manière consentie. Il ne l'attirait pas du tout ; c'était "un pote", il était marié et âgé de 46 ans. De surcroît, elle venait de se mettre en couple. Le matin du 14 décembre 2019, elle s'était rendue aux Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après, HUG), où on lui avait dit qu'il était trop tard pour détecter du GHB. Plus tard, elle avait appelé C______ pour lui demander des explications. Lors de cette conversation, celui-ci, dont la voix était très légère et "dans la séduction", lui avait donné sa version de la soirée, à savoir qu'ils avaient bu du vin blanc jusqu'à 1h.00 au restaurant, qu'elle l'avait "allumé" et qu'ils s'étaient embrassés. Elle lui aurait proposé de venir chez elle. Sur le trajet jusqu'à son domicile – à la rue 1______ –, ils se seraient embrassés plusieurs fois, puis, une fois chez elle, auraient essayé de coucher ensemble mais n'y étaient pas parvenus, même s'il admettait l'avoir tout de même pénétrée sans préservatif. Il lui avait mentionné n'être resté que 20 à 30 minutes chez elle. Après qu'elle lui eut demandé si elle avait été consentante, il avait répondu "bien sûr" et suggéré que c'était à son initiative (à elle) qu'ils avaient entretenu une relation sexuelle. Elle avait été frappée que C______ lui eût précisé ne pas savoir si quelqu'un avait mis du GHB dans son verre (à elle).

Le 15 décembre 2019, elle s'était rendue à l'Hôpital de G______ [VS] pour y subir des examens et le lendemain, C______ lui avait adressé un courriel dans lequel il offrait son aide dans le cadre d'un projet immobilier, ce qu'elle avait trouvé bizarre. Lorsqu'après les faits, elle avait consulté le nombre de ses pas sur son téléphone – données qui ont été produites –, il en était ressorti qu'aucun pas n'avait été enregistré de 23h.21 à 2h.15, laissant supposer qu'elle était à son domicile durant cette période, ce qui ne correspondait pas aux horaires communiqués par C______. Elle a par ailleurs précisé que, durant la soirée au restaurant, tandis qu'elle discutait avec l'habitué du restaurant, C______ lui avait envoyé plusieurs messages.

Elle a ajouté que C______ savait mettre à l'aise les femmes en faisant le "gentleman", même s'il était insistant. Il lui courait après depuis des mois pour coucher avec elle, ce qu'elle n'avait jamais voulu. Il lui adressait de nombreux messages et elle lui avait fait comprendre qu'elle ne changerait jamais d'avis à ce sujet. Il avait une personnalité légère et rigolait beaucoup, raison pour laquelle il n'était pas un "mec lourd qu'on envoie balader".

Depuis ces événements, elle se sentait psychologiquement très mal, n'avait pas été capable de retourner dans son appartement genevois, avait perdu du poids et prenait un traitement contre le VIH. À Noël, elle avait dû être hospitalisée d'urgence. Elle avait peur de ce qu'il s'était passé durant le laps de temps où elle n'avait pas de souvenir ; elle ne savait pas si C______ était seul chez elle ou s'ils étaient plusieurs.

b. Il ressort des échanges téléphoniques de A______ les éléments suivants :

·         le soir du 13 décembre 2019, entre 20h.39 et 22h.43, C______ lui a adressé plusieurs messages, dont la teneur est la suivante : "T trop sexy", "E trop belle", "En plus du reste" [avec émoticône d'un smiley dont les yeux sont remplacés par des cœurs], "On va chez toi ?", "Je sais", "Mais bon tu me plais", "Embrasse moi" [avec émoticones de trois smileys comportant des cœurs], "Ce soir jw t embrasse", "Embrasse moi". A______ n'a répondu à aucun de ces messages;

·           le 14 décembre 2022, entre 02h.13 et 03h.05, F______ et A______ ont échangé les messages suivants :

- F______ : Ça va ma chérie ? C______ [petit nom] vient de m'appeler

- A______ : F______ je ne me souviens de ne plus rien

- F______ : ???

- A______ : Qu'est ce qu'il s'est passé

- F______ : Je ne comprends rien. Comment tu vas ? Tu te sens comment ?

- A______ : J'ai tout oublié. Et je suis seule. Qu'est ce qu'il s'est passé

- F______ : T'étais où ?

- A______ : Chez moi

- F______ : Tu veux que je vienne ? En début de soirée t'étais où ? Tu te souviens ? [ ]

- A______ : Je ne me souviens de rien. Et je suis seule chez moi

- F______ : Il m'a dit que vous étiez chez E______. Je sais pas où c'est

- A______ : Il m'a dit qu'on avait couché ensemble

- F______ : Tu te souviens qu C______ était [avec] toi ? Il t'a dit ça ?

- A______ : Je ne me souviens de rien

- F______ : Tu te souviens qu'il était là ?

- A______ : J'étais trop bourrée [ ]

- F______ : Tu t souviens pas l'avoir vu ?

- A______ : Je ne me souviens de rien

- F______ : Je vais arriver. Ok ?

- A______ : Qu'est ce qu'il m'arrive. Ils ont profité de moi.

- F______ : Ils ont ? Mais qui ils ? Ils étaient plusieurs ?

- A______ : Je ne me souviens de rien

- F______ : Dis-moi si je viens

- A______ : Ils sont partis

- F______ : Ils sont ?

- A______ : Mais je ne me souviens de rien

- F______ : Mais C______ m'a dit qu'il était seul Ac toi. [ ] Bon j'arrive. Je capte rien et ça m'inquiète

- A______ : J ne me souviens plus de rien. C______ ma dit que c'est moi qui avai[s] envie. Mais j'ai un trou noir. Et quand j'étais avec lui j'ai angoiss[é]. Et il s'est tiré. Qu['est] ce qu'il s'est passé ??

- F______ : Je vais arriver [ ]. Tu te souviens de ton code ?

- A______ : [elle donne son code] Est-ce qu'il a profité de Moi ?

- F______ : Non je pense pas [ ]

- A______ : [ ] Il s'est passé qqch. Il a profité de moi ? Il était seul ?

- F______ : Suis en bas je monte

·           parallèlement, à 2h.13 C______ écrit à A______ : "Chou j espère que tu dors bien", "Texte moi qd tu te reveillespour me dire que t ok!" [avec émoticône d'un smiley avec des cœurs], "J ai call F______ elle te call demain matin", "Bisous".

A______ répond à 2h.36 : "Qu'est-ce qu'il s'est passé ?", "F______ arrive chez moi".

Entre 4h.54 et 5h.07, C______ écrit : "Ok", "Ca va mieux.?!", "Je m inquiete", "On a bu que du blanc ? Enfin moi suis passé au rouge mais bon", "On se voit demain pour discuter", "Bisous". Puis, entre 8h.38 et 13h.42 : "Ca va??!", "?", Tu vas bien??", "Call me", "Je me suis inquiété toute la nuit", "Pas dormi", [Appel vocal manqué à 12h46], "Dis moi au moins si tu vas bien", "Café ?".

·           à 8h.25, A______ écrit à F______ : "Je crois que je vais aller à l'hôpital", puis : "F______ je vais à l'hôpital faire des tests". À 09h30, elle ajoute : "Apparemment c'est trop tard".

·           à 15h.28 A______ répond à C______ : "On s'appelle maintenant ?", ce qu'il accepte quelques minutes plus tard. Après l'appel, il envoie les messages suivants, à 16h.02 : "Te promet sur la tête de mes enfants que t t concentete chou vraiment. J aurai jamais osé !!!!! Mais jamais de la vie. Demande a F______".

·           à 17h35, A______ écrit à F______ : "Je me sens tellement sale et comme si j'avais perdu mon corps. Je vais demander de l'aide à Dieu."

c. Auditionné par la police, C______ a déclaré qu'il connaissait A______ depuis environ 9 mois. Ils s'entendaient bien, il y avait une attirance mutuelle, elle l'appelait pour sortir et lui avait dit qu'il lui plaisait.

Le 13 décembre 2019, F______ était censée les rejoindre, mais elle n'était pas venue. Lui-même avait une soirée le lendemain, donc il ne voulait pas faire tard. Ils avaient bu deux bouteilles de vin blanc et mangé avec un habitué du café, originaire d'Espagne. Il avait demandé l'addition vers 22h.30 mais l'habitué du restaurant avait insisté pour leur offrir un verre. Il avait refusé dans un premier temps mais s'était ravisé après que A______ lui avait reproché de "ne pas être drôle". Ils étaient donc encore restés sur place, puis la prénommée l'avait embrassé à la vue des clients et serveurs, lui disant qu'il était un "mec génial". Ils avaient bu un verre de champagne, à l’extérieur, en compagnie de l'habitué, du patron du café et d'un serveur. Vers 23h.30, il l'avait raccompagnée chez elle. Ils s'étaient embrassés à plusieurs reprises sur le trajet et, arrivés à son domicile, chacun s’était déshabillé. A______ avait sollicité un cunnilingus, qu'il lui avait prodigué durant environ 15 minutes. Elle avait semblé apprécier, car elle gémissait en lui demandant de continuer. Puis, dans un "enchainement naturel", il l'avait pénétrée vaginalement sans préservatif, précisant que, d'ordinaire, il n'entretenait des relations non protégées qu’avec son épouse. Ils avaient changé de position (levrette), mais l'acte n'avait pas duré longtemps car il avait perdu son érection. Il s'était masturbé jusqu'à éjaculation sur le ventre de A______ ; celle-ci n’avait "pas particulièrement réagi". Puis elle avait sollicité un nouveau cunnilingus. Après cela, il s'était dirigé vers la salle de bains et en était revenu, environ deux minutes plus tard. Encore sur le lit, A______ lui avait demandé "ce qu’on avait fait". Il en avait été surpris. Elle disait ne se souvenir de rien depuis leur sortie du restaurant. À sa demande, il avait appelé F______, à qui il avait expliqué avoir couché avec A______, puis avait quitté l'appartement. Le lendemain, il avait tenté, sans succès, d'avoir des nouvelles de A______. Cette dernière l'avait appelé en soirée pour savoir ce qu'il s'était passé. Il lui avait répondu qu'ils avaient couché ensemble et avait été choqué d'apprendre qu'elle pût envisager ne pas avoir été consentante, alors qu'elle était lucide tout au long de la soirée. Il lui avait dit qu’il ne savait pas si quelqu’un avait mis du GHB dans son verre, car il ne comprenait pas qu’elle ne puisse pas se rappeler de ce qu’ils avaient fait ; pour lui, c’était impossible que quelqu’un ait mis quelque chose dans son verre (à elle).

Avant les faits, il avait déjà proposé à A______ de coucher avec lui. Elle avait répondu sur un ton léger "arrête", sans refuser abruptement. Elle n'avait jamais été choquée de ses propositions, puisqu'elle continuait à lui proposer de se voir. Le soir des faits, elle n'avait pas donné l'impression de ne pas être consentante ou de ne pas être dans son état normal.

d. Selon le rapport de police du 10 janvier 2020, A______ avait indiqué son cheminement habituel pour se rendre à son domicile depuis la place D______. Le trajet passant devant le consulat H______, lequel était équipé d'un système de vidéosurveillance, les enregistrements avaient été versés au dossier.

Sur les images, on voit, durant une quinzaine de secondes, C______ et A______ cheminer côte à côte, puis l'un derrière l'autre, devant le consulat. La précitée marche d'un pas assuré.

e. Selon le rapport établi le 3 février 2020 par l'Hôpital du Valais, qui se fonde sur le constat d'agression sexuelle effectué par le service de médecine légale dudit hôpital, A______ s'était présentée le 15 décembre 2019 en consultation. Elle présentait quelques ecchymoses, notamment sur les quadrants supérieurs de chaque sein, ne permettant ni de confirmer ni d'infirmer les dires de la patiente. Aucune lésion n'avait été constatée dans la zone ano-génitale, ce qui ne permettait d'établir ni l'existence d'une pénétration ni celle d'un consentement.

A______ avait déclaré être en couple depuis une semaine, ne pas prendre de contraception orale et avoir entretenu un dernier rapport sexuel protégé (avec préservatif) avec son conjoint le 12 décembre 2019. La nuit des faits, elle s’était "réveillée", nue, aux côtés de C______. Le matin à 8 heures, elle s’était rendue aux HUG, où on lui avait dit qu’il était trop tard pour détecter du GHB, de sorte qu’elle était repartie sans consulter.

Selon le rapport d'analyse toxicologique (effectuée en Valais), aucune trace de GHB n'a été retrouvée dans les urines de A______, étant précisé que celles-ci avaient été prélevées après le délai admis d'élimination de cette substance par le corps, soit six heures pour le sang et douze heures pour l’urine. La possibilité de détection de GHB dans une mèche de cheveux après une prise unique était quasi nulle, mais un résultat négatif ne pourrait pas exclure une telle prise. Aucune drogue (cannabis, cocaïne, ecstasy, etc.) n’a été détectée.

A______ s'est vu prescrire une contraception d’urgence, ainsi qu’une prophylaxie VIH et antibiotique.

f. Le Ministère public a ouvert une instruction pénale contre C______ pour actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP).

g. Auditionnée par le Ministère public, A______ a confirmé ses déclarations à la police. Elle a réfuté toute attirance pour C______ ; elle avait été boire un verre avec lui car c'était un "pote comme un autre". Elle avait prévu de rejoindre son amie, F______, à une fête, après le restaurant. Il y avait un néant dans ses souvenirs de la soirée entre 23h.00 et 2h.00. Lorsqu'elle s'était réveillée nue dans son lit à côté de C______, elle avait eu un électrochoc. Celui-ci avait appelé F______, à laquelle il avait déclaré qu'il l'avait pénétrée sans préservatif et qu'elle était consentante. Il ne lui était jamais arrivé de ne se souvenir de rien, après avoir consommé de l'alcool. L'une des explications qu'elle envisageait était qu'elle avait trop bu. Toutefois, même lorsqu'elle buvait de manière excessive, elle avait toujours gardé son "consentement actif", en particulier sa capacité de refuser une relation sexuelle, de sorte qu'elle avait dû ingérer une autre substance, comme du GHB.

h. Entendu par le Ministère public, C______ a confirmé ses déclarations à la police. Il était incapable de faire ce qu'on lui reprochait. Après avoir bu et mangé avec A______, il avait demandé l'addition, mais l'habitué du restaurant avait tenu à partager avec eux une bouteille de champagne. Ils étaient donc restés et s'étaient embrassés sur la bouche, à la vue des serveurs et des autres clients. Elle lui avait déclaré qu'il était "tout ce qu'elle aimait chez un homme". Après avoir fumé des cigarettes sur la terrasse, il s'était rendu avec A______ au domicile de cette dernière. Chacun s'était déshabillé, il lui avait fait un cunnilingus, qu’elle avait réclamé, et ils avaient "fait l’amour". Il n'avait pas mis de préservatif, cela s'était fait "de manière naturelle, spontanément". Elle était normale, mais, après l'acte, elle lui avait demandé de lui expliquer ce qu'ils avaient fait, en insistant, car elle disait ne pas comprendre où elle se trouvait. Lorsqu'il avait quitté l'appartement, elle semblait dans son état normal. Il a contesté l’avoir droguée. Il y avait une attirance mutuelle entre eux en raison de son attitude (à elle) et du fait qu'ils étaient allés plusieurs fois boire des apéritifs, parfois à son initiative (à elle). C'était son ressenti à lui, et c'était suffisant.

i.A______ a produit plusieurs documents en lien avec son état de santé depuis les faits :

- le 12 mai 2020, la Dre I______, médecin généraliste, fait état d'une perte de cheveux inexpliquée et de poids, d'une hypotension artérielle symptomatique, d'un état de fatigue chronique, de fortes tensions musculaires et de douleurs, ces symptômes étant probablement en lien avec le "traumatisme physique et psychologique" du mois de décembre 2019 ;

- le 20 mai 2020, la Dre J______, psychiatre, et K______, psychologue, ont attesté que A______ souffrait d'un trouble dépressif majeur depuis les faits du 13 décembre 2019 et d'un stress post-traumatique ;

- le 1er mars 2021, K______ a encore attesté que A______ présentait divers troubles évoquant un stress post-traumatique ;

- le 4 mars 2021 par la Dre L______, médecin interne, a certifié que A______ nécessitait un traitement antidépresseur et anxiolytique ainsi qu'une prise en charge psychothérapeutique régulière par suite de "l'agression subie" le 13 décembre 2019.

j. Le Ministère public a procédé à l’audition de divers témoins :

j.a. F______, ancienne employée de C______ et amie de longue date de A______, a indiqué – lors de sa première audition – avoir eu une conversation téléphonique avec le précité dans la nuit du 13 au 14 décembre 2019, lors de laquelle il lui avait demandé de se rendre à l'appartement de A______, qui était très agitée. À son arrivée, la précitée avait commencé à pleurer et dit ne plus se rappeler de ce qu'il s'était passé. Elle avait fait remarquer à A______ que, l'intéressé ne connaissant pas son adresse, c'était donc nécessairement elle qui avait dû l'y conduire. A______ lui avait dit avoir été droguée, de sorte qu'elle lui avait proposé, sans succès, d'aller à l'hôpital faire des tests.

C______ lui avait dit au téléphone qu'il ne s'était "rien passé", elle-même ne lui ayant pas posé de question trop intime au vu de leur précédente relation de travail. Le lendemain des faits, A______ avait à nouveau émis l'hypothèse d'un médicament dans son verre et s'était emportée contre elle lorsqu'elle lui avait dit qu'elle n'imaginait pas C______ le faire. Elle lui avait alors suggéré de retourner dans les bars fréquentés la veille pour interroger les gérants sur son état, ce qu'elle avait fait. Le jour même des faits, dans l'après-midi, A______ lui avait confié qu'elle avait beaucoup bu toute la semaine et avait mal à la tête. Après les faits, leur relation d'amitié s'était distendue, voire rompue, A______ lui reprochant de mettre sa parole en doute.

Avant les faits, A______, C______ et elle avaient pris plusieurs fois l'apéritif ensemble. Le précité leur donnait beaucoup de conseils. Elle n'avait pas constaté d'attirance entre les deux. Si A______ avait été attirée par le prénommé, elle le lui aurait dit. Elle connaissait celle-ci depuis plus de vingt ans et avait constaté sa propension à boire de grandes quantités d'alcool. Lorsqu'elles sortaient ensemble, A______ buvait énormément et finissait toujours en pleurs. Elle pouvait, par exemple, adresser des messages irréfléchis à des ex-copains, puis, se sentant rejetée, courir dans la rue. Il lui était arrivé à plusieurs reprises de devoir aller chercher A______ en pleine nuit. Le 26 décembre 2019, elle avait signifié à la famille de la précitée qu'elle ne voulait plus entendre parler de son amie car elle avait, durant toutes ces années, eu à gérer ce type de situation compliquée.

j.b. Réentendue, F______ a précisé que, lors de sa conversation téléphonique avec C______ la nuit des faits, elle avait interprété l'expression qu'il ne s'était "rien passé" utilisée par celui-ci comme se référant à l'absence de relations sexuelles. Elle avait cru l'intéressé, qu'elle connaissait depuis 2009 et qui était une personne de confiance. Si elle avait écrit à A______ qu'elle ne pensait pas que C______ avait profité d'elle, c'était en raison de son lien de confiance avec le précité, de la conversation téléphonique qu'elle avait eue avec lui et de la confusion de A______. Lorsqu'elle avait reçu le message de la précitée qui indiquait se sentir "sale et comme si [elle] avait perdu son corps", elle en avait relativisé la portée, ce genre de discussions ayant eu lieu toutes les deux semaines. A______ était "up & down" et "dramaqueen". La famille de A______ l'avait sollicitée à deux ou trois reprises lorsque celle-ci disparaissait. Elle ne se souvenait toutefois pas si la précitée lui avait déjà confié avoir eu l'impression de "perdre son corps".

j.c.M______, tenancier du Café D______, a déclaré connaître C______ depuis vingt ans et A______ depuis environ deux ans. Le premier était un habitué de son établissement et la seconde y était venue plusieurs fois. Il se souvenait d'une soirée dans son restaurant avec A______, C______ et un ami espagnol, qu’il leur avait présenté. La soirée était festive et ils avaient bu, sans qu'il pût évaluer le nombre de verres consommés. Il n'avait jamais vu auparavant les deux protagonistes ensemble. Entre A______ et C______, un rapprochement était déjà bien amorcé. Ils étaient partis ensemble avant la fermeture. Il s'était dit qu'ils allaient probablement "passer un bon moment". Lorsqu'ils étaient partis, C______ paraissait proche de A______, qu'il "touchait un peu", par quoi il voulait dire qu’il y avait "un certain rapprochement". Après cette soirée, il n'avait plus revu ni C______ – qui venait pourtant une fois par semaine dans son bistrot – ni A______.

j.d.K______, psychologue mandatée par le Centre LAVI de G______, a déclaré que A______ avait présenté beaucoup de nervosité au moment de parler des faits. Depuis ces derniers, elle avait des difficultés dans ses relations de couple et du mal à faire confiance. Durant les consultations, elle paraissait authentique et cohérente, son récit n'ayant pas varié. Elle présentait des symptômes caractéristiques d'un stress post-traumatique dans le cadre d'une agression sexuelle.

k. Devant le Ministère public, les parties ont visionné l'enregistrement de vidéosurveillance annexé au rapport de police du 10 janvier 2020. Selon C______, ces images corroboraient le fait que A______ se trouvait dans un état normal sur le trajet du restaurant à son domicile. A______ ne s’est pas exprimée.

l. Le 19 octobre 2021, C______ a produit diverses photographies publiées par A______ sur les réseaux sociaux entre août et octobre 2021 dans des contextes festifs. Selon lui, lesdites photographies contrastaient avec les certificats médicaux produits par elle, lesquels décrivaient notamment une "perte d'élan vital".

m. Par avis de prochaine clôture du 30 mai 2022, le Ministère public a informé les parties de son intention de rendre une ordonnance de classement, un délai leur étant imparti pour présenter leurs éventuelles réquisitions de preuves.

n.A______ s'est opposée au classement, les conditions de l'art. 191 CP étant réunies. Elle a maintenu ses précédentes requêtes d’audition de N______ (intervenante LAVI), O______ (sa sœur) et P______ (un ami proche), et a requis l'apport de toutes procédures ou tous documents relatifs aux "précédentes affaires" impliquant C______.

o. Le prévenu a renoncé à présenter des réquisitions de preuves.

C. Dans l’ordonnance querellée, le Ministère public a retenu que les versions des deux protagonistes étaient contradictoires. Aucun élément au dossier ne permettait d'établir que C______ avait contraint A______ à subir l'acte sexuel, ni que la précitée aurait absorbé du GHB lors de la soirée. La plaignante soutenait elle-même que la quantité d'alcool ingérée n'était pas suffisante pour l'étourdir et C______ avait déclaré qu'elle semblait lucide, ce qui était corroboré par les images de vidéosurveillance montrant les deux protagonistes cheminer, en direction de l'appartement de A______, d'un pas décidé et sans présenter de signe d'ébriété ou d'inconscience. Le comportement adopté après les faits par C______, qui s'était inquiété de la situation, ne correspondait pas à celui d'un individu ayant abusé d'une jeune femme. Il avait téléphoné à F______ pour lui demander de s'occuper de son amie, reconnaissant avoir entretenu des relations sexuelles avec elle. Il avait en outre écrit plusieurs messages montrant son inquiétude, le lendemain. Enfin, la persistance des symptômes de A______ pouvait être remise en doute au vu des photographies de l'intéressée publiées sur les réseaux sociaux, qui contrastaient avec le contenu des certificats médicaux. Partant, il n'était pas établi que C______ aurait profité de l'incapacité de discernement de A______ pour lui imposer des actes d'ordre sexuel. Il n'était pas davantage établi qu'il aurait eu conscience qu’elle n'était pas consentante lors de leurs ébats, de sorte que rien dans le dossier ne démontrait la culpabilité de C______. Les éléments constitutifs de l'infraction à l'art. 191 CP ou d'une autre infraction à l'intégrité sexuelle n'étaient ainsi pas réunis.

Les auditions requises par A______ seraient insuffisantes à démontrer la réalisation de l’infraction reprochée au prévenu. La précitée aurait en effet pu être touchée par l’éventuel black-out subi. Les antécédents de C______ étaient sans pertinence, étant relevé que l’extrait, vierge, de son casier judiciaire suisse figurait à la procédure.

D. a. Dans son recours, A______ soutient que les déclarations de C______ manquaient de fiabilité. La chronologie qu'il avait évoquée lors de leur conversation téléphonique était incompatible avec le relevé des pas de son téléphone, lequel démontrait qu'il était resté chez elle durant plus de trois heures, alors qu'il avait indiqué que la relation sexuelle n'avait pas duré plus de 30 minutes. Il y avait une contradiction entre les dires de F______, qui déclarait avoir compris de C______ que rien [de sexuel] ne s'était passé entre eux, et ceux du précité, qui affirmait lui avoir révélé qu'il y avait eu une relation sexuelle. En mettant en doute son incapacité de discernement la nuit des faits, le Ministère public faisait fi de ses déclarations constantes et crédibles. Les images de la vidéosurveillance ne reflétaient que quelques secondes de la soirée et ne permettaient pas d'infirmer qu'elle se trouvait sous l'emprise d'un stupéfiant. La quantité d'alcool ingérée ce soir-là ne pouvait expliquer son état. Elle n'avait jamais été attirée par C______ et n'aurait jamais pu entretenir de relations sexuelles avec lui de manière consentie. Les conséquences psychologiques subies tendaient à accréditer sa version des faits. Par conséquent, les probabilités de condamnation de C______ étaient plus élevées que celles d'un acquittement.

Les personnes dont l’audition était demandée étaient à même d’apporter un éclairage important sur sa personnalité et sur l’important changement de son comportement après "l’agression". De même, faute de production, au dossier, des antécédents [de police] du prévenu, il n’était pas possible d’exclure qu’il n’avait jamais été impliqué dans une procédure à caractère sexuel.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut, sous suite de frais, au rejet du recours, sans autre développement.

c.C______ conclut au rejet du recours, sous suite de frais et dépens. Il conteste avoir dit à A______ être resté avec elle au café jusqu'à 1h.00 du matin, ce qui n'était corroboré par aucun élément au dossier. Les propres déclarations de l'intéressée avaient varié sur ce point. Il avait expliqué que les actes sexuels avaient duré environ 30 minutes, sans exclure une durée plus longue, et non, comme l'affirmait A______, moins de 30 minutes. Elle avait exposé s'être réveillée à 2h. du matin, ce qui était incompatible avec l'heure des messages qu'il lui avait adressés après avoir quitté son appartement, puisqu'il s'était alors déjà entretenu avec F______. Il n'avait pas caché à cette dernière avoir entretenu une relation sexuelle avec A______. Plusieurs autres éléments contradictoires ressortaient des déclarations de la précitée quant à savoir qui avait pris l'initiative de l'appel à F______. Les témoignages de M______ – ce dernier confirmant du reste leur attirance mutuelle ce soir-là – et de F______ ne corroboraient pas le fait que A______ n'aurait pas été dans son état normal, pas plus que les autres éléments au dossier, en particulier les enregistrements de la vidéosurveillance. En outre, il ne connaissait pas l'adresse de A______ ni le code d'entrée de son immeuble, de sorte qu'elle l'avait nécessairement conduit chez elle. Enfin, aucune analyse médicale n'avait révélé de trace d'un produit stupéfiant. Les réquisitions de preuve formulées par A______ étaient dénuées de pertinence pour établir le déroulement des faits.

d. Dans sa réplique, A______ persiste dans ses conclusions.

e. C______ fait de même dans sa duplique.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la partie plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à voir poursuivre l'auteur de la prétendue infraction commise contre son intégrité sexuelle (art. 115 et 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante soutient qu'il existe contre l'intimé une prévention suffisante de viol (art. 190 CP), voire d'actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP).

2.1.       Aux termes de l'art. 319 al. 1 let. b CPP, le ministère public ordonne le classement de la procédure lorsque les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis.

Cette disposition doit être interprétée à la lumière du principe "in dubio pro duriore", selon lequel un classement ne peut être prononcé que quand il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables. Ainsi, la procédure doit se poursuivre quand une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou que les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'infractions graves. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, à ce sujet, d'un pouvoir d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 du 10 juin 2021 consid. 2.1).

Dans les procédures où l'accusation repose essentiellement sur les déclarations de la victime, auxquelles s'opposent celles du prévenu et lorsqu'il n'est pas possible d'estimer que certaines dépositions sont plus crédibles que d'autres, le principe in dubio pro duriore impose en règle générale que le prévenu soit mis en accusation (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.2 et les arrêts cités). Cela vaut en particulier lorsqu'il s'agit de délits commis typiquement "entre quatre yeux" pour lesquels il n'existe souvent aucune preuve objective.

Il peut toutefois être renoncé à une mise en accusation lorsque la partie plaignante fait des dépositions contradictoires, rendant ses accusations moins crédibles ou encore lorsqu'une condamnation apparaît au vu de l'ensemble des circonstances a priori improbable pour d'autres motifs (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.2; arrêts 6B_277/2021 précité consid. 3.1.3; 6B_258/2021 précité consid. 2.2 et les arrêts cités). En outre, face à des versions contradictoires des parties, il peut être exceptionnellement renoncé à une mise en accusation lorsqu'il n'est pas possible d'apprécier l'une ou l'autre version comme étant plus ou moins plausible et qu'aucun résultat n'est à escompter d'autres moyens de preuve (arrêts du Tribunal fédréal 6B_277/2021 précité consid. 3.1.3; 6B_258/2021 précité consid. 2.2; 6B_1164/2020 du 10 juin 2021 consid. 2.2).

2.2.1. Se rend coupable de viol (art. 190 CP), quiconque, notamment en usant de menace ou de violence, en exerçant sur sa victime des pressions d’ordre psychique ou en la mettant hors d’état de résister, aura contraint une personne de sexe féminin à subir l’acte sexuel.

Cette disposition présuppose que l'auteur parvient, en usant d'un moyen de contrainte, à amener la victime à subir ou effectuer un acte sexuel. Elle englobe tous les moyens de contrainte, même ceux qui ne font pas appel à la force physique. La victime qui se trouve acculée et ne peut s'opposer à l'auteur, même si celui-ci n'utilise aucune force, est également protégée par cette disposition (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1149/2014 du 16 juillet 2015 consid. 5.1.2).

2.2.2. Enfreint l'art. 191 CP celui qui, sachant qu'une personne est incapable de discernement ou de résistance, en aura profité pour commettre sur elle l'acte sexuel, un acte analogue ou un autre acte d'ordre sexuel, sera puni d'une peine privative de liberté de dix ans au plus ou d'une peine pécuniaire.

Cette disposition protège, indépendamment de leur âge et de leur sexe, les personnes incapables de discernement ou de résistance dont l'auteur, en connaissance de cause, entend profiter pour commettre avec elles un acte d'ordre sexuel (ATF 120 IV 194 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_10/2014 du 1er mai 2014 consid. 4.1.1).

Son but est de protéger les personnes qui ne sont pas en état d'exprimer ou de manifester physiquement leur opposition à l'acte sexuel. À la différence du viol (art. 190 CP), la victime est incapable de discernement ou de résistance, non en raison d'une contrainte exercée par l'auteur, mais pour d'autres causes. L'art. 191 CP vise une incapacité de discernement totale, qui peut se concrétiser par l'impossibilité pour la victime de se déterminer en raison d'une incapacité psychique, durable (p. ex. maladie mentale) ou passagère (p. ex. perte de connaissance, alcoolisation importante, etc.), ou encore par une incapacité de résistance parce que, entravée dans l'exercice de ses sens, elle n'est pas en mesure de percevoir l'acte qui lui est imposé avant qu'il ne soit accompli et, partant, de porter jugement sur celui-ci et, cas échéant, le refuser (ATF 133 IV 49 consid. 7.2 ss ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_10/2014 du 1er mai 2014 consid. 4.1.1).

Une incapacité de résistance peut être retenue lorsqu'une personne, sous l'effet de l'alcool et de fatigue ne peut pas ou que faiblement s'opposer aux actes entrepris (cf. arrêts du Tribunal fédéral 6B_238/2019 du 16 avril 2019 consid. 2.1; 6B_232/2016 du 21 décembre 2016 consid. 2.2; 6B_128/2012 du 21 juin 2012 consid. 1.4). L'infraction n'est en revanche pas réalisée si c'est la victime qui a pris l'initiative des actes sexuels ou qu'elle y a librement consenti (arrêt du Tribunal fédéral 6B_762/2018 du 14 décembre 2018 consid. 2.2).

Sur le plan subjectif, l'art. 191 CP est une infraction intentionnelle. Il appartient au juge d'examiner avec soin si l'auteur avait vraiment conscience de l'état d'incapacité de la victime. Le dol éventuel suffit (arrêt du Tribunal fédéral 6B_762/2018 précité, consid. 2.2). Il n'y a pas d'infraction si l'auteur est convaincu, à tort, que la personne est capable de discernement ou de résistance au moment de l'acte (arrêts du Tribunal fédéral 6B_578/2018 précité consid. 2.1; 6B_996/2017 du 7 mars 2018 consid. 1.1; 6B_60/2015 du 25 janvier 2016 consid. 1.2.1).

2.3. En l'occurrence, c’est à bon droit que le Ministère public a retenu l’absence de prévention pénale suffisante s’agissant d’un viol (art. 190 CP). Les éléments au dossier ne permettent pas de retenir que la recourante aurait clairement manifesté son désaccord avec une relation sexuelle et que le recourant aurait passé outre en usant d’un moyen de contrainte. Au contraire, dans la mesure où elle allègue avoir perdu conscience entre le moment où, au restaurant, l’addition a été demandée et celui où elle s’est "réveillée" quelques heures plus tard, chez elle, aux côtés de l’intimé – après que l’acte sexuel eut été accompli –, il n’y a pas de place, dans ce déroulement, pour les éléments constitutifs susmentionnés.

2.4. En revanche, les faits dénoncés relèvent de l’infraction prévue à l’art. 191 CP, pour laquelle le Ministère public a d’ailleurs ouvert une instruction.

Reste à déterminer si, à ce stade, les éléments recueillis doivent conduire au classement de la procédure, ou au renvoi de l’intimé en jugement.

Selon l'intimé, la recourante était consentante, et consciente, durant leur relation sexuelle. Celle-ci dit que ses souvenirs s'arrêtent au restaurant et reprennent lorsqu'elle s'est "réveillée" dans son lit aux côtés de l'intimé.

Au regard des principes jurisprudentiels sus-rappelés, lorsqu’il s’agit d’une infraction commise "entre quatre yeux", pour laquelle il n’existe aucune preuve objective des faits directs, comme c’est le cas en l’occurrence – aucun témoin n’ayant assisté aux faits ayant eu lieu dans l'appartement de la recourante et les analyses médicales ne confirmant pas l’absorption d’une drogue telle que le GHB –, la jurisprudence impose la mise en accusation du prévenu, sauf si les déclarations de la partie plaignante sont contradictoires au point de les rendre moins crédibles.

En l’occurrence, les déclarations de la recourante, sous réserve de quelques détails sans réelle importance – et que son état de panique, confirmé par les échanges de messages avec son amie, pourrait excuser –, n’ont pas varié, et ses explications ne sont pas contradictoires.

Le prévenu, quant à lui, est resté globalement constant dans ses déclarations à la police et au Ministère public. Que la version qu'il a livrée aux autorités pénales soit, le cas échéant, différente de celle qu’il aurait donnée à la recourante lors de leur entretien téléphonique quelques heures après les faits importe peu, puisque cette conversation a eu lieu entre eux seuls, aucun élément au dossier ne permettant d’en connaître la teneur. En revanche, et contrairement à ce qu'a retenu le Ministère public, les éléments au dossier ne permettent pas de conclure que l'intimé aurait reconnu auprès de F______ avoir entretenu une relation sexuelle avec la recourante. Le témoin a déclaré que l'intimé lui avait dit qu'il ne s'était "rien passé", ce qui, pour elle, se référait à l'absence de relations sexuelles. Elle avait cru l'intéressé, en qui elle avait confiance. L'échange de messages entre F______ et la recourante semble également prouver que la première n'avait pas été informée par l'intimé de l'acte sexuel, puisque, lorsque la seconde lui a écrit "Il m'a dit qu'on avait couché ensemble", elle lui a répondu : "Il t'a dit ça ?". Les déclarations du recourant ne coïncident donc pas, sur ce point, avec les éléments au dossier.

Il ressort ainsi de l'ensemble des éléments que les déclarations de la plaignante ne sont pas moins crédibles que celles du prévenu.

Le Ministère public a toutefois considéré que des éléments objectifs permettaient d'exclure la réalisation de l'infraction visée par l'art. 191 CP, en particulier les images de la vidéosurveillance sur lesquelles celle-ci ne présentait aucun signe d'ébriété ou d'inconscience. Force est toutefois de constater que ces images, de quelques secondes, sont trop fugaces pour constituer, en l'état, une preuve déterminante que la recourante n'aurait pas été, comme elle l'affirme, sous l'emprise d'une substance l'ayant rendue incapable de résistance. De même, les photographies de l'intéressée publiées sur les réseaux sociaux, datant de deux ans après les faits, ne sauraient renseigner sur l'état de la recourante le soir en question.

Il s'ensuit que, faute d'élément objectif clair autorisant le Ministère public à renoncer à une mise en accusation du prévenu, au sens de la jurisprudence sus-rappelée, la procédure ne pouvait être classée sous l'angle de l'art. 191 CP.

3.             Le recours sera dès lors partiellement admis et la cause renvoyée au Ministère public pour qu’il porte l'accusation devant le juge du fond, en lien avec l'art. 191 CP, après avoir, le cas échéant, procédé aux actes d'instruction qu'il jugera nécessaires.

4.             L'issue du recours rend sans objet les griefs relatifs au refus d'actes d'instruction complémentaires.

5.             Les frais de la procédure de recours seront laissés à la charge de l'État.

6.             La recourante, partie plaignante, conclut à l'octroi d'une indemnité.

6.1. En vertu de l'art. 436 al. 1 CPP, les prétentions en indemnité dans les procédures de recours sont régies par les art. 429 à 434 CPP.

Selon l'art. 433 al. 2 CPP, la partie plaignante adresse à l'autorité pénale ses prétentions, qu'elle doit chiffrer et justifier.

Le juge ne doit ainsi pas avaliser purement et simplement les notes d'honoraires qui lui sont le cas échéant soumises, mais, au contraire, examiner si l'assistance d'un conseil était nécessaire puis, dans l'affirmative, apprécier objectivement la pertinence et l'adéquation des activités facturées, par rapport à la complexité juridique et factuelle de l'affaire et, enfin, dire si le montant des honoraires réclamés, même conforme au tarif pratiqué, est proportionné à la difficulté et à l'importance de la cause, c'est-à-dire raisonnable au sens de la loi (cf. ACPR/140/2013 du 12 avril 2013).

L'indemnité allouée doit être mise à la charge de l'État.

6.2. En l'espèce, l'indemnité requise, de CHF 4'523.40, correspondant à 12 heures d'activité par une collaboratrice pour la rédaction du recours de 17 pages dont 7 de discussion juridique, paraît excessive au regard du succès partiel du recours. Elle sera ramenée à CHF 2'638.65 (y compris la TVA de 7.7%), soit 7 heures d'activité (au tarif horaire de collaborateur), pour le recours et la réplique de deux pages.

7. L'intimé, qui succombe, n'a pas droit à une indemnité de procédure.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet partiellement le recours, annule l'ordonnance querellée en tant qu'elle porte sur l'infraction à l'art. 191 CP et renvoie la cause au Ministère public pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Rejette le recours pour le surplus.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ les sûretés versées (CHF 1'000.-).

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 2'638.65 TTC.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à A______ et à C______ (soit pour eux leurs conseils respectifs), et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).